La notion de "fausse nouvelle" ne pose guère de difficulté. La nouvelle porte sur des faits, et seulement sur des faits, qui doivent avoir un lien avec l'actualité et qui n'ont pas été déjà portés à la connaissance du public, comme le rappelle la décision rendue le 13 avril 1999 par la Chambre criminelle de la Cour de cassation. Des commentaires, même particulièrement venimeux, sur des faits avérés ne peuvent être, en soi, être considérés comme des fausses nouvelles. La nouvelle est fausse, lorsqu'elle est "mensongère, erronée ou inexacte dans la matérialité du fait et dans ses circonstances", formule employée par la Cour d'appel de Paris dans une décision du 7 janvier 1988. De toute évidence, bon nombre des rumeurs diffusées durant la campagne des dernières élections présidentielles de 2017 peuvent être qualifiées de fausses nouvelles. On se souvient du célèbre "cabinet noir" présenté comme une réalité incontestable par les partisans de François Fillon ou des bruits allègrement relayés sur l'homosexualité du candidat Emmanuel Macron.
L'article 27 de la loi de 1881
Le premier réside dans l'auteur des faits. L'article 27 de la loi de 1881 est un délit de presse, et la plupart de ceux qui publient des Fake News sur internet ne sont pas journalistes et n'ont rien à voir avec une entreprise de presse. Certes, la jurisprudence a accepté d'étendre l'application des délits de presse à certains sites ou blogs, mais pas à l'individu qui répand des bruits sur Twitter ou Facebook. Le plus souvent, il s'agit d'un militant, ou d'un groupe de militants, voire d'une officine plus ou moins opaque, qui ont pour mission de détruire le candidat adverse, par tous les moyens. Les entreprises de presse contribuent souvent à diffuser les bruits, mais elles n'en sont généralement pas les auteurs.
Cette constatation conduit au second obstacle qui est la condition de mauvaise fois exigée par l'article 27. Il est en effet bien difficile de la démontrer. La plupart de ceux qui diffusent les fausses nouvelles sur internet sont convaincus de la vérité de ce qu'ils affirment. N'ont-ils pas déjà vu l'information sur Facebook ou Twitter ? N'ont-il pas reçu un courriel d'une "source sure" ? Ils sont crédules, souvent très attachés à "leur" candidat. Ils évoluent dans le cercle fermé de l'information diffusée par ses sympathisants. En bref, ils sont parfois peu éclairés, mais pas de mauvaise foi. Seul est de mauvaise foi celui qui est à l'origine de la tentative de manipulation de l'opinion, celui qui a sciemment publié des informations qu'il savait erronées. Mais à l'heure d'internet, la recherche de l'origine de la rumeur est particulièrement difficile. Vient-elle d'un site établi en Ukraine, d'un tweet anonyme, d'une page Facebook qui a aujourd'hui disparu ? Il n'est pas impossible que l'on finisse par trouver l'auteur de l'infraction, mais cela ne signifie pas que l'on pourra le poursuivre sur le fondement de l'article 27.
Enfin, et c'est le dernier obstacle à la mise en oeuvre de l'article 27, il ne pourra s'appliquer que si est remplie une condition de "trouble à la paix publique". La loi exige ainsi un lien de cause à effet entre la fausse nouvelle et le trouble. La jurisprudence, quant à elle, apprécie ce trouble in concreto. Le tribunal correctionnel de Nanterre a ainsi été saisi d'un reportage photo monté de toutes pièces, montrant des jeunes jetant un réfrigérateur sur les forces de l'ordre, alors qu'il s'agissait d'une mise en scène jouée par des figurants. Dans une décision du 13 décembre 2000, il a jugé que le délit de diffusion de fausses nouvelles était constitué dans la mesure où cette publication avait contribué aux troubles qui agitaient, à l'époque, les quartiers sensibles. Il en est de même de la diffusion d'une information erronée selon laquelle le maire de Paris protégerait les provocateurs, à une époque où la tension entre étudiants et forces de l'ordre était très vive (CA Paris, 18 mai 1988). La jurisprudence n'a jamais admis un trouble purement psychologique à la paix publique. Or force est de constater que les bruits sur l'homosexualité du candidat Emmanuel Macron ou sur l'état de ses finances n'ont pas provoqué d'émeutes, heureusement.
L'article L 97 du code électoral
Quoi qu'il en soit, l'article L 97 du code électoral ne donne lieu qu'à une jurisprudence fort rare. On y trouve le cas du préfet de police de Marseille qui a, à la suite d'une explosion, a, sans preuves décisives et dans l'intention de détourner des suffrages lors des élections municipales, attribué à des politiciens de droite un projet d'attentat contre une synagogue. A commis la même infraction le candidat aux élections cantonales qui a fait distribuer un tract dans lequel il affirmait qu'une société avait décidé de créer dans une commune du département 310 emplois grâce à des installations touristiques, alors même que la société en question avait officiellement informé qu'elle renonçait à tout investissement nouveau en raison de contraintes financières (TGI Nancy, 3 juillet 1996, n° 3266/96).
Cette restriction de l'application de l'article L 97 aux élections locales ne s'explique pas par une quelconque crainte des juges, qui redouteraient de s'attaquer aux bruits malveillants répandus durant des élections présidentielles. Lors d'une élection nationale, il devient beaucoup plus difficile en effet de démontrer que la diffusion d'une fausse nouvelle a entraîné un véritable transfert de voix ou une abstention plus élevée que dans la circonscription voisine. L'impact électoral d'une rumeur malveillante est alors impossible à prouver.
La responsabilité des plateformes
Une véritable transparence serait d'abord imposée sur les contenus sponsorisés permettant au lecteur de voir que la diffusion de l'information en cause est financée. La transparence est certes toujours une bonne chose, mais cette mesure pose de nombreuses questions en matière électorale. L'article L 52-1 du code électoral interdit le recours à la publicité commerciale est en effet interdite à des fins de campagne électorale pendant les six mois qui précèdent l'élection. En revanche, le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 8 juillet 2002, a considéré que "la réalisation et l'utilisation d'un site ou d'un blog ne revêtent pas le caractère d'une publicité commerciale au sens de ces dispositions". Ces supports sont évidemment ceux visés par l'obligation de transparence envisagée par Emmanuel Macron. Mais pourquoi autoriser la publicité par internet et pas dans la presse et les médias audiovisuels ? Le moins que l'on puisse dire est que cette mesure nécessiterait une réflexion globale, ne serait-ce que dans le but de garantir le respect du principe d'égalité devant la loi.
Et la neutralité du net ?
Il reste donc à espérer que le projet annoncé par le Président de la République ne sera pas voté dans la précipitation. Les prochaines échéances électorales nationales sont loin, et le Parlement a le temps de faire son métier, c'est à dire de réfléchir à cette réforme. Ses enjeux dépassent largement le cas des fausses nouvelles, car derrière la responsabilité des plate-formes et des fournisseurs d'accès, c'est toute la question de la neutralité du net qui est posée. Il ne faudrait pas qu'une réforme destinée à moraliser la vie politique conduise finalement à une remise en cause des principes fondamentaux qui garantissent la liberté d'expression sur internet.
Sur la liberté d'expression sur internet : Chapitre 9, section 2 du manuel de libertés publiques : version e-book, version papier.