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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
mercredi 15 novembre 2017
Dieudonné à Marseille
dimanche 12 novembre 2017
La photo d'Abdelkader Merah
L'interdiction de principe
Droit à l'image et publicité du procès
Droit à l'image de l'avocat
Procès Landru. Assises de la Seine. Novembre 1921 |
Image de l'accusé
La justice rendue au nom du peuple français
mercredi 8 novembre 2017
La CEDH et les ghettos urbains
Vie privée ou libre circulation
En revanche, le droit de choisir son domicile est, à ses yeux, au coeur de la liberté de circulation garantie par l'article 2 du Protocole n° 4 à la Convention européenne des droits de l'homme. C'est donc sur ce fondement que la requérante conteste le droit néerlandais qui lui refuse de vivre dans le quartier de son choix. De son côté, le gouvernement néerlandais invoque le paragraphe 4 de cette même disposition, qui autorise des restrictions à la libre circulation, si elles sont prévues par la loi, justifiées par l'intérêt public et nécessaires dans une société démocratique.
Lutter contre les ghettos..
Dès lors que l'intérêt public, incontesté, justifie une ingérence à la liberté de domicile de la requérante, il convient ensuite d'apprécier si cette ingérence est nécessaire dans une société démocratique.
Le déménagement. Bernard Delaunay circa 1980. Collection particulière |
... Et créer d'autres ghettos
La Cour commence par s'intéresser à la politique publique elle-même et donc à la loi qui soumet le droit de résider dans un quartier à une autorisation. L'argument principal de la requérante résidait dans ses résultats, pour le moins limités. Parmi les différents rapports dressant le bilan de la loi néerlandaise, celui produit par l'Université d'Amsterdam est présenté comme le plus indépendant. Il affirme que "les quartiers concernés par la loi ont connu une évolution nettement plus défavorable que les autres quartiers de Rotterdam" et en déduit qu'elle "n’a pas concouru à la moindre amélioration". Quant aux personnes les plus pauvres, celles qui n'ont pas obtenu l'autorisation de résider dans le quartier, elles sont contraintes d'aller s'installer ailleurs, dans des zones périphériques "où la qualité de vie et la sécurité sont comparativement en recul". En clair, la politique de la ville ne supprime pas les ghettos, mais en crée de nouveaux, encore plus pauvres.
La Cour ne veut pas entrer dans ce débat et, après l'avoir largement cité, elle écarte le rapport en mentionnant qu'il a été établi postérieurement au refus d'autorisation opposé à Mme Garib, les autorités n'en ayant donc pas connaissance au moment où elles ont pris cette décision. La CEDH rappelle au contraire que la politique de la ville est un domaine "complexe et délicat" dans lequel les Etats conservent une large marge d'appréciation, principe qui était déjà mentionné dans un arrêt de 2011 Ayangil et autres c. Turquie. Au moment où elles refusaient à Mme Garbid son autorisation, les autorités locales étaient donc persuadées du bien-fondé de leur politique. Il ne semble d'ailleurs pas que cette procédure ait été abandonnée au moment où la Cour se prononce.
Celle-ci note par ailleurs que la loi impose un certain nombre de procédures protégeant les personnes ainsi évincées, en particulier l'obligation pour la collectivité locale de démontrer l'existence d'une offre de logement suffisante, dans d'autres quartiers. De même est-il possible de délivrer une autorisation dérogatoire, pour des motifs d'ordre médical ou social. Pour la Cour, il est évident que cette politique urbaine aurait pu être différente, mais, en tant que telle, elle offre un équilibre satisfaisant entre les intérêts en présence.
La situation de l'intéressée
Ceux de Mme Garib ont d'ailleurs été pris en compte et sa situation personnelle explique sans doute, au moins en partie, la relative indifférence de la CEDH à l'égard de la politique urbaine néerlandaise. En effet, la requérante a facilement trouvé un logement satisfaisant dans un autre quartier. Elle n'a pas choisi de rester dans son studio pour atteindre la durée de six mois lui permettant d'obtenir l'autorisation de résider à Tarwewijk. Elle n'a pas davantage souhaité y revenir depuis qu'elle réside ailleurs. Son recours est donc un recours de principe et elle n'a pas subi de dommage particulier.
