« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


jeudi 26 août 2021

L'édition 2021 du manuel de libertés publiques

 

Le manuel de "Libertés publiques" publié sur Amazon présente l'originalité d'être accessible sur papier, mais aussi par téléchargement  pour la somme de six euros. Il peut être lu sur n'importe quel ordinateur.
 
Ce choix d'élargir le support d'un ouvrage universitaire s'explique par la volonté d'offrir aux étudiants un manuel adapté à leur budget mais aussi à leurs méthodes de travail. Ils trouvent aujourd'hui l'essentiel de leur documentation sur internet, mais ils ne sont pas toujours en mesure d'en apprécier la pertinence. Bien souvent, ils piochent un peu au hasard, entre des informations anciennes ou fantaisistes.

Le manuel de "Libertés publiques" proposé sur Amazon répond aux exigences académiques et il est actualisé au 24 août 2021, ce qui signifie qu'il intègre la loi "bioéthique"du 2 août 2021 et la loi "séparatisme" du 24 août 2021. Il fait l'objet d'une actualisation en temps réel, grâce à la nouvelle rubrique "Au fil de l'eau" du site "Liberté Libertés Chéries" et aux articles figurant sur le blog. Le manuel et le site sont donc conçus comme complémentaires.
 
Nombre d'écrits sur les libertés et les droits de l'homme relèvent aujourd'hui de la rhétorique et du militantisme, au risque de déformer la réalité juridique.  Cette publication propose une approche juridique, qui ne s'adresse pas seulement au public universitaire,  étudiants et enseignants, mais aussi à tous ceux qui ont à pratiquer ces libertés. Une connaissance précise du droit positif en la matière est nécessaire, aussi bien sur le plan académique que sur celui de la citoyenneté. C'est un panorama très large des libertés et de la manière dont le droit positif les garantit qui est ici développé. En témoigne, le plan de l'ouvrage que LLC met à disposition de ses lecteurs.
 


 
 

TABLE DES MATIÈRES

 

 

I – LES LIBERTES PUBLIQUES COMME OBJET JURIDIQUE

II – LES TECHNIQUES JURIDIQUES DE MISE EN ŒUVRE DES LIBERTES PUBLIQUES

PREMIÈRE PARTIE

LE DROIT

DES LIBERTES PUBLIQUES

CHAPITRE 1 LA CONSTRUCTION DES LIBERTÉS PUBLIQUES

SECTION 1 : ÉVOLUTION HISTORIQUE

§ 1 – Les doctrines individualistes et la prédominance du droit de propriété

§ 2 – Les doctrines des droits sociaux

SECTION 2   L’INTERNATIONALISATION DES DROITS DE L’HOMME

§ 1 – Les limites de l’approche universelle

§ 2 – Le succès de l’approche européenne

CHAPITRE 2 : L’AMÉNAGEMENT DES LIBERTES PUBLIQUES

SECTION 1 : LE DROIT COMMUN

§ 1 – Le régime répressif

§ 2 – Le régime préventif

§ 3 - Le régime de déclaration préalable

SECTION 2 : LE DROIT DES PÉRIODES D'EXCEPTION

§ 1 – Les régimes constitutionnels

§ 2 – Les régimes législatifs : état d'urgence et état d'urgence sanitaire

CHAPITRE 3 : LES GARANTIES JURIDIQUES CONTRE LES ATTEINTES AUX LIBERTÉS

SECTION 1 : LES TRAITÉS INTERNATIONAUX

§ 1 – La primauté de la Constitution sur les traités non ratifiés

§ 2 – La primauté de la Constitution sur les traités ratifiés

SECTION 2 : LES LOIS

§ 1 – Le Conseil constitutionnel ou la conquête du statut juridictionnel

§ 2 – L’élargissement du contrôle de constitutionnalité

SECTION 3 : LES ACTES DE L’ADMINISTRATION

§ 1 – Les autorités administratives indépendantes

§ 2 – Le juge judiciaire

§ 3 – Le juge administratif

CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE LA CLASSIFICATION DES LIBERTES PUBLIQUES

§ 1 – Les classifications fondées sur le rôle de l’Etat

§ 2 – Les classifications fondées sur le contenu des libertés.

DEUXIÈME PARTIE

LES LIBERTÉS DE LA VIE INDIVIDUELLE

CHAPITRE 4 LA SURETÉ

SECTION 1 : LE DROIT COMMUN DE LA SÛRETÉ

§ 1 – Les principes généraux du droit pénal

§ 2 – Les principes généraux de la procédure pénale

SECTION 2   LES GARANTIES PARTICULIÈRES DE LA SÛRETÉ

§ 1 – Les atteintes à la sûreté antérieures au jugement

§ 2 – Les atteintes à la sûreté sans jugement

CHAPITRE 5 LA LIBERTÉ D’ALLER ET VENIR

SECTION 1 : LA LIBRE CIRCULATION DES NATIONAUX

§ 1 – Le droit de circuler sur le territoire

§ 2 – Le droit de quitter le territoire

SECTION 2   LES RESTRICTIONS A LA CIRCULATION DES ÉTRANGERS

§ 1 – L’entrée sur le territoire

§ 2 – La sortie du territoire

CHAPITRE 6 LE DROIT DE PROPRIÉTÉ

SECTION 1 LA CONSÉCRATION DU DROIT DE PROPRIÉTÉ

§ 1 – Le droit de propriété et les valeurs libérales

§ 2 – La dilution du droit de propriété

SECTION 2 : LES ATTEINTES AU DROIT DE PROPRIÉTÉ

§ 1 – La privation de propriété

§ 2 – Les restrictions à l’exercice du droit de propriété

CHAPITRE 7 : LE DROIT A L’INTÉGRITÉ de la PERSONNE

SECTION 1 LE DROIT HUMANITAIRE

§ 1 – La torture

§ 2 – Les « peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants »

§ 3 – Les crimes contre l’humanité et les génocides

SECTION 2   LE RESPECT DU CORPS HUMAIN

§ 1 - Le droit à la vie

§ 2 – L’inviolabilité du corps humain

§ 3 – Indisponibilité du corps humain

SECTION 3 : LES DROITS ATTACHÉS À LA PROCRÉATION

§ 1 – Le droit de ne pas avoir d’enfant

§ 2 – Vers un droit d’avoir des enfants ?

