« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
Des élues écologistes accusent un député récemment démissionnaire de leur propre parti, Denis Baupin, de violences sexuelles et de harcèlement sexuel, pratiques qui se seraient déroulées durant une dizaine d'années. Ces accusations ont été publiées le 9 mai 2016 par Médiapart et France Inter, médias que l'intéressé envisage de poursuivre en justice pour diffamation. De telles révélations ont évidemment suscité beaucoup de commentaires. Il appartiendra, en tout état de cause, à l'enquête préliminaire d'établir les faits.
Pour le moment, et sans porter atteinte à la présomption d'innocence de Denis Baupin, l'affaire offre l'occasion de s'interroger sur les textes applicables. Car les faits reprochés sont extrêmement divers, allant des attouchements physiques au harcèlement par SMS, en passant par la course autour d'une table de réunion. Comment doivent ils être qualifiés juridiquement ? La réponse n'est pas si simple, car le droit récent a considérablement modifié les notions utilisées au point parfois de rendre leur définition incertaine.
Le harcèlement sexuel
Par une décision rendue sur question prioritaire de constitutionnalité du 4 mai 2012, le Conseil constitutionnel a abrogé l'ancienne définition du délit de harcèlement sexuel jugée très imprécise. A la suite de cette abrogation et pour combler ce vide juridique, le législateur est intervenu rapidement avec la loi du 6 août 2012. Le délit de harcèlement sexuel tel qu'il figure dans l'article 222-33 du codé pénal et dans l'article L 1153-1 du code du travail est-il plus précis ? Il comporte désormais deux infractions distinctes.
La première consiste dans "le fait d'imposer à une personne, de
façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui
soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant
ou humiliant, soit créant pour elle un environnement intimidant,
hostile ou offensant". La définition du "comportement à
connotation sexuelle", ou de l'"environnement intimidant" ou "offensant"
n'est pas évidente. La circulaire censée éclairer le texte ne clarifie pas grand-chose en affirmant qu'un "comportement à connotation sexuelle" ne présente pas nécessairement "un caractère explicitement et directement sexuel". Au juge de se débrouiller pour distinguer les deux notions.
Dans le cas des faits reprochés à Denis Baupin, il ne fait guère de doute cependant qu'ils peuvent s'analyser comme des atteintes à la dignité de la personne ou comme la création d'un "environnement intimidant, hostile ou offensant". On songe évidemment à la femme plaquée dans un couloir pendant la pause d'une réunion, ou aux courses autour d'une table etc. Si l'on examine les travaux préparatoires à la loi, on s'aperçoit que, pour ses auteurs, l'élément constitutif du délit réside d'abord dans l'absence de consentement de la victime. Ils ajoutent cependant que
cette absence de consentement pourra être appréciée à partir du contexte
de l'affaire, par exemple lorsque la victime s'est plainte auprès de ses
supérieurs hiérarchiques ou de ses collègues. Tout reposera donc, comme
par le passé, sur le témoignage des victimes et de leur entourage.
Reste évidemment la condition de répétition exigée
par la loi. La circulaire d'application impose seulement que l'acte prohibé se soit produit "à
deux reprises", ce qui constitue, on en conviendra, le minimum en
matière de répétition. Sur ce point, la question demeure posée dans le cas de Denis Baupin. Si certaines femmes se plaignent de comportements réitérés comme l'envoi d'une multitude de SMS à connotation sexuelle, d'autres ne mentionnent qu'un seul acte.
Le Petit Chaperon Rouge. Tex Avery. 1943
La seconde infraction prévue par la loi offre une seconde définition du harcèlement "résultant d'un acte unique". Le second alinéa de l'article
222-33 dispose : "Est assimilé à un harcèlement sexuel" le fait, "même
non répété, d'user de toute forme de pression grave dans le but réel ou
apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui soit recherché
au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers". Cette
notion de pression renvoie à ce que l'on
appelle généralement un "chantage sexuel", par exemple lorsqu'une
personne tente d'imposer un acte sexuel à la victime, en lui promettant
un emploi... ou en la menaçant d'un licenciement. C'est évidemment ce qui s'est produit dans au moins un cas, lorsque le député aurait affirmé à une salariée du parti qu'elle n'aurait jamais de poste parce qu'elle avait refusé une relation sexuelle.
Dans tous les cas, les peines peuvent aller jusqu'a deux ans d'emprisonnement et 30 000 € d'amende (voire trois ans d'emprisonnement et 45 000 € d'amende s'il y a abus d'autorité).
L'agression sexuelle
Les articles 222-27 à 222-30 du code pénal sanctionnent les agressions sexuelles autres que le viol. Elles se définissent, assez largement, comme des atteintes sexuelles "commises avec violence, contrainte, menace ou surprise". Cette infraction pourrait être utilisée dans le cas des violences physiques infligées à la femme qui a été plaquée contre un mur et contrainte à divers attouchements. Dans ce cas, la peine peut être portée jusqu'à sept ans d'emprisonnement et 100 000 d'amende.
Les fondements juridiques d'éventuelles poursuites existent donc. Les victimes sont néanmoins confrontées à deux difficultés. La première réside dans la preuve des faits invoqués. Ont elle gardé les SMS à connotation sexuelle ? Les agressions physiques ont-elles eu des témoins ? En ont-elles immédiatement parlé ? Tous ces éléments sont au coeur de l'enquête préliminaire qui vient d'être ouverte.
