Pages
« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
lundi 15 juin 2015
Droit à l'oubli : Google mis en demeure par la CNIL
vendredi 12 juin 2015
Le droit à l'image de Vincent Lambert
Le droit à l'image, un droit autonome
Photo de Guillaume Apollinaire à l'hôpital italien, après sa trépanation. 1916 |
Personne célèbre ou simple quidam
Le lieu de la captation
Le consentement
Le débat d'intérêt général
mercredi 10 juin 2015
QPC : Le cercle vicieux de la tour Triangle
En l'espèce, Nathalie Kosciusko-Morizet conteste cette condition de majorité imposée par l'article 2121-21 CGCT. Elle s'appuie sur les articles 3 de la Constitution et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, les principes essentiels de la démocratie représentative lui semblant exclure le secret de vote. De même, elle invoque l'article 15 de cette même Déclaration de 1789 qui donne à la société le droit de demander compte à tout agent public de son administration.
La Tour Triangle
Sur le plan juridique cependant, les moyens développés dans la QPC ne sont guère cohérents avec la question posée.
Le moyen inopérant
Robert Delaunay. La Tour simultanée. 1910 |
Le moyen irrecevable
De la contradiction dans les QPC
Le Conseil constitutionnel écarte donc les deux moyens, l'un inopérant, l'autre irrecevable. Cette constatation conduit à s'intéresser à la cohérence juridique de cette QPC. Elle repose en effet sur une analyse étrange.
samedi 6 juin 2015
L'affaire Vincent Lambert devant la Cour européenne des droits de l'homme
Devant la Cour européenne, ils ont contesté la décision rendue par le Conseil d'Etat le 24 juin 2014. Celui-ci avait estimé que les procédures exigées pour la mise en oeuvre de la loi Léonetti avaient été respectées, et que le maintien artificiel en vie de Vincent Lambert devait être considéré comme une "obstination déraisonnable". Dans de telles conditions, l'interruption du traitement était donc conforme au droit français de la fin de vie.
Pour contester cette décision, les requérants se sont appuyés évidemment sur l'article 2 qui garantit le droit à la vie. Ils ont aussi estimé que la privation de nourriture et d'hydratation constitue un acte de torture au sens de l'article 3 de la Convention ainsi qu'une atteinte à l'intégrité physique, au sens cette fois de l'article 8.
La notion de victime Le droit à la vie
Avant de se pencher sur ces questions de fond, la Cour doit préalablement statuer sur la recevabilité du recours. Aux termes de l'article 34 de la Convention, toute personne "qui se prétend victime" de la violation par un Etat partie des droits qu'elle garantit peut saisir la Cour. Cette condition est différente de la notion d'"intérêt pour agir" qui conditionne la recevabilité des recours en droit français. Selon un principe rappelé dans l'arrêt de Grande Chambre Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Campeanu c. Roumanie du 17 juillet 2014, le requérant doit être en mesure de démontrer qu'il a "subi directement les effets" de la mesure contestée.
Le problème posé en l'espèce est que les requérants prétendent agir au nom et pour le compte de leur fils Vincent Lambert. La Cour va donc examiner s'il est possible de déroger au principe selon lequel le requérant ne peut être que la victime directe de la violation des droits qu'elle invoque. La jurisprudence prévoit effectivement deux exceptions.
La première, reconnue dans l'arrêt Nencheva et autres du 18 juin 2013, autorise les proches d'une personne décédée à saisir la Cour, lorsqu'ils invoquent des violations de la Convention liées à ce décès et engageant, éventuellement, la responsabilité de l'Etat. Cette condition n'est évidemment pas remplie, dès lors que Vincent Lambert n'est pas décédé mais survit dans un état végétatif.