CHAPITRE 8 :  LES LIBERTÉS DE LA VIE PRIVÉE

SECTION 1 : LA SANTÉ ET L’ORIENTATION SEXUELLE

§ 1 - La santé et le secret médical

§ 2 – L’orientation sexuelle

SECTION 2   LA FAMILLE

§ 1 – La liberté du mariage

§ 2 – Le secret des origines

SECTION 3 LE DOMICILE

§ 1 – Les perquisitions

§ 2 – Le « droit à l’incognito »

SECTION 4   LE DROIT A L’IMAGE

§ 1 – Principes fondateurs du droit à l’image

§ 2 – La vidéoprotection

SECTION 5 LA PROTECTION DES DONNÉES

§ 1 – L’« Habeas Data »

§ 2 – La création des fichiers

§ 3 – Le contrôle des fichiers

§ 4 – Big Data et intelligence artificielle

TROISIÈME PARTIE

LES LIBERTÉS DE LA VIE COLLECTIVE

 

CHAPITRE 9 LA LIBERTÉ D’EXPRESSION

SECTION 1 : L’EXPRESSION POLITIQUE

§ 1 – Le droit de suffrage

§ 2 – Les droits de participation et de dénonciation

SECTION 2 : LE CHAMP DE LA LIBERTÉ D’EXPRESSION

§ 1 – Une liberté de l’esprit

§ 2 – Une liberté économique

SECTION 3 : LES RESTRICTIONS À LA LIBERTÉ D’EXPRESSION

§ 1 – La mise en cause du régime répressif

§ 2 – La protection de certaines valeurs

CHAPITRE 10 LAÏCITÉ ET LIBERTÉ DES CULTES

SECTION 1 LA LAÏCITÉ, PRINCIPE D’ORGANISATION DE L’ÉTAT

§ 1 – Le principe de laïcité dans l’ordre juridique

§ 2 – Le principe de neutralité

SECTION 2   L’exercice du culte

§ 1 – L’organisation des cultes

§ 2 – La police des cultes

SECTION 3 LES MOUVEMENTS SECTAIRES ET LA PROTECTION DES PERSONNES

§ 1 – Une définition fonctionnelle

§ 2 – Un régime juridique orienté sur la protection des personnes

CHAPITRE 11 LA LIBERTÉ DE L’ENSEIGNEMENT

SECTION 1 L’ENSEIGNEMENT PUBLIC

§ 1 – La gratuité

§ 2 – La laïcité

SECTION 2   L’ENSEIGNEMENT PRIVÉ : AIDE ET CONTRÔLE DE L’ÉTAT

§ 1 – L’aide de l’Etat

§ 2 – Le contrôle de l’Etat

CHAPITRE 12 : LE DROIT DE PARTICIPER A DES GROUPEMENTS

SECTION 1 : LES GROUPEMENTS OCCASIONNELS

§ 1 – La liberté de réunion

§ 2 – La liberté de manifestation

SECTION 2 : LES GROUPEMENTS INSTITUTIONNELS

§ 1 – Les associations

§ 2 – Les syndicats

CHAPITRE 13 LES LIBERTÉS DE LA VIE ÉCONOMIQUE ET DU TRAVAIL

SECTION 1 LES LIBERTÉS DE L’ENTREPRENEUR

§ 1 – La liberté du commerce et de l’industrie

§ 2 – La liberté d’entreprendre

SECTION 2   LES LIBERTÉS DU SALARIÉ

§ 1 – Le droit au travail

§ 2 – Les droits dans le travail

mardi 24 août 2021

Le Fact Checking de LLC : Quelques précisions sur le droit d'asile


La prise du pouvoir par les Talibans en Afghanistan, et la rapidité avec laquelle elle s'est produite, suscite un grand mouvement d'exfiltration des Afghans qui ont travaillé avec les puissances occidentales ou qui ont exercé des emplois au sein de l'ancienne administration, ou encore qui ont simplement essayé de vivre dans une société plus moderne. On pense évidemment aux femmes qui ont pu accéder à l'enseignement universitaire et devenir magistrates ou chefs d'entreprise et qui, rendues invisibles par les nouveaux dirigeants, en seront probablement les principales victimes.

Il n'y a guère de voix pour contester la nécessité d'accueillir sur le territoire des personnes dont la vie serait menacée si elles demeuraient en Afghanistan. Mais est-il besoin pour autant de faire dire au droit ce qu'il ne dit pas ? On voit ainsi fleurir des chroniques et autres tribunes dans la presse qui affirment haut et fort que la célèbre Convention de Genève du 28 juillet 1951, à laquelle la France est partie, serait le seul fondement juridique permettant d'accorder le statut de réfugié à une personne. Il n'en est rien, et l'on dénombre trois fondements juridiques distincts régissant le droit d'asile.

