« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


vendredi 9 juin 2017

De l'état d'urgence à une police spéciale du terrorisme

L'avant-projet de loi renforçant la lutte contre le terrorisme et la sécurité a été diffusé par Le Monde le 8 juin 2017, dans le but, nous dit-on, d'ouvrir le débat public. A dire vrai, il était déjà ouvert  par les opposants "historiques" à l'état d'urgence qui redoutent qu'il ne devienne permanent et qui dénoncent sa banalisation. On peut évidemment comprendre cette crainte, mais les partisans du texte font, quant à eux, observer que ce n'est pas l'état d'urgence qui se banalise mais le terrorisme. 

A travers ce débat, on peut discerner les difficultés rencontrées pour définir le régime juridique du terrorisme. Il est assez facile d'organiser le droit pénal destiné à réprimer les infractions liées au terrorisme et la loi Urvoas du 3 juin 2016 a pu renforcer les pouvoirs du juge, par exemple en matière de perquisitions de nuit, sans susciter de sérieuse opposition dans l'opinion. En revanche, il est plus délicat de légiférer sur sa prévention. En adoptant une loi pérenne, on accepte, et c'est évidemment très dérangeant, de considérer que le terrorisme n'est plus un évènement exceptionnel connu à travers les différentes "vagues" qui ont frappé notre pays. C'est désormais un élément contextuel qui menace l'ensemble de la vie en société, menace qui franchit les frontières, face noire d'une mondialisation dont on vantait généralement les bienfaits. Le parlement légifère donc aujourd'hui à partir d'une approche globale et permanente de la menace terroriste. 

Bien entendu, l'avant-projet sera probablement profondément modifié, après l'avis du Conseil d'Etat et durant le débat parlementaire. En son état actuel, il laisse apparaitre de nombreuses zones d'ombres et une rédaction parfois incertaine. Il est pourtant suffisamment élaboré pour que l'on puisse constater qu'il vise à créer une police spéciale du terrorisme, système de police administrative qui repose sur la méfiance à l'égard du juge judiciaire.

Une police spéciale du terrorisme


L'avant-projet de loi organise une nouvelle police spéciale du terrorisme, police administrative qui permet de limiter l'exercice de certaines libertés publiques en fonction de la menace pour l'ordre public que représente le terrorisme. Si l'on voulait résumer son contenu, on pourrait le présenter comme un texte reprenant les dispositions principales des lois sur l'état d'urgence enrichies des décisions de jurisprudence intervenues dans ce domaine. Bon nombre de libertés peuvent ainsi être limitées au nom du terrorisme. 

Calvin and Hobbes

La liberté de circulation


La première d'entre elles est la liberté de circulation. Il est ainsi ajouté un chapitre 6 au code de la sécurité intérieure, qui autorise la création, par arrêté préfectoral, de périmètres de protection pour assurer la sécurité d'un lieu ou d'un évènement. Rien de bien nouveau dans ce domaine et les forces armées comme les forces de police mettent déjà en place des "bulles" destinées à protéger un évènement, tel que le G8 de Dauville en 2011, le 70è anniversaire du Débarquement en Normandie ou encore la coupe d'Europe de football en 2016. L'avant-projet se propose de donner un fondement législatif à cette pratique, ce qui permet de préciser les conditions d'entrée et de sortie dans ce périmètre.

L'avant-projet permet aussi des atteintes à la circulation visant cette fois des individus nommément désignés. Est ainsi visée la "personne à l'égard laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité pour la sécurité et l'ordre publics". La formule est exactement celle adoptée par les différentes lois sur l'état d'urgence, depuis celle du 20 novembre 2015. Elle est aujourd'hui complétée par quelques précisions sur le comportement visé. Est ainsi concerné celui qui "entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme", formule assez simple qui car elle peut être appréciée de manière objective. En revanche, beaucoup moins claire est la référence au comportement qui consiste à "soutenir ou adhérer à des des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme  (...) ou faisant l'apologie de tels actes". La notion d'apologie a une contenu juridique, notamment en matière d'apologie de crimes de guerre. Celle de soutien ou d'adhésion à des thèses incitant au terrorisme, beaucoup moins. On peut se demander si cette disposition suvivra au débat parlementaire, alors même que le Conseil constitutionnel, dans une QPC du 10 février 2017, a abrogé le délit de consultation habituelle de sites terroristes. 

Quoi qu'il en soit, l'assignation à résidence entre dans l'arsenal législatif de droit commun. Décidée par le ministre de l'intérieur, elle peut s'accompagner d'un dispositif de surveillance électronique. Reprenant sur ce point la jurisprudence du Conseil d'Etat, le texte précise que cette assignation doit permettre à l'intéressé de "poursuivre sa vie familiale et professionnelle". De même, pour tenir compte de la décision QPC rendue par le Conseil constitutionnel le 16 mars 2017, il est prévu, depuis la loi du 19 décembre 2016, que cette mesure ne peut être prise que pour trois mois renouvelables, "sur la base d'éléments nouveaux ou complémentaires". Cette condition risque cependant d'avoir fort peu d'effets concrets car, dans une ordonnance de référé du 25 avril 2017, le Conseil d'Etat s'est contenté d'apprécier la menace que représente la personne pour l'ordre public, sans trop se préoccuper de recherches des éléments nouveaux.

La liberté de culte


L'avant projet envisage un nouveau chapitre VII dans le code de la sécurité intérieure, permettant à l'autorité administrative de décider la fermeture de lieux de culte. On sait que, dans sa rédaction ancienne, l'article 8 de la loi du 3 avril 1955 autorisait le préfet ou le ministre de l'intérieur à ordonner "la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature". Dans la loi du 21 juillet 2016, la commission des lois du Sénat a obtenu que soit ajouté à cette phrase : "en particulier des lieux de culte au sein desquels sont tenus des propos constituant une provocation à la haine ou à la violence ou une provocation à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes". Cette rédaction impose de fonder la décision de fermeture des lieux de culte sur l'existence d'une infraction, ce qui n'est pas une garantie négligeable, si l'on considère que le juge administratif pourra ensuite apprécier la réalité du motif invoqué. 

La vie privée


Ces mesures autorisées en matière de lutte contre le terrorisme ont pour caractéristique de constituer autant d'ingérences dans la vie privée. Certes, ce type d'ingérence n'est pas nécessairement illicite si elle prévue par loi, répond à un but légitime et demeure proportionnée à la menace, conditions posées par la Convention européenne des droits de l'homme. 

