« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


vendredi 20 novembre 2020

L'avant-projet de loi "confortant les principes républicains"


Dalloz-Actualité publie le 19 novembre 2020, le texte de l'avant-projet de loi "confortant les principes républicains". Il n'a pas encore été soumis pour avis au Conseil d'Etat et devrait être adopté en Conseil des ministres le 9 décembre, date anniversaire de la loi de 1905 de séparation des églises et de l'Etat. Ensuite, le calendrier prévoit un examen au parlement au printemps 2021. 

Deux observations positives s'imposent avant toute analyse de fond. D'une part, il ne s'agit pas d'une fausse proposition de loi, rédigée par l'Exécutif et fictivement portée par un parlementaire LaRem plus ou moins informé de ces questions. Il s'agit d'un vrai projet de loi porté par le Premier ministre, ce qui permettra au texte de bénéficier d'une étude d'impact et donc, il faut l'espérer, d'un encadrement juridique sérieux. D'autre part, le gouvernement a heureusement renoncé à la notion de "séparatisme" employée par le Président de la République. Le terme était mal choisi dans la mesure où l'objet du texte est précisément de lutter contre des organisations incarnant l'islam radical qui ne cherchent pas à se "séparer" de la communauté nationale mais qui, au contraire, font de l'entrisme en s'introduisant au coeur des services publics. Reste que la référence aux "principes républicains" demeure floue. Ils ne peuvent être définis que par une tautologie : les principes républicains, ce sont qui sont mentionnés dans l'avant-projet de loi.

Sur le fond, la lecture du texte laisse une impression mitigée. Après l'assassinat de Samuel Paty, on avait senti un réel mouvement en faveur d'un retour à un respect plus scrupuleux du principe de laïcité, notamment par un renforcement des instruments de contrôle. L'Observatoire de la laïcité, qui prône depuis longtemps une totale liberté des cultes dans l'espace public, était ainsi mis en cause. Hélas, rien n'a été fait, et l'on attend tranquillement la fin du mandat de son président et de son secrétaire général pour savoir si l'on continuera à financer et à soutenir une institution qui, pour le moment, fait obstacle à la garantie du principe de laïcité. Rien ne figure sur ce point dans l'avant-projet et on peut regretter que le gouvernement n'ai pas profité de cette occasion pour opérer une refonte complète de cette institution.

Pour le reste, l'avant-projet ressemble étrangement à ces lois "fourre-tout", portant "diverses dispositions" sur tout et rien. Certaines sont positives mais limitées, d'autres risquent d'être parfaitement inutiles. Le fil conducteur est parfois délicat à saisir et cet ensemble disparate devra certainement faire l'objet d'un vrai travail de mise en ordre.


Les dispositions pénales


Sur le plan pénal, l'avant-projet ne comporte que deux dispositions réellement importantes. L'article 25 sanctionne d'une peine de 3 ans d'emprisonnement et 45 000 € d'amende le fait de mettre en danger la vie d'autrui par diffusion "par quelque moyen que ce soit, d'informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d'une personne permettant de l'identifier ou de la localiser, dans le but de l'exposer, elle ou sa famille, à un risque immédiat d'atteinte à la vie ou à l'intégrité physique ou psychique ou aux biens". Il s'agit là d'une réaction après l'assassinat de Samuel Paty dont le nom et l'adresse personnelle avaient été jetés en pâture sur les réseaux sociaux. 

L'infraction est donc constituée quand bien même la divulgation des informations n'emporte finalement aucune conséquence concrète. Mais, dans ces conditions, comment les juges vont-ils pouvoir apprécier le caractère immédiat du risque ? Devant une rédaction aussi obscure, dont la constitutionnalité pose question au regard du principe de lisibilité de la loi, on ne peut que renvoyer les auteurs de l'avant projet à l'article L 226-22 du code pénal qui punit déjà d'un an de prison le fait de porter à la connaissance des tiers les données personnelles d'une personne sans son consentement. Peut-être suffirait-il d'alourdir la peine ou de prévoir une circonstance aggravante dans certaines hypothèses ?

Plus clair est l'article 4 qui punit de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 € d'amende le fait d'user "de menaces, de violences ou de commettre tout autre acte d'intimidation d'un agent public ou d'une personne chargée d'une mission de service public, afin de bénéficier d'une exemption totale ou partielle ou d'une application différenciée des règles qui régissent le service pour des motifs tirés des convictions ou des  croyances de l'intéressé". On songe évidemment au cas du professeur menacé par des parents d'élèves parce qu'il veut emmener une fillette à la piscine ou enseigner les principes de la laïcité. Mais de tels faits sont déjà réprimés, et l'on ne voit pas exactement pourquoi cette infraction nouvelle serait plus efficace que celles qui existent. Sur ce plan, ce n'est pas le droit qui fait défaut mais la volonté politique de le mettre en oeuvre.

Dernier point à noter en matière pénale, l'article 3 qui prévoit d'inscrire au Fichier des auteurs d'infractions terroristes (FIJAIT) les personnes condamnées pour provocation ou apologie d'infractions terroristes. On peut seulement s'étonner que ce ne soit pas déjà le cas, d'autant qu'il est préférable de figurer sur un fichier judiciaire que sur un fichier purement administratif de renseignement. 


L'enseignement


L'obligation de scolarisation à partir de l'âge de trois ans est affirmée dans l'article 18, conséquence logique de la mise en oeuvre du principe d'instruction obligatoire à partir de cet âge qui existe depuis la rentrée 2019. Le gouvernement avait annoncé sa volonté de mettre fin à l'instruction à domicile, souvent privilégiée dans des familles qui se marginalisent pour des motifs religieux et/ou qui refusent d'envoyer leur fille à l'école. Il était alors affirmé que l'on ne tolérerait de dérogation que pour des raisons de santé. Le texte est moins clair alors, l'article 18 élargissant les dérogations aux motifs "tenant à la seule situation de l'enfant ou de sa famille". Cette rédaction laisse la porte ouverte à une multitude d'interprétations permettant de revenir, le cas échéant, au motif religieux. Quant au contrôle sur les établissements hors-contrat prévu par l'article 20, c'est sans doute une excellente idée, mais on doit faire remarquer que la loi du 13 avril 2018 prévoyait des dispositions en ce sens. Pourquoi un second texte serait-il plus efficace que le premier qui, semble-t-il, est plus ou mois resté lettre morte ? 