Écartons d'emblée une difficulté terminologique. Tous les militants ont tendance à qualifier de "réfugié" tout étranger qui pénètre sur le territoire français. Sur le plan juridique, ne peut cependant être qualifié de "réfugié" que celui auquel a été reconnu le droit d'asile et qui dispose donc, à l'issue d'une procédure compliquée, d'un véritable droit au séjour. 

 

Trois fondement juridiques


Le droit d’asile constitutionnel apparaît pour la première fois dans notre système juridique avec la Constitution de 1793, qui « accorde l’asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il le refuse aux tyrans ». Le Préambule de la Constitution de 1946, repris dans l’article L511-1 ceseda affirme aujourd’hui que « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». Le droit d’asile concerne donc une personne qui a effectivement subi des persécutions, principe confirmé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 août 1993 et repris dans la loi du 11 mai 1998 qui énonce que « la qualité de réfugié est reconnue à toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté ». Ce droit d'asile constitutionnel s'applique donc à toute personne effectivement persécutée. Il est actuellement bien difficile de savoir si les Talibans ont commencé à persécuter des personnes, même si ce n'est pas improbable.
 
Le droit d’asile conventionnel, trouve son origine dans Convention de Genève. Elle énonce que le terme « réfugié » « s’applique à toute personne (…) qui (…) craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». Le statut de réfugié est donc accordé, sur le fondement direct de la Convention de Genève, à une personne qui est cette fois menacée de persécutions et non pas directement persécutée. 
 
La « protection subsidiaire » a été mise en place par la loi du 10 décembre 2003. Elle est destinée aux étrangers qui n'entrent dans aucun des cadres juridiques précédemment définis. C’est le cas de ceux qui ont à redouter une violence généralisée liée à un conflit armé ou pour lesquels il existe des motifs sérieux laissant penser qu'ils courraient dans leur pays un risque d'être soumis à la peine de mort, ou à des traitements inhumains ou dégradants. Ils doivent alors établir qu'ils ne peuvent se voir la qualité de réfugié sur l'un des deux autres fondements, constitutionnel ou conventionnel. Ce principe est régulièrement rappelé par le Conseil d'État, notamment dans un arrêt Pogossyan du 10 décembre 2008.

S'il existe trois fondements juridiques au droit d'asile, pourquoi observe-t-on une telle tendance à "tirer" le droit d'asile vers la Convention de Genève ? Tout simplement parce que les asiles constitutionnels et conventionnels offrent à leur titulaire un titre de séjour de longue durée, dix ans, alors que la loi du 10 septembre 2018 n'offre aux aux titulaires d'une protection subsidiaire qu'un titre de séjour de quatre ans. Et puisqu'il est plus facile de prouver des menaces de persécutions plutôt que des persécutions, le fondement conventionnel a un caractère particulièrement attractif.
 
 

 Chappatte. L'Hebdo de Lausanne. 17 octobre 1996
 
 

Le "guichet unique"

 
  
La pluralité des fondements juridiques ne saurait masquer une tendance à l’unification des régimes juridiques. L’étranger ne fait qu’une seule demande auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Cette institution détermine elle-même la nature de la protection dont il peut bénéficier et lui accorde, ou non, la qualité de réfugié au regard des persécutions qu’il invoque. La décision, si elle est négative, peut faire l’objet d’un recours auprès de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), puis, le cas échéant, d’un contrôle de cassation par le Conseil d’État.
 
 
 

Migrants et réfugiés

 


Reste évidemment le sujet qui fâche. Le 16 août, lors de son allocution télévisée portant sur la situation en Afghanistan, le Président de la République a déclaré : « Nous devons anticiper et nous protéger contre des flux migratoires irréguliers importants". Cette phrase a suscité beaucoup d'émoi, précisément chez ceux qui considèrent que tout migrant est un "réfugié". Il n'est pas question, dans le cadre de cette nouvelle rubrique de "Fact Checking", de juger de l'éventuel manque d'empathie du Président, mais plutôt d'éclairer l'articulation entre immigration et droit d'asile.
 
La situation des étrangers entrant sur le territoire peut être étudiée à travers leur parcours juridique. Un étranger qui pénètre sur le territoire sans les autorisations nécessaires est un migrant, qui plus est en situation irrégulière. Une fois qu'il a déposé une demande d'asile, il devient un "demandeur d'asile". Sa demande a pour effet de l'autoriser à demeurer sur le territoire, le temps qu'elle soit instruite. Durant cette période, il ne bénéficie évidemment pas des droits et garanties qui sont ceux d'un titulaire de la qualité de réfugié.
 
A l'issue de cette période, il n'y a que deux solutions. Soit, le demandeur d'asile obtient la qualité de réfugié et, dans ce cas, il est autorisé à demeurer sur le territoire avec un titre de séjour de longue durée. On peut penser que la plupart des Afghans qui font actuellement cette demande obtiendront satisfaction. Soit, le demandeur d'asile est débouté, et, dans ce cas, il perd tout titre de séjour et doit quitter le territoire. En d'autres termes, il se trouve ramené au statut de migrant en situation irrégulière.  Rien n'interdit de penser que certains Afghans puissent se voir refuser le droit d'asile, notamment dans le cas de talibans plus ou moins infiltrés dans le flux des personnes rapatriées par les autorités françaises.
 

