Dans sa décision du 21 janvier 2022, le Conseil constitutionnel déclare le passe vaccinal globalement conforme à la Constitution. La loi déférée au Conseil se présente comme un texte d'adaptation de la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, déjà modifiée à deux reprises par les lois du 5 août et 10 novembre 2021. Il était donc probable que les mêmes causes produisant les mêmes effets, le recours connaîtrait le même sort que ceux qui l'avaient précédé. A cet égard, la décision n'a évidemment rien de surprenant car elle s'inscrit dans une jurisprudence constante du Conseil.
La disposition la plus contestée est l'article 1er de la loi qui transforme le passe sanitaire en passe vaccinal pour l'accès à toute une série d'activités, restaurants et débits de boisson, foires, séminaires et salons professionnels etc. Il n'est donc plus possible d'obtenir l'accès à ces installations en présentant un simple test. Pour les députés et sénateurs auteurs de la saisine, cette disposition porte une atteinte excessive à la liberté d'aller et venir et au droit au respect de la vie privée.
Le droit à la protection de la santé
Le Conseil constitutionnel ne conteste pas les ingérences que la loi impose dans ces différentes libertés. Il s'interroge sur la proportionnalité de ces ingérences au regard du Préambule de 1946, alinéa 11, selon lequel "la Nation « garantit à tous … la protection de la santé ».
Ce droit à la protection de la santé se borne à imposer un devoir à l'État, et les autorités doivent ainsi développer une politique publique dirigée vers cette protection. Figurant dans le Préambule de 1946, ce droit a évidemment valeur constitutionnelle, d'ailleurs rappelé par le Conseil constitutionnel dès sa décision du 22 juillet 1980. Celui-ci reconnaît ainsi que la protection de la santé est un objectif constitutionnel que le législateur doit respecter et garantir.
Mais la jurisprudence n'a jamais consacré un droit individuel à la santé dont pourrait se prévaloir n'importe quel citoyen. Toutes les décisions du Conseil intervenues en ce domaine valident des politiques publiques en se fondant sur le droit à la protection de la santé. La politique de lutte contre le tabagisme trouve ainsi son fondement dans l'alinéa 11 du Préambule, depuis la décision du 10 janvier 1991.
Surtout, dans une décision rendue sur QPC le 20 mars 2015, le Conseil déclare conforme à la Constitution la politique de vaccination obligatoire des enfants contre certaines maladies, politique reposant sur ce même alinéa. Et le Conseil précise, dans une formulation essentielle : "Considérant qu'il est loisible au législateur de définir une politique de vaccination afin de protéger la santé individuelle et collective". La vaccination obligatoire est donc une politique publique dont le fondement se trouve dans le droit à la protection de la santé.
Certes, le passe vaccinal n'établit pas une obligation vaccinale, même s'il contribue à inciter à la vaccination. Mais il s'inscrit de la même manière dans une politique publique clairement affirmée. Inutile donc d'aller chercher un autre fondement juridique pour le justifier. Le juge constitutionnel n'a plus alors qu'à apprécier la proportionnalité de la mesure prise au regard du droit à la protection de la santé.
Rappelant qu'il ne lui appartient pas de se substituer au législateur pour apprécier si l'objectif de protection de la santé aurait pu être atteint par d'autres moyens, il constate que celui-ci s'est prononcé "en l'état des connaissances scientifiques dont il disposait" et qu'il a pris la précaution de préciser que les dispositions prévues ne sauraient durer au-delà de la date du 31 juillet 2022. Le passe vaccinal est donc parfaitement conforme à la Constitution, dès lors qu'il s'inscrit dans une politique de santé publique.
La porte étroite, 10 rue Bonaparte, Paris 6è (aujourd'hui fermée)
Les réunions politiques
La seule disposition déclarée inconstitutionnelle dans la décision du 21 janvier est celle qui permettait aux organisateurs de réunions politiques d'en subordonner l'accès à la présentation d'un passe sanitaire. Le Conseil s'appuie alors sur l'article 11 de la Déclaration de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».
