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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
mardi 7 juillet 2020
Le Garde des Sceaux v. Maître Dupond-Moretti
samedi 4 juillet 2020
Covid-19 et détention provisoire : Le Conseil constitutionnel pratique le "en même temps"
Ménager le Conseil d'Etat
La chèvre. Pablo Picasso. 1950 |
jeudi 2 juillet 2020
Peine de mort : L'abolitionnisme, un combat perdu ?
Les
droits de l’homme peuvent-ils être présentés comme universels si le
premier d’entre eux, le droit à la vie, ne donne pas lieu à un consensus
universel ? La question mérite d’être posée, car la peine de mort
demeure aujourd’hui une pratique courante dans nombre d’États, y compris
les États-Unis et la Chine, pays suffisamment puissants pour s’opposer
efficacement aux pressions abolitionnistes. Dans l’état actuel des
choses, la situation semble figée, au point que l’on se demande si la
peine de mort intéresse encore, si le combat abolitionniste n’est pas
considéré comme un combat perdu.
Au plan universel
Dans un article publié par l’AFRI en 2002,
Emmanuel Decaux observait une évolution positive du droit
international, dans le but de parvenir à l’abolition générale et
universelle de la peine de mort. Cette évolution se manifestait d’abord
par la voie conventionnelle, avec le 2è Protocole facultatif relatif aux droits civils et politique
adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies dès le 15 décembre
1989, et l’émergence d’une justice pénale internationale refusant la
peine de mort.
Le combat abolitionniste n’a guère progressé depuis cette date. Le 2eme Protocole est demeuré facultatif, et même très facultatif. Alors que l’on dénombre 172 États parties au Pacte de 1966, son 2è Protocole ne regroupe que 88 États, à l’exclusion évidemment de ceux qui conservent la peine de mort dans leur système juridique. Le résultat est que le Protocole ressemble davantage à un club des États abolitionnistes qu’à une arme de guerre contre la peine de mort. Il en de même de la Cour pénale internationale, le Statut de Rome ne regroupant que 124 États parties. Et s’il est vrai qu’elle ne peut infliger la peine capitale aux personnes qui lui sont déférées, elle doit tout de même s’accommoder de l’article 80 du Statut de Rome qui précise, à propos des peines, que « Rien dans le présent chapitre n’affecte l’application par les Etats des peines que prévoit leur droit interne (…) » . Il existe donc une imperméabilité totale entre le système des peines pratiquées par la CPI, et celui pratiqué par les États qui demeurent parfaitement libre de conserver la peine de mort dans leur droit interne.
Si les textes n’ont guère évolué, la diplomatie abolitionniste aurait-elle marqué quelques points ? La Commission des droits de l’homme, devenue Comité des droits de l’homme a adopté une multitude de résolutions qui présentent la caractéristique de n’imposer aucune contrainte aux Etats. L’Assemblée générale elle-même a adopté cinq résolutions entre 2014. Mais il ne s’agissait pas de demander aux Etats d’abolir la peine de mort, tout au plus était-il question de protéger les droits des personnes menacées par cette peine et de « limiter progressivement » son usage. Depuis lors, il ne se passe rien, ou presque. On peut certes prendre note de la rédaction d’un rapport initié par le Haut-Commissaire aux droits de l’homme en 2015 : « Moving away from the death penalty », ensemble de contributions destinées à montrer que les arguments mis en avant pour justifier la peine capitale ne sont pas pertinents. On se doute que ce travail, aussi brillant soit-il, n’a pas dû avoir beaucoup d’influence sur les autorités chinoises ou américaines.
Ce recul du combat abolitionniste s’expliquerait-il par un certain abandon des ONG qui semblent se retirer de ce terrain, pour investir des espaces nouveaux, qu’il s’agisse des modifications climatiques, du droit des femmes, de la liberté religieuse, etc. ? S’il est vrai, par exemple, qu’Amnesty International continue à se battre sur ce terrain, l’abolition de la peine capitale n’est plus qu’un combat parmi d’autres, son activité s’étant considérablement diversifiée depuis sa création.