Ces dispositions sont largement celles qui ont cours dans toute l'Union européenne, l'espace Schengen ayant conduit à l'adoption de trois directives "Dublin". Elles reposent sur l'idée qu'un État, et un seul, est chargé d'instruire la demande d'asile, soit qu’il ait déjà attribué un titre de séjour provisoire au demandeur, soit que sa famille y soit déjà installée, soit plus simplement que l’intéressé ait pénétré sur son territoire même irrégulièrement. Une demande formulée dans un autre État est donc automatiquement irrecevable. Il est vrai que ce système fonctionne plutôt mal en période de tensions migratoires. L'encombrement des institutions compétentes offre en effet aux demandeurs d'asile déboutés de larges possibilités de maintien sur le territoire. La question ne devrait pas se poser pour les Afghans, d'une part parce qu'ils ont été transférés sur le territoire par les autorités françaises elles-mêmes, d'autre part parce que la situation dans leur pays montre qu'ils ont, pour le plus grand nombre, largement vocation à obtenir la qualité de réfugié.



Sur le droit d'asile : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 5, section 2, § 1, A. 

 

 

 

samedi 21 août 2021

Les Invités de LLC. La Boétie : Discours sur la servitude volontaire

 

A l'occasion des vacances, Liberté Libertés Chéries invite ses lecteurs à retrouver les Pères Fondateurs des libertés publiques. Pour comprendre le droit d'aujourd'hui, pour éclairer ses principes fondamentaux et les crises qu'il traverse, il est en effet nécessaire de lire ou de relire ceux qui en ont construit le socle historique et philosophique. Les courts extraits qui seront proposés n'ont pas d'autre objet que de susciter une réflexion un peu détachée des contingences de l'actualité, et de donner envie de lire la suite. 

Les choix des textes ou citations seront purement subjectifs, détachés de toute approche chronologique. Bien entendu, les lecteurs de Liberté Libertés Chéries sont invités à participer à cette opération de diffusion de la pensée, en faisant leurs propres suggestions de publication. Qu'ils en soient, à l'avance, remerciés.

 

 ÉTIENNE DE LA BOÉTIE

Discours sur la servitude volontaire

ou le Contre'Un

1549

extrait

 

 


 

 

 

Pauvres gens et misérables, peuples insensés, nations opiniâtres en votre mal et aveugles en votre bien, vous vous laissez enlever, sous vos propres yeux, le plus beau et le plus clair de votre revenu, piller vos champs, dévaster vos maisons et les dépouiller des vieux meubles de vos ancêtres ! vous vivez de telle sorte que rien n’est plus à vous. 

 

Il semble que vous regarderiez désormais comme un grand bonheur qu’on vous laissât seulement la moitié de vos biens, de vos familles, de vos vies. Et tout ce dégât, ces malheurs, cette ruine enfin, vus viennent, non pas des ennemis, mais bien certes de l’ennemi et de celui-là même que vous avez fait ce qu’il est, pour qui vous allez si courageusement à la guerre et pour la vanité duquel vos personnes y bravent à chaque instant la mort. 

 

Ce maître n’a pourtant que deux yeux, deux mains, un corps et rien de plus que n’a le dernier des habitants du nombre infini de nos villes. Ce qu’il a de plus que vous, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire. D’où tire-t-il les innombrables argus qui vous épient, si ce n’est de vos rangs ? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper, s’il ne les emprunte de vous ? Les pieds dont il foule vos cités, ne sont-ils pas aussi les vôtres ? A-t-il pouvoir sur vous, que par vous-mêmes ? Comment oserait-il vous courir sus, s’il n’était d’intelligence avec vous ? Quel mal pourrait-il vous faire si vous n’étiez receleur du larron qui vous pille, complice du meurtrier qui vous tue, et traîtres de vous-mêmes ? 

 

Vous semez vos champs, pour qu’il les dévaste ; vous meublez et remplissez vos maisons afin qu’il puisse assouvir sa luxure ; vous nourrissez vos enfants, pour qu’il en fasse des soldats (trop heureux sont-ils encore !) pour qu’il les mène à la boucherie, qu’il les rende ministres de ses convoitises, les exécuteurs de ses vengeances. Vous vous usez à la peine, afin qu’il puisse se mignarder en ses délices et se vautrer dans ses sales plaisirs. Vous vous affaiblissez, afin qu’il soit plus fort, plus dur et qu’il vous tienne la bride plus courte : et de tant d’indignités, que les bêtes elles-mêmes ne sentiraient point ou n’endureraient pas, vous pourriez vous en délivrer, sans même tenter de le faire, mais seulement en essayant de le vouloir. 

 

Soyez donc résolus à ne plus servir et vous serez libres. Je ne veux pas que vous le heurtiez, ni que vous l’ébranliez, mais seulement ne le soutenez plus, et vous le verrez, comme un grand colosse dont on dérobe la base, tomber de son propre poids et se briser 



jeudi 19 août 2021

Les Invités de LLC : Simone Weil. Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale


A l'occasion des vacances, Liberté Libertés Chéries invite ses lecteurs à retrouver les Pères Fondateurs des libertés publiques. Pour comprendre le droit d'aujourd'hui, pour éclairer ses principes fondamentaux et les crises qu'il traverse, il est en effet nécessaire de lire ou de relire ceux qui en ont construit le socle historique et philosophique. Les courts extraits qui seront proposés n'ont pas d'autre objet que de susciter une réflexion un peu détachée des contingences de l'actualité, et de donner envie de lire la suite. 

Les choix des textes ou citations seront purement subjectifs, détachés de toute approche chronologique. Bien entendu, les lecteurs de Liberté Libertés Chéries sont invités à participer à cette opération de diffusion de la pensée, en faisant leurs propres suggestions de publication. Qu'ils en soient, à l'avance, remerciés.

