« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


jeudi 15 juin 2017

Nadine Y. c. Guy Z. : les fondements juridiques de l'injure

La Chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu le 7 juin 2017 une décision qui devrait faire réfléchir celles-ci et ceux qui s'estiment injuriés. Avant de porter plainte formellement, il convient en effet de s'interroger sur le fondement juridique de cette plainte. C'est précisément ce que n'a pas sérieusement fait Nadine Y. , et c'est ce qui explique l'échec de son pourvoi.

Le 11 octobre 2013, alors que Nadine Y.  est conseillère municipale de Toul et conseillère régionale, Guy Z. donne un spectacle à la salle de l'Arsenal de cette ville. Il s'y exprime en des termes pour le moins directs : "  Ah Nadine Y... a été élue ici à Toul ? Vous l'avez échappé belle ! On m'avait promis qu'elle serait là... Quelle conne ! Ah la salope... Qu'elle est vulgaire, mais qu'elle est conne celle-là ! Je l'emmerde ! Il y en a qui applaudissent, il y en a qui huent, c'est bien. C'est la démocratie. Elle est de droite et lâche. C'est un pléonasme. Y..., Y... Elle répète sans arrêt, le peuple, je connais, j'en viens.. Bah retournes y connasse". 

Le caractère injurieux


Ces propos, d'une rare élégance, relèvent à l'évidence de l'invective. L'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse définit l'injure comme "toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure." L'appréciation du caractère injurieux des propos tenus donne lieu cependant à une jurisprudence impressionniste. 

Est d'abord envisagé le caractère privé ou public ou des propos. Cette appréciation est importante car l'injure privée est punie d'une simple contravention, alors que l'injure publique est un délit qui relève du tribunal correctionnel et qui est punissable d'une amende de 12 000 €. En l'espèce, le caractère public ne fait aucun doute, dès lors que quelques milliers de personnes ont assisté au spectacle de Guy Z. et que ses propos ont été largement repris dans les médias.

Au regard de leur contenu, les propos injurieux ne reposent sur aucun fait précis. Dans une décision du 7 décembre 2010, la Cour de cassation fait ainsi observer qu'un tract distribué par un mouvement de soutien aux étrangers sans papiers est injurieux dans la mesure où il qualifie les agents de police d'être "familiers des idées racistes", sans apporter aucun élément factuel de nature à étayer cette accusation. 

Enfin, le juge prend en considération les éléments susceptibles d'atténuer la responsabilité de l'auteur des propos injurieux. L'excuse de provocation peut ainsi être admise lorsque l'injure a été proférée comme une "réaction immédiate et irréfléchie aux propos de la victime". En l'espèce, l'excuse de provocation ne peut cependant pas être invoquée lorsque le plaignant s'appuie sur les dispositions visant l'injure proférée à l'encontre d'une personne dépositaire d'un mandat public, ce qui est le cas en l'espèce. De toute évidence, cette impossibilité a inquiété les défenseurs de Guy Z., qui ont déposé une QPC. Ils estimaient en effet qu'une telle règle portait atteinte au principe d'égalité devant la loi. Si les juges du fond, peut-être impressionnés par la médiatisation de l'affaire, ont transmis la QPC, la Cour de cassation, quant à elle, a refusé le renvoi au Conseil constitutionnel dans un arrêt du 15 mars 2016. 

La qualité de l'auteur de propos est également un élément pris en considération. De manière traditionnelle, les juges sont plus indulgents envers les journalistes et les hommes politiques, estimant que, dans le feu du débat, les propos peuvent parfois dépasser la pensée. La Cour européenne des droits de l'homme elle-même a ainsi reconnu , dans un arrêt du 26 avril 1995 Prager et Oberschlick c. Autriche qu'un article traitant le responsable d'un parti politique d'"imbécile" n'était pas nécessairement constitutif d'une injure. Aux yeux de la Cour, le débat politique peut en effet comporter "une certaine dose d'exagération, voire de provocation".  Cette jurisprudence aurait sans doute pu être invoquée par les avocats de Guy Z., d'autant qu'elle a été étendue aux paroles proférées par un groupe de rap qui appelait à "mettre un billet sur la tête de celui qui fera taire ce con d'Eric Z.". Il est vrai que cette décision, critiquée par la doctrine, n'a pas fait l'objet d'un pourvoi et n'a pas été confirmée par la jurisprudence ultérieure.

Guy Bedos. Toutes des salopes. 1975. Archives INA (avec carré blanc)

Une erreur de fondement juridique


Quoi qu'il en soit, les défenseurs de Guy Z. n'ont pas eu besoin de se pencher sur la question. Ceux de Nadine Y. ont en effet choisi un fondement juridique qui n'avait pas beaucoup de chances de la conduire au succès. Au lieu de se fonder sur l'article 29 de la loi de 1881, ils se sont appuyés sur l'article 33 de ce même texte. Il punit l'injure proférée "à raison de leurs fonctions ou de leur qualité, envers (...) un dépositaire ou agent de l'autorité publique, (...) un citoyen chargé d'un service ou d'un mandat public temporaire ou permanent, etc". En l'occurrence, Nadine Y.  exerce effectivement un mandat au conseil régional et elle est également membre du conseil municipal de Toul. Le choix de l'article 33 lui permet d'envisager une sanction plus lourde puisque l'amende encourue est cette fois de 45 000 €. 

Hélas, la jurisprudence considère depuis bien longtemps que l'injure doit, dans ce cas, "caractériser des actes se rattachant à la fonction de ces personnes ou à la qualité dont elles sont revêtues". Dans un arrêt du 22 juin 1944, la Cour de cassation avait déjà écarté le fondement de l'article 33 pour des injures proférées contre un huissier qui n'était pas dans l'exercice de ses fonctions. A contrario, relèvent de l'article 33 les propos du maire d'une commune qui, lors d'une manifestation contre l'implantation d'un centre d'enfouissement d'ordures ménagères dans sa commune, donne une interview dans laquelle il engage les autorités de la Polynésie française à "nettoyer les ordures qui dirigent ce pays". (Crim., 19 février 2002). 

