L'Observatoire de la laïcité s'est éteint ce matin, muni des sacrements des églises, quelles qu'elles soient, et entouré de l'affection de ses proches, c'est-à-dire de tous ceux qui s'appuient sur le principe de laïcité pour invoquer une totale liberté d'affirmer sa religion dans l'espace public.
L'avis de décès a été discrètement publié, non pas dans le Carnet du Figaro, mais dans le Journal officiel. Un décret du 4 juin 2021 énonce, avec la simplicité qui convient à un acte de décès : "Le décret n° 2007-425 du 25 mars 2007 créant un observatoire de la laïcité est abrogé". L'observatoire perd jusqu'à sa majuscule, qu'il s'était attribuée au mépris du décret de 2007.
Les difficultés du deuil
Sur un plan très concret ce décret de dissolution va permettre aux membres de l'observatoire de comprendre enfin que leurs activités ont pris fin. Il est toujours difficile de faire son deuil, et les intéressés n'ont pu bénéficier d'une cellule d'assistance psychologique, alors même qu'ils étaient peut-être traumatisés par une situation juridique un peu instable.
Le mandat du président, du rapporteur général et des membres de l'observatoire de la laïcité avait été renouvelé par un décret et un arrêté du 3 avril 2017 du Premier ministre de l'époque, Bernard Cazeneuve. Ce mandat de quatre ans a donc pris fin le 2 avril 2021.
En même temps, un décret du 23 octobre 2015 impose le renouvellement quinquennal de toutes les commissions consultatives qui n'ont pas été créées par la loi. L'idée est de contraindre l'Exécutif à s'interroger régulièrement sur l'utilité des instances ainsi créées, ce qu'il aurait sans doute pu faire plus tôt à propos de l'observatoire. Quoi qu'il en soit, sur le fondement de ces dispositions codifiées dans l'article R 133-2 du code des relations entre le public et l'administration, l'observatoire de la laïcité a donc été prorogé par un nouveau décret, signé d'Edouard Philippe, et daté du 12 octobre 2017.
Mais la prorogation était de cinq ans, ce qui signifie que la commission n'avait pas officiellement disparu alors que le mandat de ses membres avait expiré. C'est peut-être cette situation qui a entrainé quelques errements bien peu juridiques. L'observatoire continuait à diffuser ses opinions tranchées sur les réseaux sociaux, le rapporteur général continuait à faire des conférences ou des visites diverses et variées, sans comprendre qu'il n'avait plus mandat pour intervenir publiquement au nom de cette instance. Le décret du 4 juin 2021 met heureusement fin à ce déni.
L'observatoire s'en va sans fleurs ni couronnes, et sans regrets éternels. Comment expliquer cette situation ?
La dernière réunion de l'observatoire de la laïcité
Skeleton Dance. Silly Symphony. Walt Disney. 1929
Non discrimination versus égalité devant la loi
D'abord par le comportement de l'équipe dirigeante. Peu ouverts au dialogue, ils étaient persuadés de détenir la vérité, en assurant la promotion d'une laïcité qui ne parvenait plus à dire son nom sans l'accompagner d'adjectifs divers destinés à réduire sa portée. On parlait ainsi de laïcité "inclusive" ou "ouverte", figures de style permettant de promouvoir tous les intégrismes religieux.
L'analyse était simple. Toute demande formulée au nom des convictions religieuses, ouverture de lieux de culte, port de signes religieux, menus spécifiques dans les services publics de restauration etc, était considérée comme nécessairement fondée, et tout refus était considéré comme une atteinte à la liberté religieuse. Ceux qui réclamaient seulement que la loi soit la même pour tous se trouvaient alors stigmatisés comme étant auteurs de discriminations. Cette habile utilisation du principe de non discrimination contre le principe d'égalité devant la loi a été l'élément de langage essentiel de l'observatoire de la laïcité.
Sur le fondement d'une telle analyse, l'observatoire a ainsi adopté un avis très remarqué intitulé "étude à propos de l'application du principe de laïcité et sa promotion dans le cadre du futur service national universel" (SNU), qui admettait le port de signes religieux par les jeunes appelés, alors même que, selon les mots du Président de la République, l'objet même du SNU est d'"impliquer davantage la jeunesse française dans la vie de la Nation, de promouvoir la notion d'engagement et de favoriser un sentiment d'unité nationale autour de valeurs communes". L'observatoire envisageait alors de faire respecter des valeurs communes sans imposer la neutralité et en mettant l'accent sur les différences.
Cette affaire illustre parfaitement la dérive de l'observatoire. Aux termes du décret du 25 mars 2007 qui l'a créé, sa mission était "d'assister le Gouvernement dans son action
visant au respect du principe de laïcité dans les services publics". Peu à peu, cette commission consultative, théoriquement au service de l'Exécutif, s'est érigée en censure de l'Exécutif, en violation directe des textes qui l'avait instituée. Le plus surprenant est sans doute que les gouvernements successifs aient attendu si longtemps avant de s'apercevoir d'un tel détournement des textes.
Remous et démissions
Cette idéologie provocatrice a suscité bien des remous. Au moment de son décès, l'observatoire n'existait déjà plus, miné par les désaccords et les démissions. Dès janvier 2015, après l'attentat contre Charlie-Hebdo, l'observatoire avait rendu un avis sur "la promotion de la laïcité et du vivre ensemble", dans lequel il prônait "au sein des programmes scolaires, la prise en compte de toutes les cultures présentes sur le territoire de la République", des "cours de théologie musulmane accessibles à tous" et la "publication d'une circulaire sur le fait religieux en entreprise". Trois membres de l'observatoire, Jean Glavany, Françoise Laborde et Patrick Kessel avaient alors publié le lendemain un communiqué commun dans lequel ils condamnaient un avis non précédé d'une délibération collégiale et qui contenait des propositions « angéliques et pusillanimes ». En janvier 2016, le sénateur Hugues Portelli démissionne de l'observatoire, en déclarant " Si l'observatoire de la laïcité était un rempart contre les dérives religieuses en France, cela se saurait !".