Sans doute, mais la Cour balaie tout de même un peu rapidement la question du libre choix de la résidence. Au contraire de la requérante, elle refuse d'en faire une question de principe, admettant volontiers qu'un Etat parque les habitants des villes dans des quartiers choisis pour eux. On retrouve là une vision communautaire de la société extrêmement présente aux Pays-Bas. Et la Cour européenne finit ainsi par accepter la constitution de ghettos urbains.
dimanche 5 novembre 2017
Smart City : Bradbury à la CNIL
Smart City ou "l'imaginaire solutionniste"
Privacy ou vie privée
L'intérêt général
Liberté de circulation
Sécurité
mardi 31 octobre 2017
La loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme
La sortie de l'état d'urgence
Le terrorisme contextuel
Les périmètres de sécurité
A l'intérieur de ce périmètre de sécurité, les membres des forces de police, y compris les polices municipales dès lors qu'elles sont placées sous l'autorité d'un officier de police judiciaire, peuvent exercer des contrôles d'identité, palpations, fouilles des bagages et des véhicules. Les personnes qui refusent de s'y soumettre se voient refuser l'entrée du périmètre de sécurité ou sont reconduites à l'extérieur. Sur le fond, ces dispositions ne changent guère les pratiques existantes, si ce n'est qu'elles leurs confèrent un fondement législatif solide.
Les bons juges. James Ensor 1860-1949 |
Les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance
La liberté de circulation individuelle peut également être l'objet de restrictions. La loi du 30 octobre 2017 n'évoque plus l'assignation à résidence, mais "la mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance". Elle est susceptible d'être prise à l'égard d'une "personne à l'égard laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité pour la sécurité et l'ordre publics", formule reprise des différentes lois sur l'état d'urgence, depuis celle du 20 novembre 2015.
Elle est aujourd'hui complétée par quelques précisions sur le comportement visé. Est ainsi concerné celui qui "entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme". La formule est relativement claire. En revanche, la suite de la phrase est plus confuse, car est aussi concerné celui qui "soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s'accompagne d'une manifestation d'adhésion à l'idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tes actes". On attend avec impatience la question prioritaire de constitutionnalité qui portera sur cet élément de phrase. Si la notion d'apologie a un contenu juridique, notamment en matière d'apologie de crimes de guerre, celle de soutien ou d'adhésion à des thèses incitant au terrorisme manque de clarté. Le risque d'abrogation pour manque de lisibilité de la loi est loin d'être négligeable, surtout si l'on se souvient que le Conseil constitutionnel, dans une QPC du 10 février 2017, a abrogé le délit de consultation habituelle de sites terroristes.
Reste à s'interroger sur l'abandon de la notion d'assignation à résidence. S'agit-il simplement de rompre avec une terminologie ambiguë ? Bon nombre de ceux qui dénonçaient l'assignation à résidence pensaient en effet que la personne devait rester enfermée chez elle nuit et jour... Peut-être, mais la formule nouvelle s'accompagne aussi d'un d'assouplissement du dispositif. C'est ainsi que le périmètre de l'astreinte ne pourra désormais être inférieur au territoire de la commune et ne pourra plus être limité au seul domicile. De même, et reprenant sur ce point la jurisprudence du Conseil d'Etat, le texte précise que cette assignation doit permettre à l'intéressé de "poursuivre sa vie familiale et professionnelle". Par voie de conséquence, le pointage auprès des services de police ou de gendarmerie ne pourra pas être imposé plus d'une fois par jour. Là encore, la loi nouvelle s'écarte assez sensiblement de l'ancienne assignation à résidence prévue dans l'état d'urgence.
La liberté de culte
Un nouveau chapitre VII du code de la sécurité intérieure permet à l'autorité administrative de décider la fermeture de lieux de culte. Dans sa rédaction ancienne, l'article 8 de la loi du 3 avril 1955 autorisait le préfet ou le ministre de l'intérieur à ordonner "la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature". Dans la loi de prorogation de l'état d'urgence du 21 juillet 2016, la commission des lois du Sénat avait obtenu que cette fermeture ne puisse être prononcée qu'à l'égard des lieux de culte : "en particulier des lieux de culte au sein desquels sont tenus des propos constituant une provocation à la haine ou à la violence ou une provocation à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes". Cette rédaction impose de fonder la décision de fermeture des lieux de culte sur l'existence d'une infraction, ce qui n'est pas une garantie négligeable, si l'on considère que le juge administratif pourra ensuite apprécier la réalité du motif invoqué.
