La vaccination obligatoire de toute une population contre la Covid-19 est-elle juridiquement envisageable ? Cette question est aujourd'hui largement posée, mais les réponses sont presque exclusivement apportées par un mouvement doctrinal opposé au vaccin. Il occupe largement l'espace médiatique, et livre au public un certain nombre d'affirmations présentées comme des paroles d'experts. La norme juridique est malmenée, triturée, pour lui faire dire ce qu'elle ne dit pas. Mais reprenant ces différents arguments, on aperçoit rapidement la manipulation.
Expérimentation et mise sur le marché
Tout l'argumentaire repose en effet sur une manipulation fondatrice. Elle consiste à présenter la vaccination contre la Covid-19 comme une expérimentation médicale, relevant donc d'un droit spécifique. Celui-ci s'est d'abord construit à partir de la loi Huriet-Sérusclat du 20 décembre 1988, puis de la loi du 5 mars 2012 relative aux recherches impliquant la personne humaine. Il repose sur le principe du consentement éclairé de la personne qui se prête à l'expérimentation. Le raisonnement antivax devient alors fort simple : le vaccin est en phase d'expérimentation et la vaccination obligatoire est juridiquement impossible puisque l'obligation implique, par hypothèse, l'absence de consentement.
L'analyse semble aussi séduisante que simple, mais elle est totalement fausse. Le vaccin contre la Covid-19, du moins dans ses différentes formes actuelles, n'est plus en phase d'expérimentation. L'autorisation de mise sur le marché (AMM) est certes précédée d'expérimentations pour tester un médicament, vérifier son efficacité et son innocuité, confirmer ensuite ces donnée sur des cohortes plus importantes. Durant toute cette période, les personnes qui se prêtent à l'expérimentation doivent effectivement formuler un consentement éclairé.
A l'issue de ce processus, l'AMM peut être demandée et obtenue, et c'est exactement ce qu'ont fait les laboratoires qui commercialisent les vaccins. Il demeure évidemment toujours possible de continuer à vérifier l'efficacité d'une molécule sur le long terme, après l'AMM. C'est ainsi que l'on continue certainement d'étudier les effets de l'Aspirine, médicament dont le brevet a été déposé en 1899. Rien n'interdit donc de continuer à étudier les effets du vaccin, mais, dans ce cas, seule la cohorte de volontaires pour la nouvelle expérimentation sera régie par la loi de 2012. Toutes les personnes qui se bornent à respecter l'obligation vaccinale ne sauraient donc être considérées comme les participants à essai clinique, dès lors que les vaccins ont normalement fait l'objet d'une AMM.
Le Conseil constitutionnel
D'une manière générale, les auteurs hostiles à la vaccination invoquent un "risque constitutionnel", sans préciser lequel. Parfois, ils considèrent que le droit à la dignité de la personne est violé, en l'absence de consentement à l'"expérimentation". Bien entendu, l'argument s'effondre, dès lors que la vaccination obligatoire contre la Covid ne saurait s'analyser comme une expérimentation. Le plus souvent, c'est donc le droit à la santé qui est appelé à la rescousse. Il figure dans le Préambule de la Constitution de 1946, selon lequel "La Nation garantit à tous (...) le droit à la santé". Mais le droit à la santé n'impose rien d'autre que la mise en oeuvre d'une politique publique. Et la vaccination obligatoire s'analyse précisément comme une politique publique.
La décision rendue sur QPC le 20 mars 2015 porte sur cette politique, en l'espèce la vaccination des enfants contre la diphtérie, la poliomyélite et le tétanos. Il s'agit d'une obligation légale imposée par les articles L 3111-1 à L 3111-3 du code de la santé publique (csp). Ces dispositions trouvent leur origine dans des textes anciens, la vaccination antidiphtérique étant obligatoire depuis la loi du 25 juin 1938, le tétanos depuis celle du 24 novembre 1940 et la poliomyélithe depuis celle du 1er juillet 1964.