Chappatte, 11 juillet 2015, New York Times
Au plan européen
Si le combat abolitionniste a plus ou moins déserté le plan universel, peut-être s’est-il replié sur l’Europe ? On sait que le Conseil de l’Europe fut au cœur d’un mouvement abolitionniste, illustré par le Protocole n° 6 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme entré en vigueur en 1985. Il proclame que « la peine de mort est abolie. Nul ne peut être condamné à une telle peine ni exécuté », laissant toutefois subsister la possibilité d’infliger cette peine en temps de guerre. Le traité ne demande donc pas aux États parties d’abolir la peine de capitale, mais il procède lui-même à cette abolition. Par la suite, en 2003, le Protocole n° 13 l’impose « en toutes circonstances ». Le Conseil de l’Europe a donc réussi là où les instances universelles avaient échoué, et est parvenu à imposer des normes contraignantes dans ce domaine.
Mais depuis 2003, les choses ont évolué, et pas toujours dans le bon sens. La Russie tout d’abord, avait signé le Protocole n° 6 en 1997, sans le ratifier, et n’avait ni signé ni ratifié le Protocole n° 13. Depuis cette date, les relations entre la Russie et la Cour européenne des droits de l’homme se sont tendues. Après la condamnation de la Russie en juillet 2014 par la Cour pour le caractère inéquitable de la condamnation du président de Ioukos, Mikhaïl Khodorkovski, Vladimir Poutine a fait voter une loi affirmant la supériorité des décisions de la Cour constitutionnelle russe sur les arrêts de la Cour européenne. La Russie a donc choisi de s’affranchir des décisions de la Cour, et, depuis cette date, elle n’est pas tout-à-fait en dehors du Conseil de l’Europe, mais elle n’est plus tout-à-fait dedans. Il y a donc bien peu de chances qu’elle soit réceptive au mouvement abolitionniste.
La Turquie, quant à elle, avait signé les deux Protocoles, mais elle n’avait pas encore ratifié le second, lorsqu’elle a été condamnée pour violation du droit à la vie, à la suite de la condamnation par un tribunal militaire d’Abdullah Öcalan, le leader du Parti des travailleurs du Kurdistan. Dans un arrêt du 12 mai 2005, la Cour européenne rappelle que tous les Etats membres sauf deux ont alors signé le Protocole n° 13, et que tous les Etats membres sauf trois l’ont ratifié. Ces chiffres, combinés à la pratique constante des États, témoignent d’un consensus autour d’une interprétation de l’article 2 condamnant l’application de la peine capitale en toutes circonstances.
Mais là encore, en Turquie comme en Russie, les relations avec le Conseil de l’Europe se sont tendues, d’autant que les condamnations de ce pays par la Cour se sont multipliées. Après la tentative de coup d’Etat de juillet 2016, Recep Erdogan s’est appuyé sur l’article 15 pour annoncer que la Turquie allait temporairement déroger à l’application de la Convention européenne des droits de l’homme. Quelques mois plus tard, en avril 2017, il n’a pas manqué de promettre à ses partisans un référendum sur le rétablissement de la peine de mort, déclaration qui n’a suscité que des réactions bien tièdes du Conseil de l’Europe et des autres Etats membres. Les uns ont appelé au respect des « valeurs européennes », les autres ont appelé au dialogue, mais personne n’a souhaité que la peine de mort soit l’objet d’une crise ouverte avec la Turquie.
lundi 29 juin 2020
Le droit d'accès aux archives de François Mitterrand
L'accès dérogatoire aux archives des hautes autorités de l'Etat
Le droit d'accès aux archives publiques
Le contrôle normal
vendredi 26 juin 2020
Les Invités de LLC : Serge Sur : Vive le Parquet national financier !
