« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


dimanche 9 juin 2013

QPC : diffamation exception de vérité et droit à l'oubli

Le 7 juin 2013, le Conseil constitutionnel s'est prononcé à la suite d'une QPC transmise par la Cour de cassation, sur la conformité à la Constitution de l'article 35 al. 6. de la loi du 29 juillet 1881. Ces dispositions portent sur ce qu'il est convenu d'appeler l'"exception de vérité", c'est à dire le principe selon lequel une personne poursuivie pour diffamation peut s'exonérer de toute responsabilité en prouvant la réalité du fait qui est à l'origine des poursuites.

L'exception de vérité

Aux termes de l'alinéa 6 de l'article 35 de la loi de 1881, l'exception de vérité n'est pas invocable, lorsque les faits ainsi rappelés constituent une infraction amnistiée ou prescrite. Cette disposition a  ainsi pour objet d'empêcher que l'atteinte au droit à l'oubli vienne causer à la victime un dommage encore plus grand que la diffamation. La conséquence de ce texte est particulièrement sévère, puisque la personne poursuivie pour diffamation se voit privée de la possibilité d'apporter la preuve de l'exactitude des faits qu'elle allègue. La seule solution qui lui reste est de démontrer sa "bonne foi", ce qui est loin d'être simple. Elle doit, en effet, dans ce cas, démontrer tout à la fois qu'elle poursuit un but légitime, qu'elle est convaincue de l'exactitude des faits qu'elle rapporte et qu'elle a fait preuve de modération et d'objectivité dans son expression. Ces éléments sont cumulatifs et d'ailleurs susceptibles de donner lieu à une interprétation relativement impressionniste, pour ne pas dire franchement subjective. L'exception de vérité est beaucoup simple à utiliser pour la personne poursuivie pour diffamation, puisqu'il lui suffit de mettre en évidence des éléments factuels, purement objectifs.

Droit à l'oubli v. liberté d'expression

Envisageons, par exemple, un historien qui se penche sur les faits de terrorisme commis lors de la guerre d'Algérie, et qui, dans un ouvrage, cite le nom d'une personne qui avait été condamnée à l'époque pour des faits de ce type, et qui est toujours vivante. Or, les crimes et délits commis en Algérie ont été amnistiés par toute une série de textes, d'abord les Accords d'Evian en 1962, puis par trois lois successives, de 1964 à 1968. La personne citée dans l'ouvrage peut donc poursuivre l'auteur pour diffamation, et l'historien n'a pas la possibilité de s'exonérer en démontrant la réalité des actes de terrorisme commis par l'intéressé. Autrement dit, le droit à l'oubli de l'un l'emporte sur la liberté d'expression de l'autre, voire sur les droits de la défense et le principe d'égalité devant la loi, puisque notre historien est beaucoup moins bien armé, pour sa défense, que n'importe quel pigiste d'un journal à sensation.

En l'espèce, le litige oppose Phillipe B., chirurgien-dentiste, victime d'une mesure de radiation prononcée par son Ordre, dont il avait dénoncé par voie de presse les dérives financières. Le problème juridique demeure cependant identique, puisqu'il s'agit de réaliser un équilibre entre la liberté d'expression et le droit à l'oubli.



Henri Salvador. Le Blues du dentiste. 1960


Sur le fond, le Conseil constitutionnel donne satisfaction au requérant et prononce l'abrogation de l'alinéa c ) de l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881. Il affirme que "par son caractère général et absolu", cette interdiction de faire état de faits prescrits ou amnistiés "porte à la liberté d'expression une atteinte qui n'est pas proportionnée au but poursuivi ; qu'ainsi, elle méconnaît l'article 11 de la Déclaration de 1789". Le juge constitutionnel estime donc, après avoir exercé son contrôle de proportionnalité, que la liberté d'expression doit l'emporter sur le droit à l'oubli.

Le précédent de la décision du 20 mai 2011

On pourrait se limiter à affirmer que cette décision est rendue par analogie, puisque, dans une précédente QPC du 20 mai 2011, le Conseil avait déjà abrogé l'alinéa 5 de ce même article 35 de la loi de 1881. Celui-ci interdisait à la personne poursuivie pour diffamation d'invoquer l'exception de vérité, par la mention de faits remontant à plus de dix ans. Le droit à l'oubli était donc déjà le fondement de cette disposition.

La décision du 7 juin 2013 présente cependant l'intérêt de reprendre les principes fondamentaux du droit français de l'amnistie. Celle-ci efface la sanction pénale, généralement pour assurer la réconciliation nationale, mais elle n'efface pas les faits qui l'ont suscitée. Il est donc un peu étrange d'interdire à la personne poursuivie pour diffamation de faire état de faits qui, juridiquement, ne sont pas censés avoir disparu. C'est si vrai que ces mêmes faits peuvent être mentionnés dans un jugement civil, le cas échéant rapporté dans la presse.

