Pages
« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
dimanche 18 décembre 2016
ENM : La promotion Toussaint Pierucci : une belle idée de la justice
vendredi 16 décembre 2016
L'état d'urgence, saison 5
L'avis du Conseil d'Etat
Le rapport d'information parlementaire
Affiche contre les décrets-lois. Marcel Laurey. 1946 |
Les perquisitions
Les assignations à résidence
mardi 13 décembre 2016
La Cour de justice de la République, ou l'étrange juridiction
Aujourd'hui, la question posée est celle des responsabilités pénales, dès lors que le caractère frauduleux de l'arbitrage est attesté par la justice. La plupart de ceux qui ont organisé cet arbitrage sont poursuivis pour escroquerie en bande organisée ou complicité de détournement de fonds publics. Figurnt parmi les personnes mises en examen Bernard Tapie, Maurice Lantourne sont avocat, Pierre Estoup, l'un des trois arbitres, Stéphane Richard ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde avant de prendre la direction d'Orange. Ils seront jugés par le tribunal correctionnel.
Une infraction liée à l'exercice des fonctions ministérielles
Christine Lagarde, quant à elle, est poursuivie devant la CJR parce qu'elle était, à l'époque, ministre des finances. L'article 68-1 de la Constitution, issu de la révision constitutionnelle de 1993, énonce que "les membres du gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis". Les ministres sont donc poursuivis devant la CJR pour les infractions commises durant leurs fonctions.
Le partage des compétences se trouve précisément dans l'appréciation de l'exercice des fonctions. Christine Lagarde est poursuivie devant la CJR pour des fait liés à ses fonctions ministérielles, dès lors qu'elle est accusée d'avoir, par négligence, laissé organiser un arbitrage frauduleux et terriblement onéreux pour les deniers de l'Etat. En revanche, les faits détachables des fonctions ministérielles relèvent des tribunaux de droit commun. C'est la raison pour laquelle Jérôme Cahuzac, jugé pour fraude et blanchiment à des fins personnelles a été poursuivi et condamné par le tribunal correctionnel.
Ce partage des compétences a été clairement explicité par la Cour de cassation, dans un arrêt rendu par la Chambre criminelle le 16 février 2000. A propos de l'affaire Elf, elle a jugé que les poursuites contre Roland Dumas n'avaient "aucun lien direct avec la détermination et la conduite de la Nation et des affaires de l'Etat". Elles pouvaient donc être diligentées devant les tribunaux ordinaires.
Ce privilège de juridiction a pour objet d'empêcher l'impunité des actes des ministres liés à leur fonction, sans pour autant les placer sous la menace de la vindicte politique. Le problème est que la CJR ne parvient pas réellement à assurer l'équilibre recherché.
Ô ministres intègres. Ruy Blas. Victor Hugo. Gérard Philipe. 1954
Les limites de l'accusation
Observons d'emblée l'une des caractéristiques essentielles de la CJR : si toute personne s'estimant lésée par un crime ou un délit commis par un membre du gouvernement dans l'exercice de ses fonctions peut engager un recours devant une commission des requêtes rattachée à la Cour, il lui est interdit de se porter partie civile.
En l'espèce, ce sont des parlementaires socialistes qui sont à l'origine de la saisine de la CJR. Par des courriers d'avril 2011 adressés au procureur général près la Cour de cassation, ils ont fait état des nombreuses anomalies qui ont entouré l'arbitrage et qui peuvent faire soupçonner que Christine Lagarde ait commis diverses infractions. Le procureur a donc saisi pour avis la Commission des requêtes de la CJR en mai 2011. Composée de sept magistrats (Conseillers à la Cour de cassation, Conseillers d'Etats et conseillers-maîtres à la Cour des comptes), cette commission a pour fonction de filtrer le recours. Le 4 août 2011, elle a rendu un avis favorable à la saisine de la Cour.
Par la suite, la procédure a suivi son cours et la formation d'instruction, composée de trois magistrats de la Cour de cassation élus par leurs pairs, a décidé le renvoi de Christine Lagarde devant la CJR. Conformément à l'article 24 de la loi organique du 23 novembre 2016, celle-ci a fait un pourvoi en cassation qui a été rejeté par un arrêt du 22 juillet 2016.
Le problème est que, dans cette affaire, personne ne porte l'accusation. En effet, le procureur général Jean-Claude Marin avait requis un non-lieu. Certes, il n'a pas été suivi lors de la décision de renvoi, mais c'est également lui qui est chargé de l'accusation durant l'audience qui vient de s'ouvrir. Autrement dit, le procureur va oeuvrer pour que l'innocence de l'accusée soit reconnue par la CJR. La situation n'est pas banale et on peut penser que les autres accusés de l'affaire Tapie, ceux qui seront jugés devant le tribunal correctionnel, ne bénéficieront pas du même avantage. Dans l'affaire Lagarde, le procureur joue, en pratique, le rôle d'un avocat supplémentaire de l'accusée.