Il est ainsi prévu de contraindre la personne assignée à résidence à "déclarer ses identifiants de tout moyen de communication électronique". Cette obligation avait déjà été envisagée dans les débats précédant le vote de la loi du 3 juin 2016 déjà destinée à renforcer la lutte contre le crime organisé et le terrorisme. Mais la commission des lois du Sénat l'avait supprimée. Contrairement à ce qu'affirment certains, cette disposition n'emporte aucune atteinte aux droits de se taire et de ne pas s'auto-incriminer. Une nouvelle fois, il convient en effet de rappeler que ces droits sont exclusivement mis en oeuvre en matière pénale et ne s'appliquent donc pas à une procédure purement administrative. A dire vrai, cette disposition semble surtout destinée à vérifier la conformité des propos de la personne assignée à ce que les services de renseignement savent déjà.

En matière de perquisitions, qui constituent aussi des atteintes à la vie privée en tant que telles, l'avant-projet reprend largement le droit existant issu de l'état d'urgence et plus précisément de la loi du 21 juillet 2016. Le Conseil constitutionnel, dans une décision QPC du 16 mars 2017, a cependant déclaré inconstitutionnelle la procédure qui faisait intervenir le juge des référés du Conseil pour autoriser la perquisition, en lui confiant en même temps le contrôle a posteriori de cette mesure. L'avant-projet tire les conséquences de cette décision en attribuant au procureur de la République de Paris la compétence d'autorisation, conservant celle du Conseil d'Etat pour le contrôle. 

Le juge judiciaire écarté


Précisément, et c'est sans doute le plus gênant dans ce texte, la seule apparition du juge judiciaire est celle du procureur. C'est lui qui autorise les perquisitions, c'est aussi lui qui est informé, et seulement informé, des assignations à résidence. Or nul n'ignore que le procureur demeure rattaché à l'Exécutif par un lien hiérarchique, la Cour européenne considérant, quant à elle, qu'il n'est pas un magistrat "indépendant" au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.

Emmanuel Macron avait pourtant proposé, durant la campagne, la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, afin de garantir l'indépendance des procureurs. Le projet Bayrou semble vouloir tenir cette promesse. En perpétuant cette tradition de méfiance à l'égard du juge judiciaire, l'avant-projet de loi parait en décalage avec cette volonté réformatrice. Ce rejet du juge judiciaire apparaît encore plus nettement si l'on considère que la Cour de cassation a récemment rappelé, dans trois arrêts du 13 décembre 2016, qu'elle était aussi compétente pour apprécier la légalité des actes administratifs intervenus sur le fondement de l'état d'urgence, en particulier en matière de perquisitions. Sur ce point, on cherche vainement l'innovation introduite par le texte. Comme sous les gouvernements précédents, le Conseil d'Etat est présenté comme le juge unique de cette nouvelle police administrative. L'article 66 de la Constitution qui énonce pourtant que le juge judiciaire est "gardien de la liberté individuelle" est purement et simplement écarté. C'est pourtant le juge judiciaire, juge du siège, qui, détaché de tout lien d'allégeance à l'Exécutif, serait le mieux en mesure de contrôler la mise en oeuvre d'un droit extrêmement dérogatoire au droit commun.


Sur l'état d'urgence   : Chapitre 2 du manuel de libertés publiques sur internet.

lundi 5 juin 2017

La fin de vie devant le Conseil constitutionnel

Pour la première fois, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur le droit de la fin de vie, dans une décision rendue  sur question prioritaire de constitutionnalité (QPC) le 2 juin 2017 à la demande de l'Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésésLa loi du 22 avril 2005, puis celle du 2 février 2016, n'avaient en effet pas été déférées au Conseil au moment de leur vote. Ce n'est pas surprenant si l'on considère qu'un consensus parlementaire est généralement recherché sur les sujets éthiques. En témoigne le fait que le texte le plus récent était défendu à la fois par Jean Léonetti (LR Alpes Maritimes) et par Alain Claeys (PS Vienne). A l'issue de la procédure, il n'existait donc pas de majorité parlementaire suffisamment structurée pour saisir le Conseil.

C'est donc par la voie de la QPC que le Conseil déclare aujourd'hui conforme à la Constitution la procédure d'arrêt des traitements, lorsque le patient n'est pas en mesure d'exprimer sa volonté et qu'il n'a pas laissé de directives anticipées ou n'a pas désigné un tiers de confiance susceptible de la faire connaître. En l'espèce, les dispositions contestées sont les articles L 1110-5-1, L 1110-5-2 et L 1111-4 du code de la santé publique, dans leur rédaction résultant de la loi du 2 février 2016. Ce sont eux qui prévoient que l'arrêt des traitements est une décision de l'équipe médicale, précédée d'une procédure consultative par laquelle les proches peuvent rapporter la volonté du patient, ou plus simplement donner leur propre avis si cette dernière n'est pas clairement établie.

Droit à la vie et dignité de la personne humaine


L'association requérante invoque le droit à la vie. Elle n'a sans doute pas beaucoup d'espoir de le voir pris en considération par le Conseil constitutionnel, mais on pourrait dire qu'il s'agit là d'un passage obligé. En matière éthique, le droit à la vie a toujours été invoqué, et toujours en vain, pour contester aussi bien le droit à l'IVG que la fécondation in vitro ou la recherche sur l'embryon. Les réticences du Conseil s'expliquent sans doute par son caractère induit, car le Conseil constitutionnel le considère comme la conséquence du principe de dignité. Ce dernier figure dans le Préambule de 1946 et a été consacré par le Conseil comme principe à valeur constitutionnelle par la  décision du 27 juillet 1994.

De fait, le Conseil observe que le soin de préciser le contenu du droit à la vie relève de la compétence du législateur, et de lui seul, conformément à l'article 34 de la Constitution. Il précise ainsi "qu'il appartient au législateur de fixer es garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques, notamment en matière médicale, de déterminer les conditions dans lesquelles une décision d’arrêt des traitements de maintien en vie peut être prise, dans le respect de la dignité de la personne". Et il ajoute, selon une formule désormais bien connue qu'il "ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement".