La décision du 7 juin 2011 ne reprend pas donc celle du 20 mai 2011, mais elle la complète. Elle fait ainsi reposer la supériorité de la liberté d'expression sur le droit à l'oubli sur un double fondement.

Le débat public d'intérêt général

Le Conseil constitutionnel énonce que les faits donnant lieu à une condamnation amnistiée visent en réalité "tous les propos ou écrits résultant de travaux historiques ou scientifiques ainsi que les imputations se référant à des événements dont le rappel ou le commentaire s'inscrivent dans un débat public d'intérêt général". La formule reprend directement la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qui estime que la liberté d'expression l'emporte toujours sur le droit au respect de la vie privée et sur le droit à l'oubli, lorsque les propos poursuivis pour diffamation visent à développer un débat d'intérêt général (par exemple : CEDH, 7 novembre 2006 Mamère c. France). Tel est le cas pour l'historien qui s'intéresse à la guerre d'Algérie, et tel est le cas pour Philippe B. qui dénonce les dérives financières d'un ordre professionnel. Cette notion de "débat public d'intérêt général" est ainsi porteuse de grandes potentialités pour l'évolution de la jurisprudence sur la liberté d'expression. Elle rapproche ainsi le droit français du droit anglo-saxon, beaucoup plus libéral dans ce domaine.

Valeur législative du droit à l'oubli

Le Conseil réaffirme également que le droit à l'oubli n'a pas la même place dans la hiérarchie des normes que la liberté d'expression. Cette dernière a valeur constitutionnelle, puisqu'elle trouve son origine dans l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. En revanche, le droit à l'oubli est seulement qualifié par le Conseil de "motif d'intérêt général justifiant une atteinte législative à la liberté d'expression". Il est loisible au législateur de le consacrer, dans certains domaines, et dans "un souci d'apaisement politique et social" (décision du 20 juillet 1988), mais la mention de ce droit par le Conseil constitutionnel ne va pas au-delà de la reconnaissance de cette compétence législative. On peut ainsi penser que si, un jour, le droit à l'oubli acquiert valeur constitutionnelle, ce ne sera sans doute pas dans le droit de l'amnistie. Plus vraisemblablement, il pourrait être consacré dans le domaine numérique, puisque ce droit permettrait à chacun d'obtenir la suppression des données le concernant.

Le contrôle de proportionnalité effectué par le Conseil présente donc, dans le cas d'espèce, une analogie avec un contrôle de la hiérarchie des normes. A cet égard, il est parfaitement logique que le droit à l'oubli cède devant la liberté d'expression, puisque le premier a valeur législative et le second constitutionnelle. Encore faudrait-il ne pas vider le droit à l'oubli de son contenu, en considérant que n'importe quel propos ouvre un débat public d'intérêt général. Les juges du fond devront définir avec précision ce qui relève du déballage malsain dans un but de vengeance personnelle et ce qui, en raison de son intérêt général, doit être porté à la connaissance de tous. Et ce sont eux qui finalement devront trouver l'équilibre entre la liberté d'expression et le droit à l'oubli.


mercredi 5 juin 2013

QPC : maîtres de l'enseignement privé sous contrat : on demande une réserve

Le Conseil constitutionnel est actuellement saisi d'une QPC portant sur l'article 1er de la loi du 5 janvier 2005, dite loi Censi, relative à la situation des maîtres de l'enseignement privé sous contrat. Selon ce texte, ces personnels "ne sont pas, au titre des fonctions pour lesquelles ils sont employés et rémunérés par l'Etat, liés par un contrat de travail à l'établissement". La seule exception, formulée par l'alinéa 2 de ce même article, réside dans leur participation aux élections des délégués du personnel, dans les conditions qui sont celles du code du travail. 

La lettre de la loi Debré

Ce texte de 2005 n'a rien de bien surprenant, car il constitue un retour à la lettre de la loi Debré du 31 décembre 1959. Celle-ci énonce, en effet, que l'enseignement privé, lorsqu'il passe un contrat d'association avec l'Etat, participe au service public de l'enseignement. Par voie de conséquence, les maîtres ont la qualité d'agent public et sont rémunérés par l'Etat. En échange, l'établissement s'engage à respecter la liberté de conscience des enfants, à les accueilir "sans distinction d'origine, d'opinions ou de croyance", et à suivre les programmes d'enseignement définis par l'Education nationale. 

Ce retour à une formulation simple était rendu nécessaire par une évolution jurisprudentielle, conduisant à la mise en place d'une sorte d'usine à gaz juridique. Pour une mission unique, le maître de l'enseignement privé disposait de deux contrats, un de droit public le liant à l'Etat pour sa rémunération, l'autre de droit privé, un contrat de travail ordinaire, avec l'établissement, le faisant bénéficier du droit du travail, notamment en matière de licenciement. La loi de 2005 devait donc mettre fin à ce statut hybride, et réintégrer les maîtres sous un statut unique, celui d'agent public. 

