« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mardi 25 avril 2017

Le rapport 2016 de la Délégation parlementaire au renseignement

La Délégation parlementaire au renseignement (DPR) a remis le 4 avril 2017 son rapport annuel au Président de la République. La moment n'était pas des plus propices. Le Président, en fin de mandat, n'a pas donné une publicité excessive à l'opération. Quant au Parlement, il n'a pas pu en débattre, puisqu'il n'était plus réuni, ses travaux étant interrompus jusqu'aux élections législatives. Le résultat est que ce rapport n'a pas vraiment suscité d'intérêt. On peut le regretter car le document rendu public donne de précieuses informations, même s'il est expurgé de tous éléments couverts par le secret de la défense nationale.

La DPR


La DPR a été créée par la loi du 9 octobre 2007 et ses compétences ont été renforcées par la loi de programmation militaire du 18 décembre 2013. Composée de quatre députés et quatre sénateurs, elle est actuellement présidée par Patricia Adam (PS Finistère), Présidente de la Commission de la défense nationale à l'Assemblée. La mission de la DPR est d'assurer le contrôle parlementaire de l'action du gouvernement en matière de renseignement. Elle peut faire des recommandations à l'Exécutif et son rapport lui permet précisément de dresser la liste de ses préconisations. 

Les différents fichiers liés au terrorisme


Celui portant sur l'année 2016 s'inscrit, à l'évidence, dans le contexte particulier de l'état d'urgence et de la lutte contre le terrorisme. On y apprend que, durant cette année 2016, 12 000 personnes étaient "fichées S". En réalité, cette formulation signifie qu'elles figurent dans un Fichier des personnes recherchées (FPR) créé en 1969 et qui comporte 400 000 noms. Au sein de cet ensemble, la fiche S signifie atteinte à la sûreté de l'Etat. Elle concerne non seulement les personnes qui "peuvent, en raison de leur activité (...), porter atteinte à la sûreté de l'Etat et à la sécurité publique, par le recours ou le soutien actif à la violence" mais encore celles qui entretiennent avec elles des "relations directes et non fortuites". Sur ces 12000 personnes fichées, environ 4200 le sont en raison de leurs liens avec l'islam radical, les autres sont aussi bien des mineurs en fugue que des évadés de prison ou des membres du grand banditisme. Cette dilution des données au sein du FPR a conduit le ministre de l'intérieur, après l'attentat contre Charlie, a créer un fichier des signalés pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste, fichier plus ciblé qui comporte environ 15 000 noms. La DPR souhaite, très logiquement, qu'une étude soit menée sur ces différents fichiers et notamment sur leur articulation.


Le Bureau des Légendes. Eric Rochant 2015. Mathieu Kassovitz

La fluidité de l'information


L'un des points essentiels traités par le rapport de la DPR porte sur la circulation de l'information  entre les magistrats chargés de la lutte contre le terrorisme d'une part et les services de renseignement d'autre part. On insiste en général beaucoup, et à juste titre, sur les difficultés rencontrées par les juges pour accéder aux éléments détenus par les services couverts par le secret défense. Le rapport, quant à lui, envisage la nécessaire circulation de l'information en sens inverse. Autrement dit, il s'interroge sur la manière dont les services de renseignement peuvent être informés des procédures en cours portant sur des faits de terrorisme. 

A dire vrai, le secret de l'enquête n'est plus absolu. En témoigne l'article 11-2 du code de procédure pénale, issu de la loi du 14 avril 2016, qui autorise l'information de l'administration sur certains éléments d'une procédure en cours concernant une personne qu'elle emploie. Dans la droite ligne de ces dispositions, la loi du 28 février 2017 prévoit désormais la possibilité pour les services de renseignement d'accéder aux éléments de procédures judiciaires portant sur des actes de terrorisme. La procédure autorise cependant le procureur de la République à s'opposer à cette communication s'il estime qu'elle est de nature à nuire à l'efficacité de la procédure pénale. Les pièces ainsi obtenues peuvent circuler à l'intérieur des services, dans le strict respect du secret, mais ne peuvent, en aucun cas, faire l'objet d'un échange avec des services étrangers ou des organismes internationaux. La DPR est évidemment favorable à cette réforme, mais on peut regretter qu'elle ne prenne pas aussi une position aussi claire sur l'accès des juges aux pièces détenues par les services de renseignement.

Bilan des lois récentes


Dans son rapport, la DPR dresse le bilan de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement et de celle du 30 novembre 2015 sur les mesures de surveillance des communications électroniques internationales. Aux yeux de la Délégation parlementaire, ces textes ont eu des "effets largement positifs", appréciation qui n'est guère surprenante si l'on considère que les auditions auxquelles procède la DPR sont essentiellement celles des professionnels du renseignement, les chercheurs n'y étant conviés qu'à travers la très officielle Académie du renseignement

Les chiffres fournis permettent cependant d'avoir une idée de l'importance de l'activité de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), dont on sait qu'elle donne une autorisation préalable à l'utilisation de certaines techniques d'interception des communication. Les statistiques de la CNCTR, mentionnées dans le rapport, montrent que cette autorité a reçu environ 66 000 demandes d'autorisation en 2015-2016, sur lesquelles elle a rendu 1332 avis défavorables, soit 2 % de l'ensemble. Par ailleurs, sur ces 66 000 demandes, 48 000 s'analysent comme des demandes d'accès en temps différé, c'est à dire visant à obtenir les coordonnées précises d'une personne suspectée. Seulement 8500 demandes portent sur les interceptions de sécurité, au sens étroit du terme, écoutes téléphoniques ou accès aux données circulant sur internet. Il est vrai que la CNCTR est peu encline à refuser son autorisation, mais l'existence même d'une procédure d'autorisation suffit sans doute à limiter les demandes au domaine de la prévention du terrorisme. 