La seconde difficulté se trouve dans le délai de prescription. En matière délictuelle, il est, pour le moment, de trois ans. Là encore, l'enquête devra distinguer les faits prescrits de ceux qui ne le sont pas. Rappelons toutefois que la brièveté du délai de prescription n'est pas propre aux infractions sexuelles mais concerne l'ensemble du domaine délictuel. Il serait bon, sur ce point, de se souvenir qu'une proposition de loi Tourret réformant la prescription a été votée en première lecture à l'Assemblée nationale le 10 mars 2016. Elle prévoit l'allongement du délai de prescription de trois à six ans en matière délictuelle. Depuis cette date, le Sénat n'a pas encore trouvé le temps de l'examiner, et c'est bien regrettable.
Le 4 mai 2016, le projet de loi prorogeant l'état d'urgence a été adopté en conseil des ministres, sans que cela suscite de commentaires particuliers. Car l'état d'urgence ne fait plus recette dans les médias ni dans la doctrine militante. Cet éloignement s'explique peut-être par l'émergence de "Nuit debout" qui s'est construit autour de l'opposition à la loi El Khomri pour s'élargir et devenir un mouvement cathartique qui cristallise des mécontentements de toutes sortes. L'état d'urgence sort ainsi en catimini des écrans radar, comme si l'abandon de la procédure visant à son intégration de la Constitution avait, d'un seul coup, supprimé tous les problèmes qui étaient auparavant dénoncés avec l'indignation la plus ardente.
Certes, l'état d'urgence ne figurera pas dans la Constitution mais on doit tout de même se souvenir qu'il est toujours là, solidement ancré dans le droit positif par son traditionnel fondement législatif, la loi du 3 avril 1955 modifiée par celle du 20 novembre 2015. Depuis sa mise en oeuvre par décret le soir du 13 novembre 2015, l'état d'urgence a donc été prorogé à deux reprises, d'abord pour trois mois par la loi du 20 novembre 2015, puis pour la même durée par celle du 19 février 2016. Aujourd'hui, le gouvernement sollicite du parlement une nouvelle prorogation, jusqu'au 26 juillet 2016. L'avis du Conseil d'Etat, publié sur son site, est favorable à cette prorogation.
Le projet de loi ne se borne pourtant pas à reprendre purement et simplement les termes des textes antérieurs, comme si l'on entrait dans une sorte de routine de l'état d'urgence. Au contraire, le texte est bien différent et laisse penser qu'il s'agit de la dernière prorogation.
Moins de trois mois
La date du 26 juillet marquant la fin de cette nouvelle période d'état d'urgence est, en soi, intéressante. Commençant le 19 mai et s'achevant le 26 juillet, elle durera à peine plus de deux mois. Le projet de loi met donc fin à une pratique des prorogations de trois mois, pratique qui avait déjà été mise en oeuvre en 2005 lors de la mise en oeuvre de l'état d'urgence dans certains quartiers marqués par des émeutes, et qui avait été reprise dans les deux lois de 2015 et 2016.
Mais pourquoi choisir une durée de deux mois ? On peut y voir une volonté de donner satisfaction au Conseil d'Etat. Dans son avis sur la seconde prorogation de février 2016, ce dernier avait averti que "le renouvellement de l'état d'urgence ne sauraient se succéder indéfiniment" et que "l'état d'urgence doit demeurer temporaire". Le Conseil d'Etat soumet donc la durée de l'état de l'urgence à un contrôle de proportionnalité, s'assurant que ce choix de deux mois est adapté à la menace.
La réalité de la menace terroriste est largement invoquée. Les attentats de Bruxelles et les liens de leurs auteurs avec ceux de Paris témoignent de sa permanence. De manière plus conjoncturelle, l'Exécutif fait état de deux grandes manifestations sportives qui vont se dérouler sur le territoire français durant cette période, d'une part le championnat d'Europe de football du 10 juin au 10 juillet, d'autre par le Tour de France cycliste, du 3 au 24 juillet. Ces deux évènements présentent la particularité de constituer des cibles éventuelles pour des attentats terroristes, avec notamment la création de "Fan Zones" pour les supporteurs de football. Le maintien de l'ordre sera d'autant plus délicat que qu'ils se dérouleront sur l'ensemble du territoire, dix villes différentes pour l'Euro 2016, et dix-sept étapes pour le Tour de France. Les risques pour la sécurité suscités par ces évènements permettent donc de qualifier un "péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public" au sens de l'article premier de la loi de 1955.
Dave Brubeck Quartet. Blue Rondo à la Turk. Live 1959
Exclusion des perquisitions
L'adaptation des mesures envisagées à la menace est également envisagée, et l'Exécutif prend soin de réduire le champ de l'état d'urgence. Le projet de loi exclut en effet l'application de l'article 11 de la loi de 1955 qui confère à l'autorité administrative le pouvoir "d'ordonner des perquisitions en tout lieu, y compris un
domicile, de jour et de nuit (...) lorsqu'il existe des raisons
sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le
comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics".
Pour justifier cette exclusion, l'Exécutif invoque les succès rencontrés par la mise en oeuvre de l'état d'urgence. Le "coup de pied dans la fourmilière" destiné à désorganiser les milieux islamistes radicaux serait donc une réussite, et il ne serait plus nécessaire de sortir du droit commun en matière de perquisitions.
Vers la fin de l'état d'urgence ?
