Disons-le clairement, cette décision du Conseil constitutionnel n'aura aucun impact sur le droit positif, dans la mesure où l'ordonnance du 1er décembre 2016 a supprimé le régime juridique particulier du contentieux de la mise en liberté, et soumet donc la visioconférence au consentement du demandeur. Les contentieux antérieurs ne se sont pas éteints pour autant et les opposants aux audiences par visioconférence, et notamment le syndicat des avocats de France intervenant à la QPC, comme le syndicat de la magistrature et la Ligue des droits de l'homme, ont su les utiliser à bon escient. Leur combat n'aurait rien de surprenant, s'il n'avait reçu l'appui aussi inattendu qu'involontaire de l'actuelle Garde des Sceaux, Mme Belloubet.
La décision du 21 mars 2019
Dans sa décision du 21 mars 2019, rendu à propos de la loi Belloubet de programmation pour la justice, le Conseil a en effet censuré son article 54 qui accroissait considérablement la possibilité de recours à la visioconférence sans consentement de l'intéressé, en l'élargissant à tout le contentieux de la prolongation de la détention provisoire.
Le Conseil avait alors écarté la justification apportée par le législateur qui entendait "contribuer à la bonne administration de la justice et au bon usage des deniers publics, en évitant les difficultés et les coûts occasionnés par l'extraction de la personne". A ses yeux, une telle procédure imposée à l'intéressé portait une atteinte excessive aux droits de la défense que le seul intérêt financier de l'Etat ne saurait justifier. Et le Conseil d'insister sur l'important de la "présentation physique de l'intéressé devant le magistrat".
En voulant ainsi généraliser les audiences par visioconférence en matière de détention provisoire, la loi Belloubet a ainsi indirectement permis le contrôle du Conseil constitutionnel sur l'article 706-71-3. Ses détracteurs avaient effet, à quatre reprises, obtenu qu'une QPC soit transmise à la Cour de cassation. Mais la Cour avait rendu quatre décisions de refus de renvoi. Elle considérait alors, invariablement, que "le recours à la télécommunication audiovisuelle" était "une modalité de la comparution personnelle". Mais la décision rendue par le Conseil le 21 mars 2019 s'analysait comme un changement de circonstances de droit susceptible de justifier un renvoi, et c'est précisément ce qu'a décidé la Cour, dans une décision du 26 juin 2019.
La bonne administration de la justice
Si le requérant, et tous ceux qui soutenaient son recours, ont obtenu une déclaration d'inconstitutionnalité, ils n'ont pourtant pas remporté une franche victoire. Le Conseil ne déclare pas que l'audience par visioconférence constitue, en soi, une procédure inconstitutionnelle. Au contraire, il s'étend longuement sur l'article 199 du code de procédure pénale qui permet au président de la chambre de l'instruction de refuser d'entendre une personne qui a déjà comparu depuis moins de quatre mois. Mais celui-ci peut renoncer à cette procédure s'il estime nécessaire d'entendre la personne détenue, "notamment par un moyen de télécommunication audiovisuelle". Autrement dit, la visioconférence incite le juge à entendre une personne qui, autrement, n'aurait pas été entendue.
Surtout, le Conseil affirme clairement que la visioconférence "vise à éviter les difficultés et les coûts occasionnés par les extractions judiciaires. Ces dispositions "contribuent ainsi à la bonne administration de la justice et au bon usage des deniers publics ". La justice bien administrée est donc celle qui coûte le moins cher possible. Et maintenir une personne devant un écran dans les locaux pénitentiaires ne coûte pratiquement rien.
La notion de "bonne administration de la justice" a été affirmée comme objectif à valeur constitutionnelle, avec une référence improbable aux articles 14 et 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, dans une décision du 28 décembre 2006. Cette construction initiée par le Cosneil a été utilisée à de nombreuses reprises, par exemple en QPC le 16 septembre 2011 pour justifier le recours à des peines plancher pour sanctionner les infractions graves au code de la route. Il s'agissait alors de désencombrer les prétoires.
Dans sa décision du 6 septembre 2018 relative à la loi asile et immigration, le Conseil ajoute la préoccupation financière, estimant que l'audience vidéo en matière d'asile n'empêche pas, en soi, l'exercice des droits de la défense, et n'entrave pas le droit au respect équitable. Au contraire, elle repose sur "le bon usage des deniers publics". La "bonne administration de la justice" justifie ainsi des législations qui n'ont pas d'autre objet que d'éponger un contentieux abondant à un moindre coût.
Tel est le cas en l'espèce, et le Conseil ne manque pas de rappeler qu'une personne en détention provisoire peut former une demande de mise en liberté à tout moment, sur le fondement de l'article 148 cpp. La Chambre de l'instruction peut donc être saisie très fréquemment, soit par voie d'appel, soit si le juge des libertés et de la détention n'a pas statué dans le délai imparti, soit si la personne détenue n'a pas été entendue depuis quatre mois par le juge d'instruction.
Dans le cas présent toutefois, le Conseil exerce un contrôle de proportionnalité entre l'atteinte portée aux droits de la défense du demandeur et l'impératif constitutionnel de "bonne administration de la justice". Il observe qu'en matière criminelle, la prolongation de la détention provisoire peut intervenir une année entière après l'incarcération, aux termes de l'article 145-2 cpp. Les conséquences d'une audience par vidéoconférences seraient alors trop lourdes pour un prévenu ainsi privé d'une présentation physique devant le juge. C'est donc le seul cas de ces personnes qui est pris en considération pour déclarer inconstitutionnelles les dispositions de l'article 706-71-3.
Une cote mal taillée
Certes, le Conseil constitutionnel pose un frein au développement considérable de l'audience par visioconférence, tentation incontestable dans une période où l'on attend de la justice qu'elle fonctionne avec des moyens humains et matériels extrêmement dégradés. Mais force est de constater qu'il n'envisage l'atteinte aux droits de la défense que par le petit bout de la lorgnette. Il oublie, étrangement, de s'intéresser à la procédure qui entoure l'audience. Or le problème essentiel réside dans le fait que le détenu est seul devant un écran, dans l'établissement pénitentiaire, alors que son avocat, lui, se trouve dans la salle d'audience. Ils ne peuvent donc communiquer directement, et les droits de la défense sont alors réduits à une sorte de jeu de rôle. Mais discuter de ce point reviendrait à remettre en cause l'ensemble des audiences organisées de cette manière, et c'est précisément ce que ne veut pas le Conseil. Sa décision du 20 septembre 2019 prend ainsi l'allure d'une cote mal taillée, hésitant entre la protection des droits de la défense et les contraintes liées à la misère de la justice.
Sur la détention provisoire : Chapitre 4 , Section 2 § 1 C du manuel de Libertés publiques sur internet.