La DPR et les services de renseignement, même combat


Reste que la rapport de la DPR est nécessairement à prendre avec prudence, tant il est vrai que sa proximité avec les services de renseignement peut la conduire à s'en faire le porte-parole. C'est ainsi qu'elle propose une modification de l'article L 851-2 du code de la sécurité intérieure, dont la rédaction a été modifiée par la loi du 21 juillet 2016 prorogeant l'état d'urgence.  Ces dispositions permettent aux services de renseignement d'obtenir en temps réel les données de connexion d'une personne représentant une menace terroriste ou simplement "susceptible d'être en lien" avec cette menace. Le recueil de données ne concerne donc pas seulement la personne considérée comme dangereuse mais aussi toute autre personne qui peut être en contact avec elle et qui est susceptible de fournir des informations utiles. A dire vrai, cette procédure n'a, en soi, rien de très choquant. 

Mais la DPR met ces dispositions en relation avec celles de l'article L851-3 du même code. Il prévoit les fameuses "boîtes noires"qui permettent de recueillir des données sur les réseaux des fournisseurs d'accès et opérateurs téléphoniques, grâce à des algorithmes susceptibles de révéler des comportements suspects. La DPR considère que ces algorithmes sont susceptibles de sortir des "listes importantes" de ces suspects potentiels. Dès lors, elle en déduit que l'autorisation d'obtenir les données de connexion prévue par l'article L 851-2 ne doit plus porter sur un seul individu mais sur l'ensemble de ceux figurant sur la liste définie par l'algorithme. Et pour faire bonne mesure, elle propose d'accroître la durée de l'autorisation pour laisser aux services le temps d'exploiter l'ensemble de la liste. Une telle modification induit, à l'évidence, une importante ingérence dans la vie privée des personnes, d'autant que ne sont pas seulement concernées celles qui constituent une menace mais aussi l'ensemble d'un entourage plus ou moins large simplement susceptible de fournir des informations. Peut-être serait-elle utile, mais il conviendrait, au moins, d'organiser une expertise sur ce point et d'en débattre en dehors d'un cénacle de huit personnes. On peut penser que l'idée vient des services eux-mêmes qui ont su convaincre la DPR de son bien-fondé. Le seul problème est que la DPR n'est pas le porte parole des services de renseignement mais qu'elle constitue le seul élément, bien modeste, de contrôle parlementaire dans ce domaine.

Sur la lutte contre le terrorisme : Chap 5, section 1 du manuel de libertés publiques.

1 commentaire:

  1. "France, mère des arts, des armes et des lois" écrivait, il y a bien longtemps Joachim du Bellay. Même s'il est largement passé inaperçu, le dernier rapport de la Délégation parlementaire au renseignement (DPR) est instructif à plus d'un titre. En faisant preuve d'une certaine impertinence, on pourrait affirmer qu'il permettrait de compléter agréablement la formule de Joachim du Bellay.

    1. France, mère des comités Théodule

    Ce n'est un secret pour personne que dans notre pays, dès qu'il y a un problème, on crée un comité Théodule, une commission, un groupe d'experts, un groupe de sages... dont les réflexions garnissent les poubelles de l'Histoire. Ainsi, le problème est peu ou pas traité. Il est simplement renvoyé au calendes grecques. Le renseignement n'échappe pas à la règle avec la création de la DPR. Même si elle constitue un progrès, elle verse souvent dans le routinier et dans les platitudes. Par ailleurs, nous sommes les champions d'une approche institutionnelle et dogmatique au détriment d'une approche fonctionnelle et pragmatique que privilégient les anglo-saxons.

    2. France, mère de la confusion

    Dans notre pays, la pratique est rarement conforme à la théorie. En lieu et place d'une saine séparation des pouvoirs, nous évoluons dans une confusion malsaine des pouvoirs. Le législatif se courbe le plus souvent devant les Diktat de l'exécutif. Le judiciaire (en particulier le parquet) est sous la coupe de l'exécutif. Le procureur de Paris, le très communicant François Mollins explique dans les colonnes du Monde qu'il est quotidiennement en contact avec le DGSI. Ce qui est une excellente chose en soi pour prévenir les actes de terrorisme mais qui peut parfois poser des problèmes de délimitation des compétences, d'instrumentalisation de la Justice par l'administration et d'atteinte aux libertés fondamentales des citoyens.

    3. France, mère de la connivence

    Notre pays est un pays de l'entre-soi et du copinage. Qui nomme-t-on à la tête de la CNCTR ? Un vieux routier du Conseil d'Etat qui a passé le plus clair de son temps en dehors du Palais-Royal et qui vit du et avec le système. Qui sont les membres de la DPR ? Des vieux routiers de la politique qui ménagent les Services pour s'attirer leurs faveurs. En réalité, les Services les instrumentalisent souvent avec efficacité et élégance. Toutes les révélations "croustillantes" sur les dérives des Services (elles sont inévitables et humaines) proviennent des médias d'investigation et rarement de ces comités Théodule. Il est bon que le quatrième pouvoir - dans toute la mesure où il est indépendant de l'exécutif - joue son rôle dans une démocratie et un état de droit digne de ce nom.

    "Ce sont toujours les indifférents qui sont les mieux renseignés" (André Maillet, Le Profil de l'original).

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