A la lecture de la décision, il ne fait guère de doute que les requérants auraient aussi pu invoquer une atteinte au droit à un procès équitable protégé par l'article 6. En effet, les juges grecs ont fait tout ce qu'ils ont pu pour retarder l'affaire, estimant d'abord que l'affaire n'était pas suffisamment importante pour qu'ils se prononcent en urgence, avant la rentrée scolaire, contraignant de facto les enfants à suivre l'enseignement religieux une année supplémentaire. Surtout, l'audience fut repoussée huit fois, jusqu'à ce qu'une seconde année soit commencée. En même temps, l'Eglise orthodoxe grecque faisait de nombreuses démarches auprès des autorités pour que le statu quo soit maintenu, thème qu'elle a également pu développer comme partie intervenante devant la juridiction administrative.
Quoi qu'il en soit, la question posée est celle du droit à l'instruction, examiné au regard de la liberté de conscience, et la CEDH estime que le droit grec viole sur ce point la Convention européenne.
Le respect des convictions religieuses
Il est acquis depuis fort longtemps, et en particulier l'arrêt Kjeldsen, Busk Madsen et Petersen c. Danemark du 7 décembre 1976 que les parents peuvent exiger de l'Etat que l'éducation de leurs enfants respecte leurs convictions religieuses. L'Etat, selon la formule figurant dans l'arrêt de Grande Chambre Lautsi c. Italie du 18 mars 2011, donc doit veiller "à ce que les informations ou connaissances figurant au programme soient diffusées de manière objective, critique et pluraliste, permettant aux élèves de développer un sens critique à l’égard notamment du fait religieux dans une atmosphère sereine, préservée de tout prosélytisme".
Cela ne signifie pas qu'un Etat ne puisse pas prévoir un enseignement religieux dans les établissements publics. Il peut le faire, mais de manière à ne pas créer de conflit entre cette éducation religieuse et les convictions de leurs parents. Dans un arrêt du 9 octobre 2007 Hasan et Elyem Zengin c. Turquie, la CEDH impose ainsi aux Etats qui ont choisi de dispenser un enseignement religieux obligatoire dans les écoles publiques d'adopter l'une des trois pratiques suivantes : soit prévoir une procédure d'exemption, soit offrir un autre cours à la place de l'enseignement religieux, soit encore rendre ce dernier optionnel.
Les conditions de dispense
La CEDH doit ainsi se livrer à une évaluation extrêmement pragmatique de la situation des enfants et de leurs parents. Il ne suffit pas d'examiner si les enfants sont soumis à un enseignement religieux obligatoire et il n'est pas utile d'apprécier le contenu de ce dernier. Il faut surtout apprécier les conditions dans lesquelles ils peuvent en être dispensés, et si les conditions mises à cette dispense ne sont pas trop rigoureuses au point de devenir dissuasives.
En l'espèce, il n'est pas contesté que les autorités grecques ont mis en oeuvre une procédure d'exemption, puisqu'il suffit d'affirmer leur non-appartenance à la religion orthodoxe pour dispenser les enfants. Mais précisément, il s'agit d'une déclaration solennelle, contresignée par le professeur chargé de l'enseignement religieux. Et le directeur de l'établissement a la possibilité de vérifier la véracité de cette déclaration, en consultant l'acte de naissance des enfants, sur lequel figure leur religion. S'ils ont été déclarés orthodoxes à leur naissance, les parents peuvent ainsi être pénalement poursuivis pour fausse déclaration.
Devant une telle situation, la CEDH estime donc que la procédure choisie par les autorités grecques fait peser une charge beaucoup trop lourde sur les parents. L'un des éléments essentiels de leur vie privée, leurs convictions religieuses, ou leur absence de convictions religieuses, est ainsi divulgué. Le risque de stigmatisation est bien réel, surtout sur de petits îles comme Sifnos et Milos où l'écrasante majorité de la population se déclare orthodoxe. La CEDH fait également observer que cette procédure n'est pas davantage satisfaisante au regard du système scolaire car les enfants ainsi exemptés de l'enseignement religieux ne se voient proposer aucun cours de remplacement. Ils se voient donc privés d'heures d'enseignement au seul motif de leur convictions, ou de leur absence de convictions religieuses.
Athéisme et laïcité
Surtout, la CEDH rappelle, et il s'agit cette fois d'une position de principe, que la liberté des convictions religieuses implique le droit de ne pas en avoir. Dans la célèbre affaire Kokkinakis c. Grèce du 25 mai 1993, la Cour affirme ainsi clairement que la liberté de pensée, de conscience et de religion protégée par l'article 9 est "un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents". Et dans l'arrêt de 1986 Angelini c. Suède, elle précise que l'athéisme ne fait "qu'exprimer une certaine conception métaphysique de l'homme qui conditionne sa perception du monde et justifie son action". Il doit donc être protégé par l'article 9, comme n'importe quelle autre conviction.
La CEDH considère ainsi que le droit grec porte atteinte aux droits garantis par les articles 2 et 9 de la Convention. Ce rappel de l'importance du droit de ne pas avoir de conviction vient à point pour montrer les dangers d'une idéologie qui met l'accent sur la liberté de religion, pour ensuite crier à la discrimination dès que l'Etat intervient pour empêcher un culte de s'exprimer dans l'espace public, voire d'y faire du prosélytisme. C'est oublier rapidement que chacun a le droit de choisir sa conviction spirituelle, y compris le droit de ne pas en avoir. Sur ce point le principe de laïcité apparaît comme le seul moyen de rassembler, d'unir une société en l'affranchissant de la tutelle religieuse. Le strict opposé du communautarisme qui conduit à la division et qui a suscité dans l'histoire bien des guerres de religion.