Le parlement a donc décidé de confier à l'équipe médicale, et non pas à la famille du patient, le soin de prendre la décision d'arrêt des traitements. Ce choix a été largement débattu et il repose sur le volonté de ne pas faire peser sur les proches la responsabilité d'un choix extrêmement difficile.

Si l'association requérante n'obtient pas satisfaction sur le fond, ce qui était largement prévisible, la décision donne au Conseil l'occasion de rappeler un certain nombre de principes de nature procédurale particulièrement utiles à la mise en oeuvre d'un droit récent et souvent mal compris.

Le droit à un recours juridictionnel effectif


Depuis sa décision du 9 avril 1996, le Conseil constitutionnel déduit l'existence d'un droit au recours juridictionnel effectif des dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : 'Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution". Il est désormais acquis, en particulier depuis la décision Albin R. du 25 novembre 2011, que cet article 16 fait partie des "droits et libertés que la Constitution garantit" et peut donc être invoqué à l'appui d'une QPC.

En l'espèce, le Conseil constitutionnel ne sanctionne pas l'absence de droit au recours, tout simplement parce que la décision de l'équipe peut parfaitement être contestée devant le juge administratif. C'est ainsi que le Conseil d'Etat s'est prononcé le 24 juin 2014 sur la décision de suspension du traitement de Vincent Lambert, en état végétatif depuis presque une dizaine d'années. De la même manière, le juge des référés du Conseil d'Etat a accepté d'élargir les conditions du référé pour suspendre la décision d'arrêter les traitement de la petite Marwa, par une ordonnance du 8 mars 2017.

S'il n'accueille pas le grief tiré de l'absence de droit au recours, le Conseil constitutionnel prend soin de formuler deux réserves d'interprétation précisant les garanties procédurales qui doivent le faciliter.

Georges Brassens. L'Ancêtre. 1969

Les réserves d'interprétation

 

Il impose d'abord la notification formelle de la décision prise par l'équipe médicale à l'ensemble des personnes consultées. Certes, il est très probable que cette formalité était déjà mise en oeuvre mais force est de constater qu'elle ne figurait pas expressément dans la loi Léonetti ni dans le décret du 2 février 2016 précisant l'organisation de la procédure consultative. Il s'agit là d'une simple précision, mais elle se révélera sans doute fort utile dans un domaine marqué par l'existence de graves conflits familiaux, comme dans l'affaire Lambert.

La seconde réserve réside dans une obligation de célérité liée à une utilisation privilégiée de la procédure de référé. Le Conseil affirme ainsi que le recours "doit pouvoir être examiné dans les meilleurs délais par la juridiction compétente aux fins d’obtenir la suspension éventuelle de la décision contestée". En insistant ainsi sur l'intérêt du référé pour les parties, le Conseil constitutionnel valide implicitement l'élargissement de ses conditions réalisée par le juge des référés, dans l'affaire Marwa.

Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale (…) ». Ces dispositions indiquent donc que le juge des référés ne peut faire cesser une atteinte à une liberté fondamentale que lorsque cette atteinte est "manifestement illégale". Dans l'affaire Marwa, le juge des référé s'autorise à contrôler si la continuation du traitement de l'enfant peut, ou non, s'analyser comme une "obstination déraisonnable" au sens de la loi Léonetti. Il pénètre donc dans un contrôle de légalité classique qui n'est plus limité au contrôle de la disproportion manifeste habituellement exercé en matière d'urgence. Cet élargissement est, à l'évidence, lié au caractère irrémédiable de la décision du juge. Le refus de suspendre une telle décision a pour conséquences, rappelons-le, d'entraîner l'interruption des soins et donc le décès de la personne. Dans ce cas très particulier, le Conseil d'Etat a admis d'intégrer le contrôle de légalité dans la procédure de référé, et le Conseil constitutionnel, en insistant sur l'intérêt du référé, valide cette pratique.

Comme souvent dans ces domaines sensibles, la QPC a un effet absolument opposé à ce qu'attendait l'association requérante. Au lieu de fragiliser la  procédure d'arrêt des soins et la loi Léonetti, elle la renforce. Même les réserves d'interprétation sont destinées à assurer que l'arrêt des soins n'interviendra qu'à l'issue d'une procédure rigoureuse, marquée par une consultation formelle avec la famille et lui offrant une large possibilité de recours. Mais il n'en demeure pas moins que l'essentiel de la loi Léonetti est maintenu : la suspension des traitements demeure une décision de l'équipe médicale.


Sur le droit de mourir dans la dignité  : Chapitre 8 section 4 § 1 C du manuel de libertés publiques sur internet

mercredi 31 mai 2017

La campagne électorale radio-télévisée, première victime de la recomposition politique

Le 31 mai 2017, le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnel l'article L 167-1 du code électoral fixant les règles relatives à la durée des émissions de la campagne électorale pour les élections législatives. A l'occasion d'un référé demandant la suspension de la décision du Conseil supérieur de l'audiovisuel du 23 mai 2017 fixant les temps d'antenne attribués aux différents partis pour les élections des 11 et 18 juin 2017, l'association En Marche a posé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur l'article L 167-1 du code électoral.

L'article 167-1 du code électoral, demeuré pratiquement inchangé depuis la loi du 29 décembre 1966,  est ainsi la première victime de la recomposition politique engagée par Emmanuel Macron. En effet, il repose sur une distinction entre les partis représentés par un groupe parlementaire, et ceux qui ne le sont pas. Les premiers se partagent trois heures d'antenne au premier tour, et une heure trente au second, réparties de manière égale entre la majorité et l'opposition. Quant aux seconds, ils se voient octroyer chacun sept minutes au premier tour et cinq au second, à la condition qu'ils présentent des candidats dans au moins soixante-quinze circonscriptions. Tout le monde aura compris que la loi a été votée par un Parlement soucieux de protéger les groupes parlementaires en place et les partis politiques dont ils sont l'expression. On peut d'ailleurs s'étonner que ces dispositions ne soient contestées qu'aujourd'hui. Le Front National en particulier, qui s'est toujours plaint d'être marginalisé, n'a en effet jamais eu l'idée d'une QPC de ce type. Peut-être manque-t-il de juristes compétents ?