Là encore, on ne peut que constater le caractère parcellaire des dispositions envisagées. On ne trouve rien, dans le loi, sur les sujets qui fâchent, rien sur l'obligation de neutralité susceptible d'être imposée aux personnes bénévoles qui participent au service public en encadrant les sorties scolaires, rien non plus sur les menus confessionnels qui contribuent à "séparer" les enfants au nom des convictions religieuses affirmées par leurs parents. Ne s'agit-il pas de "séparatisme" au sens où l'entendait le Président de la République ?

 

T'as plus ton voile. Les Goguettes, en trio mais à quatre

Juillet 2018

La neutralité du service public


Si les collaborateurs occasionnels du service public n'y sont toujours pas astreints, le principe de neutralité voit toutefois son champ élargi. L'article 1er de la loi prévoit ainsi que les titulaires de marchés publics et de concessions devront en imposer le respect à leurs salariés. Cette disposition vise précisément les transports publics et ne concerne pas seulement le port de signes religieux. On songe évidemment aux chauffeurs refusant de serrer la main d'un femme et aux agents priant dans les couloirs.

Par ailleurs, le projet accroit les compétences des préfets dans le contrôle des éventuelles atteintes au principe de neutralité commises par les collectivités locales. Si l'on prend l'exemple d'une délibération d'un conseil municipal autorisant des accès distincts à la piscine municipale pour les hommes et les femmes, le préfet fera un déféré devant le juge administratif dans les conditions du droit commun, mais il pourra accompagner ce déféré d'une suspension immédiate de la mesure, jusqu'à la décision contentieuse qui devra intervenir dans un délai de trente jours, auxquels il faut ajouter quinze jours en cas d'appel. Dans l'hypothèse où un élu refuserait l'exécution de la décision du juge, le préfet pourrait alors prendre toute mesure ordonnée par le juge, à sa place et aux frais de la commune. Cette disposition n'impose qu'une atteinte modeste au principe de libre administration des collectivités locales et devrait avoir l'avantage de favoriser une certaine unité des pratiques dans ce domaine.


Les associations cultuelles et les autres


L'avant-projet de loi a pour finalité d'inciter les fidèles musulmans à adopter le statut d'association cultuelle, ce qui suppose donc une modification de la loi de 1905. Il présente l'avantage de soumettre la création d'une telle association à autorisation administrative et d'imposer un contrôle des comptes tous les trois ans. En échange, les associations cultuelles bénéficient d'avantages fiscaux. Absents lors du vote de la loi de 1905, les musulmans n'avaient pu profiter de ce cadre juridique et s'organisaient donc avec les associations traditionnelles de la loi de 1901, beaucoup moins faciles à contrôler. En les intégrant dans le système, l'avant projet de loi leur offre une légitimité nouvelle mais leur impose aussi des contraintes. Les accepteront-ils ? On peut d'ailleurs s'inquiéter d'une disposition qui conduit à toucher à la loi de 1905. Le risque existe de voir des parlementaires se saisir de cette occasion pour remettre en cause les acquis de cette grande loi.

L'avant-projet de loi ne renforce que très modestement le contrôle des associations ordinaires de la loi de 1901. L'article 6 renoue avec l'idée d'un "contrat d'engagement républicain", proche de la "charte de la laïcité", contrat par lequel une association ne pourra recevoir une subvention que si elle s'engage formellement à respecter "les valeurs de la République". La formulation est pour le moins maladroite car on ignore le contenu juridique de ces "valeurs". Surtout, rien n'interdit à une association de ne pas respecter lesdites valeurs si, tout simplement, elle ne sollicite pas de subvention, préférant recevoir l'aide de ses membres, eux mêmes financés par des réseaux étrangers. De fait, les dispositions de l'avant-projet renforçant le contrôle des fonds reçus par les associations ne s'appliquent, elles aussi, qu'à celles qui défiscalisent les dons. Il est loin d'être certain que ces dispositions permettront de mettre fin à l'opacité des sources de financement du culte musulman. 


La dignité de la personne

 

Enfin, dernier élément notable, l'avant-projet de loi se propose de protéger la dignité de la personne.  L'article 13 vise à renforcer la protection des héritiers réservataires sur les biens situés en France, lorsque la succession relève d'une loi étrangère qui autorise les parents à déshériter leurs enfants. L'article 14 introduit, enfin, une réserve générale de polygamie pour tous les titres de séjour. L'article 16 punit d'un an de prison le fait d'établir un certificat de virginité, disposition ayant l'avantage de donner aux médecins un argument pour refuser cette pratique, mais l'inconvénient de n'apporter aucune solution à la situation de la jeune femme ainsi abandonnée à la vengeance familiale. Enfin, l'article 17 contraint le maire à saisir le procureur de la République si, à l'issue d'un entretien avec les futurs époux, il conserve un doute sur le caractère libre du consentement de l'un des époux. Il s'agit là de lutter contre les mariages forcés, mais on doit noter que cette disposition existe déjà, et que le Conseil constitutionnel a déjà admis la constitutionnalité de cette intervention du procureur de la République, dans sa décision QPC du 22 juin 2012

Cette énumération conduisent à s'interroger sur la présentation de cet avant-projet. Les dispositions en cause ne concernent pas tant la dignité de la personne que les droits des femmes de ne pas vivre dans une situation de subordination. Mais cette finalité n'est pas clairement assumée et le texte ne dit pas un mot des droits des femmes.

Ce dernier point illustre parfaitement le défaut principal du texte. Ses dispositions visent à lutter contre l'islamisme radical, et c'est ainsi qu'il avait été présenté par le Président de la République après l'assassinat de Samuel Paty. Mais étrangement, la rédaction semble vouloir éviter toute référence à l'islam radical. C'est ainsi qu'on lutte contre le financement des cultes par des organisations étrangères, contre la polygamie, contre les mariages forcés et les certificats de virginité, mais on s'abstient de dire que ces pratiques sont uniquement celles de l'islam radical, et l'on feint de croire qu'il s'agit là de mesures d'ordre général. On se déclare en guerre contre l'islam radical mais on refuse de nommer l'ennemi.