Certes, mais l'Exécutif oublie de mentionner que l'article 11 est désormais largement inutile. Le projet de loi Police et sécurité : lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement prévoit en effet une nouvelle rédaction de l'article 706-90 du code de procédure pénale, rédaction qui offre la possibilité de recourir aux perquisitions de nuit. Les termes mêmes de cette disposition sont encore discutés, l'Assemblée nationale préférant les limiter aux enquêtes préliminaires, alors que le Sénat envisage d'autoriser les perquisitions de nuit "en cas d'urgence" et durant les enquêtes préliminaires. Mais cette discussion n'en modifie guère le principe.
Cette disposition entrera rapidement en vigueur. On sait que le gouvernement a décidé la procédure accélérée pour le vote de la loi Police et sécurité. Cette procédure devrait rapidement venir à son termepuisque la commission mixte paritaire doit se réunir très prochainement. La disposition devrait donc être adoptée avant l'entrée en vigueur de la future loi de prorogation de l'état d'urgence.
Comme il avait été annoncé, la loi Police et sécurité a pour conséquence de rendre largement inutile l'état d'urgence, par la substitution de dispositions pérennes à un droit provisoire. On peut donc raisonnablement penser que le présent projet de prorogation est le dernier. Ceux qui s'étaient opposés à l'état d'urgence ne manqueront pas de s'en réjouir et revendiqueront peut-être même une grande victoire de l'opposition "citoyenne". D'ici là, la loi Police et sécurité sera tranquillement entrée en vigueur. Le débat sur l'état d'urgence aura alors admirablement joué un rôle de leurre.
Une femme de cinquante-deux ans s'introduit dans un cabinet dentaire et vole la sacoche du dentiste, posée derrière le bureau d'accueil. Les caméras de surveillance ont filmé la scène, et le dentiste diffuse aussitôt les images de sa voleuse sur Facebook afin de permettre son identification. L'opération est un franc succès, les images ayant été vues plus de 175 000 fois. Se sachant identifiée, la voleuse préfère se rendre à la police, où elle reconnaît son larcin. Elle prétend toutefois que la sacoche ne contenait pas d'argent, alors que son propriétaire déclare y avoir conservé mille euros en liquide ainsi que des chèques de ses patients. Elle va donc être jugée en comparution immédiate dans le courant du mois de mai.
L'affaire ne mériterait pas tant de bruit si la voleuse, sans doute bien conseillée par son avocat, n'avait pas porté plainte pour atteinte à la vie privée contre le dentiste qui a diffusé son image sur Facebook.
L'impossible action civile
Observons d'emblée que la voleuse n'introduit pas une action civile. L'article 9 du code civil, qui trouve son origine dans la loi du 17 juillet 1970, affirme que "chacun a droit au respect de la vie privée". Il permet de fonder des poursuites pénales ou d'engager une action uniquement civile. En l'espèce toutefois, l'action civile est bien délicate.
Il n'est pourtant pas question d'invoquer le célèbre adage "Nemo auditur propriam turpitudem allegans"pour rejeter ses prétentions, car la voleuse n'appuie pas sa revendication sur son larcin. Cet adage n'est appliqué, en droit français, que pour empêcher une personne de tirer bénéfice d'une infraction qu'elle a commise. Par exemple, une femme qui a assassiné son mari ne peut demander à bénéficier d'une pension de réversion.
En revanche, l'action civile pourrait être écartée en se fondant sur le caractère non légitime du préjudice. Depuis un arrêt de 1968, la Cour de cassation considère ainsi que le porteur de mauvaise foi d'un chèque sans provision ne dispose d'aucun recours. Il ne peut obtenir ni le remboursement du chèque, ni des dommages et intérêts. Aux yeux des juges, il n'avait qu'à refuser le chèque qu'il savait sans provision. Dans le cas de la voleuse du sac du dentiste, on peut penser qu'elle pourrait difficilement engager une action en responsabilité civile, alors que l'image dont elle se plaint ne fait que montrer une infraction dont elle reconnaît être coupable.
L'action pénale
On comprend que la voleuse préfère engager une action pénale. Sur ce point, il convient d'observer la stricte séparation entre les deux procédures en cours. D'un côté, la voleuse est poursuivie devant le tribunal correctionnel pour son larcin. De l'autre, elle engage des poursuite contre le dentiste pour la diffusion de son image sur Facebook.
La vidéosurveillance
Dans une décision du 10 mai 2005, la Cour de cassation affirme que "le respect dû à la vie privée et celui dû à l'image constituent des droits distincts". Ce
droit n'a rien de récent. Sur le fondement de l'article 1382 du code
civil, le tribunal civil de la Seine avait jugé, dès 1855 "qu'un
artiste n'a pas le droit d'exposer un portrait, même au Salon des
Beaux-Arts, sans le consentement et surtout contre la volonté de la
personne représentée". Depuis cette date, on a inventé la
photographie, le cinéma, et Facebook. Le principe n'a pourtant guère changé, même
si le droit affirme plus clairement que l'atteinte au droit à l'image
peut donner lieu aussi bien à des poursuites pénales (art. 226-1 du code
pénal) qu'à une action en responsabilité civile (art. 9 du code
civil).