La seconde réside dans l'hypothèse où le recours est introduit au nom d'une personne vulnérable qui n'est pas en état de donner pouvoir à ceux qui agissent en son nom. Tel était le cas dans l'arrêt Valentin Campeanu, puisque ce jeune Rom handicapé et atteint du Sida était décédé sans proches connus et sans que l'Etat roumain lui ait jamais désigné un représentant légal. La Cour avait donc déclaré la requête recevable, en tenant compte de la vulnérabilité de l'intéressé et du fait qu'il n'existait aucune opposition d'intérêt entre le représentant et le représenté. Dans le cas de Vincent Lambert, la Cour reconnaît évidemment sa vulnérabilité. En revanche, elle ne peut que constater une opposition d'intérêt, dès lors que les requérants ne sont pas les seuls à défendre ses intérêts. S'appuyant sur l'arrêt Diane Pretty c. Royaume-Uni du 29 avril 2002 l'épouse et le frère de Vincent Lambert estiment, de leur côté, que le refus d'interrompre le traitement porte atteinte à son droit au respect de la vie privée, qui implique le droit de décider à quel moment sa vie doit prendre fin. Ils veulent donc représenter Vincent Lambert à l'instance comme tiers interveant.
La Cour affirme que les parents de Vincent Lambert comme son épouse ne peuvent développer des griefs en son nom. En revanche, rien n'interdit aux uns et aux autres de faire un recours en leur nom propre. Chacun d'entre eux peut prétendre à la qualité de "victime" au sens de l'article 34 de la Convention, dès lors que la décision prise de mettre fin au traitement de Vincent Lambert a des conséquences sur leur situation personnelle.
Cette analyse de la recevabilité a des conséquences importantes sur l'analyse de fond. Elle conduit à écarter directement le moyen tiré du traitement inhumain et dégradant que constituerait l'interruption de l'alimentation et de l'hydratation du patient, traitement dont ses parents ne sont pas les victimes directes. En revanche, le moyen fondé sur la violation du droit à la vie de l'article 2 doit être examiné.
Le droit à la vie
Dans son arrêt McCann c. Royaume-Uni du 27 septembre 1995, la Cour européenne rappelle que le droit à la vie n'a rien d'absolu. Il se borne à imposer certaines obligations aux Etats.
Obligation négative, l'Etat doit d'abord s'abstenir de donner la mort intentionnellement. Sur ce point, on observe que l'article 2 ne concerne pas la peine de mort, abolie par le Protocole n° 6 à la Convention européenne, ratifié par tous les Etats membres du Conseil de l'Europe à l'exception de la Russie. Aux yeux des requérants, le fait d'interrompre ou de ne pas entreprendre un traitement devenu "déraisonnable" conduit à donner volontairement la mort. Ils emploient ainsi le mot "euthanasie" que la loi Léonetti de 2005 n'emploie jamais. Au contraire, dans ses conclusions sous l'arrêt du Conseil d'Etat de juin 2014, le rapporteur public Rémi Keller affirme que lorsqu'il décide l'interruption du traitement, "le médecin ne tue pas, il se résout à se retirer lorsqu’il n’y a plus rien à faire".
La Cour observe que le droit français, contrairement à d'autres systèmes juridiques, n'autorise ni le suicide assisté, ni l'euthanasie. Dans son arrêt Glass c. Royaume-Uni du 18 mars 2003, la Cour avait déjà estimé que l'administration de doses élevées de morphine à un enfant en fin de vie ne relevait pas de l'intention délibérée de le tuer mais tout simplement d'alléger ses souffrances, avant un décès de toute manière inéluctable. En tout état de cause, le système juridique français n'emporte aucune violation des obligations négatives liées à l'article 2.
Obligation positive, l'Etat doit également prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes. Sur ce point, les requérants considèrent que le droit français manque de clarté, en particulier sur les notions d'"obstination déraisonnable" et de "traitement n'ayant d'autre effet que le maintien artificiel de la vie". L'argument n'est pas nouveau. Devant les juges internes, ils avaient déjà invoqué le fait que l'alimentation et l'hydratation d'une personne n'est pas un "traitement" au sens médical et n'avait rien de "déraisonnable". Ils avaient été désavoués sur ce point par le Conseil d'Etat dont la décision s'appuyait sur plusieurs expertises médicales. Pour tenir compte de cette décision, l'actuelle proposition de de loi relative eaux droits de la personne en fin de vie précise clairement que "la nutrition et l'hydratation artificielles constituent un traitement".