Les limites du jugement
Les premiers compte-rendu d'audience parus dans la presse montrent que la Présidente de la Cour de justice de la République, Martine Ract-Madoux s'efforce de remédier à l'absence d'accusation et se montre particulièrement pugnace dans ses interrogatoires. Il n'empêche que la composition de la Cour est conçue pour limiter le rôle des magistrats professionnels.
La formation de jugement est composée de quinze juges, six députés, six sénateurs et seulement trois magistrats de la Cour de cassation, dont la présidente. Il est vrai que les parlementaires prêtent serment devant leur assemblée d'origine de "se conduire en tout comme dignes et loyaux magistrats" (art. 2 de la loi organique). Ils sont ainsi soumis au secret des délibérations, et le sénateur Autain a été condamné par le tribunal correctionnel, le 14 novembre 2000, pour l'avoir enfreint lors de l'affaire du sang contaminé.
On peut penser néanmoins que les parlementaires sont plus enclins à pardonner les faiblesses des personnalités politiques que les magistrats professionnels. Les peines prononcées par la CJR sont généralement modestes, sauf quand il est vraiment impossible de faire autrement. Ainsi, en 2004, Michel Gillibert a-t-il été condamné à une peine d'emprisonnement de trois années avec sursis et à une amende de 20 000 € pour avoir détourné des fonds publics. En 2010, Charles Pasqua a également été condamné à un an de prison avec sursis pour complicité et recel d'abus de biens sociaux dans l'affaire de la SOFREMI. Jusqu'à aujourd'hui, même dans ses verdicts les plus sévères, la CJR n'a donc envoyé personne en prison.
Dans le cas de l'affaire Lagarde, les partisans de l'indulgence ont déjà fait connaître leur argumentaire. Ils estiment que l'ancienne ministre ne devrait pas être jugée avant que le tribunal correctionnel se soit prononcé sur le cas des autres personnes mises en examen dans l'affaire Tapie. Patrick Maisonneuve, son avocat, estime ainsi que "ce n'est pas la CJR qui peut arbitrer l'existence d'un détournement de fonds publics, alors que c'est l'objet de l'instruction en cours". Verrait-il des arbitrages partout ? La décision à venir n'a pas pour objet d"arbitrer l'existence d'un détournement de fond", notion étrange qui ne relève pas du droit pénal. Comme n'importe quelle juridiction pénale, la CJR doit seulement décider si Christine Lagarde est l'auteur d'une négligence ayant permis un détournement de fonds. Elle a juste à qualifier des faits et n'est pas liée par une éventuelle décision, passée ou à venir, d'un tribunal correctionnel. L'argument vise en réalité à présenter l'ancienne ministre comme la malheureuse victime d'une procédure inique.
Il ne fait aucun doute que la Cour de justice de la République va se heurter à bien des difficultés dans l'affaire Lagarde. L'accusation n'existe pas et les juges sont largement issus d'un milieu politique peu enclin à l'auto-flagellation. Surtout, ces juges risquent d'être sensibles à un autre argument, si puissant qu'il n'a même pas besoin d'être explicitement formulé. L'éventuelle condamnation de Christine Lagarde remettrait évidemment en cause la présidence française du FMI, raison d'Etat sans aucun rapport avec sa culpabilité ou son innocence, mais argument auquel certains pourraient ne pas être insensibles.
jeudi 8 décembre 2016
Le dernier décret de Manuel Valls : menace sur la séparation des pouvoirs
Séparation des pouvoirs et indépendance de l'autorité judiciaire
Les deux hauts magistrats invoquent donc une atteinte à la séparation des pouvoirs, principe qui a valeur constitutionnelle. Il figure dans l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui affirme que "toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution". Dans une décision Mme Ekaterina B. rendue sur QPC le 10 novembre 2011, le Conseil constitutionnel affirme très clairement que cette disposition "implique le respect du caractère spécifique des fonctions juridictionnelles, sur lesquelles ne peuvent empiéter ni le législateur ni le Gouvernement". Il est clair que l'article 16 interdit l'empiètement des agents placés sous l'autorité de l'Exécutif dans la fonction juridictionnelle.
Le texte de la Constitution de 1958 emploie pourtant une autre terminologie. L'article 64 de la Constitution fait ainsi du Président de la République le "garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire", formulation qui est celle du titre VIII. Il est clair que l'"autorité judiciaire" n'est pas le "pouvoir judiciaire". Le constituant de 1958 l'a voulu ainsi pour maintenir la subordination du Parquet à l'Exécutif. Mais cette terminologie conduit à constater que le régime actuel ne repose pas vraiment sur la "séparation des pouvoirs", dès lors qu'il n'existe pas réellement de "pouvoir judiciaire".
La Cour européenne des droits de l'homme en est pleinement consciente, lorsqu'elle considère que les magistrats du parquet, placés sous l'autorité hiérarchique du ministre de la justice, ne constituent pas des "magistrats indépendants" au sens de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH, 23 novembre 2010, Moulin c. France).
En l'espèce, le Premier Président et le Procureur général s'appuient sur l'article 16, c'est à dire sur le principe de séparation des pouvoirs, dans la mesure sans doute où le Conseil constitutionnel l'a interprété comme interdisant l'ingérence de l'Exécutif dans la fonction juridictionnelle.