Quoi qu'il en soit, la question est particulièrement pertinente aujourd'hui. Comme on le sait, les élections législatives actuelles sont marquées par l'émergence d'un mouvement nouveau, République en Marche, dont la caractéristique essentielle réside dans le fait qu'il n'existait pas il y a quelques mois, et qu'il n'est donc pas encore représenté au Parlement. En revanche, il a porté Emmanuel Macron à la Présidence de la République, succès qui témoigne de son importance. L'application de l'article L 167-1 du code électoral par le CSA conduit cependant à ne lui accorder que 12 minutes de temps d'antenne sur l'ensemble des deux tours, alors que le Parti Socialiste en a 120 et Les Républicains 103. Situation étrange, car le mouvement vainqueur de l'élection présidentielle peut à peine se faire entendre dans la campagne officielle, alors que ceux qui ont essuyé une défaite cuisante et dont la représentativité est pour le moins écornée se taillent la part du lion.

Les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage.


L'association requérante s'appuie essentiellement sur l'article 4 de la Constitution qui énonce que "les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage". Surtout, depuis la révision de 2008, il consacre dans son alinéa 3 le pluralisme des courants d'idées et d'opinions. Sur ce point, la révision ne faisait qu'intégrer un principe déjà affirmé par la voie prétorienne, depuis la décision du 11 janvier 1990. Ce principe n'a toutefois pas tout à fait la même intensité lorsqu'il s'applique à l'organisation ou la régulation de la vie politique et lorsqu'il intervient dans le domaine de la communication politique.

Dans le premier cas, le Conseil rattache directement le principe de pluralisme des courants d'opinions à l'égalité devant le suffrage. Dans une décision du 12 février 2004, il affirme ainsi qu'une règle électorale "qui affecterait l'égalité entre électeurs ou candidats dans une mesure disproportionnée" entrainerait une violation de l'article 4 de la Constitution.

Dans le second cas, c'est-à-dire en matière de communication, le Conseil se montre plus souple. Conduit à apprécier la loi organique portant sur l'organisation des récentes élections présidentielles, il admet ainsi que l'accès aux médias peut reposer sur des considérations d'équité et non pas d'égalité. Estimant qu'un tel choix favorise "la clarté du débat électoral", il considère dans une décision du 21 avril 2016, que les partis les plus puissants dans les sondages peuvent bénéficier d'une couverture médiatique plus importante.

Certes, mais le système mis en place en avril 2016 pour les présidentielles, même discutable, avait au moins le mérite de refléter la situation présente, alors que l'article L 167-1 du code électoral organise la campagne à partir de l'organisation de l'ancienne législature. Le Conseil constitutionnel commence donc par affirmer qu'il "lui appartient de veiller à ce que les modalités qu'il fixe ne soient pas susceptibles de conduire à l'établissement de durées d'émission manifestement hors de proportion avec la participation de ces partis (...) à la vie démocratique de la Nation". En l'espèce, il considère que le législateur peut, pour des élections au parlement, fixer des modalités différentes d'accès à la campagne audiovisuelle, selon que les partis sont ou non représentés à l'Assemblée nationale par un groupe parlementaire. Ce n'est donc pas, en soi, inconstitutionnel. En revanche, un tel partage devient inconstitutionnel si l'accès des autres groupements, ceux qui ne sont pas représentés à l'Assemblée, est manifestement hors de proportion avec leur représentativité dans l'opinion. Le Conseil estime donc que les groupements non représentés à l'Assemblée ne doivent pas être traités de manière identique mais qu'il convient de tenir compte de leur représentativité. Autrement dit, En Marche doit bénéficier d'un temps d'antenne plus important que les groupuscules qui ne représentent qu'eux-mêmes.


Le Parti d'en rire. Pierre Dac et France Blanche. 1965

Une "réserve d'interprétation transitoire"


Le Conseil constitutionnel formule à ce propos ce qu'il qualifie de "réserve d'interprétation transitoire". Il affirme qu'en cas de disproportion manifeste entre la représentativité des partis représentés par un groupe parlementaire et ceux qui ne le sont pas, il conviendra de modifier à la hausse le temps d'antenne attribués à ces derniers, sans toutefois qu'il ne puisse excéder cinq fois les durées prévues par le code électoral. En Marche devrait donc bénéficier de 60 minutes de temps d'antenne.

Urgence et rapidité


Que va-t-il se passer maintenant ? On observe que le juge des référés du Conseil d'Etat, qui avait sursis à statuer durant l'instruction de la QPC, a rendu sa décision quelques heures après celle du Conseil constitutionnel. Il déclare que les conclusions à fin de suspension de la décision du CSA sont désormais sans objet et renvoie à ce dernier le soin d'organiser concrètement la campagne audiovisuelle, ou du moins ce qu'il en reste. La décision du CSA devrait donc intervenir dans les prochaines heures.

Sur le fond, le Conseil constitutionnel n'a pas voulu ôter tout fondement légal au système actuel car la campagne est actuellement en cours et des décisions doivent être prises en urgence. En effet, la campagne officielle s'est ouverte le 22 mai, le juge des référés du Conseil d'Etat a été saisi le 24, et il s'est prononcé le 29 en renvoyant la QPC au Conseil constitutionnel. Les décisions du Conseil constitutionnel et du juge des référés du Conseil d'Etat interviennent donc 9 jours après le début de la campagne, soit pratiquement à la moitié.

La décision du Conseil constitutionnel permet, à court terme, une certaine forme de bricolage juridique permettant de tenir compte de l'irruption d'un nouveau parti dans le paysage public. A moyen terme, en revanche, le législateur devra intervenir car le Conseil a pris soin de reporter l'abrogation de l'article L 167-1 du code électoral au 30 juin 2018. Le législateur a donc un an pour modifier les règles.

Eloge de la QPC


La campagne officielle n'a certainement qu'une influence limitée sur les résultats d'une consultation électorale. Elle n'attire qu'un nombre limité de spectateurs et paraît aujourd'hui bien anachronique par rapport aux débats télévisés et aux réseaux sociaux. Si le législateur décidait sa suppression, il y aurait sans doute peu de monde pour la regretter.