Dans le cas de la voleuse du dentiste, la captation des images ne pose guère de problème. La loi du 6 janvier 1978 sur l'informatique, les fichiers et les libertés ainsi que l'article 10 de la loi Pasqua du 21 janvier 1995 définissent un cadre juridique applicable à la vidéosurveillance. Un cabinet médical est considéré comme un lieu privé ouvert au public, et des caméras peuvent donc être installées, après autorisation préfectorale. Aux termes de l'article L 251-2 du code de la sécurité intérieure, cette autorisation est donnée lorsque le cabinet est particulièrement exposé à des risques d'agression ou de vol, par exemple lorsqu'il est accessible sans contrôle particulier.
Certes, les images des patients sont des données personnelles qui ne peuvent être captées et conservées qu'avec leur autorisation. Mais en l'espèce, le consentement est présumé, dès lors que l'information du public est assurée par un affichage permanent et visible indiquant la présence de caméras de surveillance. De la même manière, la demande d'autorisation doit mentionner la durée de conservation des images, au-delà de laquelle elles seront détruites.
Gilbert Bécaud. L'orange. 1964
La diffusion des images
Le problème essentiel n'est donc pas la captation de l'image de la voleuse mais sa diffusion sur Facebook. A ce propos, il convient d'observer que le dentiste n'est pas compétent pour lancer un appel à témoins, procédure réservée aux autorités de police et de justice. Cette ingérence n'est cependant pas, en soi, constitutive d'une infraction.
Reste évidemment ce dont se plaint la voleuse, c'est-à-dire la diffusion de son image. Sur ce point la jurisprudence utilise trois critères pour apprécier sa licéité.
Le
premier est la célébrité de la personne dont l'image est diffusée. D'une
manière générale, les juges se montrent réticents à sanctionner pour
manquement au droit à l'image la diffusion de l'image d'une personne célèbre dans
une activité publique. En exerçant une telle activité, l'intéressé est
présumé consentir à la captation et à la diffusion de son image. La Cour
européenne impose d'ailleurs une définition étroite de cette
jurisprudence, considérant dans un arrêt du 24 juin 2004 von Hannover c. Allemagneque
la princesse Caroline de Monaco qui n'exerce aucune fonction officielle
dans la Principauté doit pouvoir bénéficier d'un droit au respect de
son image lorsqu'elle y réside.
Pour le simple quidam
en revanche, le juge se montre plus intransigeant. Il admet ainsi qu'un enfant est titulaire d'un droit à l'image dès sa naissance. Dans un arrêt Reklos et Davourlis c. Grèce du 15 janvier 2009, la Cour européenne des droits de l'homme a ainsi admis qu'un nourrisson photographié dans une maternité était titulaire d'un tel droit, quand bien même il n'en avait pas la moindre conscience. Les clichés doivent donc être remis à ses parents, dans le but d'empêcher leur diffusion intempestive. Dans le cas de la voleuse du dentiste, il est clair qu'il ne s'agit pas d'une personne célèbre dans une activité publique, mais bien davantage d'une personne tout-à-fait obscure et qui s'efforce de le rester.
Le second critère est le consentement de l'intéressé, et il est évident que la voleuse n'a pas consenti à la diffusion de son image sur Facebook. Celle-ci a en effet permis son identification, la contraignant finalement à se livrer à la police. Le droit positif reconnaît une exception au principe du consentement, au profit exclusif des médias. Ces derniers peuvent diffuser des éléments de la vie privée d'une personne utiles au développement d'un débat général. Là encore, le dentiste n'a rien à voir avec un journaliste et il diffuse le film de la caméra de surveillance dans son intérêt personnel. Il veut seulement retrouver l'auteur du forfait. Sur le plan strictement juridique, le principe du consentement n'est donc pas écarté.
Le dernier critère est celui du lieu de la captation. En principe, l'image d'une personne prise dans un espace public, ou lors d'un évènement public n'est pas considérée comme une atteinte
au droit à l'image. Les images captées dans l'espace privé sont, en revanche, constitutives d'une telle atteinte. Or, les textes affirment clairement qu'un cabinet médical est un espace privé, même s'il est ouvert aux public. Dans ce cas, la jurisprudence refuse généralement la diffusion d'images provenant d'un espace privé, qu'il s'agisse du domicile de la personne, de sa voiture personnelle, d'une chambre d'hôpital et, on peut le penser, d'un cabinet médical.
En l'état actuel du droit, on est donc contraint de constater que le dentiste a effectivement porté atteinte au droit à l'image de sa voleuse. Il n'en demeure pas moins qu'il a apporté une aide effective à la police et à la justice en permettant l'arrestation d'une délinquante, et que cette aide n'a pu être efficace qu'au prix d'une atteinte au droit à l'image. Il est fort probable que les juges tiendront compte de ces circonstances très particulières. Dans ce cas, le principe d'opportunité des poursuites les autorisent à renoncer à toute procédure à l'encontre du dentiste à moins que les juges choisissent de formuler un simple rappel à la loi. Ces solutions sont les plus souhaitables. Pour le dentiste sans doute, mais peut-être aussi pour sa voleuse car son recours intempestif pourrait peut être agacer d'autres juges, ceux-là mêmes qui seront chargés de la juger.
Les journaux se sont fait l'écho, ces dernières semaines, du cas d'une jeune femme espagnole, Mariana G.T., vivant à Paris, où son mari italien, Nicola, est décédé d'un cancer en juillet 2016, à l'âge de trente ans. Les médecins conseillent généralement aux patients risquant de devenir stériles en raison du traitement par chimiothérapie de prendre la précaution de congeler leur sperme. Une fois guéris, ils peuvent ensuite mener à bien un projet parental, grâce à une simple insémination artificielle.