 

 Simone Weil

 

Réflexions sur les causes de la liberté 

et de l'oppression sociale

1934

 S. Weil, Oppression et Liberté, Gallimard, 1955, 280 p.

 
 

Et pourtant rien au monde ne peut empêcher l'homme de se sentir né pour la liberté. Jamais, quoi qu'il advienne, il ne peut accepter la servitude ; car il pense. Il n'a jamais cessé de rêver une liberté sans limites, soit comme un bonheur passé dont un châtiment l'aurait privé, soit comme un bonheur à venir qui lui serait dû par une sorte de pacte avec une providence mystérieuse. Le communisme imaginé par Marx est la forme la plus récente de ce rêve. Ce rêve est toujours demeuré vain, comme tous les rêves, ou, s'il a pu consoler, ce n'est que comme un opium ; il est temps de renoncer a rêver la liberté, et de se décider à la concevoir. 

 

C'est la liberté parfaite qu'il faut s'efforcer de se représenter clairement, non pas dans l'espoir d'y atteindre, mais dans l'espoir d'atteindre une liberté moins imparfaite que n'est notre condition actuelle ; car le meilleur n'est concevable que par le parfait. On ne peut se diriger que vers un idéal, L'idéal est tout aussi irréalisable que le rêve, mais, à la différence du rêve, il a rapport à la réalité ; il permet, à titre de limite, de ranger des situations ou réelles ou réalisables dans l'ordre de la moindre à la plus haute valeur. 

 

La liberté parfaite ne peut pas être conçue comme consistant simplement dans la disparition de cette nécessité dont nous subissons perpétuellement la pression ; tant que l'homme vivra, c'est-à-dire tant qu'il constituera un infime fragment de cet univers impitoyable, la pression de la nécessité ne se relâchera jamais un seul instant. 

 

Un état de choses où l'homme aurait autant de jouissances et aussi peu de fatigues qu'il lui plairait ne peut pas trouver place, sinon par fiction, dans le monde où nous vivons. La nature est, il est vrai, plus clémente ou plus sévère aux besoins humains, selon les climats et peut-être selon les époques ; mais attendre l'invention miraculeuse qui la rendrait clémente partout et une fois pour toutes, c'est à peu près aussi raisonnable que les espérances attachées autrefois à la date de l'an mille. 

 

Au reste, si l'on examine cette fiction de près, il n'apparaît même pas qu'elle vaille un regret. Il suffit de tenir compte de la faiblesse humain pour comprendre qu'une vie d'où la notion même du travail aurait à peu près disparu serait livrée aux passions et peut-être à la folie ; il n'y a pas de maîtrise de soi sans discipline, et il n'y a pas d'autre source de discipline pour l'homme que l'effort demandé par les obstacles extérieurs. Un peuple d'oisifs pourrait bien s'amuser à se donner des obstacles, s'exercer aux sciences, aux arts, aux jeux ; mais les efforts qui procèdent de la seule fantaisie ne constituent pas pour l'homme un moyen de dominer ses propres fantaisies. Ce sont les obstacles auxquels on se heurte et qu'il faut sur-monter qui fournissent l'occasion de se vaincre soi-même. 

 

(...) Si l'on devait entendre par liberté la simple absence de toute nécessité, ce mot serait vide de toute signification concrète ; mais il ne représenterait pas alors pour nous ce dont la privation ôte à la vie sa valeur. 

 

On peut entendre par liberté autre chose que la possibilité d'obtenir sans effort ce qui plaît. Il existe une conception bien différente de la liberté, une conception héroïque qui est celle de la sagesse commune. La liberté véritable ne se définit pas par un rapport entre le désir et la satisfaction, niais par un rapport entre la pensée et l'action ; serait tout à fait libre l'homme dont toutes les actions procéderaient d'un jugement préalable concernant la fin qu'il se propose et l'enchaînement des moyens propres à amener cette fin. Peu importe que les actions en elles mêmes soient aisées ou douloureuses, et peu importe même qu'elles soient couronnées de succès ; la douleur et l'échec peuvent rendre l'homme malheureux, mais ne peuvent pas l'humilier aussi longtemps que c'est lui-même qui dispose de sa propre faculté d'agir. 

 

Et disposer de ses propres actions ne signifie nullement agir arbitrairement ; les actions arbitraires ne procèdent d'aucun jugement, et ne peuvent à proprement parler être appelées libres. Tout jugement porte sur une situation objective, et par suite sur un tissu de nécessités. L'homme vivant ne peut en aucun cas cesser d'être enserré de toutes parts par une nécessité absolument inflexible ; mais comme il pense, il a le choix entre céder aveuglément à l'aiguillon par lequel elle le pousse de l'extérieur, ou bien se conformer à la représentation intérieure qu'il s'en forge ; et c'est en quoi consiste l'opposition entre servitude et liberté. Les deux termes de cette opposition ne sont au reste que des limites idéales entre lesquelles se meut la vie humaine sans pouvoir jamais en atteindre aucune, sous peine de n'être plus la vie. Un homme serait complètement esclave si tous ses gestes procédaient d'une autre source que sa pensée, à savoir ou bien les réactions irraisonnées du corps, ou bien la pensée d'autrui (...).

 

Une vie entièrement libre serait celle où toutes les difficultés réelles se présenteraient comme des sortes de problèmes, où toutes les victoires seraient comme des solutions mises en action. Tous les éléments du succès seraient alors donnés, c'est-à-dire connus et maniables comme sont les signes du mathématicien ; pour obtenir le résultat voulu, à suffirait de mettre ces éléments en rapport grâce à la direction méthodique qu'imprimerait la pensée non plus à de simples traits de plume, niais à des mouvements effectifs et qui laisseraient leur marque dans le monde. 