Les heures de délégation

Cette QPC, d'une manière très subreptice, constitue une nouvelle tentative de remise en cause de l'équilibre mis en place par la loi Debré. Le requérant invoque un problème relativement marginal dans le statut des maîtres du privé, celui des heures de délégation. Ce terme désigne un crédit d'heures mis à la disposition des représentants du personnel pour l'exercice de leur mission, crédit d'heures réparti mensuellement entre les élus et rémunéré en complément de salaire. Pour le requérant, les dispositions de la loi Censi emportent à son égard une rupture du principe d'égalité, puisqu'il ne peut bénéficier des garanties qui sont celles du salarié, mais qu'il ne jouit pas davantage de tous les droits attachés à son contrat de droit public. Il invoque également une atteinte à la liberté contractuelle, dès lors que les contrats de travail passés avant 2005 ont été immédiatement abrogés par la loi de 2005, pour céder la place à un statut de droit public.
 
La Cour de cassation rencontre Kafka

La jurisprudence judiciaire s'est montrée, on doit le reconnaître, particulièrement confuse dans les contentieux liés à ces heures de délégation, y compris dans l'affaire qui donne lieu à la présente QPC. Observons d'emblée que la Cour de cassation, dans une décision du 18 novembre 2008, déclare que la juridiction judiciaire est compétente, solution qui était loin d'être évidente, puisque les élus concernés ont le statut d'agents publics. La Cour d'appel de Toulouse a refusé d'obtempérer dans une décision du 20 janvier 2010. Elle note que le demandeur ne fait état d'aucune disposition contractuelle à l'appui de son recours, et le déboute. Elle demande cependant un avis à la Cour de cassation, affirmant que les débats pourront reprendre, si la réponse de la Cour de cassation l'impose. 

Dernier épisode enfin, la Cour de cassation refuse de rendre un avis, mais rend une décision le 18 mai 2011, dans laquelle elle estime que ces heures de délégation doivent être prises en charge par les établissements, et être payées sous la forme d'un salaire. Sur le fond, le raisonnement est surprenant. La Cour ne s'appuie pas sur le code de travail, mais estime que l'intérêt exerce ses fonctions de délégué "dans l'intérêt de la communauté constituée par l'ensemble du personnel de l'établissement", formule inédite qui permet de justifier la responsabilité financière de cet établissement.

Sur le plan théorique, on pourrait se satisfaire d'une telle solution. Sur le plan pratique, elle conduit à des solutions dignes de Kafka. En effet, l'intéressé doit être rémunéré en complément de salaire par un établissement dont il n'est pas salarié. Ceci étant, il en bénéficie pour l'exercice de fonctions syndicales dans lesquelles il négocie des accords collectifs qui ne le concernent pas. Le résultat de cette situation absurde est un retour au statut hybride auquel la loi Censi devait mettre fin. 


Mulet, animal hybride

Sur le fond, il ne fait guère de doute que l'article 1er de ce texte est parfaitement conforme à la Constitution. Quand bien même on admettrait que le texte a porté atteinte aux principes d'égalité et de liberté contractuelle, on se souvient que, depuis la célèbre décision Conseil de la concurrence du 23 janvier 1987, l'unification des règles contentieuses, et notamment celles de répartition des compétences, suffit à justifier l'intervention du législateur. Dans une finalité de "bonne administration de la justice", celui-ci peut donc décider que le statut des maîtres de l'enseignement relève exclusivement du droit public. Et s'il est vrai que la Cour de cassation s'est engagée dans une interprétation pour le moins complexe de la loi de 2005, le Conseil constitutionnel n'a pas à apprécier la constitutionnalité de ses dispositions au regard de son interprétation postérieure. Il appartient, en effet, au législateur, de modifier le texte, si cela lui semble nécessaire, pour écarter cette jurisprudence. Enfin, on imagine mal le Conseil constitutionnel annulant l'article 1er de la loi, et réduisant ainsi à néant le statut juridique de 135 000 enseignants.

Une réserve d'interprétation ?

Reste que le Conseil constitutionnel pourrait inciter le législateur à agir, par exemple en formulant une réserve d'interprétation. Ne serait-il pas opportun d'affirmer, une bonne fois pour toutes, que le contentieux lié aux maîtres de l'enseignement privé relève exclusivement du droit public ? Il s'agirait tout simplement de préciser le sens qu'il convient d'attribuer à la notion de "bonne administration de la justice", qui privilégie l'unité dans la compétence contentieuse.