Dans le cas présent, Nicola a malheureusement succombé à la maladie. Son épouse demande de pouvoir bénéficier de cette insémination, dès lors que les gamètes de Nicola ont effectivement été conservés dans un Centre d'étude et de conservation des œufs et du sperme (CECOS) parisien. Et elle se voit opposer un refus qui fait actuellement l'objet d'un recours devant le juge administratif.
L'obstacle du code de la santé publique
Ce refus repose sur l'article L 2141-2 du code de la santé publique, extrêmement clair sur ce point. Il réserve en effet les techniques d'assistance médicale à la procréation, et l'insémination artificielle en est une, à la "demande parentale d'un couple". Force est de constater que Mariana ne forme plus un "couple", et l'alinéa 3 du même article ajoute d'ailleurs que "l'homme et la femme formant le couple doivent être vivants".
Cette formulation trouve son origine dans la loi bioéthique du 29 juillet 1994. Ce texte avait pour objet de mettre fin à une position beaucoup plus nuancée du comité national d'éthique. Celui-ci s'était exprimé, non pas sur la question de l'insémination artificielle mais sur celle de la fécondation in vitro avant transfert d'embryon (Fivete). Dans un avis du 17 décembre 1993, il avait alors estimé que "la disparition de l'homme ne fait pas disparaître les droits que la femme peut considérer avoir sur ces embryons qui procèdent conjointement d'elle et de son partenaire défunt". Certes, le produit congelé ne procède pas de Mariana dans le cas d'une insémination, mais on pourrait considérer qu'elle détient des droits sur des gamètes qui ont été congelées dans le but de mener à bien un projet commun.
On sait que les lois de bioéthique présentent la particularité de contenir des clauses de révision qui imposent un nouvel examen par le parlement. Lors de la révision qui a abouti à la loi du 6 août 2004, la question de l'insémination post-mortem a été reposée et le rapport d'information préparatoire suggérait de l'autoriser, comme d'ailleurs la réimplantation d'embryons, à la condition que le père ait exprimer son accord de son vivant. Dans cette hypothèse, la volonté du défunt devenait l'élément essentiel à prendre en considération, l'insémination post mortem pouvant être considérée comme un élément du testament du donneur.
Quoi qu'il en soit, la loi de 2004 ne retient pas cette suggestion. Plus tard, lors des débats qui ont précédé la troisième loi bioéthique du 7 juillet 2011, la majorité parlementaire écarte un amendement adopté en commission visant à autoriser l'insémination post mortem, sous certaines conditions. Elle considère en effet que l'assistance médicale à la procréation ne pourrait avoir pour résultat de fonder une famille mono-parentale (par exemple : Civ. 1ère 9 janvier 1996). Derrière cette idée, apparaît en filigrane, le sentiment qu'il est préférable qu'une jeune veuve fasse son deuil, avant de reconstruire une vie nouvelle avec un nouveau partenaire, et une autre famille.
Keith Haring. Man holding a baby. &988
Protéger la femme contre elle-même
C'est exactement ce qu'affirme l'agence de biomédecine. Dans un article consacré à cette affaire, le Monde fait état d'un mémoire envoyé au Conseil d'Etat, dans lequel elle rappelle que l'interdiction est conforme à l'intérêt de l'enfant, dès lors qu'il s'agit d'empêcher qu'il soit "délibérément privé de père" et confronté au "poids psychologique et social qui pèserait sur lui d'être (...) né d'un deuil". L'agence invoque également l'intérêt de la mère " qui déciderait d'entreprendre une grossesse seule, alors qu'elle vient de perdre son conjoint, et qu'elle se trouve dans un état de vulnérabilité psychologique".
En 2016, cet argument apparaît singulièrement désuet. La femme est-elle donc un petit oiseau fragile qu'il faut protéger contre elle-même ? Aucune disposition juridique n'interdit pourtant à une femme de fonder une famille mono-parentale. Et la nécessité de recourir à une insémination artificielle n'est plus un obstacle sérieux au désir d'enfant. C'est ainsi qu'une femme homosexuelle n'a pas beaucoup de difficulté à bénéficier de cette technique, soit à l'étranger, soit en France où il n'est pas impossible de trouver un médecin qui accepte de l'aider. La norme juridique doit-elle apprécier le bien-fondé du désir d'enfant ? Est-il plus légitime pour une célibataire qui refuse de vivre en couple, pour une couple d'homosexuelles ou pour une jeune veuve ?
La question même semble absurde, d'autant que les Etats de l'Union européenne ont, sur ce point, fait des choix très différents. Si Nicola avait confié la congélation et la conservation des paillettes à un service espagnol ou italien, Mariana aurait pu bénéficier, sans aucune restriction, d'une insémination post-mortem. L'interdiction du droit français va donc susciter la création de "paradis de banques de sperme" comme il existe déjà des paradis fiscaux. On ira donner son sperme en Italie ou en Espagne pour être certain qu'il pourra être utilisé, même post-mortem.
Tout récemment, le 20 avril 2016, Laurence Rossignol, actuelle ministre "des familles, de l'enfance et des droits des femmes", a annoncé que l'assistance médicale à la procréation serait étendue aux femmes seules et aux couples d'homosexuelles bientôt, mais pas avant les élections présidentielles. Cette intervention montre que les pouvoirs publics sont conscients que le droit français n'est plus en harmonie avec les besoins de notre société. Alors pourquoi ne pas intervenir plus rapidement ? En attendant, pourquoi ne pas accepter tout simplement le transfert des paillettes de Nicola dans une clinique espagnole ? Ce serait une solution élégante pour permettre à Mariana de bénéficier d'une insémination, sans pour autant violer le droit français.