Au même moment, le rapporteur de l'observatoire s'en prend, sur Twitter, à Elisabeth Badinter, qui avait osé déclarer sur France-Inter : « La laïcité (...) c'est aussi la neutralité dans la sphère publique ». Jean Glavany, Françoise Laborde et Patrick Kessel ont alors décidé de suspendre leur participation. Il est vrai que ce même rapporteur a aussi pris position violemment contre les arrêtés anti-burkini en août 2016, défendu bec et ongles la vice-présidente de l'UNEF qui s'était présentée voilée à l'Assemblée nationale (2018), sans oublier la défense d'une campagne publicitaire présentant une enfant d'une dizaine d'années voilée.
Au moment du décès de Samuel Paty, la coupe est pleine et la crédibilité de l'observatoire définitivement détruite. La politique publique évolue enfin et l'entourage du Premier ministre déclare qu'il est temps d'envisager le recours à une instance "davantage en phase avec la stratégie de lutte contre les séparatismes". Même si l'observatoire s'efforce d'agiter le ban et l'arrière-ban de ses amis, son sort est définitivement scellé. Le malheureux Samuel Paty n'aura sans doute jamais d'établissement d'enseignement à son nom, mais son assassinat aura au moins permis d'ouvrir les yeux sur la nécessité d'en finir avec une commission qui soutenait tous les séparatismes.
Le comité interministériel de la laïcité
Après le désastre que fut l'observatoire, il convient de s'interroger sur le comité interministériel de la laïcité, créé par le décret du 4 juin 2021. Observons d'emblée que le défunt observatoire s'était arrogé la qualité d'autorité indépendante, sans qu'aucune loi lui ait attribué une telle qualification. Au contraire, on chercherait vainement mention de l'observatoire de la laïcité dans la liste des autorités indépendantes dressée par la loi du 20 janvier 2017. Il avait donc la nature juridique d'une commission consultative ordinaire, dont le président était nommé par le Premier ministre.
Le comité interministériel de la laïcité, sera, quant à lui, directement présidé par le Premier ministre, et composé des ministres concernés par la politique publique de la laïcité. Organe interministériel, il aura pour mission de "coordonner et d'assurer le suivi de la mise en oeuvre de l'action du gouvernement aux fins d'assurer la promotion et le respect du principe de laïcité au sein des administrations de l'Etat, des collectivités territoriales ainsi que des autres personnes de droit public ou de droit privé chargées d'une mission de service public". On perçoit une volonté de rompre avec le passé. Alors que l'observatoire s'affirmait comme idéologique et dogmatique, le Comité interministériel se veut exclusivement pragmatique, destiné à permettre la mise en oeuvre d'une politique publique, évidemment non détachable d'une autre politique désormais affirmée, celle de la lutte contre le séparatisme.
Les fonctions de réflexion et de recours
On ne peut que se réjouir de cette vision privilégiant le pragmatisme et l'efficacité. Il n'en demeure pas moins que les fonctions de réflexion et de recours sont absentes du décret du 4 juin 2021. Des questions méritent pourtant d'être posées par une institution en mesure de mener à bien une réflexion sereine. Est-il normal, par exemple, que les élèves des classes préparatoires des lycées se voient interdire le port du voile, alors que celles de l'Université en sont dispensées ? Est-il normal qu'une femme qui accompagne une sortie scolaire ne soit pas considérée comme participant directement au service public ? Les réponses à ces questions peuvent-elles être apportées par un comité interministériel composé de membres qui, par hypothèse, sont au coeur du débat politique ? On peut en douter.
De même, serait-il utile qu'une autorité soit chargée, un peu comme le Défenseur des droits, de recevoir des alertes émanant des fonctionnaires, enseignants,
travailleurs sociaux ou médicaux notamment, qui estiment ne pas
recevoir de soutien de leur autorité hiérarchique alors qu'ils subissent
des menaces parfois physiques. Une procédure simple et dématérialisée,
sorte de "signalement" sur une plateforme internet, permettrait à
l'autorité de saisir directement le
procureur lorsqu'elle constate une infraction, notamment l'outrage à une
personne dépositaire de l'autorité publique. La procédure ne serait
ainsi pas retardée par les éventuels atermoiements de supérieurs
hiérarchiques. La protection de la laïcité pourrait ainsi être renforcée, grâce à des "lanceurs d'alerte" désormais assurés de ne pas être sanctionnés ou écartés.
Le comité interministériel est certes une évolution positive, mais le respect de la laïcité ne peut être assuré par l'unique démarche verticale du pouvoir hiérarchique, même si on doit se réjouir qu'elle s'exerce enfin. Son travail doit être complété par une autre démarche, permettant de gérer le "quotidien de la laïcité", les règles immédiatement applicables, les difficultés de terrain, démarche horizontale cette fois. Contrairement à ce que faisait l'observatoire, il s'agit de montrer que le principe de laïcité n'est pas une notion clivante mais un principe républicain qui permet d'assurer la paix entre les différentes religions, entre leurs fidèles, sans oublier que l'agnosticisme ou l'athéisme sont aussi des convictions qui doivent être protégées.