On pourrait évidemment s'interroger sur ces établissements privés qui cherchent à s'exonérer de toute dépense, tout en bénéficiant d'une aide considérable de l'Etat. Mais ce principe est finalement celui de la loi Debré. La qualité d'agent public attribuée aux maîtres impose certes à l'Etat de financer l'enseignement privé, mais il lui offre en même temps les moyens de le contrôler. On a vu ainsi, en janvier 2013, le ministre de l'Education nationale rappeler à l'ordre les établissements catholiques dont les responsables encourageaient leurs élèves et leurs parents à se rendre aux manifestations d'opposition au mariage pour tous. Le ministre a été entendu, tout simplement parce qu'il dispose d'un pouvoir de contrôle sur l'obligation de réserve des enseignants et des établissements. Une telle pratique n'a rien de choquant, dès lors que ces enseignants sont précisément des agents publics. 

La loi Debré est certainement un magnifique cadeau fait à l'enseignement privé, et la loi de 2005 se situe exactement dans sa continuité. En l'état actuel des choses, personne n'a cependant envie de ranimer une guerre scolaire qui ne manquerait de ramener dans la rue des papas et des mamans habitués aux défilés protestataires. Il faut donc assumer le texte, en tirer les conséquences indispensables pour le statut des maîtres du privé, et en développer toutes les potentialités pour garantir l'obligation de réserve et y imposer la liberté de conscience, conformément aux dispositions mêmes de la loi Debré.



lundi 3 juin 2013

Mandat d'arrêt européen : La CJUE répond à la question préjudicielle posée par le Conseil constitutionnel

 Le 30 mai 2013, la Cour de justice de l'Union européenne a répondu à la question préjudicielle posée par le Conseil constitutionnel le 4 avril 2013 sur l'interprétation qu'il convient de donner aux dispositions de la décision-cadre du 13 juin 2002 relatives à l'extension du mandat d'arrêt européen. A l'époque, cette question préjudicielle avait agité les commentateurs. Certains y voyaient la reconnaissance par le Conseil constitutionnel de la supériorité du droit de l'Union européenne sur la Constitution. Emportés par leur enthousiasme européen, ils oubliaient que le fondement de l'intégration du droit de l'Union dans notre système juridique réside précisément dans la Constitution...Quoi qu'il en soit, la réponse est passée inaperçue, alors même qu'elle conditionne évidemment la décision que rendra bientôt le Conseil constitutionnel.

La procédure d'urgence

Observons d'emblée que la CJUE accepte la procédure d'urgence demandée par le Conseil constitutionnel, sur le fondement des articles 23 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et 107 de son règlement de procédure. La Cour se réfère certes à la demande du Conseil qui invoquait le délai de trois mois dans lequel il est tenu de statuer, en matière de QPC. Mais elle ajoute que le requérant est actuellement privé de liberté, et que la solution du litige emportera certainement des conséquences sur la durée de cette privation. 

Extension du mandat d'arrêt

On se souvient que M. Jeremy F., citoyen britannique, fait l'objet d'un mandat d'arrêt européen émis à l'origine par le Royaume-Uni pour détournement de mineur. Professeur de mathématiques au Royaume-Uni, et âgé de trente ans, il s'est enfui avec l'une de ses jeunes élèves, âgée de quinze ans et demi, et a été arrêté à Bordeaux. Par la suite, les autorités britanniques ont décidé, après enquête, d'étendre ce mandat d'arrêt à l'infraction d'atteintes sexuelles, passible, dans ce pays, de quatorze années de prison. C'est donc sur ce fondement nouveau qu'il est actuellement en détention provisoire.

Sur le plan procédural, les autorités britanniques sollicitent ainsi une extension du mandat d'arrêt à d'autres poursuites, pour d'autres infractions. Une telle procédure est autorisée par l'article 27 de la décision-cadre du 13 juin 2002. Elle suppose néanmoins le consentement de l'Etat requis, en l'espèce les autorités françaises. Mettant en oeuvre cette décision-cadre, l'article L 695-46 al. 4 du code de procédure pénale (cpp) énonce que la Chambre de l'instruction se prononce sur ce consentement et "statue sans recours (...), dans le délai de trente jours à compter de la réception de la demande".

Absence de recours

C'est précisément cette absence de recours que conteste le requérant, auteur de la QPC. Il y voit une atteinte au droit au procès équitable et à l'égalité devant la loi, dès lors que l'absence de recours en cassation entrave l'unité d'interprétation des textes.

Il faut bien reconnaîtte que Jeremy F. n'est pas sans arguments de fond. En effet, le mandat d'arrêt européen impose la règle de la double incrimination, qui signifie simplement que le comportement  reproché à l'intéressé doit être illicite dans les deux pays, le demandeur et le requis. Or, la majorité sexuelle, c'est à dire l'âge auquel un mineur peut entretenir des relations sexuelles avec un adulte, est fixée à quinze ans en France et à seize en Grande Bretagne. Cette différence d'une année a des conséquences considérables, puisque la jeune fille séduite par son professeur de maths a précisément quinze ans et demi. L'article L 695-23 cpp énonce cependant que le contrôle de la double incrimination peut être écarté lorsque les agissements incriminés concernent "l'exploitation sexuelle des enfants et la pornographie infantile". Jeremy F. estime, quant à lui, que son cas ne concerne pas la pornographie infantile, et que le contrôle de la double incrimination doit conduire à exclure l'extension du mandat d'arrêt à une infraction dont il n'est pas coupable, en droit français. Il lui semble donc naturel de pouvoir contester devant le juge français l'extension du mandat d'arrêt européen qui le concerne.