 

Pour mieux dire, l'accomplissement de n'importe quel ouvrage consisterait en une combinaison d'efforts aussi consciente et aussi méthodique que peut l'être la combinaison de chiffres par laquelle s'opère la solution d'un problème lorsqu'elle procède de la réflexion. L'homme aurait alors constamment son propre sort en mains ; il forgerait à chaque moment les conditions de sa propre existence par un acte de la pensée.

 

(...) On ne peut rien concevoir de plus grand pour l'homme qu'un sort qui le mette directement aux prises avec la nécessité nue, sans qu'il ait rien à attendre que de soi, et tel que sa vie soit une perpétuelle création de lui-même par lui-même. (...) Telle serait la liberté véritable.

dimanche 15 août 2021

Loi confortant le respect des principes de la République : toilettage par le Conseil constitutionnel


La loi "séparatisme", ou plus exactement la loi "confortant le respect des principes de la République" est  globalement déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel. La décision du 13 août 2021 se limite en effet à censurer deux dispositions du texte, et ce ne sont pas les plus essentielles. Elle formule également deux réserves d'interprétation qui ne bouleversent en rien son équilibre général. Sur le fond, la décision ne bouleverse guère la jurisprudence, mais elle présente de l'intérêt par les sujets évoqués, tous essentiels en matière de libertés publiques.

 

Associations et subventions


Le texte réalise une réforme d'ampleur du droit des associations. Elles devront désormais signer un "contrat d'engagement républicain", préalable indispensable à l'obtention de subventions publiques. Au coeur de ce contrat figure évidemment le respect du principe de laïcité. Ce contrat n'est pas jugé inconstitutionnel, car il ne remet pas en cause la liberté d'association, particulièrement protégée par le Conseil depuis la célèbre décision du 31 juillet 1971. Le Conseil fait justement observer que ce contrat d'engagement républicain n'a pas pour effet d'encadrer les conditions de constitution d'une association ou la manière dont elle exerce son activité. Libre à elle d'ailleurs de ne solliciter aucune subvention pour échapper à ce contrat.

En revanche, le Conseil s'intéresse davantage à la sanction du non-respect de ce contrat. Dans cas, la subvention publique est retirée, par décision motivée à l'issue d'une procédure contradictoire. L'association dispose alors d'un délai de six mois pour restituer l'argent qui lui a été versé. Dans une réserve d'interprétation, le Conseil précise toutefois que ce retrait de la subvention ne saurait avoir pour conséquence d'imposer la restitution de sommes versées antérieurement au contrat d'engagement républicain. Cette réserve était-elle utile. Il s'agit en effet d'une simple mise en oeuvre du principe de non rétroactive qui s'applique aussi bien aux sanctions pénales qu'aux sanctions administratives. Dans une décision du 30 décembre 1982, le Conseil rattachait déjà le principe de non-rétroactivité à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du Citoyen de 1789. Il ajoutait qu'il "ne concerne pas seulement les peines appliquées par les juridictions répressives, mais s'étend nécessairement à toute sanction ayant le caractère d'une punition (...)". 

 

Suspension des associations

 

Le Conseil examine aussi la procédure de dissolution administrative des associations. Celle-ci existe depuis la célèbre loi du 10 janvier 1936, votée après les émeutes du 6 février 1934, et dont les éléments essentiels figurent toujours dans le code de la sécurité intérieure (csi). Aux motifs de dissolution déjà énoncés dans l'article L212-1 csi, organisation de manifestations armées, volonté de porter atteinte à l'intégrité du territoire ou à la forme républicaine du gouvernement, agissements en vue de susciter des actes de terrorisme, provocation à la discrimination ou à la haine et à la violence raciales, la loi "séparatisme" ajoute un motif nouveau consistant à "la provocation à des agissements violents à l'encontre des personnes et des biens". Il s'agit en effet de pouvoir sanctionner des comportements, tels que ceux qui ont été observés lorsque certaines associations n'ont pas hésité à relayer des messages de violence à l'égard de Samuel Paty.

Ce nouveau cas de dissolution n'est pas contesté par le Conseil constitutionnel qui affirme qu'il poursuit "l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public", lui-même consacré depuis la décision du 28 juillet 1989. Il observe de plus que cette disposition n'impute aux associations les agissements de leurs dirigeants que si ces derniers ont agi au nom du groupement. 

En revanche, le Conseil constitutionnel censure en partie la procédure préalable à la dissolution. Certes, elle s'accompagne du respect des droits de la défense et peut donner lieu à un recours, ce qui n'est pas contesté ni contestable. En revanche, le législateur avait cru bon d'autoriser la suspension immédiate des activités d'une association faisant l'objet d'une procédure de dissolution, suspension d'une durée de trois mois renouvelable une fois. Il s'agissait concrètement de permettre à l'administration d'instruire le dossier de dissolution. Aux yeux du Conseil, une telle suspension, d'une durée aussi longue, porte une atteinte disproportionnée à la liberté d'association. De la rédaction employée par le Conseil, on doit déduire que ce n'est pas la suspension en soi qui est sanctionnée, mais bien davantage sa durée. Il est vrai que la décision de dissoudre une association dont les activités sont dangereuses pour l'ordre public pourrait sans doute être instruite plus rapidement.

La République nous appelle. Le Chant du départ. Méhul. 1794

Georges Till.


Octroi ou renouvellement d'un titre de séjour


Le Conseil constitutionnel censure également l'article 26 de la loi, prévoyant que la délivrance ou le renouvellement de tout titre de séjour peut être refusé à un étranger ou qu'un titre de séjour peut lui être retiré s'il est établi qu'il a "manifesté un rejet des principes de la République". Cette fois, c'est la mauvaise rédaction de la loi qui est sanctionnée, trop imprécise sur les comportements justifiant le refus ou le retrait du titre de séjour.