Mais l'intérêt de la décision du Conseil constitutionnel est peut-être ailleurs, dans la mesure où elle illustre le caractère indispensable de la QPC. En effet la disposition contestée avait été votée et maintenue durant de nombreuses années par un parlement désireux de maintenir les privilèges des partis en place. L'Assemblée nationale était leur pré carré et il n'était pas question de laisser des nouveaux venus prendre trop de place. Il était donc impossible que ce type de disposition soit contesté par le contrôle de constitutionnalité a priori. A l'exception du Président de la République et du premier ministre qui n'usent pratiquement pas de leur droit de saisine,  l'initiative du contrôle a priori n'appartient aux parlementaires et aux présidents des assemblées. Ce ne sont évidemment pas eux qui allaient contester une loi protégeant l'emprise des partis politique sur la campagne électorale. Il reste donc la QPC, seul moyen d'obtenir le contrôle de la constitutionnalité d'une disposition qui avait pour fondement et pour effet de protéger les partis en place et d'empêcher l'arrivée des nouveaux venus. La QPC apparaît ainsi comme le moyen essentiel permettant d'écarter des lois votées par le parlement dans son seul intérêt.

 Sur la QPC : Chap 4, section 1 § 2  du manuel de libertés publiques.

mardi 30 mai 2017

L'avocat en garde à vue : oui.. mais.

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Le droit à l'assistance d'un avocat durant la garde à vue est-il un droit qui doit être garanti en tant que tel, indépendamment de la procédure pénale dont il constitue la première étape ? La Cour européenne des droits de l'homme répond négativement à cette question dans son arrêt de Grande Chambre du 12 mai 2017 Simeonovi c. Bulgarie.

Le requérant Lyuben Filipov Simeonov a été condamné par les tribunaux bulgares à une peine de réclusion à perpétuité pour le braquage d'un bureau de change au cours duquel deux personnes ont été tuées. La cour suprême de cassation bulgare a confirmé cette condamnation en 2003. Devant la Cour européenne des droits de l'homme. M. Simeonov conteste d'une part ses conditions de détention, d'autre part le fait qu'il n'a pas eu accès à l'assistance d'un avocat dès le début de la garde à vue. Dans un arrêt de chambre du 20 octobre 2015, il a obtenu satisfaction sur le premier point, les juges estimant que ses conditions de détention s'analysaient comme un traitement inhumain et  dégradant au sens de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme. En revanche, le second moyen fondé sur l'absence d'avocat dès le début de la garde à vue a été rejeté. C'est donc sur ce point, et uniquement sur ce point, que la Grande Chambre est invitée à se prononcer.

La requête est ainsi de nature purement procédurale, d'autant que la culpabilité de M. Simeonov n'est pas sérieusement contestée. Il a certes refusé de passer aux aveux durant sa garde à vue, en l'absence d'un défenseur, et même devant le juge d'instruction lorsqu'il a été assisté, dans un premier temps, par un avocat commis d'office. C'est seulement après avoir finalement recruté celui de son choix qu'il a avoué être l'auteur du braquage et des deux meurtres, avant de se rétracter partiellement. En tout état de cause, des preuves scientifiques, des témoignages et de nombreux éléments matériels et documentaires venaient appuyer l'accusation et la condamnation repose sur un ensemble de preuves.

L'assistance d'un avocat durant la garde à vue


La présence de l'avocat dès le début de la garde à vue a été imposée par la Cour européenne des droits de l'homme dans l'arrêt Salduz c. Turquie du 27 novembre 2008. On sait que cette décision est directement à l'origine de la condamnation de la France par la décision Brusco c. France du 14 octobre 2010, condamnation qui a suscité une évolution radicale du droit de la garde à vue. Depuis cette date, il est constamment répété que le droit à l'assistance d'un avocat dès le début de la garde à vue est un droit fondamental. Et de la nature fondamentale de ce droit, on finit par déduire son caractère absolu. C'est du moins ce qu'affirment les avocats, parfaitement dans leur rôle, qui, depuis lors, combattent inlassablement pour étendre leurs prérogatives durant cette période clé de la procédure pénale, en demandant en particulier l'accès à l'intégralité du dossier.

L'interrogatoire. Léonard-Tsuguharu Foujita (1886-1968)

Un droit qui n'est pas absolu


L'analyse de la jurisprudence montre pourtant que le droit à l'assistance durant la garde à vue n'a rien d'absolu dès lors qu'il n'est pas autonome.  Dès l'affaire Salduz, la Cour affirme qu'il est possible d'y déroger si deux conditions sont réunies. D'une part, l'Etat doit démontrer qu'il a des "raisons impérieuses" de restreindre ce droit.  C'est sur ce fondement que l'arrêt Ibrahim et autres c. Royaume-Uni, rendu le 16 décembre 2014 déclare conformes à la Convention européenne les procédures dérogatoires au droit commun de la garde à vue, lorsque les faits incriminés relèvent du terrorisme.

Dans l'affaire Simeonov, il n'est pas question de "raisons impérieuses" car la garde à vue de l'intéressé intervient dans le cadre d'une procédure de droit commun, en l'absence d'une quelconque urgence. La Cour énonce alors un autre cas dans lequel l'absence de l'avocat durant la garde à vue n'encourt aucune sanction.

Une procédure globale


Depuis l'arrêt du 24 novembre 1993 Imbriosca c. Suisse, il est acquis que le droit au procès équitable s'étend aux "phases qui se déroulent avant la procédure de jugement", à commencer par la garde à vue. Par conséquent, le droit de tout accusé d'être assisté d'un avocat, mentionné à l'article 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, "ne garantit pas un droit autonome, mais doit être lu et interprété à la lumière de l'exigence, plus générale, d'équité de la procédure pénale". Autrement dit, le respect du droit au procès équitable s'apprécie au cas par cas, "à l'aune de la conduite de la procédure dans son ensemble". L'absence de l'avocat durant la garde à vue n'est donc pas suffisante pour entraîner une violation de l'article 6.

Dans l'arrêt Ibrahim et autres, la Cour précise les éléments à prendre en compte dans cette appréciation globale de la procédure, éléments qui sont précisément examinés dans l'affaire Simeonov. Le premier d'entre eux est évidemment le dispositif légal encadrant la procédure antérieure au jugement. Dans le droit bulgare,  la loi prévoit l'assistance d'un avocat durant la garde à vue. A l'époque des faits, elle était subordonnée à une demande du suspect. Le problème est que cette demande d'avocat, comme d'ailleurs la renonciation à cette assistance, pouvait être purement orale et non transcrite sur les procès verbaux. En l'espèce, rien dans le dossier ne permet de savoir si une demande a été formulée ou si l'intéressé a choisi de renoncer à son droit. En l'absence de toute trace, on ignore même si le droit à l'assistance d'un avocat a été notifié à l'intéressé.