La Polka des menottes. Raoul André. 1956

Les deux interprétations successives

Pour répondre à la QPC, le Conseil constitutionnel doit interpréter l'article 88-2 de la Constitution qui habilite le législateur à fixer "les règles relatives au mandat d'arrêt européen en application des actes pris par les institutions de l'Union européenne". Autrement dit, le législateur applique les règles fixées par la décision-cadre du 13 juin 2002 de l'Union européenne, mais sur une habilitation donnée par l'article 88-2 de la Constitution. L'article 88-2 permet ainsi de couvrir les cas d'inconstitutionnalité ouverts par le droit de l'Union.

Mais pour interpréter l'article 88-2 de la Constitution, le Conseil constitutionnel doit, au préalable, obtenir une interprétation authentique de l'article 27 de la décision cadre de l'Union européenne. Celui-ci ne prévoit pas expressément l'interdiction du recours en matière d'extension du mandat d'arrêt européen. Il se borne à imposer aux autorités de l'Etat requis de statuer dans un délai de trente jours après réception de la demande d'extension. Ces dispositions interdisent-elles tout recours qui empêcherait que la décision soit acquise dans un délai de trente jours ou imposent-elle seulement qu'une décision soit prise dans ce délai, sans interdire un éventuel recours ultérieur ?

Un recours laissé à la compétence des Etats

La CJUE, dans sa réponse, observe que la décision-cadre est tout simplement muette sur la question du recours : "la décision-cadre ne réglemente pas la possibilité pour les Etats membres de prévoir un recours juridictionnel suspensif" contre les décisions concernant le mandat d'arrêt européen. De ce silence, la Cour déduit logiquement qu'"une telle absence de réglementation ne signifie pas que la décision-cadre empêche les Etats de prévoir de prévoir un tel recours ou leur impose de l'instituer". Les Etats demeurent donc totalement libres d'organiser, ou non, un recours, selon les exigences de leur système juridique. La seule condition est, recours ou non, que la décision d'extension du mandat d'arrêt intervienne dans les délais fixés par la décision-cadre, c'est à dire dans les trente jours, délai extrêmement bref.

Dans ces conditions, on ne voit pas ce qui pourrait faire obstacle à l'examen, par le Conseil constitutionnel, de la conformité de l'article L 695-46-4 cpp  aux principes constitutionnels que sont le droit au juste procès ou l'égalité devant la loi. On ne voit pas davantage sur quel fondement le Conseil pourrait déclarer qu'une décision dépourvue de tout recours est conforme à la Constitution. Pour avoir la réponse définitive, il est cependant indispensable d'attendre la décision du Conseil constitutionnel.

mercredi 29 mai 2013

Supplément au mariage pour tous : la citation du jour


Hyacinthe Rigaud. Portrait de Jean de la Fontaine 1690


Jean de La Fontaine, Fable XX

LA DISCORDE


La Déesse Discorde ayant brouillé les Dieux,
Et fait un grand procès là-haut pour une pomme,
On la fit déloger des Cieux.
Chez l'Animal qu'on appelle Homme
On la reçut à bras ouverts,
Elle et Que-si-que-non, son frère,
Avecque Tien-et-mien son père.
Elle nous fit l'honneur en ce bas Univers
De préférer notre Hémisphère
A celui des mortels qui nous sont opposés ;
Gens grossiers, peu civilisés,
Et qui, se mariant sans Prêtre et sans Notaire,
De la Discorde n'ont que faire.
Pour la faire trouver aux lieux où le besoin
Demandait qu'elle fût présente,
La Renommée avait le soin
De l'avertir ; et l'autre diligente
Courait vite aux débats et prévenait la Paix,
Faisait d'une étincelle un feu long à s'éteindre.
La Renommée enfin commença de se plaindre
Que l'on ne lui trouvait jamais
De demeure fixe et certaine.
Bien souvent l'on perdait à la chercher sa peine.
Il fallait donc qu'elle eût un séjour affecté,
Un séjour d'où l'on pût en toutes les familles
L'envoyer à jour arrêté.
Comme il n'était alors aucun Couvent de Filles,
On y trouva difficulté.
L'Auberge enfin de l'Hyménée

Lui fut pour maison assignée.



Henri Rousseau. La guerre. 1894

La vie privée du simple quidam n'est pas un roman

La 17è chambre du TGI de Paris a condamné, le 27 mai, Christine Angot et son éditeur Flammarion à verser 40 000 € de dommages et intérêts à Elise Bidoit, qui les poursuivait pour atteinte à la vie privée.