Pour obtenir la validation d'une telle procédure, cette disposition devra donc être réécrite et revotée. Pour éviter une telle mésaventure constitutionnelle, le législateur aurait sans doute pu s'inspirer du "contrat d'intégration républicaine" que les étrangers qui sollicitent un visa de longue durée doivent signer. Il impose une connaissance minimum des institutions mais aussi un engagement sur les valeurs de la République, et notamment l'égalité entre les hommes et les femmes. Il ne serait donc pas très difficile de mettre noir sur blanc quels sont les "principes de la République" dont la violation pourrait fonder un refus de titre de séjour ou un non-renouvellement.

 

L'instruction à domicile

 

A ces éléments essentiels s'ajoute une dernière réserve d'interprétation portant sur l'instruction à domicile. On se souvient que le projet de loi envisageait, à l'origine, d'imposer l'instruction obligatoire dès l'âge de trois ans et d'interdire qu'elle soit dispensée au sein de la famille. Il s'agissait concrètement de lutter contre une pratique consistant à choisir l'enseignement à domicile et à confier en réalité l'éducation des enfants à des religieux radicalisés, dépourvus de tout diplôme d'enseignant délivré par les autorités françaises. 

Divers lobbies se opposés à une telle mesure et, sur ce point, on a vu se développer une sorte d'alliance des intégrismes religieux, de toutes confessions. Elle a obtenu satisfaction. La loi prévoit donc un principe d'instruction obligatoire dans les établissements d'enseignement publics ou privés mais autorise une dérogation en faveur de l'instruction en famille. On reste ainsi dans le cadre posé par la loi du 28 mars 1882 qui affirme que l'enseignement primaire peut être assuré soit dans les établissements d'enseignement, "soit dans les familles, par le père de famille lui-même ou par toute personne qu'il aura choisie".

Le Conseil constitutionnel réduit toutefois considérablement la portée de cette victoire des lobbies. La saisine des sénateurs, signée de Bruno Retailleau, affirmait en effet que la liberté de l'enseignement est un "principe fondamental reconnu par les lois de la République" (PFLR). C'est parfaitement exact, depuis la décision du 23 novembre 1977. Mais la saisine en déduisait, sans davantage d'explication, que l'enseignement à domicile relevait de ce principe fondamental. Hélas, la tentative a échoué et le Conseil constitutionnel n'a pas été dupe de ce bluff constitutionnel. Il affirme clairement que la loi de 1882 n'a fait de l'instruction en famille qu'une  "modalité de mise en œuvre de l'instruction obligatoire". Ce n'est donc pas "une composante du principe fondamental reconnu par les lois de la République de la liberté de l'enseignement". 

L'instruction en famille n'a donc qu'une valeur législative, et ce n'est pas un droit. L'article 49 de la loi contrôlée par le Conseil prend d'ailleurs soin d'énumérer les motifs pour lesquels elle peut être accordée, à titre dérogatoire, "soit en raison de l'état de santé de l'enfant ou de son handicap, soit en raison de la pratique d'activités sportives ou artistiques intensives, soit en raison de l'itinérance de la famille en France ou de l'éloignement géographique de tout établissement scolaire public". A ces motifs, a été ajoutée "l'existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif", formulation suffisamment imprécise pour autoriser un choix purement religieux.

Mais le Conseil prend soin de préciser, et c'est précisément l'objet de la réserve d'interprétation, que le pouvoir réglementaire devra déterminer avec précision les modalités de délivrance de l'autorisation et les conditions du contrôle. L'administration devra ainsi s'assurer très concrètement de la "capacité d'instruire" de la personne en charge de l'enfant, et notamment de son aptitude à dispenser le socle de connaissances exigé par le code de l'éducation. Elle devra aussi contrôler l'existence de la "situation propre à l'enfant" justifiant un tel choix. Le Conseil exige ainsi une véritable "mise sous tutelle" de l'instruction en famille, dans l'intérêt supérieur de l'enfant.

Deux réserves et deux annulations, somme toute secondaires. La décision du Conseil conforte ainsi la loi "séparatisme" dont la constitutionnalité avait pourtant été largement contestée devant les médias, avec des moyens parfois quelque peu fantaisistes. Mais les opposants à ce texte peuvent continuer le combat. Sept articles sur 103 ont été déférés au Conseil, ce qui signifie que des questions prioritaires de constitutionnalité pourront être posées sur toutes les dispositions qui n'ont pas clairement été déclarées constitutionnelles, dès que la loi sera appliquée. Il faut donc s'attendre à une avalanche de QPC et les opposants au texte pourront reprendre à leur compte la célèbre maxime du Taciturne : "Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer".



Sur la liberté d'association : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 12, section 2, § 1.

jeudi 12 août 2021

Contrôle technique des deux-roues : Mais où est passé le Premier ministre ?


Le 12 août 2021, le ministère des transports annonce officiellement que "le contrôle technique des deux-roues est suspendu sur demande d'Emmanuel Macron". Il aura duré vingt-quatre heures, le décret du 9 août 2021 le mettant en place et imposant son respect à partir du 1er janvier 2023 ayant été publié au Journal officiel le 11 août. Sa mise en oeuvre est donc repoussée aux calendes, le ministre étant invité à rencontrer les fédérations de motards « à la rentrée pour échanger largement sur les différents sujets les concernant". On ne doute pas que ces échanges dureront jusqu'aux élections présidentielles.