Le débat sur le TAFTA se développe dans l'opinion publique, au moment précis où les observateurs se montrent de plus en plus sceptiques sur son avenir. A dire vrai, on ne sait pas grand-chose du TAFTA, si ce n'est qu'il a pour objet de
créer une zone de libre-échange entre les Etats-Unis et l'Union
européenne. Les négociations, commencées en 2013 concernent donc à la
fois la suppression des barrières douanières, mais aussi des
réglementations qui entravent la libre circulation.
Alors que s'ouvre le treizième round de négociation, les critiques s'amplifient. Du côté américain, on sait que les deux principaux candidats à la Maison Blanche, Hilary Clinton et Donald Trump n'y sont pas favorables. Les Etats membres de l'Union européenne sont également divisés. Angela Merkel soutient les efforts d'Obama en faveur d'une signature rapide mais François Hollande prend nettement ses distances, affirmant qu'il n'est pas prêt à s'engager dans un dispositif qui porterait notamment atteinte aux intérêts de l'agriculture française. Si le moteur franco-allemand semble en panne, la Commission européenne continue, quant à elle, à négocier le TAFTA, comme si la volonté de l'Union n'était plus la somme de celles de ses Etats membres.
La bataille de la terminologie
Le TAFTA a déjà perdu la bataille de la terminologie. Son nom officiel est Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP) ou, en français, Partenariat Transatlantique de Commerce et d'Investissement (PTCI). En fait, le TAFTA est le nom donné au traité par ses opposants, le Transatlantic Free Trade Agreement désignant tout simplement un accord de libre échange.L'évolution est loin d'être neutre : alors qu'un partenariat repose sur l'égalité entre les parties, une zone de libre échange n'est pas nécessairement égalitaire. On perçoit déjà, en filigrane, l'idée que le TAFTA trouve son origine dans la volonté américaine de promouvoir ses intérêts et ceux de ses entreprises.
Considéré à travers le prisme des libertés publiques, le TAFTA apparaît comme un véritable cas d'école illustrant le déficit démocratique dont souffre l'Union européenne.
Opacité de la procédure
En 2013, les 28 Etats membres ont délégué à l'Union européenne la
mission de négocier le TAFTA. Le mandat, qui comporte 46 articles, a été rendu public quelques mois après le début des négociations. Il formule des principes généraux et annonce que l'accord comportera trois volets : "l'accès aux marchés, la convergence réglementaire et les règles commerciales permettant de relever les défis mondiaux".
Sur cette base, est créé un "groupe de travail de haut niveau"
UE/Etats-Unis. Ses premières
recommandations sont toutes formulées dans des termes extrêmement vagues.
C'est ainsi qu'il déclare, sans davantage de précision, qu'il "faudra renforcer les programmes conçus pour faciliter la reconversion des secteurs les plus affectés par le partenariat". Il doit donc y avoir des "secteurs affectés"...
Les rounds de négociation se déroulent à huis-clos. Du côté américain, le secret des négociations est absolu et aucun document n'est publié. Du côté européen, en revanche, la Commission publie des masses de documents, en insistant sur sa volonté de transparence. Ces documents sont tous diffusés en anglais, et le nouveau partenariat est donc déjà parvenu à créer une vaste de zone... même pas de libres échanges, mais de diffusion unilatérale en anglais. La lecture de ces pièces laisse cependant les commentateurs dans l'incertitude. Elles portent sur les grandes lignes, les principes, qui guident les négociateurs, mais les propositions détaillées demeurent confidentielles. Le rôle des lobbies n'apparaît jamais dans les documents, alors même que sur 130 réunions préparatoires où étaient invitées les "parties prenantes", 119 se sont déroulées en présence d'entreprises et de lobbies industriels.
Dollar. Gilles et Julien. 1932
Opacité du contenu des négociations
D'une manière générale, beaucoup de documents diffusés relèvent davantage de la communication que de la transparence. C'est ainsi qu'un rapport commandé par la Commission au Center for Economic Policy Research (CEPR) annonce que le TAFTA apportera une croissance économique de 119 milliards d'euros par an à l'UE, chiffre que l'on doit plus ou moins croire sur parole. Il est vrai qu'il est toujours préférable de s'adresser à un Think Tank britannique pour connaître les immenses avantages de la coopération avec les Etats-Unis.
Cette pratique du secret est justifiée par deux arguments. Le premier d'entre eux réside dans l'idée que l'on ne peut dévoiler toutes ses armes au début d'une négociation. Certes, mais le temps du début de la négociation est bien passé, alors que le Président Obama fait pression pour que le TAFTA soit signé avant la fin de l'année. Le second argument réside dans le secret des affaires, et l'opacité de cette négociation est le reflet de la nouvelle conception absolutiste de ce secret, développée par la récente directive adoptée par le parlement européen il y a à peine plus d'une semaine. Les mauvais esprits pourraient penser que cette directive constitue un acte préparatoire à la mise en oeuvre du TAFTA.
