Après l'association Barakacity et le Comité contre l'islamophobie en France (CCIF), deux groupements proches d'une mouvance islamiste radicale, c'est au tour d'un mouvement de la droite extrême d'être l'objet d'une dissolution administrative. Intervenue par un décret du 3 mars 2021, la dissolution de Génération Identitaire a donné lieu à un référé devant le Conseil d'Etat. L'association et ses dirigeants ont demandé la suspension d'un texte qui, à leurs yeux, portait une atteinte excessive à la liberté d'association.
La liberté d'association est un principe
fondamental reconnu par les lois de la République depuis la célèbre décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971 et elle a, en conséquence, une valeur constitutionnelle. Il
appartient donc au gouvernement, lorsqu'il envisage la dissolution d'une
association, d'"opérer la conciliation nécessaire entre le respect
des libertés et la sauvegarde de l'ordre public sans lequel l'exercice
des libertés ne saurait être assuré." Une association ne peut donc être dissoute que si cette mesure est indispensable à l'ordre public.
Dans une ordonnance du 3 mai 2021, le juge des référés du Conseil d'État, intervenant en formation collégiale, écarte le recours et considère donc que la dissolution de Génération Identitaire était indispensable à la protection de l'ordre public.
La dissolution administrative
Comme dans le cas de Barakacity et du CCIF, la dissolution est juridiquement fondée sur l'article L212-1 du code de la sécurité intérieure, lui-même largement issu d'une ancienne loi du 10 janvier 1936. A l'époque, il s'agissait précisément de permettre au gouvernement de prononcer la dissolution des "ligues" et groupements d'extrême-droite qui avaient participé aux manifestations violentes et bien peu républicaines du 6 février 1934.
Les conditions d'une telle dissolution sont précisément définies par l'article L212-1. Le groupement doit soit être constitué comme un groupe armé, soit avoir pour but de porter atteinte à la forme républicaine du Gouvernement, soit se livrer à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l'étranger, soit enfin provoquer à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence.
Une QPC sans espoir
Avant toute chose, Génération Identitaire commence par invoquer l'inconstitutionnalité de ces dispositions et dépose donc une demande de question prioritaire de constitutionnalité. La démarche semble pour le moins désespérée.
L'association s'appuie en effet sur l'article L332-18 du code du sport qui permet la dissolution ou la suspension pour une durée inférieure ou égale à douze mois d'une association de supporters sportifs dont les membres se sont livrés à "des actes répétés ou un acte d'une particulière gravité et qui sont constitutifs de dégradations de biens, de violence sur des personnes ou d'incitation à la haine ou à la discrimination contre des personnes (...)". Elle invoque également l'article L227-1 du code de la sécurité intérieure qui permet la fermeture d'un lieu de culte, pour une durée qui ne peut excéder six mois, dans un but de prévention du terrorisme, lorsque "les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent provoquent à la violence, à la haine ou à la discrimination, provoquent à la commission d'actes de terrorisme ou font l'apologie de tels actes". Génération Identitaire voit dans l'article L212-1 du code de la sécurité une disposition qui porte atteinte au principe d'égalité devant la loi, dès lors qu'un mouvement de la droite extrême n'est pas traité de la même manière qu'un groupe de supporters ou les gestionnaires d'un lieu de culte.
Le juge des référés du Conseil d'Etat ne peut que rappeler une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, selon laquelle le principe d'égalité s'applique aux situations qui sont juridiquement identiques. Tel n'est évidemment pas le cas en espèce, et il rappelle que les groupements de supporters ou les gestionnaires de lieux de culte ne sont pas dissous ou suspendus pour les mêmes faits que les groupements visés par l'article L212-1.
Actualités Pathé du 6 février 1934. Archives de l'INA
Un délai plus que suffisant
Le juges des référés commence par écarter rapidement un moyen de procédure. Génération Identitaire se plaint en effet de n'avoir pas bénéficier de suffisamment de temps pour exercer les droits de la défense, mais ses avocats n'ont pas eu l'idée de démontrer cette difficulté en rendant leur mémoire en défense au dernier jour du délai imparti. Informés le 12 février de la mesure de dissolution projetée, ils ont rendu leur mémoire dès le 21 février, soit plus de dix jours avant la fin du délai. Le juge des référés en déduit, logiquement, que ce délai était suffisant.