Sur le plan de ces obligations positives, la Cour prend soin de noter qu'il n'existe aucun consensus au sein des Etats du Conseil de l'Europe sur ces questions. Conformément à sa jurisprudence Haas c. Suisse de 2011, elle estime alors que la marge d'appréciation des Etats est "considérable", d'autant qu'il s'agit en l'espèce de "questions médicales, juridiques et éthiques de la plus grande complexité". C'est donc aux autorités internes de définir le droit applicable et de vérifier la conformité des décisions d'arrêt des traitements. La Cour se borne, quant à elle, à s'assurer de l'existence d'un cadre législatif et de recours contentieux permettant un débat contradictoire sur les dossiers les plus sensibles. C'est exactement ce qui existe en France, et la Cour observe que les arguments développés par les parents de Vincent Lambert ont déjà été largement discutés devant le juge interne. L'Etat n'a donc pas manqué aux obligations positives résultant de l'article 2.
Que va-t-il se passer maintenant ? On peut penser que les parents de Vincent Lambert vont s'efforcer de susciter de nouvelles décisions médicales. Même si elles décident l'interruption du traitement, ils pourront les contester, aller devant tous les juges possibles, gagner des mois ou des années...D'une manière ou d'une autre, le recours devant la Cour européenne n'était-il pas lui-même destiné à gagner du temps, sachant que les chances de succès étaient fort minces ? Au-delà du cas de Vincent Lambert, il a permis à la Cour d'affirmer qu'une loi sur les droits des patients en fin de vie ne porte, en soi, aucune atteinte à l'article 2 de la Convention européenne. Ce n'était sans doute pas le but des requérants. En revanche, c'est une bonne nouvelle pour le parlement qui débat actuellement du texte proposée par Alain Claeys et Jean Léonetti.
mercredi 3 juin 2015
Film d'horreur au Conseil d'Etat
Le cinéma, un régime d'autorisation
Dans le cas de Saw 3D Chapitre Final, l'annulation du visa d'interdiction aux moins de seize ans ne laissera plus d'autre choix à la Commission que de proposer une interdiction aux moins de dix-huit ans.
L'absence d'enjeu
L'enjeu concret demeure modeste. En effet, le film est sorti en salles en 2010. L'association Promouvoir a alors demandé l'annulation du visa successivement devant le tribunal administratif de Paris puis devant la Cour administrative d'appel. Elle a été déboutée successivement en décembre 2011 et en juillet 2013. Le Conseil d'Etat, juge de cassation, rend donc un arrêt définitif cinq ans après que le film ait fini sa carrière en salles. Il précise d'ailleurs que sa décision «n'implique pas que le ministre de la culture prenne les mesures nécessaires pour retirer le film litigieux des salles».
Cette absence d'enjeu offre au Conseil d'Etat l'opportunité de préciser les principes qui doivent guider la Commission de classification, sans pour autant porter une atteinte réelle à la liberté d'expression cinématographique. Observons que cette appréciation des faits est tout à fait possible dans le cas du contrôle de cassation exercé par la juridiction administrative.
Le contrôle normal
Dans le cas de la violence, la jurisprudence est plus rare. Elle exige cependant une motivation réelle du visa, la simple référence au "climat violent" du film n'étant pas suffisante pour justifier une telle mesure. La Commission doit ainsi préciser en quoi cette violence justifie l'interdiction proposée. Autrement dit, l'avis doit expliquer pourquoi la Commission choisit d'interdire un film aux moins de seize ans, plutôt qu'aux moins de douze ou de dix-huit ans. Elle doit aussi s'interroger sur la place de la violence, si elle est utilisée pour en faire l'apologie ou, au contraire, dans une démarche "volontairement grandguignolesque", formule employée par la Cour administrative d'appel dans son arrêt du 3 juillet 2013.