En l'espèce, les propos de Guy Z. ne visaient en aucun cas la manière dont Nadine Y. exerçait ses mandats. La seule référence à son activité politique réside dans la mention selon laquelle elle était "de droite", propos dont on ne sait s'il doit être, en tant que tel, qualifié d'injure. La Cour de cassation en déduit que les propos ne se rattachent pas à la fonction exercée par Nadine Y. mais plutôt à sa personne privée. Son pourvoi est donc rejeté et Guy Z. échappe ainsi à la condamnation pour injure. Nadine Y.  a "perdu son procès", selon les termes figurant dans la presse, parce qu'elle a choisi le mauvais fondement juridique, soit parce qu'elle était mal conseillée, soit parce que son ego lui dictait de se présenter comme une élue et non pas comme une simple citoyenne, soit parce qu'elle souhaitait que l'auteur des propos outrageants soit plus lourdement condamné. Dans tous les cas, elle a quelques jours pour maudire ses juges... en termes bien sentis.

Sur l'état d'urgence   : Chapitre 9 § 1 A  du manuel de libertés publiques sur internet.




lundi 12 juin 2017

Etat d'urgence : Interdiction de séjour et liberté de manifester

La décision Emile L. rendue sur question prioritaire de constitutionnalité par le Conseil constitutionnel le 9 juin 2017 a été présentée dans la plupart des médias de manière remarquablement uniforme. Qu'il s'agisse du Monde, du Figaro, des Echos, le titre est, à chaque fois, identique : "Le Conseil constitutionnel censure l'interdiction de manifester". La lecture de la décision montre pourtant que la référence à la liberté de manifester ne figure que dans les moyens articulés par le requérant, mais pas dans les motifs développés par le Conseil constitutionnel. 

Interdiction de séjour et liberté de manifester

 

En réalité, les titres médiatiques ne cultivent pas le contresens, mais seulement l'ambiguïté. La disposition censurée est l'alinéa 3 de l'article 5 de la loi du 3 avril 1955 sur l'état d'urgence, qui permet, ou plutôt permettait jusqu'à son abrogation, "d'interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l'action des pouvoirs publics". Le requérant s'est donc vu notifier une interdiction de séjour à Paris le 27 juin 2016. Il n'a donc pas pu, et c'est la conséquence de son interdiction de séjour, participer à une manifestation contre la loi travail. 

La liberté de manifester est donc atteinte, en quelque sorte par ricochet. Cette observation n'est pas inutile, car elle permet de nuancer quelque peu les titres des journaux. Le Conseil constitutionnel ne censure pas un texte permettant d'interdire globalement une manifestation, mais une disposition fondant un acte purement individuel interdisant à une personne précisément dénommée de se rendre dans une zone fixée par arrêté, zone dans laquelle se déroule, éventuellement mais pas nécessairement, une manifestation. Il est donc naturel que le Conseil se fonde sur l'atteinte à la liberté de circulation et non pas sur l'atteinte à la liberté de manifester.

Appréciation des garanties offertes à la personne

 

Dans sa décision QPC du 22 décembre 2005, Cédric. D., le Conseil constitutionnel affirme régulièrement que "la Constitution n'exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d'état d'urgence ; qu'il lui appartient, dans ce cadre, d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et, d'autre part, le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République". Parmi ces droits figure évidemment la liberté d'aller et de venir, que le Conseil considère comme une composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Il revient donc au Conseil d'apprécier si cette conciliation a été convenablement opérée par le législateur. C'est ainsi que le régime d'assignation à résidence a été validé par cette même décision Cédric D. En revanche, la décision QPC Sofiyan I. du 16 mars 2017 censure le régime des assignations de longue durée, dans la mesure où le législateur avait confié au Conseil d'Etat une double compétence aussi bien pour les autoriser que pour les contrôler. Cette double compétence est tout de même apparue un peu fâcheuse au regard du principe d'impartialité.

Sur ce point, la décision du 9 juin 2017 est la conséquence logique de celle du 16 mars. Le Conseil se livre, de la même manière, à une appréciation des garanties offertes à la personne visée par l'arrêté d'interdiction. Et l'analyse est rapidement faite, car le Conseil constate que le "législateur n'a soumis cette interdiction de séjour à aucune condition et il n'a encadré sa mise en oeuvre d'aucune garantie".  Le texte est en effet extrêmement laconique, issu d'une rédaction qui n'a pas été modifiée depuis 1955. Aucune disposition ne vient préciser comment il doit être mis en oeuvre, en particulier dans l'hypothèse où l'interdiction de séjour s'inscrit dans une périmètre incluant le domicile et/ou le lieu de travail de l'intéressé.

La foule bleue et rouge. La manifestation. Andrée Pollier. 1984

Le contrôle du juge


Ce laconisme est d'autant plus fâcheux que la juridiction administrative, compétente en matière de recours contre une interdiction de séjour prononcée sur le fondement de l'état d'urgence, se borne à exercer un contrôle restreint. Dans un arrêt du 25 juillet 1985, rendu à l'époque de la mise en oeuvre de l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie, le Conseil d'Etat se limite ainsi à vérifier l'exactitude matérielle des faits et l'absence d'erreur manifeste d'appréciation par le préfet. A aucun moment, le Conseil d'Etat n'a exigé, par exemple, l'exercice des droits de la défense préalablement à la décision. Certes, le juge administratif a désormais étendu son contrôle sur les mesures de police mais, en l'absence de contentieux, il est bien difficile de savoir jusqu'où il aurait pu l'étendre en matière d'interdiction de séjour.

Précisément, le Conseil constitutionnel constate que les motifs susceptibles de fonder une interdiction du territoire sont définis par la loi avec une certaine forme de légèreté. Cette mesure peut être prise en effet à l'encontre "de toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l'action des pouvoirs publics". Il n'est donc pas dit que l'interdiction du territoire doit nécessairement reposer sur une atteinte à l'ordre public. 