On pourrait évidemment se borner à constater une nouvelle fois la puissance des lobbys durant l'actuel quinquennat, les motards ayant réussi l'exploit d'obtenir la non-application d'un décret publié.  On pourrait aussi sourire en constatant que la presse quotidienne du même jour relaie d'autres propos, bien différents, du Président de la République. A la veille de a Cop 26, celui-ci invoque en effet une "écologie de gouvernement", invitant les États à sceller "un accord à la hauteur de l'urgence". On doit donc déduire que l'urgence n'est pas si grande, dès lors que la non application du décret conduit à laisser circuler sur les routes une grande quantité de véhicules polluants dont l'empreinte carbone devrait donner des allergies aux experts du Giec. 

Au-delà de ces questions de fond qui n'ont rien de nouveau, le problème posé est celui de la conformité au droit de l'intervention du Président de la République. On pourrait résumer la situation en affirmant qu'il ignore le droit de l'Union européenne et méprise souverainement la Constitution.

 

Le droit de l'Union européenne

 

Le contrôle technique des deux-roues est imposé par le droit de l'Union européenne. Une directive du 3 avril 2014 l'impose en effet pour tous les véhicules motorisés de deux et trois roues d'une cyclindrée supérieure à 125 cm3. Elle fixe au 1er janvier 2022 la date limite de mise en oeuvre de cette contrainte. Le décret publié le 11 août fixait déjà cette date au 1er janvier 2023, soit avec une année de retard par rapport à ce qu'impose le droit européen. Sept ans après les directive, il faut bien reconnaître que ses dispositions demeurent ignorées en France, alors même que les autres États de l'Union imposent depuis longtemps ce contrôle technique.

Rappelons tout de même qu'aux termes de l'article 260 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) les États sont non seulement tenus de transposer une directive dans leur ordre interne, mais ils sont aussi tenus de communiquer à la Commission les mesures qu'ils prennent pour assurer cette transposition. En cas de manquement à ces obligations, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) peut être saisie, et, éventuellement, condamner l'État réticent au paiement d'une somme forfaitaire ou d'une astreinte. Un premier recours en manquement a ainsi été accueilli dans un arrêt du 8 juillet 2019 dirigé contre la Belgique qui, en septembre 2017, n'avait pas engagé la transposition d'une directive de 2014 sur les réseaux de communication à haut débit. 

Si le droit de l'Union européen est traité avec négligence par le Président de la République, le droit constitutionnel, lui, est totalement méprisé.



Harley Davidson. Brigitte Bardot. 1968. Chanson de Serge Gainsbourg

 

La Constitution

 

Le décret du 9 août 2021 est évidemment l'expression du pouvoir réglementaire du Premier ministre. Il s'ouvre ainsi par cette formule : "Le Premier ministre, Sur le rapport de la ministre de la transition écologique (...)". Il s'achève par les signatures du Premier ministre Jean Castex, du ministre de la transition écologique Barbara Pompili et du ministre délégué chargé des transports Jean-Baptiste Djebbari. Le Président de la République ne signe pas ce type de décret, car il n'a pas été délibéré en conseil des ministres.

Le fondement de ce décret réside donc dans l'article 21 de la Constitution qui énonce que "sous réserve des dispositions de l'article 13, c'est-à-dire des décrets délibérés en conseil des ministres et co-signés par le Président, le Premier ministre "exerce le pouvoir réglementaire". L'article 22 affirme ensuite que "les actes du Premier ministre sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution". Ce contreseing des ministres les associe de manière symbolique à la décision, mais la seule signature du Premier ministre suffit à assurer la validité d'un texte réglementaire. En d'autres termes, le Président de la République n'est pas associé au pouvoir réglementaire ordinaire. 

Le plus amusant, mais est-ce vraiment amusant, est que le ministre délégué aux transports ne l'est pas beaucoup plus, sa signature étant une formalité non substantielle. Mais peu importe, c'est à lui qu'Emmanuel Macron s'adresse pour suspendre le décret... comme s'il était compétent pour le faire. En d'autres termes, le Président, incompétent en l'espèce, s'adresse à un ministre tout aussi incompétent. En revanche, le malheureux Premier ministre, le seul qui soit réellement compétent, n'est pas "dans la boucle". Le pauvre Jean Castex a été oublié dans l'affaire.

On pourrait évidemment conseiller au Président de la République de suivre quelques cours de droit constitutionnel, car ce n'est pas la première fois qu'il écarte purement et simplement la Constitution. Le professeur Serge Sur, invité de Liberté Libertés Chéries, citait déjà, l'intervention télévisée du 12 juillet dernier, dans laquelle Emmanuel Macron annonçait une batterie de mesures sanitaires, ajoutant : « Pour pouvoir faire cela, je convoquerai le parlement en session extraordinaire à partir du 21 juillet pour l’examen d’un projet de loi qui déclinera ces décisions". Le Président ignorait alors l'article 30 de la Constitution qui précise qu'il ne peut convoquer une session extraordinaire que sur proposition du premier ministre, déjà oublié dans l'affaire. Ajoutons qu'il violait aussi l'article 39 qui attribue l'initiative des lois au seul Premier ministre. 

Chargé de "veiller au respect de la Constitution" par l'article 5, le Président de la République l'ignore donc superbement, quand il l'entend et comme il l'entend. Tous ces manquements présentent le point commun de tout ramener à la personne du Président, de présenter la décision politique comme émanant de lui seul. C'est en outre une démarche pathétiquement électorale. Selon la formule de Sieyès, "L'autorité vient d'en haut et la confiance d'en bas".  Sacrifier l'autorité à la confiance risque de les perdre toutes les deux.