La justice mise à l'écart
Les entreprises n'ont pas seulement obtenu la reconnaissance d'un secret des affaires quasi-absolu. Le cadeau essentiel que leur fait le TAFTA réside dans le mode de règlement des différends commerciaux. L'"Investor-State Dispute Settlement" (ISDS), système d'arbitrage,
aura pour fonction de régler les litiges, y compris ceux opposant
un Etat à une entreprise.
La justice des Etats est exclue, et elle
n'a d'ailleurs pas eu de porte-parole pour défendre la primauté de
l'état de droit lors des négociations. Les entreprises, surtout les firmes d'outre-atlantique, préfèrent l'arbitrage, plus discret qu'une procédure judiciaire et le plus souvent mis en oeuvre selon une procédure
anglo-saxonne. Le rêve des firmes américaines de se soustraire complètement au droit européen, droit de la concurrence ou droit de la protection des données personnelles par exemple, est donc en passe de se réaliser. Et l'arbitrage permet de rester entre soi, en faisant appel à des arbitres sensibles aux intérêts des entreprises. En témoigne le célèbre arbitrage Tapie.
Les citoyens mis à l'écart
Derrière ces mises à l'écart des citoyens et des juges apparaît, bien plus gravement, une mise à l'écart de la démocratie. Car si le citoyen est exclu de l'information, il est aussi exclu de la participation. La Commission, chacun le sait, n'est pas une institution démocratique. Rappelons que ses membres ne sont pas élus mais désignés par le Conseil européen, le parlement européen n'intervenant que par un vote d'approbation. Quant au Président de la Commission, il est "proposé" au parlement par ce même Conseil, statuant à la majorité qualifiée. Il est vrai que le traité de Lisbonne énonce que cette proposition doit être effectuée « en tenant compte des élections au Parlement européen, et après avoir procédé aux consultations appropriées ». Une telle disposition n'a pourtant pas pour effet de conférer une légitimité démocratique au Président.
Force est donc de constater que l'instance qui négocie le traité a sans doute une légitimité institutionnelle, mais certainement pas une légitimité démocratique. Les citoyens des Etats membres sont en dehors du processus, comme la plupart de leurs dirigeants élus démocratiquement.
L'effet boomerang de la démocratie
Mais la démocratie, exclue de la procédure de négociation, va sans doute reparaître au moment de l'adoption du traité. Et l'effet boomerang risque d'être dévastateur.
Aux Etats-Unis, la ratification du traité sera directement de la compétence du Congrès, et il est très probable que la procédure ne pourra être menée à bien avant la fin du présent mandat. Qu'en sera-t-lors du prochain, si l'on considère qu'Hilary Clinton et Donald Trump sont réservés à l'égard du TAFTA ? Y aura-t-il une majorité au Congrès pour le voter ? Pour le moment, on l'ignore.
Au sein de l'UE, la procédure est plus complexe. Le TAFTA doit d'abord recevoir l'accord des 28 Chefs d'Etat du Conseil qui statue à la majorité qualifiée (55 % des Etats représentant au moins 65 % de la population de l'Union). S'il passe cette étape, il sera soumis au parlement européen puis aux parlements de chaque Etat membre qui devront le ratifier en bloc, sans pouvoir l'amender. D'ores et déjà, la Grèce d'Alexis Tzipras menace d'opposer son veto. Quant aux Pays-Bas, ils prévoient la ratification par référendum, consultation qui a peu de chances d'obtenir une réponse positive. Le retour du processus démocratique dans le TAFTA conduirait ainsi à son abandon. Comme si la démocratie rejetait un corps étranger.
Il n'est guère surprenant que le Conseil ait déclaré conformes à la Constitution les nouvelles règles relatives aux présentations. Le texte impose en effet une obligation de transparence totale des 500 signatures exigées pour que la candidature soit recevable. Celles-ci sont désormais envoyées directement au Conseil par l'élu local et non plus par le candidat. Elles sont publiées au fur et à mesure de leur
arrivée, et non plus, par en une fois au moment du dépôt officiel de la
candidature. Enfin, elles sont toutes publiées, alors qu'auparavant un tirage au sort permettait de sélectionner 500 signatures parmi les milliers que réunissaient les candidats des partis dotés d'une large audience nationale. On ne voit pas sur quel fondement le Conseil aurait déclaré inconstitutionnel ce principe de transparence.
Sa propre jurisprudence ne laissait aucun doute sur la question. Saisi par Marine Le Pen d'une QPC, le Conseil a estimé, le 21 février 2012, que
la publicité des parrainages ne fait que mettre en oeuvre un principe de
transparence et ne saurait portait atteinte au pluralisme des courants
d'opinion. Personne ne nie que cette publication des signatures constitue un sérieux handicap pour les petits partis qui ne disposent pas d'un socle d'élus locaux suffisant pour leur apporter 500 signatures. C'est bien fâcheux, et cet inconvénient était relevé par le Conseil, non plus dans une décision, mais dans son rapport sur l'élection de 2012. Il affirmait alors que "ce dispositif suscite des débats et laisse
subsister une incertitude sur la possibilité de participer au premier
tour du scrutin de représentants de certaines
formations politiques, présentes lors de scrutins
précédents, qui ont obtenu en définitive un très grand nombre de voix". Ce texte avait l'apparence d'un appel au législateur, appel entendu d'une étrange manière, puisque la loi établit certes une transparence totale, mais ne réduit en aucun cas les difficultés rencontrées par les petits partis.