Sur la liberté des cultes : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 10, section 2.

dimanche 15 novembre 2020

Menaces sur l'Université


Le 9 novembre 2020, la Commission mixte paritaire composée de députés et de sénateurs est parvenue à un accord sur le texte de la future loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030. Elle devrait donc être adoptée dans les jours qui viennent et, sans doute, soumise au Conseil constitutionnel. Les universitaires, probablement trop occupés à assurer les cours à distance dans des conditions difficiles et sans moyens techniques réellement satisfaisants, n'ont pas vu venir le coup. Ils s'en aperçoivent aujourd'hui, et multiplient pétitions et actions symboliques destinées à montrer leur mécontentement.  

Leur action est essentiellement centrée sur la défense du Conseil national des universités (CNU) dont chaque section a pour fonction d'assurer, dans chaque discipline, un contrôle national du recrutement des maîtres de conférences et en partie des professeurs. Sa finalité est d'éviter du moins en principe, un localisme qui conduit les Universités à privilégier leurs anciens étudiants au détriment d'autres candidats de meilleur niveau scientifique mais formés ailleurs. Centrer le combat contre la LPPR sur la défense du CNU n'est sans doute pas le levier le plus facile, car le CNU est un peu le maillon faible de l'Université.

De nombreux membres de la communauté universitaire pensent en effet, et parfois même osent le dire, que le CNU mériterait d'être réformé. Souvent dominées par une minorité d'enseignants chercheurs qui y font carrière, d'autant mieux contrôlées par les mouvements syndicaux que les électeurs votent peu et n'ont pas le droit de panacher les listes, les sections CNU sont peu représentatives de la communauté universitaire. Elles ne sont d'ailleurs pas à l'abri d'une autre forme de népotisme, certaines n'hésitant pas à assurer la promotion et l'avancement de leurs propres membres, alors que d'autres ont renoncé depuis longtemps à de telles pratiques.

Une réforme s'impose donc, mais une réforme faite avec les universitaires et non pas contre eux. Dans le cas de la LPPR, ils n'ont pas été sérieusement consultés et ils découvrent maintenant l'étendue du désastre. Car ce texte repose sur un formidable mépris à l'égard du monde universitaire. Le but, évidemment non avoué, est d'assurer le contrôle des enseignants-chercheurs, de les placer sous tutelle. 

 

Indépendance et liberté d'expression

 

Cette démarche est apparue de manière caricaturale dans l'amendement déposé par la sénatrice Laure Darcos (LR Essonne), amendement soutenu par le gouvernement. Il consistait à modifier l'article L 952-2 du code de l'éducation actuellement rédigé en ces termes : "Les enseignants-chercheurs, (...) jouissent d'une pleine indépendance et d'une entière liberté d'expression dans l'exercice de leurs fonctions d'enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d'objectivité". La sénatrice proposait d'inscrire dans cette disposition que « les libertés académiques s’exercent dans le respect des valeurs de la République »

Le message était clair : un manque de respect des "valeurs de la République" pouvait conduire devant le conseil de discipline. Mais aucune définition claire de ces "valeurs" n'était donnée. La sénatrice invoquait "la laïcité", tant il est facile de s'appuyer sur l'émotion provoquée par les récents attentats pour réduire la liberté d'expression. Mais y a t il d'autres "valeurs de la République" justifiant que les enseignants soient muselés ? Le principe même de sûreté était atteint car il était impossible de connaître quel type de propos pouvait être sanctionné. 

Surtout, cet amendement était inconstitutionnel. Depuis une décision du 20 janvier 1984, le Conseil constitutionnel a fait de la garantie d'indépendance des professeurs d'université un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFLR), garantie ensuite élargie à l'ensemble des enseignants-chercheurs. Et le Conseil ne manque pas de mentionner que "les fonctions d'enseignement et de recherche non seulement permettent mais demandent, dans l'intérêt même du service, que la libre expression et l'indépendance des personnels soient garanties par les dispositions qui leur sont applicables". Il est donc pratiquement impossible de réduire la liberté d'expression des enseignants-chercheurs, surtout par une disposition se référant à des "valeurs" dont on ignore le contenu précis. 

De fait, l'amendement a fini par être retiré. Mais si l'on ne peut faire taire directement les enseignants, sans doute est-il plus facile d'agir de manière indirecte et de les contrôler en mettant fin à leur indépendance statutaire.


Jeunes docteurs partant enseigner avec un contrat précaire

Jeunes recrues partant à la guerre. Antoine Watteau

 

Contractualisation et remise en cause de l'indépendance statutaire

 

Profitant d'une certaine désaffection de la communauté universitaire à l'égard du CNU, la LPPR choisit de privilégier des recrutements autonomes  par les universités sur une base contractuelle. L'article 3 de la loi prévoit ainsi la possibilité pour une université de recourir aux "Tenure Tracks", formule inspirée évidemment des Etats-Unis. Concrètement, il s'agit de recruter pour un contrat compris entre trois et six ans une personne titulaire d'un doctorat ou d'un "diplôme équivalent" sur ce que l'on appelle une chaire de "professeur junior'. Ensuite, si l'intéressé a été sage, si ses recherches sont conformes aux objectifs fixés, si ses propos s'inscrivent dans les "valeurs" qui conviennent, il pourra être titularisé sur un emploi de professeur. 

Il s'agit donc d'un excellent moyen de s'assurer de la parfaite docilité d'un enseignant-chercheur en le prenant, en quelque sorte, "à l'essai". On l'a compris, il s'agit aussi de recruter des amis, dès lors qu'ils ont un "diplôme équivalent". On attend avec impatience le décret qui considérera que le fait d'avoir suivi la scolarité de l'ENA est un "diplôme équivalent", aubaine qui permettra aux équipes battues aux élections de trouver un point de chute, en attendant de revenir aux affaires. 

La situation est pire dans le cas des maîtres de conférences. Les contrats de mission permettront de recruter pour le temps d'un projet des enseignants qui disposeront alors d'un emploi précaire, pour quelques années. Surtout le désormais célèbre amendement n° 150, voté sans aucune concertation préalable, permet désormais aux établissements de promouvoir des maîtres de conférence dans le corps des professeurs sans passer par une évaluation nationale et donc sans passer par le CNU. 

