Le refus d'agrément
Ces règles pénitentiaires européennes ne sont pourtant que des recommandations, dépourvues de toute valeur normative. Le Conseil d'Etat refuse donc de les prendre en considération, et se tourne vers les règles organisant le service des aumôniers pénitentiaires.
La liberté de culte dans les prisons
La norme essentielle est évidemment l'article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ». Il est complété par l'article 1er de la Constitution qui affirme que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. (…) . Ces dispositions ne concernent pas seulement la liberté des convictions religieuse, liberté purement individuelle, voire intime. Elles garantissent aussi la liberté de culte qui a une dimension collective, ses manifestations avec les nécessités de l'ordre public et le respect du principe de laïcité. Dès lors que la Constitution pose un principe de non discrimination dans ce domaine, il est clair que les personnes détenues ne peuvent se voir priver d'aucune de ces deux libertés.
L'article 26 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 ne fait que reprendre ces principes lorsqu'il énonce que "les personnes détenues ont droit à la liberté d'opinion, de conscience et de religion. Elles peuvent exercer le culte de leur choix, selon les conditions adaptées à l'organisation des lieux, sans autres limites que celles imposées par la sécurité et le bon ordre de l'établissement". L'organisation des cultes en prison repose ainsi sur la présence d'aumôniers agréés par l'administration, et qui "consacrent tout ou partie de leur temps à cette fonction, selon le nombre des détenus de leur confession qui se trouvent dans l'établissement auprès duquel ils sont nommés" (art. D 439-1 cpp). Les textes en vigueur prévoient donc de moduler la durée de la présence de l'aumônier en fonction du nombre de personnes détenues se revendiquant de sa religion. Mais ils n'autorisent pas l'administration pénitentiaire à refuser purement et simplement l'agrément d'un aumônier Témoin de Jéhovah. Le Conseil d'Etat précise, à ce propos, qu'il n'est pas interdit de désigner des bénévoles, solution particulièrement économe des deniers publics.
Certains déploreront peut être que cette décision constitue un pas de plus vers la consécration des Témoins de Jéhovah comme mouvement religieux, alors que cette association est régulièrement citée comme auteur de dérives sectaires, notamment à travers son refus des transfusions sanguines. Il est vrai que la Cour européenne des droits de l'homme, dans sa décision rendue le 30 juin 2011, Association Les Témoins de Jéhovah contre France, avait déjà estimé qu'un redressement fiscal imposé à cette association portait atteinte, compte tenu de son ampleur (plusieurs dizaines de millions d'euros), à la liberté religieuse. Un redressement fiscal n'est pas un agrément d'aumôniers, mais les deux décisions vont néanmoins dans le même sens.
Siné. Dessin paru dans Charlie Hebdo |
La lutte contre les dérives sectaires impose-t-elle une lutte contre toute reconnaissance de ces mouvements par les autorités publiques ? On peut se demander si l'agrément d'aumôniers Témoins de Jéhovah n'est pas une meilleure solution qu'un refus systématique. D'une part, l'enjeu est minime dès lors que, comme le soutient l'administration, il y a très peu de personnes détenues parmi les adeptes de ce mouvement. D'autre part, nul n'ignore que les mouvements religieux sont très présents dans les établissements pénitentiaires et qu'ils y font du prosélytisme, parfois même ouvertement. Et ce n'est peut être pas le prosélytisme des Témoins de Jéhovah le plus dangereux. L'agrément des aumôniers devrait donc susciter de nouvelles réflexions. Cette procédure administrative pourrait en effet être utilisée pour imposer un véritable contrôle de l'activité de prosélytisme dans les établissements pénitentiaires. Car un agrément qui est délivré peut aussi être retiré ou non renouvelé.
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