Une zone grise de l'état d'urgence


L'interdiction de séjour constitue, à l'évidence, une zone grise de l'état d'urgence. Alors que le Conseil d'Etat n'a fait que renforcer son contrôle en matière d'assignation à résidence, alors que la Cour de cassation apprécie désormais la légalité des arrêtés prescrivant une perquisition, l'interdiction de séjour reste un domaine peu contrôlé. Les rapports parlementaires sur les différentes prorogations de l'état d'urgence comme celui de la Commission des lois chargée d'en assurer le suivi sont restés très discrets sur ce point. On ne dispose donc que des chiffres publiés par Amnesty International en mai 2016. L'O.N.G.  recense 639 mesures d'interdiction de séjour prises entre novembre 2015 et mai 2017, dont 574 auraient visé des personnes désirant manifester contre la loi travail. Certes, ces chiffres sont modestes, mais ils montrent cependant clairement que l'interdiction de séjour est effectivement utilisée dans le but d'empêcher certaines personnes de participer à des rassemblements publics. 

Quelles seront les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel ? Cette mesure d'interdiction de séjour va-t-elle disparaître de l'arsenal juridique ? C'est assez peu probable. En témoigne le fait que le Conseil constitutionnel reporte les effets de l'abrogation au 15 juillet 2017, le temps pour le législateur de rendre la procédure plus rigoureuse et de préciser les motifs justifiant une telle mesure. Le calendrier est favorable, puisque l'on va bientôt discuter du projet créant une police spéciale du terrorisme.


Sur l'état d'urgence   : Chapitre 2 du manuel de libertés publiques sur internet.

vendredi 9 juin 2017

De l'état d'urgence à une police spéciale du terrorisme

L'avant-projet de loi renforçant la lutte contre le terrorisme et la sécurité a été diffusé par Le Monde le 8 juin 2017, dans le but, nous dit-on, d'ouvrir le débat public. A dire vrai, il était déjà ouvert  par les opposants "historiques" à l'état d'urgence qui redoutent qu'il ne devienne permanent et qui dénoncent sa banalisation. On peut évidemment comprendre cette crainte, mais les partisans du texte font, quant à eux, observer que ce n'est pas l'état d'urgence qui se banalise mais le terrorisme. 

A travers ce débat, on peut discerner les difficultés rencontrées pour définir le régime juridique du terrorisme. Il est assez facile d'organiser le droit pénal destiné à réprimer les infractions liées au terrorisme et la loi Urvoas du 3 juin 2016 a pu renforcer les pouvoirs du juge, par exemple en matière de perquisitions de nuit, sans susciter de sérieuse opposition dans l'opinion. En revanche, il est plus délicat de légiférer sur sa prévention. En adoptant une loi pérenne, on accepte, et c'est évidemment très dérangeant, de considérer que le terrorisme n'est plus un évènement exceptionnel connu à travers les différentes "vagues" qui ont frappé notre pays. C'est désormais un élément contextuel qui menace l'ensemble de la vie en société, menace qui franchit les frontières, face noire d'une mondialisation dont on vantait généralement les bienfaits. Le parlement légifère donc aujourd'hui à partir d'une approche globale et permanente de la menace terroriste. 

Bien entendu, l'avant-projet sera probablement profondément modifié, après l'avis du Conseil d'Etat et durant le débat parlementaire. En son état actuel, il laisse apparaitre de nombreuses zones d'ombres et une rédaction parfois incertaine. Il est pourtant suffisamment élaboré pour que l'on puisse constater qu'il vise à créer une police spéciale du terrorisme, système de police administrative qui repose sur la méfiance à l'égard du juge judiciaire.

Une police spéciale du terrorisme


L'avant-projet de loi organise une nouvelle police spéciale du terrorisme, police administrative qui permet de limiter l'exercice de certaines libertés publiques en fonction de la menace pour l'ordre public que représente le terrorisme. Si l'on voulait résumer son contenu, on pourrait le présenter comme un texte reprenant les dispositions principales des lois sur l'état d'urgence enrichies des décisions de jurisprudence intervenues dans ce domaine. Bon nombre de libertés peuvent ainsi être limitées au nom du terrorisme. 

Calvin and Hobbes

La liberté de circulation


La première d'entre elles est la liberté de circulation. Il est ainsi ajouté un chapitre 6 au code de la sécurité intérieure, qui autorise la création, par arrêté préfectoral, de périmètres de protection pour assurer la sécurité d'un lieu ou d'un évènement. Rien de bien nouveau dans ce domaine et les forces armées comme les forces de police mettent déjà en place des "bulles" destinées à protéger un évènement, tel que le G8 de Dauville en 2011, le 70è anniversaire du Débarquement en Normandie ou encore la coupe d'Europe de football en 2016. L'avant-projet se propose de donner un fondement législatif à cette pratique, ce qui permet de préciser les conditions d'entrée et de sortie dans ce périmètre.

L'avant-projet permet aussi des atteintes à la circulation visant cette fois des individus nommément désignés. Est ainsi visée la "personne à l'égard laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité pour la sécurité et l'ordre publics". La formule est exactement celle adoptée par les différentes lois sur l'état d'urgence, depuis celle du 20 novembre 2015. Elle est aujourd'hui complétée par quelques précisions sur le comportement visé. Est ainsi concerné celui qui "entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme", formule assez simple qui car elle peut être appréciée de manière objective. En revanche, beaucoup moins claire est la référence au comportement qui consiste à "soutenir ou adhérer à des des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme  (...) ou faisant l'apologie de tels actes". La notion d'apologie a une contenu juridique, notamment en matière d'apologie de crimes de guerre. Celle de soutien ou d'adhésion à des thèses incitant au terrorisme, beaucoup moins. On peut se demander si cette disposition suvivra au débat parlementaire, alors même que le Conseil constitutionnel, dans une QPC du 10 février 2017, a abrogé le délit de consultation habituelle de sites terroristes. 