Observons tout de même que le Conseil constitutionnel montre l'intérêt qu'il porte à la question en formulant une réserve d'interprétation sur laquelle les commentateurs ne manqueront pas de se pencher. Notant que les signatures doivent lui être acheminées par "voie postale", il mentionne qu'il lui appartiendra, le cas échéant, de "prendre en considération des circonstances
de force majeure ayant gravement affecté l'expédition et l'acheminement
des présentations dans les jours précédant
l'expiration du délai de présentation des
candidats à l'élection du Président de la République". Autrement dit, si les postiers votent la grève quelques jours avant la clôture des candidatures, le Conseil constitutionnel pourra faire preuve de l'imagination imposée par les circonstances, et accepter des acheminements à pied, à cheval, en voiture ou en bateau à voile, selon une formule chère à Jacques Prévert.
Ferdinand Lop. Les actualités françaises. 1952
Le temps d'antenne
La question du temps d'antenne suscitait des doutes plus importants sur la constitutionnalité des dispositions adoptées. La loi organique réduit la période de stricte d'égalité entre les candidats aux deux
dernières semaines avant le scrutin. Durant la période qui précède, dont
on ne sait d'ailleurs pas quand elle commence, l'exposition médiatique des candidats repose désormais sur le principe d'équité. Il appartiendra au CSA de veiller au traitement "équitable", à partir de la
représentativité de chaque candidat et de sa "contribution à l'animation du débat électoral".
La
représentativité de chaque candidat sera appréciée par le CSA à
partir de différents critères tels que les résultats obtenus aux précédentes consultations électorales ou ceux anticipés par les sondages d'opinion. Au principe d'égalité devant la loi est substitué un principe d'équité qui induit de facto une discrimination entre les candidats.
Quant à "l'animation du débat électoral", force est de constater que cette notion manque de clarté. Les candidats sont-ils des animateurs, comme les clowns dans les cirques ? L'expression témoigne de peu de considération pour l'élection et le corps électoral. N'aurait-il pas été plus judicieux d'évoquer leur "contribution" au débat électoral ?
Il n'est pas impossible que le CSA, et le Conseil constitutionnel comme juge de l'élection présidentielle, se bornent à reprendre le principe affirmé par le Conseil d'Etat, dans son arrêt Corinne Lepage du 7 mars 2007. Il y précise que la représentativité d'un candidat peut être évaluée à l'aune de sa "capacité à manifester concrètement l'intention d'être candidat", c'est-à-dire l'organisation de réunions publiques, la participation à des débats, la création d'instruments de communication spécifiques ou encore la désignation d'un mandataire financier. Le législateur a toutefois préféré la formulation plus large d'"animation du débat électoral", laissant au CSA et au Conseil constitutionnel une très large marge d'interprétation.
Dans ces dispositions, rien ne gêne le Conseil qui décide finalement que le législateur a opéré une "conciliation qui n'est pas déséquilibrée" entre la liberté de communication, le principe d'égalité, le principe de pluralisme des opinions garanti par l'article 4 de la Constitution, et enfin l'objectif de
valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi. Il procède par affirmation, et sans doute aurait-il pu affirmer le contraire.
L'impartialité du Conseil constitutionnel
Reste un dernier principe à évoquer, qui apparaît clairement à la lecture de la décision. Celle-ci s'achève par la formule usuelle : "Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 21 avril 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUSprésident,.. (suit le nom des membres présents). Laurent Fabius a prêté serment comme nouveau membre du Conseil constitutionnel le 8 mars 2016, Conseil dont il est immédiatement devenu le président. Il y à peine plus d'un mois, il était membre du gouvernement et soutenait le projet de loi sur la modernisation des règles relatives à l'élection présidentielle. Aujourd'hui, il est appelé à présider l'instance qui en apprécie la constitutionnalité.
Certains mettront en cause l'impartialité de l'individu Laurent Fabius qui aurait pu choisir de se déporter. Mais si la question s'est déjà posée en termes identiques pour bon nombre de ses prédécesseurs et elle se pose avec une acuité encore plus grande pour les membres de droit du Conseil, c'est-à-dire les anciens présidents de la République.
En revanche, l'impartialité objective de l'institution qu'est le Conseil constitutionnel est posée. Rappelons que, aux yeux de la Cour européenne, le procès équitable suppose une institution qui paraît impartiale et qui, à ce titre, inspire confiance au justiciable.
Certes, on objectera que le Conseil constitutionnel n'est pas une juridiction, au sens français du terme. En droit européen cependant, c'est l'ensemble de la procédure contentieuse qui doit présenter des garanties d'impartialité. Or la QPC constitue désormais une étape essentielle dans une telle procédure, et la Cour européenne a déjà accepté d'apprécier une QPC, dans un arrêt Renard du 25 août 2015. En l'espèce, la contestation ne portait que sur le filtre des juridictions suprêmes, le requérant contestant le refus de renvoi d'une QPC qui lui avait été opposé par la Cour de cassation. Il est fort probable cependant que la Cour européenne sera, dans un délai plus ou moins proche, appelée à statuer sur l'impartialité objective de la procédure de QPC devant le Conseil constitutionnel. Que pensera-t- elle d'une institution qui apprécie la conformité à la constitution d'une loi que son président soutenait un mois avant, à une époque où il était ministre ? Pour éviter le risque d'une mise en cause directe du juge constitutionnel, la modification de la composition du Conseil devient une ardente nécessité. Hélas, les débats récents sur l'état d'urgence et la déchéance de nationalité ont montré l'impossibilité actuelle d'engager une réforme constitutionnelle.