L'arrêt Zambrano c. France rendu par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) le 7 octobre 2021 fait irrésistiblement songer au célèbre film 'L'arroseur arrosé" tourné par les frères Lumière en 1895. Le requérant. M. Zambrano est maître de conférence à l'Université de Montpellier et il milite avec conviction contre le passe sanitaire et l'obligation vaccinale. Il veut donc contester le dispositif établi par les lois du 5 août 2021 et du 31 mai 2021 devant la CEDH.
Invention de la "Class Action" devant la CEDH
Il dépose donc une requête en son nom propre, mais ce n'est évidemment pas suffisant à ses yeux. Il va donc inventer la "Class Action" devant la CEDH, alors même qu'il n'existe aucun dispositif de cette sorte devant la juridiction européenne. Sur son site clairement dénommé "Nopass", il invite ses visiteurs à copier son recours, créant ainsi une requête préremplie et standardisée qu'il suffit ensuite de signer. Il déclare ensuite qu'il défendra lui-même tous ses recours. Devant la Cour, il affirme ainsi agir au nom de 7934 requérants, mais la CEDH déclare, elle, avoir reçu 18 000 requêtes répondant à cette rédaction standardisée. Invité par la Cour à compléter les dossiers, le requérant est demeuré sourd à cette demande. La Cour écarte donc les autres recours et n'examine que celui déposé par M. Zambrano. 18 000 personnes ont donc appris que leur travail de copiste n'a servi à rien.
Épuisement des recours internes
La CEDH aurait pu déclarer la requête immédiatement irrecevable. En effet, le requérant avait complètement ignoré la règle de l'épuisement des recours internes. Il n'avait en particulier jamais saisi le Conseil d'État des décrets d'application des deux lois, pas même en référé. Or, il aurait pu, à cette occasion, invoquer les violations qui figurent aujourd'hui dans sa requête. A ses yeux, la vaccination obligatoire des personnels de santé s'analyse comme un traitement inhumain et dégradant prohibé par l'article 3, et le passe sanitaire emporte une atteinte au droit au respect de la vie privée garanti par l'article 8. Mais le requérant n'a pas daigné saisir les juges internes. Il a préféré déposer une requête irrecevable devant la Cour.
L'arroseur arrosé. Les Frères Lumière. 1895
Le recours abusif
Mais la CEDH ne se limite pas à constater cette évidente irrecevabilité. Elle s'offre le luxe de donner une petite leçon au requérant. A l'absence d'épuisement des recours internes, elle ajoute en effet le caractère abusif du recours déposé par M. Zambrano.
L'article 35 § 3 de la convention précise en effet que "toute requête individuelle" peut être déclarée irrecevable lorsqu'elle est "manifestement infondée ou abusive". La décision permet ainsi à la Cour de préciser la notion d'"abus". Dans l'arrêt Mirolubovs et a. c. Lettonie du 15 septembre 2009, elle déclarait ainsi que l'"abus" réside dans "le fait, par le titulaire d’un droit, de le mettre en œuvre en dehors de sa finalité d’une manière préjudiciable". Il n'est donc pas surprenant que l'irrecevabilité pour recours abusif demeure exceptionnelle, car la responsabilité directe du requérant doit être établie avec certitude.
A cet égard, la CEDH précise, en particulier dans l'arrêt Zhdanov et autres c. Russie du 16 juillet 2019, que le "comportement abusif" du requérant ne doit pas seulement détourner la finalité du droit au recours, mais encore entraver le bon fonctionnement de la Cour ou le bon déroulement de la procédure devant elle. Tel est le cas dans la décision M. c. Royaume-Uni du 15 octobre 1987, dans lequel l'irrecevabilité trouve son origine dans une "séries de plaintes chicanières et mal fondées".
La situation de M. Zambrano est évidemment très proche. Alors même qu'il est maître de conférence et donc censé connaître le droit, il a même fait preuve d'une certaine naïveté en avouant sur son site même que sa démarche ne visait pas du tout à obtenir gain de cause dans un contentieux juridique. Il s'agissait en effet d'utiliser les multiples recours déposés par les internautes crédules pour engorger la juridiction européenne : "Notre objectif consiste à envoyer le plus grand nombre de requêtes
possible devant la Cour. Pourquoi ? Parce que la Cour européenne des droits de l’homme est obligée de répondre à chacune de ces requêtes, ça prend du temps (...) Au-delà de 40 000
requêtes par an, c’est l’embouteillage, l’engorgement, l’inondation, la
Cour européenne des droits de l’homme déborde. (...) Voilà ma
stratégie judiciaire. On ne peut pas perdre quand l’objectif n’a jamais
été de gagner mais de faire dérailler le système". La cohérence du discours aurait peut être pu faire douter les militants les plus hostiles au passe sanitaire. Mais il n'empêche que le requérant apporte ainsi la preuve d'une volonté d'entraver le fonctionnement de la Cour, justifiant l'irrecevabilité pour recours abusif.
Si la Cour européenne n'est pas inondée, le requérant, lui, est soigneusement douché. D'une part, il n'a pu faire admettre sa pseudo Class Action. D'autre part, il a apporté lui-même la preuve de l'irrecevabilité de sa propre requête. Quant à la Cour, elle a trouvé un bon vecteur pour rappeler la définition du recours abusif. Surtout, elle refuse très clairement de se laisser instrumentaliser à des fins militantes.
Sur la procédure devant la CEDH : Chapitre 1 section 2 § B du Manuel