Quoi qu'il en soit, l'assignation à résidence entre dans l'arsenal législatif de droit commun. Décidée par le ministre de l'intérieur, elle peut s'accompagner d'un dispositif de surveillance électronique. Reprenant sur ce point la jurisprudence du Conseil d'Etat, le texte précise que cette assignation doit permettre à l'intéressé de "poursuivre sa vie familiale et professionnelle". De même, pour tenir compte de la décision QPC rendue par le Conseil constitutionnel le 16 mars 2017, il est prévu, depuis la loi du 19 décembre 2016, que cette mesure ne peut être prise que pour trois mois renouvelables, "sur la base d'éléments nouveaux ou complémentaires". Cette condition risque cependant d'avoir fort peu d'effets concrets car, dans une ordonnance de référé du 25 avril 2017, le Conseil d'Etat s'est contenté d'apprécier la menace que représente la personne pour l'ordre public, sans trop se préoccuper de recherches des éléments nouveaux.

La liberté de culte


L'avant projet envisage un nouveau chapitre VII dans le code de la sécurité intérieure, permettant à l'autorité administrative de décider la fermeture de lieux de culte. On sait que, dans sa rédaction ancienne, l'article 8 de la loi du 3 avril 1955 autorisait le préfet ou le ministre de l'intérieur à ordonner "la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature". Dans la loi du 21 juillet 2016, la commission des lois du Sénat a obtenu que soit ajouté à cette phrase : "en particulier des lieux de culte au sein desquels sont tenus des propos constituant une provocation à la haine ou à la violence ou une provocation à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes". Cette rédaction impose de fonder la décision de fermeture des lieux de culte sur l'existence d'une infraction, ce qui n'est pas une garantie négligeable, si l'on considère que le juge administratif pourra ensuite apprécier la réalité du motif invoqué. 

La vie privée


Ces mesures autorisées en matière de lutte contre le terrorisme ont pour caractéristique de constituer autant d'ingérences dans la vie privée. Certes, ce type d'ingérence n'est pas nécessairement illicite si elle prévue par loi, répond à un but légitime et demeure proportionnée à la menace, conditions posées par la Convention européenne des droits de l'homme. 

Il est ainsi prévu de contraindre la personne assignée à résidence à "déclarer ses identifiants de tout moyen de communication électronique". Cette obligation avait déjà été envisagée dans les débats précédant le vote de la loi du 3 juin 2016 déjà destinée à renforcer la lutte contre le crime organisé et le terrorisme. Mais la commission des lois du Sénat l'avait supprimée. Contrairement à ce qu'affirment certains, cette disposition n'emporte aucune atteinte aux droits de se taire et de ne pas s'auto-incriminer. Une nouvelle fois, il convient en effet de rappeler que ces droits sont exclusivement mis en oeuvre en matière pénale et ne s'appliquent donc pas à une procédure purement administrative. A dire vrai, cette disposition semble surtout destinée à vérifier la conformité des propos de la personne assignée à ce que les services de renseignement savent déjà.

En matière de perquisitions, qui constituent aussi des atteintes à la vie privée en tant que telles, l'avant-projet reprend largement le droit existant issu de l'état d'urgence et plus précisément de la loi du 21 juillet 2016. Le Conseil constitutionnel, dans une décision QPC du 16 mars 2017, a cependant déclaré inconstitutionnelle la procédure qui faisait intervenir le juge des référés du Conseil pour autoriser la perquisition, en lui confiant en même temps le contrôle a posteriori de cette mesure. L'avant-projet tire les conséquences de cette décision en attribuant au procureur de la République de Paris la compétence d'autorisation, conservant celle du Conseil d'Etat pour le contrôle. 

Le juge judiciaire écarté


Précisément, et c'est sans doute le plus gênant dans ce texte, la seule apparition du juge judiciaire est celle du procureur. C'est lui qui autorise les perquisitions, c'est aussi lui qui est informé, et seulement informé, des assignations à résidence. Or nul n'ignore que le procureur demeure rattaché à l'Exécutif par un lien hiérarchique, la Cour européenne considérant, quant à elle, qu'il n'est pas un magistrat "indépendant" au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.

Emmanuel Macron avait pourtant proposé, durant la campagne, la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, afin de garantir l'indépendance des procureurs. Le projet Bayrou semble vouloir tenir cette promesse. En perpétuant cette tradition de méfiance à l'égard du juge judiciaire, l'avant-projet de loi parait en décalage avec cette volonté réformatrice. Ce rejet du juge judiciaire apparaît encore plus nettement si l'on considère que la Cour de cassation a récemment rappelé, dans trois arrêts du 13 décembre 2016, qu'elle était aussi compétente pour apprécier la légalité des actes administratifs intervenus sur le fondement de l'état d'urgence, en particulier en matière de perquisitions. Sur ce point, on cherche vainement l'innovation introduite par le texte. Comme sous les gouvernements précédents, le Conseil d'Etat est présenté comme le juge unique de cette nouvelle police administrative. L'article 66 de la Constitution qui énonce pourtant que le juge judiciaire est "gardien de la liberté individuelle" est purement et simplement écarté. C'est pourtant le juge judiciaire, juge du siège, qui, détaché de tout lien d'allégeance à l'Exécutif, serait le mieux en mesure de contrôler la mise en oeuvre d'un droit extrêmement dérogatoire au droit commun.