Mais qui est donc Elise Bidoit ? Elle ne jouit d'aucune notoriété, et ne la recherche pas. Elle est une personne comme vous et moi, un "simple quidam" dans le sens où l'entendait Guy Béart. Son seul problème, mais il est de taille, est d'avoir été mariée au compagnon de Christine Angot et d'être la mère de ses enfants.

L'écrivain n'a pas hésité à raconter l'histoire de ce couple, mais aussi et surtout celle d'Elise Bigoit, dans son roman "Les Petits". La présentation de l'éditeur affirme que "l'auteur dévoile le côté sombre de la puissance féminine et l'utilisation par certaines femmes d'un pouvoir maternel tentaculaire". Certes, Elise Bidoit y est présentée sous le pseudonyme d'Hélène, mais tous les détails de sa vie sont présentés dans le livre et relatés sans complaisance particulière. 

Les écrivains se nourrissent évidemment de ce qu'ils voient, pillent la vie des autres, dépeignent les vices et les ridicules de ceux qui les entourent. Beaucoup d'artistes vampirisent leur entourage, et certains le font avec talent. La seule règle posée par le droit est que cette peinture, même cruelle, doit demeurer dans l'ordre de la fiction littéraire, ce qui exclut que l'on puisse formellement identifier les personnages du roman.

Le caractère identifiable du personnage

On voit pourtant se multiplier les livres ancrés dans le réel qui racontent une histoire vécue, la liaison amoureuse de l'un, le divorce de l'autre. Souvenons de Patrick Poivre d'Arvor publiant des lettres privées envoyées par une ex-compagne, ou plus récemment de Lionel Duroy évoquant ses relations tendues avec son fils. Tous deux ont été condamnés, non pas pour l'histoire qu'ils racontent, mais parce que tous les lecteurs avaient reconnu le personnage ainsi exposé sur la place publique, sans son consentement.


Guy Béart. Le Quidam. 1958


Le caractère fictionnel de l'oeuvre

Dans ce type de contentieux, la question essentielle est donc celle du caractère identifiable ou non du personnage. On peut alors évoquer une sorte de "pacte fictionnel". Lorsqu'un personnage relève de la fiction littéraire, il n'est évidemment pas titulaire de droits et il n'a pas de vie privée à faire respecter. En revanche, lorsqu'il est identifiable, il est  une personne physique qui peut demander au tribunal de garantir le respect de sa vie privée et d'indemniser l'éventuel préjudice causé par sa divulgation. Il appartient alors au requérant de montrer que les lecteurs n'ont pas perçu l'oeuvre comme fictionnelle et ont parfaitement identifié le personnage.

En l'espèce, le juge observe que "les liens des personnages du livre avec la réalité de la vie d'Elise Bidoit sont particulièrement forts, étroits et insistants. Qu'à l'évidence, ces personnages, et notamment celui d'Hélène, sont loin d'être des ‘êtres de papier’ pour reprendre la formule de Paul Valéry; qu'en effet, dans ce livre, la réalité de la vie de la demanderesse est reproduite tant dans les détails banals que dans des aspects les plus intimes". Le caractère non fictionnel de l'oeuvre est donc déduit de l'accumulation des détails sur la vie privée de la plaignante et surtout sur son histoire la plus intime, celle de sa vie conjugale. Dans l'affaire qui opposait Patrick Poivre d'Arvor à son ancienne compagne, le TGI de Paris, statuant le 11 septembre 2011, s'est ainsi fondé sur "l'excessive ressemblance" du personnage avec la plaignante et sur la citation servile des lettres envoyées à l'auteur et réutilisées par lui à des fins "romanesques".

Il est vrai que les juges font preuve de prudence dans cette appréciation de l'oeuvre. La Cour européenne, dans une décision du 25 janvier 2007 Vereinigung Bildender Künstler c. Autriche, énonce que les juges doivent "examiner avec une attention particulière toute ingérence dans le droit d'un artiste". Mais cette ingérence doit néanmoins être sanctionnée lorsque l'artiste décide de quitter l'univers de la fiction.

Notoriété temporaire du simple quidam

Les avocats de Christine Angot soutenaient cependant le juge que l'identification de la plaignante était de son fait. N'avait-elle pas donné une interview au Nouvel Obs sur cette affaire, se plaignant du préjudice dont elle était victime ?  L'argument ne manque pas de cynisme, car il revient à affirmer qu'elle n'aurait pas le droit de se plaindre publiquement d'une atteinte à sa vie privée, alors même que cette dernière a été livrée au public. Le juge ne s'y est pas trompé, et a réfuté l'argument avec une certaine sécheresse : "Un tel raisonnement allant jusqu'à dénier à la plaignante une quelconque vie sociale, voire l'existence même d'un environnement humain, ne peut à l'évidence être suivi par le tribunal".  
 