Une appréciation subjective
En l'espèce, le Conseil d'Etat se livre à une appréciation rigoureusement inverse de celle effectuée par la Cour administrative d'appel. Il a constaté "que le film comportait de nombreuses de scènes de très grande violence, filmées avec réalisme et montrant notamment des actes répétés de torture et de barbarie, susceptibles de heurter la sensibilité des mineurs". La formule ressemble à un avertissement sans frais adressé à un cinéma racoleur essentiellement américain, qui privilégie l'hémoglobine au détriment du scénario. Il n'en demeure pas moins que l'appréciation de la violence demeure extrêmement subjective. Souvenons nous qu'Orange mécanique, le chef-d'oeuvre de Stanley Kubrick, fut interdit aux moins de seize ans en France, en raison des scènes de violence qu'il comportait.
dimanche 31 mai 2015
L'interdiction administrative de manifester : L'étrange rapport Mamère-Popelin
Le "maintien de l'ordre à la française"
La Commission loue en effet "l'efficacité du maintien de l'ordre à la française" dont le principe d'action consiste à n'utiliser la force que comme 'ultima ratio", lorsque toutes les procédures de concertation ont échoué. L'objet n'est pas de neutraliser l'adversaire en le détruisant mais de le disperser, méthode qui permet un retour à la normale le plus rapide possible.
Sur le plan de l'usage de la force par les gendarmes à Sivens, le rapport ne formule aucune critique particulière, d'autant que le ministre de l'intérieur a interdit l'usage des grenades offensives dès la mort de Rémi Fraisse. L'enquête administrative de l'inspection générale de la gendarmerie nationale a conclu à l'absence de faute des fonctionnaires. L'enquête judiciaire, quant à elle, est toujours en cours et la Commission parlementaire ne peut évidemment pas intervenir dans son déroulement.
Faute de pouvoir relever un dysfonctionnement opérationnel, la Commission s'est tournée vers l'analyse juridique de la liberté de manifestation.
La liberté de manifester
L'interdiction administrative de manifester (IAM)
Observons d'emblée que cette mesure existe déjà. D'une part, elle constitue une peine complémentaire à certains délits commis durant une manifestations, notamment les violences aux personnes, les détériorations de biens, voire la fabrication d'engins de destruction (art. L 211-13 du code de la sécurité intérieure). Dans ce cas, la peine est prononcée par le juge pénal en même temps que la peine principale, à l'issue de la procédure contradictoire qui a permis à l'intéressé d'exercer pleinement ses droits de la défense.
D'autre part, la loi du 14 mars 2011 autorise le ministre de l'intérieur à interdire le déplacement individuel ou collectif de supporteurs d'une équipe dont la présence sur les lieux d'une manifestation sportive "est susceptible d'occasionner des troubles graves pour l'ordre public" (art. L 332-16-1 code du sport). Le 20 mai 2015, Bernard Cazeneuve, dans un arrêté fortement motivé, a ainsi interdit le déplacement de l'ensemble des supporteurs de l'équipe de football de Bastia à Marseille. Dans ce cas, il s'agit bien de police administrative, mais on note que cette procédure exceptionnelle est prévue par la loi et qu'elle concerne des personnes qui se définissent elles-mêmes comme supporteurs et sont donc clairement identifiables.
Le rapporteur est bien conscient de la difficulté d'établir un critère permettant d'identifier les "individus" susceptibles de se voir privés du droit de manifester. Il propose donc de limiter l'IAM à ceux qui sont déjà "condamnés comme casseurs violents" ou qui "connus" comme tels. Dans le premier cas, l'IAM est inutile car il suffit que les juges prononcent de manière plus ou moins systématique la peine complémentaire déjà prévue par le code de la sécurité intérieure pour écarter le risque de nouvelles violences. Dans le second cas, on se demande d'où viendront les données permettant de considérer qu'une personne est "connue" comme "casseur violent". La question n'est pas anodine, si l'on considère que l'intéressé se voit privé de sa liberté de manifester par une simple décision administrative, le juge judiciaire étant exclu de la procédure.
Ecartant ces questions, le rapport affirme la régularité juridique d'une telle mesure. L'analyse est cependant très lacunaire. Il est peut-être utile de l'approfondir un peu, pour nuancer cet optimisme. Penchons-nous donc un instant sur les arguments avancés.