Sur l'état d'urgence   : Chapitre 2 du manuel de libertés publiques sur internet.

lundi 5 juin 2017

La fin de vie devant le Conseil constitutionnel

Pour la première fois, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur le droit de la fin de vie, dans une décision rendue  sur question prioritaire de constitutionnalité (QPC) le 2 juin 2017 à la demande de l'Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésésLa loi du 22 avril 2005, puis celle du 2 février 2016, n'avaient en effet pas été déférées au Conseil au moment de leur vote. Ce n'est pas surprenant si l'on considère qu'un consensus parlementaire est généralement recherché sur les sujets éthiques. En témoigne le fait que le texte le plus récent était défendu à la fois par Jean Léonetti (LR Alpes Maritimes) et par Alain Claeys (PS Vienne). A l'issue de la procédure, il n'existait donc pas de majorité parlementaire suffisamment structurée pour saisir le Conseil.

C'est donc par la voie de la QPC que le Conseil déclare aujourd'hui conforme à la Constitution la procédure d'arrêt des traitements, lorsque le patient n'est pas en mesure d'exprimer sa volonté et qu'il n'a pas laissé de directives anticipées ou n'a pas désigné un tiers de confiance susceptible de la faire connaître. En l'espèce, les dispositions contestées sont les articles L 1110-5-1, L 1110-5-2 et L 1111-4 du code de la santé publique, dans leur rédaction résultant de la loi du 2 février 2016. Ce sont eux qui prévoient que l'arrêt des traitements est une décision de l'équipe médicale, précédée d'une procédure consultative par laquelle les proches peuvent rapporter la volonté du patient, ou plus simplement donner leur propre avis si cette dernière n'est pas clairement établie.

Droit à la vie et dignité de la personne humaine


L'association requérante invoque le droit à la vie. Elle n'a sans doute pas beaucoup d'espoir de le voir pris en considération par le Conseil constitutionnel, mais on pourrait dire qu'il s'agit là d'un passage obligé. En matière éthique, le droit à la vie a toujours été invoqué, et toujours en vain, pour contester aussi bien le droit à l'IVG que la fécondation in vitro ou la recherche sur l'embryon. Les réticences du Conseil s'expliquent sans doute par son caractère induit, car le Conseil constitutionnel le considère comme la conséquence du principe de dignité. Ce dernier figure dans le Préambule de 1946 et a été consacré par le Conseil comme principe à valeur constitutionnelle par la  décision du 27 juillet 1994.

De fait, le Conseil observe que le soin de préciser le contenu du droit à la vie relève de la compétence du législateur, et de lui seul, conformément à l'article 34 de la Constitution. Il précise ainsi "qu'il appartient au législateur de fixer es garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques, notamment en matière médicale, de déterminer les conditions dans lesquelles une décision d’arrêt des traitements de maintien en vie peut être prise, dans le respect de la dignité de la personne". Et il ajoute, selon une formule désormais bien connue qu'il "ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement".

Le parlement a donc décidé de confier à l'équipe médicale, et non pas à la famille du patient, le soin de prendre la décision d'arrêt des traitements. Ce choix a été largement débattu et il repose sur le volonté de ne pas faire peser sur les proches la responsabilité d'un choix extrêmement difficile.

Si l'association requérante n'obtient pas satisfaction sur le fond, ce qui était largement prévisible, la décision donne au Conseil l'occasion de rappeler un certain nombre de principes de nature procédurale particulièrement utiles à la mise en oeuvre d'un droit récent et souvent mal compris.

Le droit à un recours juridictionnel effectif


Depuis sa décision du 9 avril 1996, le Conseil constitutionnel déduit l'existence d'un droit au recours juridictionnel effectif des dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : 'Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution". Il est désormais acquis, en particulier depuis la décision Albin R. du 25 novembre 2011, que cet article 16 fait partie des "droits et libertés que la Constitution garantit" et peut donc être invoqué à l'appui d'une QPC.

En l'espèce, le Conseil constitutionnel ne sanctionne pas l'absence de droit au recours, tout simplement parce que la décision de l'équipe peut parfaitement être contestée devant le juge administratif. C'est ainsi que le Conseil d'Etat s'est prononcé le 24 juin 2014 sur la décision de suspension du traitement de Vincent Lambert, en état végétatif depuis presque une dizaine d'années. De la même manière, le juge des référés du Conseil d'Etat a accepté d'élargir les conditions du référé pour suspendre la décision d'arrêter les traitement de la petite Marwa, par une ordonnance du 8 mars 2017.

S'il n'accueille pas le grief tiré de l'absence de droit au recours, le Conseil constitutionnel prend soin de formuler deux réserves d'interprétation précisant les garanties procédurales qui doivent le faciliter.

Georges Brassens. L'Ancêtre. 1969

Les réserves d'interprétation

 

Il impose d'abord la notification formelle de la décision prise par l'équipe médicale à l'ensemble des personnes consultées. Certes, il est très probable que cette formalité était déjà mise en oeuvre mais force est de constater qu'elle ne figurait pas expressément dans la loi Léonetti ni dans le décret du 2 février 2016 précisant l'organisation de la procédure consultative. Il s'agit là d'une simple précision, mais elle se révélera sans doute fort utile dans un domaine marqué par l'existence de graves conflits familiaux, comme dans l'affaire Lambert.

La seconde réserve réside dans une obligation de célérité liée à une utilisation privilégiée de la procédure de référé. Le Conseil affirme ainsi que le recours "doit pouvoir être examiné dans les meilleurs délais par la juridiction compétente aux fins d’obtenir la suspension éventuelle de la décision contestée". En insistant ainsi sur l'intérêt du référé pour les parties, le Conseil constitutionnel valide implicitement l'élargissement de ses conditions réalisée par le juge des référés, dans l'affaire Marwa.

Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale (…) ». Ces dispositions indiquent donc que le juge des référés ne peut faire cesser une atteinte à une liberté fondamentale que lorsque cette atteinte est "manifestement illégale". Dans l'affaire Marwa, le juge des référé s'autorise à contrôler si la continuation du traitement de l'enfant peut, ou non, s'analyser comme une "obstination déraisonnable" au sens de la loi Léonetti. Il pénètre donc dans un contrôle de légalité classique qui n'est plus limité au contrôle de la disproportion manifeste habituellement exercé en matière d'urgence. Cet élargissement est, à l'évidence, lié au caractère irrémédiable de la décision du juge. Le refus de suspendre une telle décision a pour conséquences, rappelons-le, d'entraîner l'interruption des soins et donc le décès de la personne. Dans ce cas très particulier, le Conseil d'Etat a admis d'intégrer le contrôle de légalité dans la procédure de référé, et le Conseil constitutionnel, en insistant sur l'intérêt du référé, valide cette pratique.