Liberté Libertés Chéries reçoit aujourd'hui Serge Sur,
Professeur émérite de l'Université Paris 2 (Panthéon-Assas).
Depuis quelques jours, depuis l’audition par une commission parlementaire de Madame Eliane Houlette, ancien Procureur national financier, une polémique entretenue par des avocats et relayée par des médias est engagée. Elle met en cause non seulement l’action de Mme Houlette à la tête du PNF, mais l’institution elle-même, qui serait en quelque sorte une atteinte permanente aux libertés, harcelant et traquant des innocents injustement persécutés. Et les avocats de dénoncer des méthodes intrusives contre les suspects, une surveillance indue à leur encontre, des atteintes à leur secret professionnel, etc… Mme Rachida Dati, ancienne garde des sceaux du président Sarkozy et comme lui en délicatesse avec la justice, n’hésite pas à dénoncer dans le PNF une « officine », formule qui relaie la thèse du « cabinet noir » qui aurait, par de basses manœuvres, détruit la candidature présidentielle de François Fillon. L’union sacrée contre le PNF est ainsi réalisée entre fillonistes et sarkozystes, qui s’étripaient voici encore quelques mois. Derrière des attaques conjoncturelles, une remise en cause plus insidieuse de l’institution, alors qu’elle est la grande réussite judiciaire de ces dernières années.
Le procès du Parquet national financier
Les attaques contre le PNF sont à trois étages : les politiques mis en examen et en attente de procès d’abord. Leurs avocats ensuite, qui font flèche de tout bois pour discréditer l’accusation et ceux qui la portent, faute d’arguments de fond plus convaincants. Les médias enfin, toujours désireux de répandre le venin du soupçon et de créer l’événement, même lorsqu’il ne repose sur aucun fondement réel. A chaque étage, la mise en cause du PNF est hautement sujette à caution. On comprend bien que les personnes visées par une accusation maudissent ceux qui les chargent et cherchent à impressionner ceux qui vont les juger – mais la disqualification n’est pas un argument. Quant à leurs avocats revendiquent hautement, par exemple par la bouche de Me Dupont Moretti, le droit de mentir, un droit qu’ils se flattent donc d’exercer. Belle déontologie ! Dès lors, quelle crédibilité accorder à leur parole, à leurs postures de pères nobles drapés dans les plis du droit puisqu’eux-mêmes nous disent qu’il ne faut pas les croire ? Les médias enfin, qui donnent volontiers unilatéralement la parole aux personnes publiques poursuivies et à leurs conseils, sans se soucier du principe du contradictoire, sans interroger les autorités compétentes pour leur permettre de donner leur analyse, et en réalité de rectifier les assertions souvent erronées des premiers.
Pour
ne prendre qu’un exemple, les médias bruissent d’une prétendue « affaire
des écoutes », parce que l’on a demandé la liste des communications
téléphoniques d’un certain nombre d’avocats qui auraient pu entraver une
enquête contre l’ancien président Sarkozy qui, à l’instar d’individus peu
recommandables, avait choisi de mener ses conversations téléphoniques sous
pseudonyme, usurpant au passage l’identité d’un honnête citoyen qui n’y pouvait
mais. N’a-t-on pas, au surplus, poussé l’audace jusqu’à géolocaliser certains
d’entre eux ? Et de conclure qu’il y a là une atteinte inacceptable au
secret professionnel des avocats. Voilà le type même de la Fake New, de la
désinformation intéressée. En effet, il ne s’agit nullement d’écoutes,
puisqu’il n’y a pas d’accès au contenu des conversations, et puisque ces
méthodes ne sont en rien répréhensibles et surtout pas illégales lorsque l’on a
affaire à une délinquance économique et financière qui s’apparente au grand
banditisme. Aujourd’hui, on voit les émeutiers demander que l’on désarme la
police et les escrocs demander que l’on désarme la justice. Et nombre de
politiques font chorus, à tout le moins manifestent de l’émotion devant une
supposée atteinte aux libertés, en réalité défendant un milieu, une société de
connivence dans laquelle les petits arrangements entre amis sont dérangés par
une justice qui remplit sa mission, enquêter sur les délits et organiser la
poursuite judiciaire de leurs auteurs.