Encore indique-t-il soigneusement au législateur à quelles conditions il pourrait prendre une nouvelle disposition soumettant l'entrée à un meeting politique à la présentation d'un passe sanitaire, ou d'ailleurs vaccinal. Il lui suffirait de mentionner qu'une mesure "est prise dans l'intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter
contre l'épidémie de covid-19", de justifier la mesure en invoquant la situation sanitaire, et "de s'assurer qu'elle est appropriée aux circonstances de temps et de lieu". La disposition est donc annulée parce qu'elle est mal rédigée et imprécise. Cette imprécision s'étend d'ailleurs au choix de la formule "passe sanitaire" dans un texte qui met en place un passe vaccinal. Rien n'interdirait, théoriquement, de réécrire la disposition annulée. Cela semble toutefois très peu probable, en plein coeur de la campagne électorale.
Tous les autres moyens articulés contre la loi par les parlementaires requérants, ainsi que par les auteurs des 1472 pages transmises au Conseil constitutionnel, étaient déjà bien connus et avaient déjà été rejetés par des décisions antérieures. Dans son avis préparatoire à la loi, le Conseil d'État avait ainsi rappelé que, la présentation d'un passe vaccinal ne s'analyse pas comme une obligation vaccinale, mais seulement comme une incitation à se faire vacciner.
De même, le contrôle du passe vaccinal par les professionnels n'a évidemment rien à voir avec un contrôle d'identité. Il ne saurait y avoir délégation d'un pouvoir de police administrative, car il ne s'agit pas de police administrative. Le professionnel peut seulement demander à la personne de produire un document officiel pour s'assurer de la concordance entre le passe vaccinal et les éléments d'identité figurant sur ce document. On est alors dans la même situation que celle des professionnels qui contrôlent l'identité de leurs clients lorsqu'ils paient par chèque ( art. L 131-15 du code monétaire et financier), lorsqu'ils achètent des boissons alcoolisées ( Art. L 3342-1 du code de la santé publique), lorsqu'ils vont jouer dans un casino ( art. R 321-27 du code de la sécurité intérieure) etc. La liste est loin d'être close, et aucun principe constitutionnel ou conventionnel ne s'oppose à un tel contrôle. Dans une ordonnance du 30 août 2021, le juge des référés du Conseil d'État a même jugé qu'un tel contrôle n'emportait aucune atteinte à la vie privée, dès lors qu'il se bornait à mentionner l'identité de la personne.
Les "portes étroites"
Les auteurs des 1472 pages transmises au Conseil auraient peut être pu réduire leurs contributions en lisant l'avis du Conseil d'État accompagnant la loi. Certes, il n'est pas interdit au Conseil constitutionnel d'aller à l'encontre d'un tel avis, et cela lui arrive même quelquefois. Mais en l'espèce, les chances d'une telle évolution jurisprudentielles étaient pour le moins réduites.
Cette observation conduit à s'interroger sur les conséquences, quelque peu inattendues, de la décision de Laurent Fabius, de publier les "portes étroites", analyses juridiques envoyées spontanément au Conseil. Cette pratique était auparavant le fait de quelques experts et professeurs de droit jouant un rôle d'amicus curiae dans la discrétion, avec, il est vrai, les inconvénients de l'opacité. Aujourd'hui, cette pratique présente tous les inconvénients de la transparence. La rédaction d'une "porte étroite" devient un élément de communication comme un autre. On y affirme volontiers sa visibilité ou son militantisme. Il ne s'agit plus d'éclairer le Conseil mais plutôt de renforcer une position de leader dans un débat public, la qualité du dossier transmis passant nettement au second plan. La décision du 21 janvier 2022 marque ainsi les limites de l'exercice. Saisi en urgence, le Conseil devait statuer en huit jours, et on imagine mal que ses membres aient eu le temps de lire 1472 pages. Soyons francs. Qui aurait ce courage ?