Il s'agit, nous dit-on, "d'élargir les viviers des candidats potentiels et de fluidifier l'accès aux corps". L'argument est ridicule si l'on considère l'excellent niveau général des candidats aux emplois de maître de conférences. Le moins que l'on puisse dire est qu'il n'est pas indispensable de solliciter de nouveaux candidats.

Ces dispositions sont le produit d'un double mouvement. D'une part, celui du gouvernement qui engage subrepticement un processus de privatisation des universités. Le modèle est celui des écoles de commerce, financées par les entreprises, dont les responsables viennent y enseigner sur la base de contrats de droit privé. L'université est perçue comme un modèle dépassé par des dirigeants qui écartent volontiers le principe même d'égalité devant le service public et ne voient aucun intérêt dans la recherche, surtout si elle ne s'exerce pas dans les sciences exactes. 

D'autre part, ce texte est aussi le pur produit d'un lobbying localiste qui risque d'avoir pour effet de creuser l'écart entre les Universités, entre celles qui se replieront sur elles-mêmes et celles qui recruteront large en appréciant la qualité des candidats, d'où qu'ils viennent. L'écart existera aussi entre les disciplines, car cette disposition n'est, pour le moment, pas applicable aux disciplines qui recrutent les professeurs par la voie de l'agrégation. Mais il ne fait aucun doute que l'actuelle disposition est considérée comme un premier pas vers une généralisation du système, d'autant que l'usage des "Tenure Tracks" dans les facultés de droit contribuera à marginaliser les professeurs de droit. 


Le combat pour le conformisme


L'image de l'Université véhiculée par la LPPR est donc celle d'établissements dispensant des enseignements conformes aux directives données,  avec des enseignants figés dans un impeccable garde-à-vous. Cette soumission doit être inculquée aussitôt que possible, dès la soutenance de thèse.

L'article 10 bis B de la loi prévoit ainsi d'insérer dans l'article L 612-7 du code de l'éducation un paragraphe tout-à-fait inédit : « À l’issue de la soutenance de la thèse, le candidat doit prêter serment en s’engageant à respecter les principes et les exigences de l’intégrité scientifique, dans des conditions fixées par arrêté du ministre chargé de la recherche". Il n'est pas précisé qui sera habilité à recevoir un tel serment, mais, dans l'état actuel de choses, on ignore totalement quelle définition donnera le ministre de l'enseignement supérieur de "ces exigences d'intégrité scientifique". On peut craindre le pire, même si la cérémonie de prestation de serment risque fort de ressembler à un mauvais film comique. 

Des bruits circulent avec insistance, affirmant que Frédérique Vidal, ministre chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche, aurait été professeur et même présidente d'une grande université avant d'entrer au gouvernement. Mais qui pourrait le croire ? Il y a tant de fausses nouvelles qui circulent sur les réseaux sociaux...


jeudi 12 novembre 2020

La soumission de la femme, motif de refus de la nationalité française


Le droit positif offre de multiples instruments de nature à lutter efficacement contre l'islam le plus radical, celui qui refuse de se soumettre aux principes républicains. En témoigne l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 9 novembre 2020 qui admet la légalité d'un refus d'acquisition de la nationalité française, au motif que le demandeur "ne pouvait être regardé comme assimilé à la communauté française". 

 

Le refus d'acquisition de la nationalité

 

Aux termes de l'article 21-2 du code civil, un étranger qui contracte mariage avec un Français peut, une fois passé un délai de quatre ans après le mariage, acquérir la nationalité française par simple déclaration. Encore faut-il que la communauté de vie n'ait pas cessé entre les époux et que le conjoint français ait conservé sa nationalité. Sur ce point, la loi ne fait qu'appliquer aux étrangers le principe posé par l'article 215 du code civil, applicable à tous les mariages, qui énonce que "les époux s'engagent mutuellement à une communauté de vie". Dans le cas des couples dont un conjoint étranger veut obtenir la nationalité française, cette communauté de vie fait l'objet d'un contrôle réel, le juge s'assurant qu'ils partagent le domicile conjugal.

De ces dispositions, certains déduisent qu'il suffit à un étranger de contracter mariage avec un Français ou une Française pour obtenir la nationalité, à l'issue quatre années de patience. C'est faux, car l'article 21-4 de ce même code civil énonce : " Le Gouvernement peut s'opposer par décret en Conseil d'Etat, pour indignité ou défaut d'assimilation, autre que linguistique, à l'acquisition de la nationalité française par le conjoint étranger" dans un délai de deux ans à compter de la déclaration faite par l'intéressé. Le gouvernement a donc la faculté d'empêcher l'acquisition de la nationalité d'un étranger qui refuse de se plier aux règles en vigueur dans notre société. 

 

Assimilation v. Intégration

 

Observons que le droit français emploie ici le terme d'"assimilation", terme rejeté par certains militants du droit des étrangers qui préfèrent évoquer l'"intégration". La distinction n'est pas de pure forme. L'intégration pense en termes de communautés dont on admet qu'elles puissent vivre en France, adopter la nationalité française, tout en conservant leurs moeurs, voire leur droit personnel. L'assimilation, en revanche, notion qui est celle du droit positif, repose sur une insertion de l'individu dans la société française, et la renonciation aux règles qui ne sont pas conformes à son droit. Cela ne signifie pas que l'étranger renonce à son identité culturelle ou religieuse, mais sa vie sociale doit témoigner de son attachement à la société française.

C'est précisément pour défaut d'assimilation que le requérant s'est vu refuser la nationalité française. Lors des entretiens qui ont lieu durant cette procédure, les fonctionnaires de la préfecture de l'Oise ont en effet observé qu'il avait adopté un mode de vie "caractérisé par une soumission de sa femme qui ne correspond pas aux valeurs de la société française, notamment l'égalité entre les sexes".  Derrière le statut subordonné de la femme apparaît, à l'évidence, la pratique d'un islam rigoureux. Et le refus de la nationalité est alors parfaitement licite, le Conseil d'Etat se bornant à constater l'exactitude matérielle des faits.