La vie privée
Enfin, la loi du 30 octobre 2017 autorise les "visites et saisies" au domicile des personnes lorsqu'il il existe des de « raisons sérieuses de penser qu’un lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics ».. Là encore, la loi évite de mentionner des "perquisitions", terme réservé aux procédures pénales et susceptible donc de créer une confusion.
samedi 28 octobre 2017
QPC : Le Traitement des antécédents judiciaires ou l'éloge de la complexité
Le TAJ
Un second examen
André Lanskoy. Mythe nébuleux |
Le contrôle de proportionnalité
De la disproportion de l'ensemble
Aucun de ces éléments ne constitue en soi une violation de la constitution, mais le Conseil est visiblement sensible à la disproportion qu'il constate entre l'importance du fichier et la limitation du droit à l'effacement des données. D'une part, les personnes fichées sont très nombreuses et, du moins pour un certain nombre, ne sont coupables d'aucune infraction. C'est vrai des personnes relaxées, acquittées ou qui ont bénéficié d'un non lieu. Mais c'est aussi vrai des victimes qui figurent également dans le TAJ. Très large dans le fichage, le TAJ est également très ouvert à la consultation. Forces de police et de gendarmerie, magistrats, mais aussi fonctionnaires chargés d'enquêtes purement administratives peuvent l'utiliser. D'autre part, et c'est là que réside le contraste, le droit d'effacement n'est ouvert qu'à un nombre très restreint de personnes. C'est précisément ce contraste que sanctionne le Conseil constitutionnel.
Eloge de la complexité
Cette décision marque, à l'évidence, un durcissement par rapport à la première décision rendue en 2011 sur les fichiers d'antécédents judiciaires. A l'époque, le Conseil n'avait formulé aucune réserve sur la procédure d'effacement dont le champ était identique. Cette évolution trouve sans doute son origine dans l'influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, même si l'on sait qu'elle ne saurait lier le Conseil constitutionnel. Dans une décision du 18 avril 2013 M. K. c. France, la juridiction européenne a ainsi sanctionné pour atteinte à la vie privée le Fichier électronique des empreintes digitales (FAED). Il prévoyait en effet une durée de conservation est extrêmement longue, vingt-cinq ans, d'autant plus longue que ce fichage pouvait concerner des personnes condamnées mais aussi d'autres parfaitement innocentes. De même, dans l'arrêt Brunet c. France du 18 septembre 2014, la Cour précise que la procédure d'effacement du Système de traitement des infractions constatées (STIC) doit permettre à l'autorité compétente d'apprécier la proportionnalité du fichage aux finalités du traitement.
Le dialogue des juridictions, devenu désormais une sorte de leitmotiv doctrinal, a donc ses avantages car il repose sur une volonté partagée de développer la protection des données personnelles. Mais aussi ses limites car il suscite une jurisprudence fluctuante, soumise à des influences diverses et parfois difficilement lisibles.
Il convient alors de s'interroger non plus sur la finalité du fichier mais sur celle de la jurisprudence constitutionnelle. A t-elle pour objet de guider le législateur dans l'élaboration de la loi, de mettre en place une sorte de manuel de légistique ? La question mérite d'être clairement posée. En l'espèce, le message du Conseil constitutionnel manque de clarté, lorsqu'il apprécie, au cas par cas, si la durée de conservation des données comme la procédure d'effacement sont proportionnées à la finalité du fichier. Cette appréciation évalue avec le temps, avec le contenu plus ou moins sensible du fichier, avec le nombre des personnes fichées et leur innocence, ou non... autant de paramètres que le législateur devrait prendre en compte avant la création d'un fichier de police. A moins qu'il y renonce et décide d'attendre avec résignation la prochaine QPC.
Sur la protection des données : Chapitre 8 section 5 du manuel de libertés publiques : version e-book, version papier.