Comme souvent dans ces domaines sensibles, la QPC a un effet absolument opposé à ce qu'attendait l'association requérante. Au lieu de fragiliser la  procédure d'arrêt des soins et la loi Léonetti, elle la renforce. Même les réserves d'interprétation sont destinées à assurer que l'arrêt des soins n'interviendra qu'à l'issue d'une procédure rigoureuse, marquée par une consultation formelle avec la famille et lui offrant une large possibilité de recours. Mais il n'en demeure pas moins que l'essentiel de la loi Léonetti est maintenu : la suspension des traitements demeure une décision de l'équipe médicale.


Sur le droit de mourir dans la dignité  : Chapitre 8 section 4 § 1 C du manuel de libertés publiques sur internet

mercredi 31 mai 2017

La campagne électorale radio-télévisée, première victime de la recomposition politique

Le 31 mai 2017, le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnel l'article L 167-1 du code électoral fixant les règles relatives à la durée des émissions de la campagne électorale pour les élections législatives. A l'occasion d'un référé demandant la suspension de la décision du Conseil supérieur de l'audiovisuel du 23 mai 2017 fixant les temps d'antenne attribués aux différents partis pour les élections des 11 et 18 juin 2017, l'association En Marche a posé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur l'article L 167-1 du code électoral.

L'article 167-1 du code électoral, demeuré pratiquement inchangé depuis la loi du 29 décembre 1966,  est ainsi la première victime de la recomposition politique engagée par Emmanuel Macron. En effet, il repose sur une distinction entre les partis représentés par un groupe parlementaire, et ceux qui ne le sont pas. Les premiers se partagent trois heures d'antenne au premier tour, et une heure trente au second, réparties de manière égale entre la majorité et l'opposition. Quant aux seconds, ils se voient octroyer chacun sept minutes au premier tour et cinq au second, à la condition qu'ils présentent des candidats dans au moins soixante-quinze circonscriptions. Tout le monde aura compris que la loi a été votée par un Parlement soucieux de protéger les groupes parlementaires en place et les partis politiques dont ils sont l'expression. On peut d'ailleurs s'étonner que ces dispositions ne soient contestées qu'aujourd'hui. Le Front National en particulier, qui s'est toujours plaint d'être marginalisé, n'a en effet jamais eu l'idée d'une QPC de ce type. Peut-être manque-t-il de juristes compétents ?

Quoi qu'il en soit, la question est particulièrement pertinente aujourd'hui. Comme on le sait, les élections législatives actuelles sont marquées par l'émergence d'un mouvement nouveau, République en Marche, dont la caractéristique essentielle réside dans le fait qu'il n'existait pas il y a quelques mois, et qu'il n'est donc pas encore représenté au Parlement. En revanche, il a porté Emmanuel Macron à la Présidence de la République, succès qui témoigne de son importance. L'application de l'article L 167-1 du code électoral par le CSA conduit cependant à ne lui accorder que 12 minutes de temps d'antenne sur l'ensemble des deux tours, alors que le Parti Socialiste en a 120 et Les Républicains 103. Situation étrange, car le mouvement vainqueur de l'élection présidentielle peut à peine se faire entendre dans la campagne officielle, alors que ceux qui ont essuyé une défaite cuisante et dont la représentativité est pour le moins écornée se taillent la part du lion.

Les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage.


L'association requérante s'appuie essentiellement sur l'article 4 de la Constitution qui énonce que "les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage". Surtout, depuis la révision de 2008, il consacre dans son alinéa 3 le pluralisme des courants d'idées et d'opinions. Sur ce point, la révision ne faisait qu'intégrer un principe déjà affirmé par la voie prétorienne, depuis la décision du 11 janvier 1990. Ce principe n'a toutefois pas tout à fait la même intensité lorsqu'il s'applique à l'organisation ou la régulation de la vie politique et lorsqu'il intervient dans le domaine de la communication politique.

Dans le premier cas, le Conseil rattache directement le principe de pluralisme des courants d'opinions à l'égalité devant le suffrage. Dans une décision du 12 février 2004, il affirme ainsi qu'une règle électorale "qui affecterait l'égalité entre électeurs ou candidats dans une mesure disproportionnée" entrainerait une violation de l'article 4 de la Constitution.

Dans le second cas, c'est-à-dire en matière de communication, le Conseil se montre plus souple. Conduit à apprécier la loi organique portant sur l'organisation des récentes élections présidentielles, il admet ainsi que l'accès aux médias peut reposer sur des considérations d'équité et non pas d'égalité. Estimant qu'un tel choix favorise "la clarté du débat électoral", il considère dans une décision du 21 avril 2016, que les partis les plus puissants dans les sondages peuvent bénéficier d'une couverture médiatique plus importante.

Certes, mais le système mis en place en avril 2016 pour les présidentielles, même discutable, avait au moins le mérite de refléter la situation présente, alors que l'article L 167-1 du code électoral organise la campagne à partir de l'organisation de l'ancienne législature. Le Conseil constitutionnel commence donc par affirmer qu'il "lui appartient de veiller à ce que les modalités qu'il fixe ne soient pas susceptibles de conduire à l'établissement de durées d'émission manifestement hors de proportion avec la participation de ces partis (...) à la vie démocratique de la Nation". En l'espèce, il considère que le législateur peut, pour des élections au parlement, fixer des modalités différentes d'accès à la campagne audiovisuelle, selon que les partis sont ou non représentés à l'Assemblée nationale par un groupe parlementaire. Ce n'est donc pas, en soi, inconstitutionnel. En revanche, un tel partage devient inconstitutionnel si l'accès des autres groupements, ceux qui ne sont pas représentés à l'Assemblée, est manifestement hors de proportion avec leur représentativité dans l'opinion. Le Conseil estime donc que les groupements non représentés à l'Assemblée ne doivent pas être traités de manière identique mais qu'il convient de tenir compte de leur représentativité. Autrement dit, En Marche doit bénéficier d'un temps d'antenne plus important que les groupuscules qui ne représentent qu'eux-mêmes.