 


  

Les Indégivrables. Xavier Gorce


Une jurisprudence solide


Cette décision ne doit pas être considérée comme le témoignage d'une tendance nouvelle qui marquerait un niveau d'exigence plus grand depuis les récents attentats. Mais il n'en est rien, car le Conseil d'Etat a toujours admis la légalité de ce type de refus. Des arrêts du 27 novembre 2013 et du 25 février 2015 reprenaient déjà exactement la même formulation, en se fondant également sur la soumission de la femme. Cette jurisprudence ne concerne pas que les hommes, et, quelques jours avant l'arrêt du 9 novembre, le Conseil d'Etat, le 6 novembre 2020, avait admis le refus d'acquisition de nationalité d'une épouse ayant adopté un "mode de vie caractérisé par une soumission à son mari".

Ce refus d'assimilation peut parfois prendre une allure particulièrement provocatrice. L'arrêt du Conseil d'Etat du 11 avril 2018 admet la légalité d'un décret du Premier ministre refusant la nationalité à une femme d'origine algérienne qui avait refusé de serrer la main du secrétaire général de la préfecture lors de la cérémonie d'accueil dans la nationalité. En l'espèce, le droit en vigueur permet à l'autorité administrative de refuser la nationalité dans un délai de deux ans après la déclaration, ce qui signifie que la cérémonie d'accueil ne crée pas de situation irrémédiable, ce qu'ignorait sans doute la requérante.

Sur ce point, la jurisprudence est donc ferme, et l'on ne trouve de décision annulant un tel refus d'acquisition de la nationalité. Il est vrai que les dossiers sont généralement clairs, et la volonté de vivre en dehors des règles qui sont celles de la société française est affirmée clairement, soit lors des entretiens avec les agents de la préfecture, soit lors d'une cérémonie lors de laquelle de multiples témoins peuvent attester du refus de serrer la main d'un homme. La norme juridique prévoit le respect des droits de la défense et exige des faits avérés pour pouvoir écarter la déclaration de nationalité. Elle n'emporte donc pas d'atteinte aux droits de l'homme, d'autant qu'il s'agit, avant tout de protéger ceux des femmes.

En revanche, ces dossiers sont peu nombreux, sans doute parce que les préfectures n'ont pas toujours les moyens de faire des enquêtes systématiques. Il suffirait donc d'intensifier les contrôles pour éviter d'accueillir dans la nationalité française des étrangers qui n'ont pas la moindre intention d'en adopter les règles. Une bonne manière de lutter contre le "séparatisme" sans porter atteinte à l'état de droit.


Sur le droit des étrangers : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 5, section 2.

 

lundi 9 novembre 2020

Covid-19 : Les cultes et l'état d'urgence sanitaire


Le juge des référés du Conseil d'État a écarté, par une ordonnance du 7 novembre 2020, une demande de suspension de l'article 47 du décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre du nouvel état d'urgence sanitaire décidé par le décret du 14 octobre 2020. Ces dispositions autorisent les lieux de culte à rester ouverts, en précisant toutefois que "tout rassemblement ou réunion en leur est interdit, à l'exception des cérémonies funéraires dans la limite de trente personnes".  

On peut donc entrer afin de prier, à la condition de se plier aux contraintes qui sont celles existant dans tout lieu public, mais il est interdit de participer à un office religieux. Le ministre du culte peut toutefois en organiser un, à la condition qu'il reste seul, ce qui n'interdit pas la retransmission par vidéo. De même est-il possible de célébrer un mariage, dans le respect des règles posées par l'article 3 de ce même décret du 29 octobre 2020, c'est-à-dire en limitant l'assistance à six personnes.

Ces dispositions se fondent sur l'état d'urgence, introduit dans le code de la santé publique par la loi du 23 mars 2020. Au moment où intervient l'ordonnance de référé, il vient d'être déclaré par un décret du 14 octobre 2020, en attendant d'être prorogé par la loi qui vient d'être votée au parlement, mais qui n'est pas encore entrée en vigueur, car elle fait l'objet d'un recours devant le Conseil constitutionnel. Cette situation ne modifie évidemment en rien le contrôle du juge des référés.


Le nombre des requérants


Le nombre des requérants est sans doute l'élément le plus remarquable de la décision. Sans qu'il soit possible de les compter avec précision, on constate qu'il approche les trois cents pour seize requêtes. On y trouve l'association des évêques de France, un grand nombre d'associations catholiques, ainsi qu'une large quantité de membres du clergé et sans doute des fidèles particulièrement motivés. Hélas pour eux, le juge des référés apprécie de la même manière une demande émanant d'une seule personne ou de plusieurs centaines. 

 

Le contrôle du juge

 

Le juge des référés ne conteste pas que la liberté de culte soit une liberté fondamentale, susceptible d'une action en référé-liberté, et qu'elle implique le droit d'assister à des offices. L'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 n'affirmait-il pas déjà que "nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi". La liberté de culte s'exerce donc dans le cadre des lois qui l'organisent, comme toutes les libertés publiques. Dans une décision du 29 mars 2018 Rouchdi B. et autres, le Conseil constitutionnel a logiquement considéré que la fermeture des lieux de culte peut et doit faire l'objet d'un contrôle approfondi par le juge administratif. Celui-ci examine donc avec minutie les circonstances qui ont justifié l'atteinte à la liberté de culte. 





Le précédent de mai 2020

 

Sans doute les requérants espéraient-ils une issue favorable en se fondant sur quatre ordonnances du 18 mai 2020, par lesquelles le juge des référé du Conseil d'Etat avait suspendu l'article 10 du décret du 11 mai 2020. Celui-ci interdisait tout rassemblement ou réunion au sein des établissements de culte, à l’exception des cérémonies funéraires, alors limitées à vingt personnes. A l'époque, le juge avait estimé disproportionnée cette interdiction générale et absolue. Mais une décision de référé ne fait pas jurisprudence.

La décision du 29 octobre 2020 est radicalement opposée à celle du 18 mai. Après avoir rappelé la situation sanitaire, comme il le fait toujours dans ses décisions "Covid", le juge note que le confinement de l'automne est moins sévère que celui du mois de mars 2020. Mais, s'il a été décidé la poursuite des activités scolaires et, au moins pour une partie, professionnelles, cet allègement implique une rigueur plus grande pour les autres formes de rassemblements, y compris les rassemblements religieux. On trouve ici un rappel implicite de la distinction entre activités essentielles et non essentielles. Aux yeux du juge, l'assistance physique à un office religieux n'est pas essentielle, dès lors que peut lui être substituée l'assistance à un culte virtuel, sur internet.

