L'ordonnance de mai 2016
L'interdiction de principe
La loi française interdit en effetl'insémination post mortem. L'article L 2141-2 du code de la santé publique réserve en effet les techniques d'assistance médicale à la procréation, et l'insémination artificielle en est une, à la "demande parentale d'un couple". Force est de constater qu'une veuve ne forme plus un "couple", et l'alinéa 3 du même article se montre encore plus explicite : "l'homme et la femme formant le couple doivent être vivants". Par voie de conséquence, le droit français n'autorise l'exportation de gamètes que pour utilisation conforme au droit français.
Le critère lié au pays d'exportation
Dans l'ordonnance rendue par le Conseil d'Etat en mai 2016, la requérante était une jeune femme espagnole dont le mari italien était tombé gravement malade à Paris, ville de résidence du couple. Sachant que son traitement pouvait le rendre stérile, il avait congelé des paillettes de sperme dans un Centre d'étude et de conservation des oeufs et du sperme humains (CECOS). Après son décès, sa veuve avait donc pu obtenir du Conseil d'Etat une ordonnance permettant l'exportation des gamètes vers son pays natal. Le juge des référés avait alors précisé que sa décision avait un caractère exceptionnel, "eu égard à l’ensemble des circonstances de la présente affaire". On avait alors considéré que ce caractère exceptionnel résidait précisément dans la nationalité de la requérante, dès lors que l'Espagne autorisait l'insémination post-mortem et que l'on pouvait considérer comme discriminatoire le fait de lui refuser l'accès à une technique parfaitement licite dans le système juridique auquel elle est assujettie.
C'est manifestement ce qu'a compris le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse qui, le 13 octobre 2016, c'est-à-dire deux jours après la décision rennaise, a refusé l'exportation des gamètes à une requérante, au motif qu'elle n'alléguait aucun lien avec l'un des pays autorisant les inséminations post mortem ni d'aucun projet de s'y installer.
Dans le cas rennais, Mme H. est de nationalité française comme son mari décédé. Lui aussi était atteint d'une très grave maladie, et lui aussi, craignant de devenir stérile, avait déposé ses gamètes dans un CECOS. Sa veuve demande l'exportation des gamètes vers un autre pays de l'Union européenne, non pas parce qu'elle en a la nationalité, mais tout simplement parce qu'elle cherche un système juridique qui autorise ce type d'assistance médicale à la procréation. Elle n'a évidemment pas l'intention de s'y installer.
A priori, le droit français devrait s'appliquer à Rennes comme à Toulouse, dans toute sa rigueur. Le juge des référés accepte pourtant de considérer que des circonstances particulières peuvent justifier l'exportation.
Louis Valtat (1869-1952). Louis le poupon. |
Le critère de la compassion
Comme le juge des référés du Conseil d'Etat le 31 mai 2016, celui de Rennes écarte purement et simplement la loi française en s'appuyant sur des "circonstances particulières". Pour réaliser une telle opération, il fait intervenir l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme qui garantit le droit à la vie privée et familiale. Il affirme alors que, dans certains cas, "l'application de dispositions législatives peut constituer une ingérence disproportionnée" dans ce droit.
En l'espèce, ce caractère disproportionné repose sur les faits, et plus précisément sur l'histoire personnelle de la requérante. En effet, le projet parental de deux époux s'était concrétisé par une grossesse intervenue sans aucune assistance médicale en novembre 2015. En dépit de sa maladie, M. H. avait suivi cette grossesse et il avait pu connaître le sexe de son enfant le 14 janvier 2016, avant de s'éteindre le 27 janvier. Hélas, la petite fille est elle-même décédée in utero en avril 2016. C'est donc l'histoire de ce bébé perdu, témoignage de l'existence d'un véritable projet parental, qui constitue, aux yeux du juge, la "circonstance particulière" de nature à justifier l'exportation des gamètes.
Une réponse et des questions
Certes, le juge administratif fait preuve de compassion, qualité rare dans la juridiction administrative accusée d'être un peu trop désincarnée. On ne saurait trop l'en louer. En même temps, si l'ordonnance apporte une réponse à Mme H., elle pose des questions nouvelles.
Sur le plan humain, on ne peut s'empêcher de penser à la requérante de Toulouse qui n'a pas pu commencer de grossesse. Va-t-elle regretter de n'avoir pas eu la "chance" de perdre un enfant pour prouver au juge l'existence d'un projet parental ? Le simple dépôt des gamètes dans un CECOS ne devrait-il pas être suffisant pour apporter cette preuve ? Ces questions méritent d'être posées, car elles conditionnent le respect du principe constitutionnel d'égalité devant la loi, ou plutôt devant la dérogation à la loi.
Sur le plan plus strictement juridique, cette utilisation de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme pour écarter la loi française est-elle réellement satisfaisante ? Elle accroît certes le pouvoir de juge qui peut, à son gré et selon les situations d'espèce, moduler son appréciation des circonstances particulières de nature à justifier une dérogation. En même temps, le simple fait que l'on recherche désormais de telles dérogations révèle l'inadaptation de la loi actuelle, à une époque où l'insémination post mortem est pratiquement dans bon nombre de pays proches. Il est sans doute temps que le parlement engage une réflexion nouvelle sur l'insémination post- mortem.