Le Parti d'en rire. Pierre Dac et France Blanche. 1965

Une "réserve d'interprétation transitoire"


Le Conseil constitutionnel formule à ce propos ce qu'il qualifie de "réserve d'interprétation transitoire". Il affirme qu'en cas de disproportion manifeste entre la représentativité des partis représentés par un groupe parlementaire et ceux qui ne le sont pas, il conviendra de modifier à la hausse le temps d'antenne attribués à ces derniers, sans toutefois qu'il ne puisse excéder cinq fois les durées prévues par le code électoral. En Marche devrait donc bénéficier de 60 minutes de temps d'antenne.

Urgence et rapidité


Que va-t-il se passer maintenant ? On observe que le juge des référés du Conseil d'Etat, qui avait sursis à statuer durant l'instruction de la QPC, a rendu sa décision quelques heures après celle du Conseil constitutionnel. Il déclare que les conclusions à fin de suspension de la décision du CSA sont désormais sans objet et renvoie à ce dernier le soin d'organiser concrètement la campagne audiovisuelle, ou du moins ce qu'il en reste. La décision du CSA devrait donc intervenir dans les prochaines heures.

Sur le fond, le Conseil constitutionnel n'a pas voulu ôter tout fondement légal au système actuel car la campagne est actuellement en cours et des décisions doivent être prises en urgence. En effet, la campagne officielle s'est ouverte le 22 mai, le juge des référés du Conseil d'Etat a été saisi le 24, et il s'est prononcé le 29 en renvoyant la QPC au Conseil constitutionnel. Les décisions du Conseil constitutionnel et du juge des référés du Conseil d'Etat interviennent donc 9 jours après le début de la campagne, soit pratiquement à la moitié.

La décision du Conseil constitutionnel permet, à court terme, une certaine forme de bricolage juridique permettant de tenir compte de l'irruption d'un nouveau parti dans le paysage public. A moyen terme, en revanche, le législateur devra intervenir car le Conseil a pris soin de reporter l'abrogation de l'article L 167-1 du code électoral au 30 juin 2018. Le législateur a donc un an pour modifier les règles.

Eloge de la QPC


La campagne officielle n'a certainement qu'une influence limitée sur les résultats d'une consultation électorale. Elle n'attire qu'un nombre limité de spectateurs et paraît aujourd'hui bien anachronique par rapport aux débats télévisés et aux réseaux sociaux. Si le législateur décidait sa suppression, il y aurait sans doute peu de monde pour la regretter.

Mais l'intérêt de la décision du Conseil constitutionnel est peut-être ailleurs, dans la mesure où elle illustre le caractère indispensable de la QPC. En effet la disposition contestée avait été votée et maintenue durant de nombreuses années par un parlement désireux de maintenir les privilèges des partis en place. L'Assemblée nationale était leur pré carré et il n'était pas question de laisser des nouveaux venus prendre trop de place. Il était donc impossible que ce type de disposition soit contesté par le contrôle de constitutionnalité a priori. A l'exception du Président de la République et du premier ministre qui n'usent pratiquement pas de leur droit de saisine,  l'initiative du contrôle a priori n'appartient aux parlementaires et aux présidents des assemblées. Ce ne sont évidemment pas eux qui allaient contester une loi protégeant l'emprise des partis politique sur la campagne électorale. Il reste donc la QPC, seul moyen d'obtenir le contrôle de la constitutionnalité d'une disposition qui avait pour fondement et pour effet de protéger les partis en place et d'empêcher l'arrivée des nouveaux venus. La QPC apparaît ainsi comme le moyen essentiel permettant d'écarter des lois votées par le parlement dans son seul intérêt.

 Sur la QPC : Chap 4, section 1 § 2  du manuel de libertés publiques.

mardi 30 mai 2017

L'avocat en garde à vue : oui.. mais.

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Le droit à l'assistance d'un avocat durant la garde à vue est-il un droit qui doit être garanti en tant que tel, indépendamment de la procédure pénale dont il constitue la première étape ? La Cour européenne des droits de l'homme répond négativement à cette question dans son arrêt de Grande Chambre du 12 mai 2017 Simeonovi c. Bulgarie.

Le requérant Lyuben Filipov Simeonov a été condamné par les tribunaux bulgares à une peine de réclusion à perpétuité pour le braquage d'un bureau de change au cours duquel deux personnes ont été tuées. La cour suprême de cassation bulgare a confirmé cette condamnation en 2003. Devant la Cour européenne des droits de l'homme. M. Simeonov conteste d'une part ses conditions de détention, d'autre part le fait qu'il n'a pas eu accès à l'assistance d'un avocat dès le début de la garde à vue. Dans un arrêt de chambre du 20 octobre 2015, il a obtenu satisfaction sur le premier point, les juges estimant que ses conditions de détention s'analysaient comme un traitement inhumain et  dégradant au sens de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme. En revanche, le second moyen fondé sur l'absence d'avocat dès le début de la garde à vue a été rejeté. C'est donc sur ce point, et uniquement sur ce point, que la Grande Chambre est invitée à se prononcer.