Ces lacunes du dossier doivent cependant être appréciées à l'aune de l'ensemble de la procédure pénale, en appréciant l'impact qu'elles ont eu sur l'ensemble du procès. La Cour européenne fait d'abord observer que M. Simeonov n'a jamais invoqué l'absence d'avocat durant la garde à vue à l'appui de ses différents recours devant la justice bulgare, à l'exception d'une mention très marginale (portant sur une seule journée de la garde à vue) dans son pourvoi en cassation. Le moyen n'a été réellement soulevé par ses avocats que devant la Cour européenne, dès lors qu'il apparaissait comme un instrument utile pour tenter d'obtenir l'annulation de l'ensemble de la procédure. Surtout, et c'est sans doute l'élément le plus important, la Cour note que la garde à vue de M. Simeonov présente une certaine originalité, dans la mesure où il ne s'est rien passé. Tous les éléments versés au dossier pénal et qui ont fondé sa condamnation ont été réunis pendant l'instruction. Sa garde à vue, quand bien même elle se serait déroulée dans des conditions non conformes à l'article 6 § 3 de la Convention, n'a eu aucune conséquence sur cette condamnation. De ces éléments, la Cour déduit qu'il est impossible d'invoquer une quelconque atteinte au droit de ne pas s'auto-incriminer.

L'arrêt Simeonov illustre ainsi le refus de la Cour européenne des droits de l'homme de s'engager dans une vision dogmatique du procès pénal. Celui-ci est perçu comme un tout, chaque procédure  participant à la cohérence de l'ensemble. En cela, la Cour européenne s'oppose résolument aux analyses des avocats qui voient dans la garde à vue une procédure détachable de l'ensemble du procès, et dont ils voudraient développer le caractère contradictoire. De toute évidence, la jurisprudence de la Cour européenne ne va pas tout-à-fait dans ce sens.

Sur la garde à vue : Chapitre 4, section 2 § 1 du manuel de libertés publiques.

samedi 27 mai 2017

Moralisation de la vie politique : le chantier est ouvert

L'une des promesses électorales les plus emblématiques d'Emmanuel Macron est sans doute l'annonce d'une loi de moralisation de la vie politique. Portée par François Bayrou, ministre de la justice, elle devrait être débattue dès le début de la prochaine législature. Elle est, à l'évidence destinée à marquer une rupture, alors que chacun conserve en mémoire une campagne électorale marquée par les affaires, de l'emploi de Pénélope Fillon à celui des filles de Bruno Le Roux.

François Bayrou consulte les associations et notamment Anticor pendant que René Dosière dépose à l'Assemblée deux propositions de loi, l'une constitutionnelle l'autre organique. Il n'est pas du tout certains qu'elles soient débattues, ne serait-ce que parce que leur auteur (PS. Aisne) ne se représente pas aux élections législatives. C'est donc une certaine forme de testament politique pour celui qui, depuis de nombreuses années, fait des propositions pour améliorer la gestion des fonds publics et lutter contre la corruption. C'est aussi un moyen de faire pression sur François Bayrou pour que la loi sur la moralisation de la vie publique soit aussi complète que possible.

Mais qu'entend-on par "moralisation de la vie politique" ? Il s'agit, à dire vrai, d'un concept-valise qui englobe des réformes de nature pénale, financière, fiscale, administrative etc. Certaines réformes ont déjà été mises en oeuvre. La création de la Haute autorité pour la transparence de la vie politique par la loi du 11 octobre 2013 et celle du Procureur de la République financier par celle du 6 décembre 2013 interviennent à la suite de l'affaire Cahuzac. L'institution d'un registre des lobbies par la loi Sapin 2 du 9 décembre 2016, l'interdiction de cumuler une fonction parlementaire et la présidence d'un exécutif local avec la loi du 14 février 2014, tous ces éléments montrent que le dernier quinquennat a marqué des progrès substantiels dans ce domaine. Substantiels certes, mais insuffisants, comme l'ont montré les récents scandales.

Une révision constitutionnelle ?


René Dosière envisage une réforme extrêmement ambitieuse. Il suggère d'abord une révision constitutionnelle portant sur deux dispositions de la Constitution. La première est la modification de l'article 23 al. 2 : la proposition envisage d'interdire aux membres du gouvernement l'exercice de tout mandat "électoral" et non plus seulement "parlementaire". François Hollande avait déjà exigé des ministres le non-cumul avec une fonction exécutive locale, mais cette prohibition ne reposait sur aucun fondement juridique. René Dosière propose d'introduire dans la Constitution une disposition qui a pour but de lutter contre certains conflits d'intérêts.

En même temps, il souhaite supprimer l'alinéa 2 de l'article 56, ce qui revient à supprimer les membres de droit du Conseil constitutionnel. On ne peut que se féliciter d'une telle démarche, même si elle relève d'une notion de "moralisation" pour le moins élargie. En effet, les anciens présidents ne sont pas accusés de corruption ou de conflit d'intérêts. C'est leur présence seule, quelle que soit leur honnêteté personnelle, qui porte atteinte à l'impartialité de l'institution.

Le gouvernement et le Président Macron reprendront ils cette idée ? En tout état de cause, c'est seulement à l'issue des élections législatives qu'ils sauront s'ils disposent d'une majorité suffisante pour voter la révision. Ils devront en effet obtenir le vote en termes identiques de l'Assemblée nationale et du Sénat. Ensuite, c'est une majorité des 3/5è qu'il faudra réunir devant le Congrès pour que la révision soit définitivement adoptée.

Le statut des élus


La proposition de loi organique, quant à elle, porte sur la situation des élus. Bien entendu, et l'on trouve aussi ces dispositions dans les propos de François Bayrou, elle commence par interdire les emplois familiaux, prohibition que tout le monde attendait. Il sera cependant indispensable d'accompagner cette réforme d'une transparence totale dans ce domaine, dans le but de prévenir un détournement du texte qui consisterait à échanger les emplois, sur le thème "je recrute ton fils et tu recrutes ma femme"... De même est-il assez facile d'exiger un casier judiciaire vierge pour tous les candidats à des élections nationales ou locales, ainsi qu'un quitus fiscal pour tous les élus ou une déclaration de patrimoine rédigée par l'ensemble du foyer fiscal. La loi peut aussi, sans trop de difficultés, interdire le cumul d'un mandat parlementaire avec des fonctions de consultation ou l'exercice de la profession d'avocat.