Des discours et des actes
Sur le fond, le juge des référés s'appuie sur deux motifs. L'objet social de l'association est "la défense et la promotion des identités locales, régionales, française et européenne (...) ", objet qui, en soi, n'a rien d'illicite. Mais le juge observe que "sous couvert de participer au débat public", le groupement tend à justifier ou encourager la discrimination, la haine ou la violence envers les étrangers et la religion musulmane". Il cite notamment des slogans ou prises de position mentionnant la lutte contre "la racaille", ainsi que des actes illicites comme l'occupation du toit de la Caisse d'allocations familiales de Bobigny en mars 2019, où avait été déployée une banderole "de l'argent pour les Français pas pour les étrangers ". Certains de ses dirigeants ont d'ailleurs fait l'objet de poursuites ou de condamnations pénales sans que le groupement se soit désolidarisé de leurs agissements.
Il s'agit, pour le juge des référés, de montrer que Génération Identitaire n'est pas une association dont l'unique objet est de "participer au débat d'intérêt général", au sens où l'entend la Cour européenne des droits de l'homme. La référence à l'occupation du toit de la CAF est destinée à montrer que l'association se livre à des activités illégales portant atteinte à l'ordre public.
Sur ce point, le juge des référés se réfère à l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 30 juillet 2014, Association "Envie de rêver". On se souvient qu'après le décès du jeune Clément Méric lors d'une rixe avec des militants de la droite extrême, un décret du 12 juillet 2013 prononçait la dissolution de trois mouvements impliqués dans l'agression. Deux étaient des groupements de fait, "Troisième voie" et "Jeunesses nationalistes révolutionnaires" (JNR). Le troisième, "Envie de rêver" était une association qui prêtait le local occupé par les deux précédents. Les trois mouvements étaient proches les uns des autres, et le Premier ministre avait alors estimé impossible de les considérer de manière différenciée. Mais précisément, le juge administratif avait refusé l'amalgame. Il avait estimé que l'activité des deux premiers portaient atteinte à l'ordre public et justifiait donc la dissolution. En revanche, le troisième groupement, celui qui prêtait le local, n'avait commis aucun acte de nature à fonder une telle mesure.
Le juge des référés affirme que Génération Identitaire souhaite " entrer en guerre", et "utilise une imagerie et une rhétorique guerrières". A cette analyse du discours s'ajoute, comme dans le précédent motif, une référence à des faits. Il est ainsi affirmé que l'association "organise des camps d'été au cours desquels des exercices de combat sont proposés (...)". Il s'agit évidemment de se rapprocher du texte même de l'article L212-1 du code de la sécurité intérieure qui permet la dissolution de "groupes de combat ou de milices privées".
Le juge des référés considère donc, in fine, que la dissolution n'est pas une mesure disproportionnée au regard de la menace que représente Génération Identitaire pour l'ordre public.
Il serait sans doute intéressant de comparer la motivation du décret de dissolution et les motifs développés par le juge des référés. Car le décret se réfère bien davantage aux actes commis qu'à l'idéologie prônant le racisme et la discrimination. Il fait état de la condamnation pénale de certains des membres, des dons reçus émanant notamment de l'auteur de la tuerie de Christchurch, et de la location d'un navire pour tenter d'empêcher les sauvetages et repousser des embarcations de migrants se dirigeant vers les côtes européennes. Tout cela ne figure pas dans les motifs développés par le juge administratif. Sans doute préfère-t-il se concentrer sur l'éventuel recours devant la Cour européenne des droits de l'homme ?
Celle-ci en effet admet la dissolution d'un groupement au seul regard du "discours de haine" qu'il développe. Dans un arrêt du 13 février 2003, Refah Partisi (Parti de la prospérité) et a. c. Turquie,
la CEDH affirme ainsi que la
dissolution d'une association prônant l'instauration de la Charia ne
porte pas une atteinte excessive à la liberté d'association. Cette
jurisprudence a ensuite été confirmée dans une décision du 11 décembre 2006, Kalifatstaat c. Allemagne. Il suffit donc qu'un groupement prône publiquement une remise en cause des principes républicains pour justifier la dissolution. Cette jurisprudence est-telle totalement satisfaisante ? Ne risque-t-elle pas, à terme, d'autoriser la dissolution d'associations qui ne représentent aucun danger sérieux pour l'ordre public ? Un groupement doit-il être jugé à travers l'idéologie qu'il promeut ou à travers ses agissements ? Le juge des référés n'apporte pas de réponse précise à cette questions qui se reposera tôt ou tard.
Sur la dissolution des groupements : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 12, section 2, § 1, B