Le juge reconnaît que "le droit à la vie privée n'est pas réservé aux personnes qui jouissent d'une quelconque célébrité". Par hypothèse, le "simple quidam" n'a pas d'activités publiques justifiant que sa vie privée soit exposée. En cela, il bénéficier d'une protection plus étendue que celle accordée aux personnes jouissant d'une notoriété particulière. Dans leur cas, le juge admet que certains éléments de leur vie privée puissent être connus, que leur image puisse être captée dans leurs activités publiques, et même parfois que les nécessités du débat public autorisent certaines divulgations. Elise Bidoit, anonyme et qui entend le rester, n'entre dans aucune de ces dérogations, et doit donc bénéficier d'une protection complète de sa vie privée. 
 
Le juge se montre particulièrement sévère à l'égard de Christine Angot, car en 2009 Elise Bidoit avait déjà engagé une action contre un précédent livre, "Le marché des amants". Une transaction avait finalement été acceptée, l'auteur versant 10 000 € à la plaignante et s'engageant à ne pas récidiver. Cette transaction a donc été violée, et ce second roman a alors pu susciter, chez la victime un sentiment "d'impuissance, voire de persécution". Sans qu'il s'agisse de circonstance aggravante, puisque nous ne sommes pas dans le domaine pénal, le juge a certainement tenu compte de cette situation pour augmenter le montant des dommages-intérêts dus par l'auteur et son éditeur.
 
Au delà du cas d'espèce, la décision du 26 mai permet de mettre en lumière les limites juridiques de la création artistique. Certes, l'artiste peut se nourrir de la vie des autres, mais il ne peut la piller, la jeter en pâture au public, l'exploiter commercialement sans rendre des comptes. Le juge pose ainsi une règle de protection élémentaire, que la simple élégance aurait sans doute pu dicter aux auteurs.


dimanche 26 mai 2013

Le statut de témoin assisté, un état précaire qui ne présage rien de bon

Le statut de témoin assisté fait l'objet non seulement d'une exceptionnelle visibilité médiatique, mais aussi de commentaires qui cumulent les contresens les plus graves. Le 25 mai 2013, Christine Lagarde, actuelle Directrice du FMI et ancien ministre de l'économie a été placée sous statut de témoin assisté par la Cour de justice de la République (CJR). Cette décision intervient dans le cadre de l'instruction concernant l'arbitrage dont Bernard Tapie a bénéficié en juillet 2008 dans le litige qui l'opposait au Crédit Lyonnais sur les conditions de la vente de la société Adidas. Elle a alors déclaré devant les journalistes : "Mon statut de témoin assisté n'est pas une surprise pour moi, puisque j'ai toujours agi dans l'intérêt de l'Etat et conformément à la loi"

Eléments de langage

Quelques mois auparavant, en novembre 2012 Nicolas Sarkozy, avait également été placé sous le même statut, dans l'affaire Bettencourt. A l'issue de son audition, son avocat Maître Thierry Herzog, s'était exprimé en ces termes à Europe 1 : " Par définition, un témoin assisté ne peut pas faire l'objet d'un quelconque procès (...) Les juges ont estimé qu'il n'y avait aucune charge, aucun indice grave et concordant" à l'encontre de l'ancien chef de l'Etat. Et d'affirmer que son client "ne peut plus être mis en examen. C'est le code de procédure pénale qui le prévoit".

De ces déclarations, l'auditeur ou le téléspectateur déduisent certainement que le statut de témoin assisté est la reconnaissance éclatante de l'innocence de l'intéressé par le juge chargé de l'instruction. Pour Christine Lagarde, c'est même une récompense, ou presque. Elle serait en effet témoin assisté parce qu'elle a agi "dans l'intérêt de l'Etat". Quant à Nicolas Sarkozy,  il bénéficierait de ce statut réservé aux innocents, précisément pour le mettre à l'abri d'une mise en examen. Doit-on en déduire que le statut de témoin assisté est une mesure honorifique récompensant des hommes et des femmes politiques dévoués au service public ?

Pas tout à fait. Au-delà des éléments de langage soigneusement préparés, le statut de témoin assisté s'inscrit dans un cadre juridique très précis.

Un état intermédiaire

Le statut de témoin assisté trouve son origine dans la volonté de protéger les personnes visées par une plainte avec partie civile. Jusqu'en 1987, il n'existait que deux statuts possibles, celui de témoin et celui d'inculpé (devenu ensuite "mis en examen"). Lorsqu'une personne portait plainte contre une autre, le juge d'instruction, pour garantir les droits de la défense et garantir l'accès au dossier de l'intéressé, n'avait donc pas d'autre choix que de l'inculper. Une telle procédure pouvait faire l'objet d'une utilisation perverse, par exemple lorsque les dirigeants d'une entreprise portaient plainte contre les dirigeants d'un concurrent, pour le déstabiliser économiquement, ou lorsqu'une épouse en cours de divorce portait plainte contre son mari pour violences sur ses enfants dans le seul but de lui en interdire la garde.  