Le juge fait également référence au danger que représente ce type de rassemblement au regard de la propagation du virus. Une note du conseil scientifique indique en effet que les lieux de culte peuvent sont clos et que le public ne porte pas toujours le masque. Sur ce point, le juge mentionne que les évêques, qui comptent parmi les requérants, ont largement omis d'actualiser les protocoles sanitaires contractualisés élaborés au printemps dernier, et que ces derniers n'ont pas été appliqués avec une grande rigueur. Enfin, le juge observe que la parole et le chant favorisent "un niveau élevé d'émission de gouttelettes" et qu'un "public âgé et donc fragile" participe aux offices. Au stade actuel de la pandémie, le juge considère donc que la mesure d'interdiction des cultes est parfaitement proportionnée à la menace pour la santé publique. 

Le référé d'octobre 2020 aboutit donc à une solution opposée à celle du référé de mai 2020. Mais en réalité, cette différence n'a rien de surprenant. Le 18 mai 2020, la décision d'interdiction des cultes reposait certes sur l'état d'urgence sanitaire, mais le confinement était levé, de manière différenciée et progressive, depuis le 11 mai. En cette période d'assouplissement, le décret du 11 mai 2020 ordonnant une interdiction générale et absolue de l'exercice des cultes avait alors semblé trop sévère, d'autant que le Premier ministre appuyait se décision sur le rassemblement évangélique qui avait été à l'origine du démarrage particulièrement violent de la pandémie dans l'est du pays. Certes, mais c'était à la mi-février, c'est-à-dire trois mois plus tôt. 

Sans doute doit-on aussi considérer la position du Conseil d'Etat. En mai 2020, il avait absolument besoin de prendre quelques décisions favorables aux libertés, après avoir rejeté tous les recours pendant trois mois. En octobre 2020, la situation a changé car la pandémie reprend avec une vigueur inattendue. De fait, la fermeture des lieux de culte apparaît comme un moindre mal, mesure que l'opinion d'un pays largement déchristianisé peut facilement accepter. Et le juge fait observer qu'il pourra, le cas échéant, changer de position, si la pandémie évolue dans un sens favorable. Les voies du Conseil d'Etat sont impénétrables.


Sur la liberté des cultes : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 10, section 2.

jeudi 5 novembre 2020

Les leçons à tirer de l'attentat de Vienne


Les attentats qui se sont déroulés à Vienne, dans la soirée du 2 novembre 2020, ont fait plusieurs morts dans le centre de la capitale autrichienne, notamment dans une rue où se situe la plus importante synagogue de la ville, et près de l'opéra. De nombreux coups de feu ont été tirés, visant en particulier des cafés encore ouverts au public dans cette dernière soirée précédent le confinement lié à la Covid. Dans l'état actuel de l'enquête on ignore encore le déroulement exact des évènements ainsi que le nombre de terroristes impliqués. Mais les forces de l'ordre ont tué un auteur de coups de feu, et il s'agirait d'un citoyen autrichien d'origine albanaise, condamné en avril 2019 pour avoir tenté de rejoindre Daech en Syrie. Il avait été libéré en décembre, à la condition de suivre une thérapie de déradicalisation. Sans doute ne fut-elle pas un succès. 

Au-delà du sentiment d'horreur qu'il suscite, cet attentat devrait inciter à la réflexion ceux qui pensent qu'il ne faut pas publier de caricatures de Mahomet, qu'il ne faut pas rire des religions et notamment de l'islam. Ceux-là préfèrent renoncer à leur liberté d'expression au motif que cet abandon serait le seul moyen d'éviter les violences terroristes. Ce choix de renoncer aux valeurs démocratiques pour ne pas déplaire à des groupes religieux n'est pas nouveau et ne vise pas nécessairement l'islam. 

 

La politique de l'Autriche

 

Précisément, il n'existe pas d'Etat européen qui, dans sa législation, soit plus protecteur des religions. Au nom des valeurs catholiques, l'Autriche a en effet intégré dans son code pénal un article 188 relatif au délit de "dénigrement de doctrine religieuse" ainsi rédigé : « Quiconque dénigre ou bafoue, dans des conditions de nature à provoquer une indignation légitime, une personne ou une chose faisant l’objet de la vénération d’une Église ou communauté religieuse établie dans le pays, ou une doctrine, une coutume autorisée par la loi ou une institution autorisée par la loi de cette Église ou communauté encourt une peine d’emprisonnement de six mois au plus ou une peine pécuniaire de 360 jours-amende au plus". Il s'agit ni plus ni moins que d'un délit de blasphème modernisé, car le fait de rire d'une religion ou de la critiquer provoque toujours l'indignation des fidèles ou plutôt des plus rigoristes d'entre eux.

 

 

Vision d'un célèbre Autrichien sur l'islam

Mozart. L'Enlèvement au sérail. 

Amadeus. Milos Forman. 1984

 

La jurisprudence de la CEDH

 

La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a été saisie de cette incrimination et s'est prononcée dans un arrêt E.S. c. Autriche du 25 octobre 2018.  La requérante avait assuré en 2008, à l'institut d'éducation du parti libéral autrichien (FPÖ), une série de conférences intitulée "les bases de l'islam". Elle y accusait le prophète Mahomet de pédophilie, évoquant son mariage avec Aïcha, une enfant de six ans, union qui aurait été consommée lorsque celle-ci avait atteint l'âge de neuf ans". Ses propos ayant été repris par un journaliste qui s'était glissé parmi le public, la requérante fut poursuivie pour "dénigrement de doctrine religieuse" et condamnée à une amende de 480 €. 

Pour les juges autrichiens, la requérante avait "accusé une figure vénérée d’un culte religieux d’être attirée sexuellement et de façon prédominante par le corps des enfants". C'est donc la vénération à l'égard du prophète Mahomet qui est atteinte, définition même du blasphème qui ne vise que des propos tenus à l'encontre du dogme. La Cour suprême autrichienne ajoute d'ailleurs qu'il est du devoir de l'Etat de réprimer une expression gratuitement offensante et qui avait un "caractère profanateur". 

