Le Conseil constitutionnel rendra, le 18 octobre, une nouvelle décision relative au mariage pour tous. Il est saisi cette fois d'une QPC transmise par le Conseil d'Etat le
18 septembre 2013. A l'origine de la procédure, un recours déposé par un certain nombre d'élus contre la
circulaire du ministre de l'intérieur du 13 juin 2013 relative aux "conséquences du refus illégal de célébrer un mariage de la part d'un officier d'état civil". A dire vrai, la circulaire n'a aucun caractère réglementaire et se borne à donner l'interprétation officielle de
la loi du 17 mai 2013 relative à l'ouverture du mariage aux couples de même sexe. Elle a donc bien peu de chances d'être annulée par le Conseil d'Etat. Ce recours devant la juridiction administrative, et c'était probablement son objet initial, offre cependant l'opportunité de déposer une QPC visant les dispositions législatives dont le Conseil constitutionnel n'a pas examiné la conformité à la Constitution dans sa
décision du 17 mai 2013.
Une "question nouvelle", dépourvue de "caractère sérieux"
Sur ce point, le Conseil d'Etat a d'ailleurs interprété de manière très libérale les dispositions du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel. Il y est mentionné que les juges peuvent transmettre une QPC "à la triple condition que la disposition contestée
soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été
déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif
d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des
circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère
sérieux". Les deux premières conditions sont faciles à remplir. Les dispositions contestées sont bien applicables au litige puisque la circulaire contestée les commente. Elles n'ont pas déjà été déclarées constitutionnelles, tout simplement parce que la loi de 2013 ne les modifie pas de manière substantielle. En revanche, le troisième et dernier critère impose que la question posée soit "nouvelle" ou présente un "caractère sérieux". Le Conseil d'Etat décide que la question est "nouvelle", seule solution possible pour transmettre la QPC. On doit donc en déduire que la juridiction administrative suprême adopte une conception très stricte de l'alternative. En effet, le moins que l'on puisse affirmer est que cette question "nouvelle" ne présente aucun caractère "sérieux".
La question est "nouvelle", parce qu'il n'était encore venu à l'idée de personne, sauf des élus de Sotteville le Val, le Chesnay, Chanin la Poterie, Thorigné d'Anjou et autres lieux, de soulever l'inconstitutionnalité des dispositions qu'ils contestent.
Les dispositions contestées
L'
article 34-1 du code civil énonce que les actes d'état civil sont établis par les officiers d'état civil, et que ces derniers exercent leurs fonctions sous le contrôle du procureur de la république. Ce principe est très solidement ancré dans notre droit. Il figure dans l'
instruction générale relative à l'état civil du 11 mai 1999, elle même inspirée d'un texte précédent du
21 septembre 1955. Le tribunal des conflits, dans une décision du 17 juin 1991, a rappelé que le "fonctionnement des services de l'état civil est placé sous le contrôle de l'autorité judiciaire" et que le juge judiciaire est donc compétent en cette matière. Le fait que le mariage soit désormais ouvert aux couples de même sexe ne change rien à cette compétence de l'ordre judiciaire.
L'
article 74 du code civil, qui est également contesté par les auteurs de la QPC, porte, quant à lui, sur le lieu du mariage, qui doit être célébré dans la commune où l'un des époux, ou l'un des parents des époux a son lieu de résidence. Il est vrai que la loi du 17 mai 2013 élargit précisément la liste des communes où il est possible de se marier à celles habitées par les parents des futurs époux. Mais, là encore, cette disposition n'a rien de spécifique au mariage des couples de même sexe. L
'article 165 du code civil reprend ce principe en ajoutant que le mariage est célébré lors d'une "cérémonie républicaine" par l'officier d'état-civil. On se souvient que cette "cérémonie républicaine", formule issue d'un amendement déposé par Alain Tourret, député du Calvados, avait suscité de violentes réactions de ceux qui refusent de voir dans le mariage autre chose qu'un sacrement religieux. Il n'empêche qu'aujourd'hui la cérémonie est tout aussi républicaine pour les couples hétérosexuels que pour les homosexuels.
Enfin, l'
article L 2122-18 du code général des collectivités territoriales (CGCT) autorise le maire à déléguer une partie de ses fonctions à un adjoint, ou si celui-ci est empêché, à un membre du conseil municipal. Là encore, il s'agit d'une disposition d'ordre général, que la loi de 2013 n'a en rien modifiée, et qui ne s'applique pas uniquement à la célébration des mariages mais à l'ensemble des activités municipales.
