Vie privée ou libre circulation
En revanche, le droit de choisir son domicile est, à ses yeux, au coeur de la liberté de circulation garantie par l'article 2 du Protocole n° 4 à la Convention européenne des droits de l'homme. C'est donc sur ce fondement que la requérante conteste le droit néerlandais qui lui refuse de vivre dans le quartier de son choix. De son côté, le gouvernement néerlandais invoque le paragraphe 4 de cette même disposition, qui autorise des restrictions à la libre circulation, si elles sont prévues par la loi, justifiées par l'intérêt public et nécessaires dans une société démocratique.
Lutter contre les ghettos..
Dès lors que l'intérêt public, incontesté, justifie une ingérence à la liberté de domicile de la requérante, il convient ensuite d'apprécier si cette ingérence est nécessaire dans une société démocratique.
Le déménagement. Bernard Delaunay circa 1980. Collection particulière |
... Et créer d'autres ghettos
La Cour commence par s'intéresser à la politique publique elle-même et donc à la loi qui soumet le droit de résider dans un quartier à une autorisation. L'argument principal de la requérante résidait dans ses résultats, pour le moins limités. Parmi les différents rapports dressant le bilan de la loi néerlandaise, celui produit par l'Université d'Amsterdam est présenté comme le plus indépendant. Il affirme que "les quartiers concernés par la loi ont connu une évolution nettement plus défavorable que les autres quartiers de Rotterdam" et en déduit qu'elle "n’a pas concouru à la moindre amélioration". Quant aux personnes les plus pauvres, celles qui n'ont pas obtenu l'autorisation de résider dans le quartier, elles sont contraintes d'aller s'installer ailleurs, dans des zones périphériques "où la qualité de vie et la sécurité sont comparativement en recul". En clair, la politique de la ville ne supprime pas les ghettos, mais en crée de nouveaux, encore plus pauvres.
La Cour ne veut pas entrer dans ce débat et, après l'avoir largement cité, elle écarte le rapport en mentionnant qu'il a été établi postérieurement au refus d'autorisation opposé à Mme Garib, les autorités n'en ayant donc pas connaissance au moment où elles ont pris cette décision. La CEDH rappelle au contraire que la politique de la ville est un domaine "complexe et délicat" dans lequel les Etats conservent une large marge d'appréciation, principe qui était déjà mentionné dans un arrêt de 2011 Ayangil et autres c. Turquie. Au moment où elles refusaient à Mme Garbid son autorisation, les autorités locales étaient donc persuadées du bien-fondé de leur politique. Il ne semble d'ailleurs pas que cette procédure ait été abandonnée au moment où la Cour se prononce.
Celle-ci note par ailleurs que la loi impose un certain nombre de procédures protégeant les personnes ainsi évincées, en particulier l'obligation pour la collectivité locale de démontrer l'existence d'une offre de logement suffisante, dans d'autres quartiers. De même est-il possible de délivrer une autorisation dérogatoire, pour des motifs d'ordre médical ou social. Pour la Cour, il est évident que cette politique urbaine aurait pu être différente, mais, en tant que telle, elle offre un équilibre satisfaisant entre les intérêts en présence.
La situation de l'intéressée
Ceux de Mme Garib ont d'ailleurs été pris en compte et sa situation personnelle explique sans doute, au moins en partie, la relative indifférence de la CEDH à l'égard de la politique urbaine néerlandaise. En effet, la requérante a facilement trouvé un logement satisfaisant dans un autre quartier. Elle n'a pas choisi de rester dans son studio pour atteindre la durée de six mois lui permettant d'obtenir l'autorisation de résider à Tarwewijk. Elle n'a pas davantage souhaité y revenir depuis qu'elle réside ailleurs. Son recours est donc un recours de principe et elle n'a pas subi de dommage particulier.
Sans doute, mais la Cour balaie tout de même un peu rapidement la question du libre choix de la résidence. Au contraire de la requérante, elle refuse d'en faire une question de principe, admettant volontiers qu'un Etat parque les habitants des villes dans des quartiers choisis pour eux. On retrouve là une vision communautaire de la société extrêmement présente aux Pays-Bas. Et la Cour européenne finit ainsi par accepter la constitution de ghettos urbains.
Excellent exemple de plasticité du droit issu de la convention européenne des droits de l'Homme et de reconnaissance d'une marge d'appréciation à l'Etat. A tout le moins, même si les juges de Strasbourg avaient décidé, in limine litis, de rejeter la demande pour des raisons pratiques, peut-être auraient-ils pu faire preuve d'un peu plus de courage pour défendre les principes fondamentaux ?
RépondreSupprimerAu moment où la Cour fait l'objet de critiques répétées de plusieurs Etats pour ses ingérences dans les ordres juridiques internes, un petit geste en leur direction pour les apaiser ne peut pas faire de mal. De la contradiction ontologique entre principe et opportunité...