Le statut de témoin est destiné à éviter ce type d'inconvénient, par la création d'une sorte d'état intermédiaire, entre l'audition comme simple témoin et la mise en examen. La loi du 30 décembre 1987 énonce que toute personne nommément désignée dans une plainte avec constitution de partie civile peut demander, lorsqu'elle est entendue comme témoin, à bénéficier des droits reconnus aux personnes mises en examen, c'est à dire concrètement à l'exercice des droits de la défense (art. 104 cpp). La loi du 24 août 1993 étend ensuite cette possibilité à toute personne nommément désignée par le réquisitoire du procureur, lorsque le juge d'instruction estime ne pas devoir la mettre en examen. La loi du 15 juin 2000 uniformise enfin le statut de témoin assisté et précise les droits dont il dispose.

Les bonnes causes. Christian-Jaque 1963
Marina Vlady le témoin,
André Bourvil le juge d'instruction, Pierre Brasseur l'avocat

Des indices rendant vraisemblable.....

Contrairement à ce qui a été affirmé par Christine Lagarde et Thierry Herzog, le statut de témoin assisté n'est pas réservé à ceux ou celles que le juge d'instruction veut désigner comme innocents. L'article 113-2 cpp énonce qu'il peut concerner "toute personne mise en cause par un témoin ou contre laquelle il existe des indices rendant vraisemblable qu'elle ait pu participer, comme auteur ou complice, à la commission des infractions". Dans le cas de Christine Lagarde, l'instruction a été ouverte en août 2011 pour complicité de faux et complicité de détournement de fonds publics. Dans celui de Nicolas Sarkozy, on se souvient que l'infraction visée est l'abus de faiblesse à l'égard de Liliane Bettencourt.

La mise d'une personne sous statut de témoin assisté est conditionnée par l'existence d"'indices laissant penser" qu'elle a pu participer à la commission d'une infraction, comme auteur ou complice. La différence est finalement assez ténue, sur ce plan, avec la mise en examen qui s'appuie sur l'existence d'"indices graves, précis et concordants", rendant vraisemblable la participation de l'intéressé aux infractions constatées (art. 80 al. 1 cpp.). Entre les "indices rendant vraisemblable" et les "indices graves précis et concordants", le choix entre le statut de témoin assisté et la mise en examen repose finalement sur le pouvoir discrétionnaire du juge chargé de l'instruction. La plupart des commentateurs de la loi de 2000 observent d'ailleurs que le statut de témoin assisté peut parfaitement être accordé à quelqu'un contre lequel il existe des indices, et même des indices graves et concordants. Les critères du choix demeurent à la discrétion du juge, et, parmi ces critères, rien ne lui interdit de tenir compte de la notoriété de la personne concernée, tant il est vrai que la présomption d'innocence est beaucoup plus difficile à protéger lorsque l'intéressé est placé sous les yeux des médias.

Un statut changeant

Ce pouvoir d'appréciation est parfaitement conforme au droit pénal qui fait reposer l'instruction sur l'intime conviction du juge qui en est chargé. C'est si vrai qu'il peut décider le passage du statut de témoin assisté à celui de mis en examen, sous la seule condition d'informer l'intéressé de son intention et de le mettre en mesure de présenter ses observations. La Cour de cassation, dans une décision du 29 mars 2006 a d'ailleurs précisé que, pour procéder à ce changement de statut, le juge n'a pas besoin de réunir des éléments nouveaux. Cette mise en examen d'un témoin assisté peut intervenir à tout moment de l'instruction, la seule condition étant qu'il existe effectivement des "indices graves, précis et concordants" de participation à la commission de l'infraction. Peu importe même qu'aucun acte d'instruction n'ait été réalisé entre l'audition de l'intéressé en sa qualité de témoin assisté et sa mise en examen (Crim. 13 septembre 2011). Rien n'interdit au juge de procéder en deux temps pour les personnes ayant une notoriété particulière, dans le seul but d'atténuer quelque peu l'acharnement des médias.

buste du Professeur  Louis Hubert Farabeuf  

Le statut de témoin assisté est donc un statut mobile. D'une manière ou d'une autre, il doit évoluer, soit vers l'abandon des poursuites, soit vers la mise en examen. Nicolas Sarkozy en offre une illustration très médiatisée, puisqu'il est passé du statut de témoin assisté en novembre 2012 à celui de mis en examen quelques mois plus tard, en mars 2013. Son avocat aurait sans doute dû se montrer un peu plus prudent, et éviter d'affirmer haut et fort que le statut de témoin assisté interdit, en tant que tel, une mise en examen.

 Après la mésaventure de M. Sarkozy, les amis de Christine Lagarde devraient sans doute faire preuve d'un peu de prudence. Car le statut de témoin assisté est, comme la santé pour le professeur Louis-Hubert Farabeuf, un "état précaire qui ne présage rien de bon".