Saisie de l'affaire, la CEDH constate donc que la condamnation constitue bien une ingérence dans la liberté d'expression garantie par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Elle est prévue par la loi, en l'espèce le code pénal, et répond à un but légitime, à savoir la paix religieuse. 

Reste à savoir cependant si cette ingérence est "nécessaire dans une société démocratique" au sens de l'article 10 § 2 de la Convention. La jurisprudence traditionnelle de la CEDH est marquée par un grand libéralisme, et elle affirme, par exemple dans l'arrêt Baka c. Hongrie du 23 juin 2016, que l'article 10 ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d'expression en matière de discours politique ou de débat sur des questions d'intérêt général. Ceux qui affichent publiquement leurs convictions religieuses doivent donc tolérer les propos hostiles à leur foi.

Une jurisprudence récente, formulée dans la décision du 30 janvier 2018 Sekmadienis Ltd c. Lituanie, est pourtant venue nuancer ce libéralisme. Pour permettre l'exercice paisible de la liberté religieuse, les Etats peuvent contraindre la liberté d'expression, en sanctionnant les propos qui " relativement à des objets de vénération, peuvent apparaître gratuitement offensants pour autrui et profanateurs". Il ne s'agit donc pas, stricto sensu, de propos de nature à inciter à la discrimination religieuse, mais de propos blasphémateurs pour les croyants qui les entendent. Précisément, la CEDH reprend exactement cette idée en l'espèce en considérant que la requérante a présenté le prophète, objet de vénération religieuse, "d'une manière provocatrice propre à heurter les sentiments des adeptes de la religion concernée".


La politique de l'autruche


Cette décision est doublement surprenante. D'une part, elle va directement à l'encontre de la jurisprudence selon laquelle la liberté d'expression doit s'imposer avec d'autant plus de vigueur qu'elle concerne des idées qui heurtent ou qui dérangent. Or, en l'espèce, la Cour interdit la formulation de tels propos en matière religieuse, comme si la liberté d'expression disparaissait en ce domaine. D'autre part, en réaffirmant l'autonomie des Etats, la Cour tolère des restrictions à la liberté d'expression au nom des valeurs religieuses. Dans un pays comme l'Autriche, où la religion catholique est très majoritaire et largement pratiquée, il est présenté comme normal que l'on admette le blasphème, dont va pouvoir bénéficier la minorité musulmane. Le droit européen est ainsi construit au regard du poids de la religion dans les Etats, principe qui porte atteinte à l'idée même d'un standard européen en matière de liberté d'expression.

Quoi qu'il en soit, l'Autriche, soutenue sur ce point par la jurisprudence de la Cour européenne, n'a rien gagné. Elle n'a pas échappé à la vague d'attentats, alors même que la publication d'une seule caricature de Mahomet pouvait y être condamnée pour "discrimination contre une religion". Ceux qui affirment qu'il faut se taire, s'abstenir de rire du prophète, ceux qui pensent que les journalistes de Charlie Hebdo, comme le malheureux Samuel Paty, ont un peu cherché ce qui leur était arrivé puisqu'ils avaient offensé la religion... Ceux-là n'ont rien compris. Ils n'ont pas compris que le seul moyen de faire échec au terrorisme est de montrer à ses auteurs qu'ils ne gagneront pas et qu'ils ne nous empêcheront pas de rire des religions, si nous en avons envie d'en rire. Dans le cas contraire, c'est la célèbre formule de Churchill qui trouverait à s'appliquer : "Vous aviez à choisir entre la guerre et le déshonneur ; vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre".


Sur le principe de laïcité : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 10, sections 1 et 2.
 

 

dimanche 1 novembre 2020

La dissolution de Barakacity : ce que dit le droit

Un décret du 28 octobre 2020 prononce la dissolution de l'association Barakacity, association dont les statuts avaient été déposés à la préfecture du Val d'Oise le 9 janvier 2010. Présidée par Driss Yemmou, dit Idriss Sihamedi, cette association se présentait comme une organisation non gouvernementale (ONG) ayant pour objet « la création, la promotion et le développement d'actions permettant de venir en aide aux démunis en France et à l'international, mais également de combattre le racisme ou d'assister les victimes de discrimination […], de défendre ou d'assister l'enfance martyrisée ou les mineurs victimes d'atteintes sexuelles, de combattre les crimes contre l'humanité ou les crimes de guerre ou de défendre les intérêts moraux et l'honneur de la résistance ou des déportés […] ». Ces statuts ressemblent à ceux de n'importe quelle ONG humanitaire, mais la réalité est bien différente, et le gouvernement reproche à Barakacity sa proximité avec un islam politique particulièrement radical.

 

La liberté d'association 

 

On sait qu'il n'est pas facile de dissoudre une association, car la liberté d'association, bien que consacrée dans la loi du 1er juillet 1901, a valeur constitutionnelle. C'est même elle qui est à l'origine de la grande décision rendue par le Conseil constitutionnel le 16 juillet 1971. Il a alors érigé la liberté d'association en Principe fondamental reconnu par les lois de la République, notion figurant dans le Préambule de la Constitution de 1946. L'opération permettait à la liberté d'association d'acquérir, elle aussi, une valeur constitutionnelle.  De fait, le Conseil constitutionnalisait aussi le régime déclaratoire qui est son mode d'aménagement. Pour créer une association, il suffit, en principe de la déclarer en préfecture, et le préfet ne peut refuser son enregistrement. Si le groupement lui semble illégal, il peut toutefois saisir le juge et demander sa dissolution judiciaire. 

 

La dissolution administrative

 

Certes, mais cette procédure constitue le droit commun, et le droit commun s'accompagne souvent de dérogations. Il existe une procédure de dissolution administrative des associations, issue d'une ancienne loi du 10 janvier 1936 reprise sans changement dans l'article L 212-1 du code de la sécurité intérieure. Le texte de 1936 était le fruit d'une situation conjoncturelle. Après le 6 février 1934, l’activité de « ligues » armées, souvent violentes et peu respectueuses de l’État de droit, est apparue suffisamment dangereuse pour justifier un régime très restrictif qui a perduré jusqu'à aujourd'hui, et c'est précisément sur l'article L 212-1 csi que se fonde le décret de dissolution de Barakacity

Aujourd'hui, la dissolution administrative demeure donc possible si le groupement organise des manifestations armées, s’il a pour but de porter atteinte à l’intégrité du territoire national ou à la forme républicaine du gouvernement, ou enfin s’il développe une action de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciales. Ont ensuite été ajoutés à ces motifs traditionnels, les groupements « qui se livrent, sur le territoire français ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l'étranger". 

