Nicole Belloubet, ministre de la justice, diffuse un
projet de code de justice pénale des mineurs qui devrait être adopté par ordonnance à l'automne. Il s'agit donc d'un document susceptible d'évolutions importantes, sous l'influence des avis de la commission supérieure de codification et du Conseil d'Etat, puis des débats préalables à la loi d'habilitation.
Encore ! C'est sans doute ce que vont penser les spécialistes de la justice des mineurs, tant il est vrai qu'elle ressemble à ces chantiers perpétuellement en cours d'achèvement mais jamais achevés. L'
ordonnance du 2 février 1945 a été réformée à de multiples reprises, et parfois à un rythme impressionnant (quinze fois entre 2007 et 2011). On peut espérer que la présente entreprise de codification aura au moins pour mérite de stabiliser un droit dans les méandres duquel même les spécialistes ont parfois des difficultés à s'orienter.
La spécificité de la justice des mineurs
Etrangement, cette stabilisation se fait au détriment de la spécificité de la justice des enfants. Les rédacteurs de l'ordonnance de 1945 concevaient la justice des mineurs comme une exception. Il ne s’agit pas
tant, comme pour les majeurs, de juger un acte de délinquance, mais
bien davantage de s’intéresser à celui qui l’a commis, dans une
perspective globale qui cumule sanction et assistance éducative. La sanction est un élément du continuum éducatif, et l'ensemble repose sur l'idée qu'un mineur délinquant est, avant tout, un enfant en danger.
Sur cette question, le projet cultive une étrange ambiguité. D'un côté, le simple fait qu'il y ait codification semble affirmer
clare et intente la spécificité de la justice des mineurs. De l'autre, l'article 113-5 affirme que «
les dispositions du code pénal et du code de procédure pénale
sont applicables aux mineurs sauf s’il en est disposé autrement par les dispositions du présent
code ". Le message manque de clarté, et cette subsidiarité du code risque de provoquer de multiples difficultés d'interprétation.
Y'a rien à faire. Les Compagnons de la chanson, 1964
La présomption d'irresponsabilité
La présomption d'irresponsabilité des mineurs de 13 ans (c'est-à-dire âgés de moins de 13 ans ou ayant atteint cet âge) est certainement l'élément qui a été le plus relayé dans les médias. Le seuil de responsabilité pénale est donc fixé à treize ans, sauf si le juge en décide autrement. Là encore, un principe est posé, allant dans le sens du traitement particulier des mineurs, mais il s'accompagne immédiatement d'une possibilité de dérogation offerte au juge.
Il est vrai que le droit était, sur ce point, relativement lacunaire. Le fait de poser un principe de responsabilité pénale, sans fixer l'âge à partir duquel elle s'exerce, pouvait apparaître comme une atteinte à la sécurité juridique. Sur ce point, la France se trouvait isolée en Europe, même si les Etats de l'UE se trouvent divisés sur ce point (8 ans en Ecosse et en Grèce ; 10 ans en Angleterre ; 12 ans aux Pays Bas, en Belgique et au Portugal, 14 ans en Espagne, Allemagne et Italie, 18 ans au Luxembourg).
L'abstention française s'explique très largement par l'absence de consensus sur ce sujet. En 2008, le
rapport Varinard proposait un seuil de douze ans, qui n'a pas été repris par le législateur. Plus récemment, en
février 2019, le rapport d'information parlementaire sur la justice des mineurs révélait d'importantes divergences. L'un des rapporteurs (Cécile Untermaier, PS, Saône et Loire) souhaitait, comme le Défenseur des droits et le syndicat de la Magistrature que le seuil de 13 ans soit inscrit dans la loi, l'autre (Jean Terlier (LaRem, Tarn) préconisait le maintien du statu quo, laissait les juges apprécier le discernement de l'enfant. Il est très probable que les débats futurs refléteront ces divergences.
Les "sanctions éducatives"
Un point positif du projet réside dans une volonté de simplifier la justice des mineurs, l'ordonnance de 1945 étant devenue pratiquement illisible. Les "sanctions éducatives" encourues par les mineurs sont au nombre de quatre. L' "avertissement judiciaire" s'analyse comme un rappel à la loi. Viennent ensuite la "remise judiciaire à des personnes qui en ont la garde", le "suivi éducatif en milieu ouvert" et le "placement du mineur". Le suivi éducatif peut prendre des aspects très divers ; obligation de se présenter périodiquement devant certains services, de suivre des formations, mais aussi mesures de réparation à l'égard de la victime, d'insertion, de santé (placement dans un établissement médico-social). Ces mesures en elles-mêmes n'ont rien de bien nouveau et le projet de code se borne à mise en forme de l'existant.
En matière délictuelle, le projet envisage une "mise à l'épreuve éducative" de plusieurs mois, permettant au juge d'apprécier l'évolution du mineur entre une première audience de déclaration de culpabilité et l'audience de prononcé de la sanction. L'idée n'est sans doute pas mauvaise, à la condition que les services compétents aient les moyens de suivre efficacement cette mise à l'épreuve.
Le renforcement du rôle du parquet
Sur le plan procédural, le futur code semble s'orienter vers un renforcement du rôle du parquet, qui conduit à limiter l'intervention du juge des mineurs. L'article 211-14 du projet affirme ainsi que "
le juge des mineurs est saisi aux fins d'ordonner des mesures éducatives provisoires, de les modifier ou de les rapporter, par réquisitions motivées du procureur de la République". C'est donc le parquet qui, après avoir conduit l'enquête, envisage la mesure éducative et le juge est saisi à l'issue de cette première procédure. Dans le cas d'une comparution immédiate, le mineur risque ainsi de ne connaître le juge que le jour de son jugement.
L'évolution est loin d'être neutre, car elle remet en question une tradition qui veut le juge des enfants se voie confier, non pas une affaire, mais un enfant, dans le but de le suivre dans une perspective globale d'assistance éducative. On tend désormais à limiter l'intervention du juge au seul stade du jugement. Cette évolution était engagée depuis la
décision QPC du Conseil constitutionnel du 8 juillet 2011, qui avait déclaré non conformes à la constitution les dispositions prévoyant que le juge des enfants
qui procède à l’instruction de l’affaire est également le président de
la formation de jugement.
Ces éléments, et il y en a bien d'autres, permettent de constater un rapprochement de la justice des mineurs avec le droit commun, élément d'une tendance lourde bien antérieure à l'actuel projet de codification. Elle coïncide globalement avec une volonté de renforcer la sévérité de la réponse pénale, à un moment où bon nombre de professionnels, enseignants, policiers, se plaignent de ne pouvoir gérer une délinquance de plus en plus violente. Certes, mais cette sévérité risque aussi de mettre en cause l'individualisation de cette même réponse pénale, l'idée même que la sanction doit s'intégrer dans une démarche éducative.
On pourrait espérer que les débats parlementaires permettront d'éclairer la démarche suivie et d'en renforcer la cohérence. Ce souhait risque pourtant d'être une sorte de voeu pieux. Alors même que le parlement avait initié une réflexion sur la justice des mineurs avec le rapport de février 2019, le gouvernement décide de procéder par ordonnance à cette codification. Certes, les ordonnances de l'article 38 n'interdisent pas le débat parlementaire, au moment de l'habilitation d'abord, à celui de la ratification ensuite. Mais le fait majoritaire risque de réduire ces débats à la portion congrue.