Plus complexe en revanche est la réforme consistant à fiscaliser l'indemnité de représentation et de frais de mandat (IRFM). Rappelons qu'il ne s'agit pas de l'enveloppe destinée à rémunérer les collaborateurs mais de celle affectée, d'une manière générale, aux frais de fonctionnement et de représentation. Sa fiscalisation revient à la considérer comme une rémunération et à l'intégrer au revenu global du parlementaire. Pourquoi pas ? Mais dans ce cas, pourquoi ne pas augmenter l'indemnité parlementaire qui s'apparente déjà à un salaire en supprimant l'IRFM ? Quoi qu'il en soit, sa fiscalisation a au moins l'avantage de permettre au fisc de demander des justificatifs sur son utilisation.

Couplets du caissier. Les Brigands. Jacques Offenbach
Dranem. 1931

Le financement de la vie politique


Les dispositions relatives au financement de la vie politique feront-elles l'objet d'un consensus ? Pour le moment, Emmanuel Macron et François Bayrou n'ont pas évoqué de réforme des micro-partis, alors même qu'il s'agit de structures davantage destinées à recueillir des fonds qu'à représenter des groupes militant pour leurs idées. On sait que l'une des causes du maintien de la candidature Fillon résidait dans le fait qu'il avait fondé un micro-parti vers lequel étaient dirigés les dons. Sa candidature mise en péril par les scandales, il refusait absolument de rendre l'argent aux Républicains s'ils choisissaient un autre candidat.

La proposition Dosière conditionne le financement public des partis politiques à trois conditions : avoir un objet politique, rassembler des militants et soutenir des candidats à toutes les élections, locales et nationales. Une telle mesure semble de nature à exclure de la manne publique les micro-partis, en particulier aux élections présidentielles. Pour les législatives, René Dosière propose de limiter la participation aux groupements ayant présenté au moins cent candidats, ayant déjà obtenu chacun 2,5 % des suffrages, à une précédente élection. Cette disposition vise à empêcher la création de pseudo-partis au moment des élections, objectif que ne parviennent pas à remplir les seuils actuels de cinquante candidats et 1 % de suffrages.

Il est vrai que l'article 4 de la Constitution énonce que "les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage", dispositions qui semblent exclure toute atteinte à la liberté de créer un mouvement politique. Dans une décision du 23 août 2000, le Conseil constitutionnel a pourtant considéré que ne portaient pas atteinte à l'article 4 la loi qui limitait la participation aux élections européennes aux partis représentés par au moins cinq députés ou cinq sénateurs. Les élections au parlement européen se déroulent cependant avec un scrutin de liste marqué par la prééminence des partis dans le choix des candidats. La situation est bien différente aux élections législatives auxquelles chaque citoyen peut être candidat.

La lutte contre la professionnalisation de la vie politique


La disposition la plus délicate de la proposition Dosière, au moins sur le plan constitutionnel, vise à interdire à un parlementaire d'effectuer plus de trois mandats dans la même assemblée. L'objet est d'assurer le renouvellement des générations et de lutter contre la professionnalisation de la vie politique qui conduit les élus à considérer qu'il s'agit d'une véritable carrière destinée à les enrichir.

Derrière ces excellents motifs se cachent de vraies difficultés. Matérielles d'abord, car ces dispositions n'interdisent pas de faire une très longue carrière politique en alternant mandats parlementaires à l'Assemblée et au Sénat, avec peut-être quelques années consacrées à la présidence d'un exécutif local. Constitutionnelles aussi, car le droit d'éligibilité est une liberté publique. Certes, le Président de la République ne peut faire plus de deux mandats successifs. Mais cette contrainte lui est imposée par l'article 6 de la Constitution, dans sa rédaction issue de la révision de 2008. Une contrainte de même nature pesant sur les parlementaires par la voie législative ne bénéficierait pas d'un fondement constitutionnel.  Depuis sa décision du 6 avril 2012, le Conseil constitutionnel affirme ainsi que "la loi ne saurait priver un citoyen du droit d'éligibilité que dans la mesure nécessaire au respect d'égalité devant le suffrage et à la préservation de la liberté de l'électeur".  Il appartiendra donc au Conseil constitutionnel d'apprécier la nécessité d'une telle réforme.

Pour le moment, on constate une certaine convergence entre les propositions Dosière et celles de François Bayrou sur le régime juridique applicable aux parlementaires. En revanche, la question de savoir si les dispositions relatives au financement la vie politique et aux micro-partis seront finalement intégrées à la réforme n'est pas encore résolue. De toute évidence, René Dosière a voulu placer le Président de la République et le nouveau ministre de la justice devant ses responsabilités. Il y est parvenu et il ne fait aucun doute que sa proposition suscitera le débat, même si son auteur n'est plus à l'Assemblée pour la défendre.


lundi 22 mai 2017

Ordonnances de l'Article 38 : quand le tweet remplace le texte

Si Flaubert écrivait aujourd'hui son Dictionnaire des idées reçues, nul doute que l'on trouverait l'entrée suivante : "Ordonnances de l'article 38 : pas démocratiques, instrument scandaleux d'une dictature de l'Exécutif". Pas question, bien entendu, d'aller lire le texte de l'article 38 de la Constitution, on préfère reprendre le refrain à l'unisson, surtout lorsqu'il s'agit de s'élever contre l'annonce faite par Emmanuel Macron de modifier rapidement le droit du travail par ordonnances. Sur le site Atlantico, le 18 mai 2017, Sylvain Boulouque et Philippe Crevel affirment que la "volonté de réformer par ordonnances témoigne d'une conception du pouvoir caractérisée par la verticalité". De son côté, Alexis Corbière, chargé d'expliquer la Pensée de Jean-Luc Mélenchon aux "gens" peu informés de Son génie, déclare le 13 mai 2017 sur twitter : "L'ordonnance, c'est un seul homme qui décide sans le Parlement... c'est quasiment un discours antiparlementaire". Rien que ça..