Gardien de la séparation des pouvoirs |
Le contrôle de gestion
A priori, la nouvelle Inspection générale de la justice semble être issue d'une réforme de bon sens. Elle assume les compétences antérieurement dévolues à l'Inspection générale des services judiciaires, l'Inspection des services pénitentiaires et l'Inspection de la protection judiciaire de la jeunesse. La mutualisation semble donc cohérente. Les missions relèvent quant à elle de l'audit et du contrôle de gestion. Il s'agit d'étudier le fonctionnement des services judiciaires, y compris les juridictions, conformément aux principes d'évaluation de la performance qui sont désormais introduits dans l'ensemble de la fonction publique.
Avant le décret du 5 décembre 2016, cette mission d'évaluation incombait à l'Inspection des services judiciaires. Elle s'exerçait sur l'ensemble des juridictions de l'ordre judiciaire, à l'exception de la Cour de cassation. On peut d'ailleurs regretter que la juridiction suprême ne soit pas intervenue pour protester contre une atteinte à la séparation des pouvoirs touchant les juges du fond.
Quoi qu'il en soit, le statut dérogatoire de la Cour de cassation ne signifie pas qu'elle échappait à toute évaluation. D'une part, elle se contrôlait elle-même et son rapport annuel donnait ainsi des indications chiffrées sur les délais moyens de jugement des affaires inscrites à son rôle ainsi que sur ses ressources humaines. D'autre part, un contrôle de la Cour des comptes sur le fonctionnement de la Cour de cassation pouvait, et peut toujours, être mis en oeuvre, ce qui a été fait en 2015 sans que l'on connaisse encore les résultats de cette évaluation.
Cette situation n'était peut-être pas satisfaisante, mais fallait-il pour autant procéder subrepticement, en faisant disparaître du décret le régime dérogatoire de la Cour de cassation, à l'insu du Premier Président et du Procureur général ? Fallait-il choisir une procédure de contrôle portant directement atteinte au principe de séparation des pouvoirs ?
Le contrôle de la Cour de cassation...ou sur la Cour de cassation
L'Inspection générale de la Justice se trouve placée en effet sous l'autorité du ministre de la justice. L'article 3 du décret précise qu'elle "participe à la mise en œuvre de la politique ministérielle de l'audit interne". Elle reçoit ses ordres de l'Exécutif et le Garde des Sceaux comme le Premier ministre peuvent lui confier "toute mission d'information, d'expertise et de conseil ainsi que toute mission d'évaluation des politiques publiques, de formation et de coopération internationale". L'Inspection est un instrument de l'Exécutif chargé de contrôler le fonctionnement de la Cour de cassation, situation extrêmement choquante sur le plan de la séparation des pouvoirs.
Certains objecteront que sa mission réside dans l'audit, le contrôle de gestion, et non pas celui de l'activité juridictionnelle. Mais le décret ne dit rien de tel. En termes très généraux, il se borne à affirmer que la nouvelle Inspection générale "apprécie l'activité, le fonctionnement et la performance des juridictions". La formule n'interdit pas un contrôle sur la manière dont les arrêts sont rendus, voire sur leur contenu.
En outre, même le contrôle de gestion peut se révéler dangereux dès lors qu'il est exercé par l'Exécutif : un ministre ne sera-t-il jamais tenté de l'instrumentaliser pour faire pression sur la Cour de cassation ? Sur le thème : le contrôle risque d'être très mauvais sauf si... telle ou telle jurisprudence évolue. C'est parfaitement cynique mais n'a-t-on pas déjà vu un Président de la République en exercice s'efforcer, cette fois par des vaines promesses, d'obtenir d'un membre de la Cour de cassation des informations sur une affaire en cours ?
Le décret du 5 décembre constitue ainsi un nouvel épisode témoignant d'un certain mépris du Gouvernement à l'égard de l'autorité judiciaire. On notera d'ailleurs que le Président de la République n'est pas mieux traité, car le texte n'a pas été délibéré en conseil des ministres et il n'a donc pas été invité à le signer. Or, il est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire, sur le fondement de l'article 64 de la Constitution...
Il reste à se demander si le Premier Président Bertrand Louvel et le Procureur général Jean-Claude Marin déposeront devant le Conseil d'Etat un recours pour excès de pouvoir contre le décret du 5 décembre 2016. On imagine déjà l'embarras des membres du Conseil d'Etat...
Sur l'indépendance et l'impartialité des juges : Chap 4 , section 1 § 1 D du manuel de libertés publiques.
mardi 6 décembre 2016
La géolocalisation : quelques précisions sur sa définition
Géolocalisation et intervention d'un magistrat indépendant
L'exigence du "temps réel"
La notion de géolocalisation
samedi 3 décembre 2016
Les crèches devant les juges du fond : Eloge de la complexité
La première décision
Les critères posés par le Conseil d'Etat
L'Adoration des Mages. Lorenzo Monaco. 1421 |