Le refus de l'action en diffamation
L'article 97 : une jurisprudence rare
Dans sa décision du 7 décembre 2012, le Conseil constitutionnel, quant à lui, se prononce comme juge de l'élection. Il est saisi d'un recours de Nadine Morano qui demande l'annulation des législatives de juin 2012, dans la 5è circonscription de Meurthe-et-Moselle, où elle a été battue. Elle se plaint notamment d'un canular de Gérald Dahan qui, durant la campagne, s'était fait passer au téléphone pour Louis Aliot et lui avait proposé une alliance avec le FN, alliance qu'elle n'avait pas formellement refusée. Le Conseil constitutionnel affirme, comme on peut s'en douter, qu'il n'est pas compétent pour dire si le canular entre dans le champ d'application de l'article 97 du code électoral, décision qui ne saurait appartenir qu'au juge judiciaire.
En revanche, le Conseil affirme que Nadine Morano a "été en mesure de répondre à la polémique électorale née de la diffusion des propos enregistrés à son insu". La remarque invite les juges du fond à considérer que le délit n'est pas constitué si le débat public a pu se développer entre les révélations divulguées et l'élection. Dans ce cas le détournement des suffrages est plus difficile à démontrer, dès lors que la manoeuvre a été mise sur la place publique. François Fillon a, quant à lui, eu plus de trois mois pour contester les révélations du Canard, pour se plaindre de la persécution que lui faisait subir la presse et même dénoncer l'existence d'un étrange Cabinet Noir. On doit en déduire que le Conseil estime que l'infraction de l'article 97 s'applique lorsque les électeurs n'ont pas pu bénéficier d'un débat contradictoire qui, s'il ne s'est pas encore développé devant les juges, a au moins eu lieu dans les médias.
La notion de fausse nouvelle
La notion de fausses nouvelles figurant dans l'article 97 du code électoral n'a pas suscité d'interprétations jurisprudentielles. On est donc contraint de raisonner par analogie, à partir du délit figurant à l'article 27 de la loi de 1881. Il punit "la publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique". Selon la jurisprudence relative à ces dispositions, la fausse nouvelle se définit par trois éléments.
Le premier est que l'information divulguée doit être une "nouvelle", ce qui signifie que les faits relatés doivent avoir un lien avec un évènement ou un fait d'actualité et qu'ils ne portent pas sur des informations du passé déjà divulguées. En l'espèce, les activités de Pénélope comme assistante parlementaire et salariée de la Revue des deux mondes constituent bien des "nouvelles" dès lors qu'elles étaient demeurées confidentielles et que ces informations éclairent la candidature de son mari aux fonctions de Président de la République.
Le second élément réside dans la fausseté de l'information et François Fillon risque de se retrouver confronté à un problème très délicat pour lui, celui de la vérité. D'une manière générale, la fausse nouvelle est "mensongère, erronée ou inexacte dans la matérialité du fait et dans ses circonstances", formule employée par la Cour d'appel de Paris dans une décision du 7 janvier 1988. La fausse nouvelle concerne donc les faits et eux seuls, comme le rappelle la décision rendue le 13 avril 1999 par la Chambre criminelle de la Cour de cassation. Des commentaires, même particulièrement venimeux, sur des faits avérés ne peuvent être, en soi, être considérés comme des fausses nouvelles. Dans l'affaire Fillon, le Canard n'a pas rapporté de fausse nouvelle, d'autant que, là encore, il convient de rappeler que l'intéressé lui-même a reconnu la matérialité de l'emploi de son épouse.
Reste le troisième et dernier élément, qui réside, comme en matière de diffamation, dans la bonne foi de la publication. Il est probable que François Fillon espère démontrer cette absence de bonne foi en invoquant le fait que Le Canard n'a pas seulement fait état de l'emploi de Pénélope mais aussi et surtout de son caractère fictif. Le volatile est-il pour autant de mauvaise foi ? Il le serait s'il était démontré qu'il a sciemment publié des informations qu'il savait erronées. Avouons que la probabilité est bien faible, d'autant que les juges d'instruction sont précisément en train d'enquêter sur ce caractère fictif. En l'espèce, il appartiendra à François Fillon de prouver la mauvaise foi du Canard et dans ce but, il s'efforcera d'accéder à ses sources. Mais la loi du 4 janvier 2010 protège le secret des sources des journalistes, protection à laquelle les pouvoirs publics ne peuvent porter atteinte que pour des motifs liés à un "impératif prépondérant d'intérêt public". Quoi qu'en pense François Fillon, il est peu probable que les droits de la partie civile dans une affaire correctionnelle soient considérés comme un tel impératif.
La plainte de François Fillon a bien peu de chances de prospérer et l'on peut penser qu'il s'agit d'une simple posture de communication. La presse nous dit pourtant, rapportant des propos de Robert Bourgi, qu'il songerait à s'appuyer sur cette procédure pour obtenir l'invalidation de l'élection présidentielle. Cette fois, nous sommes dans la plus haute fantaisie... Rappelons en effet que le Conseil constitutionnel est le seul juge de l'élection présidentielle et qu'un recours est ouvert aux candidats malheureux pendant les 48 heures suivant le scrutin. Les avocats de François Fillon feraient certainement preuve de sagesse en lui conseillant de jeter l'éponge. C'est d'autant plus vrai qu'avec ses fins de mois difficiles, il risque d'avoir rapidement des difficultés pour payer leurs honoraires.
Sur la liberté de presse et la diffamation : Chap 9, section 2 § A du manuel de libertés publiques.