Le texte


Alors, ne faisons pas comme Alexis Corbière, lisons l'article 38 de la Constitution. Il est ainsi rédigé :

"Le Gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi.
Les ordonnances sont prises en Conseil des Ministres après avis du Conseil d'État. Elles entrent en vigueur dès leur publication mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n'est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d'habilitation. Elles ne peuvent être ratifiées que de manière expresse.
À l'expiration du délai mentionné au premier alinéa du présent article, les ordonnances ne peuvent plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif."

On rappellera que la loi ne se définit pas seulement, sous la Vème République, comme un texte voté par le Parlement. Elle fait l'objet d'une définition matérielle, c'est-à-dire d'une définition par son contenu. Autrement dit, il est indispensable de passer par la voie parlementaire pour adopter des règles portant sur les sujets énumérés dans l'article 34 de la Constitution : libertés publiques, détermination des crimes et des délits, décentralisation, état des personnes, nationalité etc. Bref, les choix les plus essentiels doivent être faits par le législateur, et parmi eux figurent "les principes fondamentaux du droit du travail (...)". Tout ce qui ne figure pas dans la liste de l'article 34 relève du pouvoir réglementaire, aux termes de l'article 37 de la Constitution

L'article 38 a pour objet d'autoriser le gouvernement, pour une durée déterminée et sur un sujet précis,  à intervenir dans le domaine de la loi. Il s'agit de lui permettre de faire adopter rapidement des dispositions considérées comme particulièrement urgentes. Le Parlement est-il pour autant dessaisi et entièrement exclu de la procédure ? Non, au contraire, il intervient à deux reprises. 

Pierre Desproges. La démocratie
Chronique la haine ordinaire. 3 mars 1986

Loi d'habilitation


Au début de la procédure d'abord, il doit autoriser le gouvernement à prendre les ordonnances "en vue de l'exécution de son programme"et pour une durée précisément définie. Une loi d'habilitation est votée dans les conditions de la loi ordinaire. Contrairement à la pratique de la IIIe République, il ne s'agit pas du tout de voter "les pleins pouvoirs". Au contraire, le Conseil constitutionnel précise, dans sa décision du 12 janvier 1977, que le Gouvernement ne peut solliciter qu'une habilitation "ponctuelle" et qu'il doit expliquer au Parlement "avec une précision suffisante, la finalité des mesures" qu'il entend prendre dans le domaine de la loi. Le Conseil constitutionnel se livre a un contrôle strict de l'exactitude et de la précision de la loi d'habilitation, dès lors qu'il peut être saisi dans les conditions du droit commun par soixante députés ou soixante sénateurs (par exemple, à propos des ordonnances réformant la désignation des conseillers prud'hommes : décision du 11 décembre 2014). Ajoutons que, toujours conformément au droit commun, la loi d'habilitation fait l'objet d'une étude d'impact.

Loi de ratification


Une fois habilité, le gouvernement peut prendre par ordonnances les dispositions qu'il juge nécessaires. Là encore, il ne s'agit pas de textes émanant du gouvernement seul, car les ordonnances doivent être signées par le Président de la République. C'est loin d'être une simple formalité, car le Président dispose, sur ce point, du pouvoir discrétionnaire de signer, ou de ne pas signer. Durant la cohabitation de 1986, François Mitterrand a ainsi refusé de signer trois ordonnances proposées par le Premier ministre Jacques Chirac, sur les privatisations, le découpage électoral et l'aménagement du temps de travail. Il a donc contraint le gouvernement à déposer une projet de loi ordinaire dans ces trois domaines.

Quoi qu'il en soit, l'ordonnance est dotée à ce stade, d'une valeur réglementaire, c'est-à-dire susceptible de recours devant le Conseil d'Etat. Mais cette compétence du juge administratif est temporaire, car les ordonnances, à l'issue de la période d'habilitation, doivent être ratifiées par le Parlement.

Il intervient donc de nouveau à la fin de la procédure et la loi de ratification confère valeur législative aux ordonnances qui sont, en quelque sorte, réintégrées dans leur domaine naturel, celui de la loi. Observons que la révision de 2008 a développé, sur ce point, les droits du Parlement. Si un projet de loi de ratification n'est pas déposé dans le délai fixé par la loi d'habilitation, les ordonnances ne subsistent plus dans l'ordre juridique et sont désormais caduques. Si le projet de loi de ratification est déposé et non voté, les ordonnances subsistent avec valeur réglementaire, mais ne peuvent plsu être modifiés que par une norme de valeur législative. Autrement dit, le gouvernement doit nécessairement avoir une majorité parlementaire pour que les ordonnances demeurent dans le système juridique avec valeur législative. C'est si vrai que le Conseil constitutionnel a décidé, dans sa décision du 17 mars 2011, la recevabilité d'une QPC dirigée contre une ordonnance ratifiée. 

Le Parlement intervient donc au début et à la fin de la procédure, avec à chaque fois la possibilité de refuser les ordonnances. Il est incontestable cependant que le débat parlementaire sur l'élaboration des règles disparaît. Mais le parlement conserve la possibilité de déposer des amendement lors de ratification et ainsi de modifier le contenu des ordonnances. 

Un seul homme ne décide donc pas sans le Parlement, contrairement à ce qu'affirme Alexis Corbière. Chacun sait que la démocratie directe se traduit par l'intervention directe du peuple dans le processus décisionnel, par exemple par referendum alors que le démocratie représentative est incarnée dans le parlement. Ces critiques des ordonnances de l'article 38, tout à fait nouvelles puisque cette pratique existe depuis 1958 sans susciter beaucoup d'agitation, ne seraient pas graves si elles ne témoignaient d'une dilution de la notion même de démocratie.
Aujourd'hui certains considèrent que la démocratie réside dans quelques centaines de personnes assemblées Place de la République et qui ne représentent qu'elles-mêmes. D'autres, ou les mêmes, signent toutes les pétitions "citoyennes" possibles en considérant qu'elles sont l'expression de la démocratie, alors qu'une seule personne peut signer la même pétition autant de fois qu'il a d'adresses courriel. Le mot "démocratie" est si joyeusement galvaudé que l'on risque d'en oublier le sens et bientôt la pratique. Alors, pour une fois, rendons hommage à François Hollande qui a déclaré, dans son discours de Crolles du 18 mars 2017 : "La démocratie est en danger quand des impulsions éclipsent la raison, quand l'invective masque les perspectives, quand le tweet remplace le texte (...)".
Sur les notions de démocratie et d'Etat de droit : introduction du manuel de libertés publiques.