La requête est ainsi de nature purement procédurale, d'autant que la culpabilité de M. Simeonov n'est pas sérieusement contestée. Il a certes refusé de passer aux aveux durant sa garde à vue, en l'absence d'un défenseur, et même devant le juge d'instruction lorsqu'il a été assisté, dans un premier temps, par un avocat commis d'office. C'est seulement après avoir finalement recruté celui de son choix qu'il a avoué être l'auteur du braquage et des deux meurtres, avant de se rétracter partiellement. En tout état de cause, des preuves scientifiques, des témoignages et de nombreux éléments matériels et documentaires venaient appuyer l'accusation et la condamnation repose sur un ensemble de preuves.

L'assistance d'un avocat durant la garde à vue


La présence de l'avocat dès le début de la garde à vue a été imposée par la Cour européenne des droits de l'homme dans l'arrêt Salduz c. Turquie du 27 novembre 2008. On sait que cette décision est directement à l'origine de la condamnation de la France par la décision Brusco c. France du 14 octobre 2010, condamnation qui a suscité une évolution radicale du droit de la garde à vue. Depuis cette date, il est constamment répété que le droit à l'assistance d'un avocat dès le début de la garde à vue est un droit fondamental. Et de la nature fondamentale de ce droit, on finit par déduire son caractère absolu. C'est du moins ce qu'affirment les avocats, parfaitement dans leur rôle, qui, depuis lors, combattent inlassablement pour étendre leurs prérogatives durant cette période clé de la procédure pénale, en demandant en particulier l'accès à l'intégralité du dossier.

L'interrogatoire. Léonard-Tsuguharu Foujita (1886-1968)

Un droit qui n'est pas absolu


L'analyse de la jurisprudence montre pourtant que le droit à l'assistance durant la garde à vue n'a rien d'absolu dès lors qu'il n'est pas autonome.  Dès l'affaire Salduz, la Cour affirme qu'il est possible d'y déroger si deux conditions sont réunies. D'une part, l'Etat doit démontrer qu'il a des "raisons impérieuses" de restreindre ce droit.  C'est sur ce fondement que l'arrêt Ibrahim et autres c. Royaume-Uni, rendu le 16 décembre 2014 déclare conformes à la Convention européenne les procédures dérogatoires au droit commun de la garde à vue, lorsque les faits incriminés relèvent du terrorisme.

Dans l'affaire Simeonov, il n'est pas question de "raisons impérieuses" car la garde à vue de l'intéressé intervient dans le cadre d'une procédure de droit commun, en l'absence d'une quelconque urgence. La Cour énonce alors un autre cas dans lequel l'absence de l'avocat durant la garde à vue n'encourt aucune sanction.

Une procédure globale


Depuis l'arrêt du 24 novembre 1993 Imbriosca c. Suisse, il est acquis que le droit au procès équitable s'étend aux "phases qui se déroulent avant la procédure de jugement", à commencer par la garde à vue. Par conséquent, le droit de tout accusé d'être assisté d'un avocat, mentionné à l'article 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, "ne garantit pas un droit autonome, mais doit être lu et interprété à la lumière de l'exigence, plus générale, d'équité de la procédure pénale". Autrement dit, le respect du droit au procès équitable s'apprécie au cas par cas, "à l'aune de la conduite de la procédure dans son ensemble". L'absence de l'avocat durant la garde à vue n'est donc pas suffisante pour entraîner une violation de l'article 6.

Dans l'arrêt Ibrahim et autres, la Cour précise les éléments à prendre en compte dans cette appréciation globale de la procédure, éléments qui sont précisément examinés dans l'affaire Simeonov. Le premier d'entre eux est évidemment le dispositif légal encadrant la procédure antérieure au jugement. Dans le droit bulgare,  la loi prévoit l'assistance d'un avocat durant la garde à vue. A l'époque des faits, elle était subordonnée à une demande du suspect. Le problème est que cette demande d'avocat, comme d'ailleurs la renonciation à cette assistance, pouvait être purement orale et non transcrite sur les procès verbaux. En l'espèce, rien dans le dossier ne permet de savoir si une demande a été formulée ou si l'intéressé a choisi de renoncer à son droit. En l'absence de toute trace, on ignore même si le droit à l'assistance d'un avocat a été notifié à l'intéressé.

Ces lacunes du dossier doivent cependant être appréciées à l'aune de l'ensemble de la procédure pénale, en appréciant l'impact qu'elles ont eu sur l'ensemble du procès. La Cour européenne fait d'abord observer que M. Simeonov n'a jamais invoqué l'absence d'avocat durant la garde à vue à l'appui de ses différents recours devant la justice bulgare, à l'exception d'une mention très marginale (portant sur une seule journée de la garde à vue) dans son pourvoi en cassation. Le moyen n'a été réellement soulevé par ses avocats que devant la Cour européenne, dès lors qu'il apparaissait comme un instrument utile pour tenter d'obtenir l'annulation de l'ensemble de la procédure. Surtout, et c'est sans doute l'élément le plus important, la Cour note que la garde à vue de M. Simeonov présente une certaine originalité, dans la mesure où il ne s'est rien passé. Tous les éléments versés au dossier pénal et qui ont fondé sa condamnation ont été réunis pendant l'instruction. Sa garde à vue, quand bien même elle se serait déroulée dans des conditions non conformes à l'article 6 § 3 de la Convention, n'a eu aucune conséquence sur cette condamnation. De ces éléments, la Cour déduit qu'il est impossible d'invoquer une quelconque atteinte au droit de ne pas s'auto-incriminer.

L'arrêt Simeonov illustre ainsi le refus de la Cour européenne des droits de l'homme de s'engager dans une vision dogmatique du procès pénal. Celui-ci est perçu comme un tout, chaque procédure  participant à la cohérence de l'ensemble. En cela, la Cour européenne s'oppose résolument aux analyses des avocats qui voient dans la garde à vue une procédure détachable de l'ensemble du procès, et dont ils voudraient développer le caractère contradictoire. De toute évidence, la jurisprudence de la Cour européenne ne va pas tout-à-fait dans ce sens.

Sur la garde à vue : Chapitre 4, section 2 § 1 du manuel de libertés publiques.