La Vérité. Guy Béart
Apologie du Parquet national financier
Car derrière les attaques en cours ou en préparation contre une magistrate, c’est l’institution même qu’il s’agit d’atteindre et si possible de détruire. Le PNF, voilà l’ennemi ! On oublie les conditions de sa création au moment de l’affaire Cahuzac, et la droite politique qui brandit volontiers le reproche de partialité feint de ne plus se souvenir que c’est un ancien ministre socialiste qui, sous une présidence socialiste, a donné lieu au procès le plus retentissant découlant de l’action du PNF. On oublie surtout que la partie visible de l’iceberg PNF, les enquêtes sur des responsables politiques, ne sont qu’une partie minime de son action. La partie invisible, du moins la partie qui n’intéresse pas les médias et sur laquelle les avocats préfèrent garder le silence modeste qui convient aux causes perdues, est en effet beaucoup plus importante, et bénéfique pour le respect du droit comme pour le trésor public. Si l’on consulte la Synthèse annuelle établie par le PNF sur son activité, document en accès libre et qui devrait être davantage connu, on observe que pour 2019, le PNF est en charge de 577 procédures en cours, que 156 ont été ouvertes durant l’année ; que 50 % de ces affaires concernent des atteintes à la probité, 7 % aux marchés financiers, 43 % aux finances publiques ; que l’activité du PNF a permis au trésor public de récupérer au profit de l’Etat 7,7 milliards d’euros. C’est un bilan qui est tout à fait à l’honneur de l’institution et de ceux qui l’animent, avec un sens de l’Etat de droit qu’il convient de saluer et non de salir.
Car, comme le note Mme Eliane Houlette dans son avant-propos de la Synthèse 2018, il faut pour parvenir à ce résultat, utiliser des méthodes, naturellement légales, mais adaptées à un type de criminalité rationnelle, inventive, cynique et rusée : "(...) Utilisation de nouvelles méthodes de renseignement, d'investigation et de traitement de l'enquête économique et financière, mise en oeuvre des réponses pénales variées et adaptées à la spécificité des dossiers. Ces principes d'action (...) portent le projet de renforcer la lutte contre la grande délinquance économique et financière dont l'aptitude au renouvellement et à l'innovation nous oblige encore et toujours à adapter nos principes de fonctionnement, nos méthodes et outils de travail."
Qu’il y ait besoin en France d’un parquet national financier disposant de moyens juridiques et matériels renforcés est démontré sans conteste possible par les résultats obtenus depuis qu’il existe. Le supprimer serait une action contre le droit, contre l’Etat, contre l’intérêt public, dont seuls les escrocs pourraient se réjouir. L’affaiblir, mettre en cause les personnes qui le servent, est un pas dans cette direction, et tous ceux qui jouent les sycophantes contre le PNF feraient bien d’y réfléchir. Sans doute pourrait-on souhaiter que, dans l’intérêt même d’un ordre constitutionnel bien compris, on institue un réel pouvoir judiciaire, indépendant, au statut constitutionnel, permettant de refondre en un même corps la justice judiciaire, administrative et constitutionnelle, que le parquet ne dispose plus d’une compétence d’enquête préliminaire et que tous les actes d’instruction soient réservés à des magistrats du siège. Il y faudra une révision constitutionnelle, mais dans l’état actuel du droit, celui d’une justice fragmentée, dotée de moyens insuffisants, peu respectée par les responsables politiques, l’existence du PNF et sa réussite sont une bénédiction pour l’Etat de droit et la démocratie.