 


 

 Les Indégivrables. Xavier Gorce, avril 2019

 

Le contrôle des motifs


Le juge administratif opère un contrôle normal de la qualification juridique des faits. A la suite du décès d’un jeune homme lors d’une rixe avec des militants d’extrême‑droite, un décret du 12 juillet 2013 a ainsi prononcé la dissolution de trois mouvements : les "Jeunesses nationalistes révolutionnaires" (JNR), « Troisième voie" et "Envie de rêver". Le Conseil d’État admet, dans un arrêt du 30 juillet 2014, la légalité de la dissolution des deux premiers qui avaient le caractère de « groupe de combat » au sens de la loi de 1936. En revanche, il annule la dissolution du troisième groupement, l’association « Envie de rêver » qui se bornait à prêter un local aux deux autres.

Ce contrôle incite l'autorité administrative à motiver soigneusement le décret de dissolution, et c'est précisément ce qu'a fait le Premier ministre dans le décret du 28 octobre 2020.  

Il affirme d'abord que Barakacity "diffuse et invite à la diffusion d'idées haineuses, discriminatoires et violentes". Il cite ainsi le compte Twitter et les pages Facebook de son président et de l'association elle-même qui ont prôné un islamisme radical, messages qui eux-mêmes ont suscité des commentaires antisémites, des menaces de mort, des propos apologétiques de crimes contre l'humanité, des messages anti-chiites, ou encore des appels à la condamnation à mort des apostats. Nul, au sein de Barakacity n'a alors songé à modérer de tels propos. 

Le décret considère ensuite que Barakacity se livre "à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l'étranger". Le dossier est lourd, et sont mentionnés les éléments de propagande islamiste saisis lors d'une perquisition chez son président en mai 2017, l'apologie de la mort en martyr sur les réseaux sociaux ainsi que les messages se réjouissant de l'attentat contre Charlie Hebdo, et des liens avec différents groupes djihadistes. C'est ainsi que l'auteur de l'attentat contre deux policiers de Magnanville avait fait un don financier à Barakacity. Ces éléments, connus depuis plusieurs années, conduisent ainsi à s'interroger sur le discours tenu par les avocats qui dénoncent la célérité de la mesure de dissolution. Celle-ci est au contraire intervenue bien tardivement si l'on considère que le fondement juridique existait au lendemain de l'attentat contre Charlie-Hebdo.

 

Constitutionnalité et conventionnalité


Les chances de succès du recours annoncé par les avocats de Barakacity semblent donc fort modestes. C'est d'autant plus vrai qu'ils n'auront vraisemblablement pas la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur la conformité à la Constitution. En effet, au moment de l'arrêt du 30 juillet 2014, le code de la sécurité intérieure avait pour fondement une ordonnance non encore ratifiée. Le Conseil d'Etat pouvait donc s'interroger directement sur la conformité de cette procédure de dissolution administrative à la liberté d'association. Et il affirme qu'elle répond " à la nécessité de sauvegarder l’ordre public, compte tenu de la gravité des troubles qui sont susceptibles de lui être portés par les associations et groupements visés par ces dispositions". Il est donc aujourd'hui peu probable que le Conseil d'Etat admette de renvoyer au Conseil constitutionnel une QPC portant sur une disposition dont il a lui-même admis la constitutionnalité.

Quant à la conformité de la procédure de dissolution à la  Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, elle ne fait guère de doute. Dans un arrêt du 13 février 2003, Refah Partisi (Parti de la prospérité) et a. c. Turquie, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) affirme ainsi que la dissolution d'une association prônant l'instauration de la Charia ne porte pas une atteinte excessive à la liberté d'association. Cette jurisprudence a ensuite été confirmée dans une décision du 11 décembre 2006, Kalifatstaat c. Allemagne. La dissolution de Barakacity s'inscrit à l'évidence dans cette jurisprudence, d'autant que la CEDH n'exige pas que le groupement soit passé à l'acte. Il suffit que ses dirigeants aient refusé de se désolidariser d'actions terroristes pour justifier la dissolution. 

Reste évidemment la procédure. Mais le décret est motivé et la procédure contradictoire a été respectée. Certes, cinq jours pour préparer une défense, cela peut sembler un peu court, surtout lorsque le président de l'association est en garde à vue pour des actes de harcèlement sur les réseaux sociaux. Mais le Conseil d'Etat a admis, dès 1995, que l'urgence et les "nécessité de l'ordre public" pouvaient justifier une absence totale de procédure contradictoire, dans le cas de dissolution de deux associations prônant l'indépendance du Kurdistan qui s'étaient livrées à différentes formes de violences. A fortiori, en période de menace terroriste, est-il peu probable qu'il sanctionne comme insuffisante une procédure contradictoire qui a eu lieu et qui a laissé cinq jours à Barakacity pour préparer sa défense. 

L'intérêt du décret du 28 octobre 2020 dépasse ainsi largement le cas de Barakacity. Ceux qui, aujourd'hui, remettent en cause l'état de droit, réclament un "Guantanamo à la française" devraient commencer par considérer le droit positif. Les instruments juridiques de lutte contre l'islamisme radical existent déjà. L'article L 212-1 du code de la sécurité intérieure présente l'avantage d'être un élément de l'état de droit, et la dissolution administrative qu'il autorise reste une procédure exceptionnelle susceptible d'un contrôle étendu du Conseil d'Etat. L'atteinte à la liberté d'association demeure très modeste, puisque la dissolution ne peut concerner que les mouvements les plus extrémistes, une infime partie du mouvement associatif. Au lieu d'inventer des outils beaucoup plus attentatoires aux libertés, peut-être convient-il seulement de faire usage de ceux dont nous disposons. Il reste évidemment à se demander si la dissolution de Barakacity restera ou non un cas isolé, satisfaction symbolique donnée à une opinion choquée par des attentats particulièrement violents ou première étape vers un contrôle efficace de l'islam radical.



Sur la dissolution administrative des associations : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 2, section 2 § 1 B.



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