En l'espèce, le Conseil constitutionnel est saisi non pas de ces dispositions imposant la vaccination, mais de l'article 227-17 du code pénal qui punit de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende "le fait, par le père ou la mère, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l'éducation de son enfant mineur". Le Conseil écarte évidemment la QPC, car le code pénal sanctionne ici l'ensemble les carences dans l'exercice de l'autorité parentale, et non pas le seul manquement à l'obligation vaccinale.
Le plus important dans cette décision réside dans l'affirmation du Conseil, selon laquelle "il est loisible au législateur de définir une politique de vaccination afin de protéger la santé individuelle et collective". Et d'ajouter aussitôt que "il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, de remettre en cause, au regard de l'état des connaissances scientifiques, les dispositions prises par le législateur ni de rechercher si l'objectif de protection de la santé que s'est assigné le législateur aurait pu être atteint par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif visé". On imagine mal, aujourd'hui, le Conseil constitutionnel estimer que la politique publique de vaccination obligatoire contre la Covid serait "manifestement inappropriées à l'objectif visé". Le risque constitutionnel relève donc de l'invention pure et simple.
Le Conseil d'État
Cette jurisprudence de 2015 est loin d'être abandonnée. Le Conseil d'État l'a reprise mot à mot dans un arrêt du 10 décembre 2021 portant cette fois sur la loi du pays qui soumet, en Polynésie française, à l'obligation vaccinale contre la Covid-19 les personnes exerçant certaines activités. Le Conseil d'État consacre alors un long développement à la situation catastrophique de la collectivité et déduit que "les dispositions critiquées ont apporté au droit au respect de la vie privée une restriction justifiée par l'objectif d'amélioration de la couverture vaccinale en vue de la protection de la santé publique, et proportionnée à ce but". Si la vaccination obligatoire est justifiée en Polynésie, au regard des risques de contamination pesant sur certaines personnes, on ne voit pas sur quel fondement une obligation générale de vaccination pourrait être jugée disproportionnée, au moment précis où le variant Omicron fait des ravages.
La Cour européenne des droits de l'homme
L'espoir des antivax viendrait-il de la Cour européenne des droits de l'homme ? A cet égard, leur situation semble désespérée. L'arrêt de Grande Chambre Vavricka et autres c. République tchèque rendu le 8 avril 2021 affirme très opportunément que l'obligation légale de vacciner les enfants ne porte pas atteinte au droit à la vie privée garanti par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Certes, la Cour reconnaît que la vaccination obligatoire emporte une ingérence dans la vie privée, mais elle estime que cette ingérence est "nécessaire dans une société démocratique", c'est-à-dire qu'elle "répond à un besoin social impérieux". La Cour ajoute même que les États sont les mieux placés pour apprécier le contexte de l'obligation vaccinale.
L'arrêt est daté du printemps 2021, en pleine épidémie de Covid. Même s'il porte sur les vaccins des enfants, certains passages semblent directement inspirés par la situation actuelle : ""Lorsqu’il apparaît qu’une politique de vaccination volontaire est insuffisante pour l’obtention et la préservation de l’immunité de groupe, ou que l’immunité de groupe n’est pas pertinente compte tenu de la nature de la maladie (...), les autorités nationales peuvent raisonnablement mettre en place une politique de vaccination obligatoire afin d’atteindre un niveau approprié de protection contre les maladies graves".
La jurisprudence Vavricka est donc bien gênante pour les antivax. Le plus souvent, ils oublient donc de la mentionner, solution la plus simple. Parfois, ils la mentionnent, pour considérer ensuite qu'elle ne s'applique pas au vaccin Covid-19, puisque ce dernier est toujours en phase d'expérimentation.
In fine, l'argumentaire juridique s'opposant à la vaccination obligatoire repose entièrement sur la manipulation initiale, qui consiste à présenter le vaccin comme un produit expérimental. Une fois le contresens mis en lumière, tout l'argumentaire s'effondre comme un château de cartes. Lorsque l'on ne dispose pas d'arguments juridiques solides, il est évidemment tentant d'en inventer.
Pour le moment, ceux qui s'opposent au vaccin peuvent encore vivre tranquilles, à condition de rester soigneusement confinés. Les plus hautes autorités de l'État déclarent en effet vouloir "emmerder" les non-vaccinés, mais pas au point de leur imposer le vaccin. Une question de courage politique, sans doute.