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Joseph Nicolas Jouy. Portrait de Lodi-Martin Dufour Dubergier, maire de Bordeaux. 1842 |
Un recours sur le silence de la loi
Les dispositions contestées ne portent donc pas réellement sur le mariage pour tous. Et c'est bien là le problème, car le recours ne porte pas sur le contenu de ces dispositions mais sur ce que le législateur aurait dû ajouter pour imposer une clause de conscience des maires dans l'ensemble du dispositif. Autrement dit, le recours ne porte pas sur la loi, mais sur le silence de la loi. Le Conseil constitutionnel est donc sollicité pour apprécier si l'absence de clause de conscience a pour effet de rendre inconstitutionnel l'ensemble de ces dispositions. Encore faudrait-il trouver quelques arguments juridiques à l'appui de cette revendication.
Les propos du Président de la République, ou l'absence de contrainte juridique
Ecartons d'emblée les propos du Président la République, d'ailleurs allègrement déformés par la plupart des commentateurs, qui ne sauraient servir de fondement juridique à un recours devant le Conseil constitutionnel. Qu'a t il dit précisément ? Lors du congrès des maires de France, le 20 novembre 2012,
il s'est exprimé en ces termes : "
Les maires sont des représentants de l'Etat. Ils auront, si la loi est votée, à la faire appliquer. Mais je le dis aussi en vous entendant : des possibilités de délégation existent. Elles peuvent être élargies. Et il y a toujours la liberté de conscience. Ma conception de la République vaut pour tous les domaines. Et d'une certaine façon, c'est la laïcité, c'est l'égalité. C'est à dire la loi s'applique pour tous, dans le respect néanmoins de la liberté de conscience." Nulle part n'est mentionnée une quelconque "clause de conscience". Aux yeux du Président, la liberté de conscience des élus est garantie par leur possibilité de déléguer le mariage à leurs adjoints. Sur ce point, le Président n'interdit pas un élargissement des possibilités de délégation, choix que le législateur n'a finalement pas fait.
Quoi qu'il en soit, l'article 5 de la Constitution affirme certes que le Président veille au respect de la Constitution. Mais ces dispositions ne lui donnent pas compétence pour dicter le contenu de la loi au parlement. Ce serait une atteinte au principe de séparation des pouvoirs. Quand bien même ses propos auraient été plus précis, ils n'auraient pu être analysés comme imposant une contrainte juridique.
Les autres moyens soulevés par les requérants ne sont pas plus sérieux. C'est ainsi que l'avocat des requérants a plaidé la supériorité du droit naturel, à la fois antérieur et supérieur au droit positif. Autrement dit, on revient purement et simplement au discours qui a rythmé les manifestations : le mariage est l'union d'un homme et d'une femme. Un point, c'est tout. C'est si évident que l'on ne va tout de même pas le discuter juridiquement.
L'impossible assimilation aux autres clauses de conscience
De manière un peu plus concrète, les requérants s'efforcent aussi de dresser un parallèle entre la situation des maires et celle des professions qui disposent déjà d'une clause de conscience : les chirurgiens qui refusent l'IVG, les chercheurs qui ne veulent pas participer aux recherches sur l'embryon, voire les propriétaires fonciers qui ne veulent pas de chasseurs sur leurs terres, ou encore, avant la réforme du service national, l'appelé du contingent qui refusait de tenir un fusil... L'analogie se heurte pourtant à une simple constatation. Contrairement à toutes les autres personnes dotées d'une clause de conscience, l'officier d'état civil a pour unique mission d'appliquer la loi. Il n'a pas le choix de ne pas l'appliquer car la soumission à la loi n'est pas optionnelle. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il est passible de poursuites pénales s'il ne l'applique pas et se refuse à célébrer le mariage d'un couple de même sexe.
Raisonnons a contrario et supposons, rien qu'un instant, que le Conseil constitutionnel donne satisfaction aux requérants et déclare les dispositions contestées inconstitutionnelles parce que, ne comportant pas de clause de conscience, elles violent la liberté de conscience. Dans ce cas, cela signifierait qu'un officier d'état civil s'arroge le droit d'appliquer ou de ne pas appliquer la loi. Cela supposerait aussi que le droit positif accepte une rupture d'égalité devant la loi entre les couples hétérosexuels et les couples homosexuels. Les seconds seraient soumis à une procédure différente, en fonction de la conviction de l'officier d'état civil qui a pour fonction de les marier. Quant au fondement de la discrimination ainsi créé, il reposerait uniquement sur la conviction religieuse des uns ou des autres, car c'est bien de cela dont il s'agit. Pourquoi, dans ce cas, accepter une clause de conscience au profit des seuls élus qui refusent le mariage des couples homosexuels ? Un tel choix susciterait évidemment d'autres revendications, d'autres refus. Pourquoi pas un refus de marier les personnes de couleur, celles de religions différentes, ou encore de remarier les divorcés ? La conscience n'a pas de limite..
On le voit, la QPC actuellement en délibéré devant le Conseil constitutionnel, présente toutes les caractéristiques d'un combat perdu d'avance. Le combat de trop, en quelque sorte.