Une constitutionnalité très douteuse
Aux yeux du rapporteur, la décision du Conseil constitutionnel du 21 janvier 1995 fonde, à elle seule, la constitutionnalité de la mesure. Cette décision porte précisément sur la peine complémentaire d'interdiction de manifester prévue par l'article L 211-13 du code de la sécurité intérieure. Le Conseil estime qu'une telle peine "ne porte pas atteinte au principe de proportionnalité des sanctions", mentionnant au passage qu'elle est limitée dans le temps à trois années. Certes, mais le rapporteur oublie que le Conseil ajoute comme critère de proportionnalité le fait que cette peine soit prononcée par le juge pénal. Or l'IAM est prononcée par le ministre de l'intérieur.
L'article 66 de la Constitution énonce : "Nul ne peut être arbitrairement détenu. L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi". Dans sa décision du 16 juin 1999, le Conseil a clairement affirmé une définition étroite du champ d'application de cette compétence judiciaire, précisant qu'elle concernait le principe de sûreté, c'est-à-dire la situation dans laquelle la personne n'est ni arrêtée ni détenue et dispose de la liberté de ses mouvements. Celui ou celle qui fait l'objet d'une IAM est privé de sa liberté de circulation, d'autant que l'efficacité de cette mesure ne peut être garantie que par des arrestations préventives ou des assignations à résidence. On doit en déduire que la compétence du juge judiciaire s'impose et que la constitutionnalité de l'IAM est bien loin d'être acquise.
La jurisprudence administrative
Le rapporteur affirme ensuite que l'IAM est conforme à la jurisprudence du Conseil d'Etat, s'appuyant sur la décision Dieudonné du 9 janvier 2014 qui avait affirmé qu'il "appartient à l'autorité administrative de prendre des mesures de nature à éviter que des infractions pénales soient commises". Comme dans l'affaire Dieudonné, il s'agit donc d'interdire de manière préventive l'exercice d'une liberté.
On peut certes regretter que des parlementaires dont la mission est de protéger les libertés fassent si peu de cas d'un régime libéral pourtant solidement ancré dans nos traditions républicaines. On peut aussi regretter qu'ils n'aient pas regardé avec un peu plus de soin la jurisprudence du Conseil d'Etat. Dans une seconde décision du 6 février 2015, également rendue à propos d'un spectacle de Dieudonné, le Conseil est revenu sur son ordonnance de 2014 et a sanctionné une interdiction disproportionnée par rapport à l'atteinte à l'ordre public que le spectacle était susceptible de susciter. Autant dire que la référence à la décision de 2014 est pour le moins aventurée.
Et la Cour européenne des droits de l'homme ?
Reste la question de la conformité à la Convention européenne des droits de l'homme, question que le rapport n'envisage pas.
La Cour européenne exerce un contrôle de proportionnalité sur les mesures de police privatives de liberté. Dans un arrêt Austin c. Royaume-Uni du 15 mars 2012, la Cour a ainsi été saisie des nouvelles techniques développées à l'occasion des différents G8, consistant à créer une "bulle" autour de l'évènement. Mettant en oeuvre le procédé du "kettling" ("mise en bouilloire"), les forces de l'ordre britannique avaient retenu des manifestants alter-mondialistes mais aussi quelques passants malchanceux, pendant sept heures à l'intérieur d'un cordon de police. Cette pratique a néanmoins été considérée comme proportionnée à la menace pour l'ordre public par la Cour européenne. Cette jurisprudence est-elle transposable au cas de l'IAM ? Sans doute pas, car le ketlling ne s'analyse pas comme une interdiction préventive. Il concerne des personnes définies par leur seule présence sur les lieux de la manifestation. En l'état actuel du droit, il n'est donc guère possible d'anticiper ce que serait la jurisprudence de la Cour européenne sur l'IAM.
Aux yeux du rapporteur, l'argument essentiel en faveur de l'introduction en France d'une telle procédure réside dans le fait qu'elle existe déjà en Belgique et en Allemagne. La première prévoit une "arrestation administrative préventive", la seconde une "rétention policière". Le rapport présente ces législations comme des exemples, mais il serait peut-être utile de poser la question. Pour le moment, le rapport Mamère-Popelin reste un rapport. Il ne reste plus qu'à espérer qu'il subira le sort de la plupart des rapports.