« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


vendredi 10 mai 2013

Le droit de vote des ressortissants résidant à l'étranger devant la Cour européenne des droits de l'homme

Un arrêt Shindler c. Royaume-Uni rendu par la Cour européenne des droits de l'homme le 7 mai 2013 donne un éclairage utile sur l'étendue des droits du citoyen, et plus particulièrement du droit de suffrage. 

Le requérant, M. Harry Shindler, né en 1921, a pris sa retraite en 1982 et est allé s'installer en Italie avec son épouse, elle-même de nationalité italienne. Aux élections législatives britanniques de mai 2010, il se voit refuser le droit de voter. Les termes du Representation of the People Act de 1983, modifié par le Political Parties, Elections and Referendums Act de 2000 limitent en effet dans la durée le droit de vote des Anglais de l'étranger. A l'issue d'une période de quinze ans hors du territoire national, ils se voient privés de ce droit. Ce principe connaît évidemment des exceptions en faveur des fonctionnaires, des membres des forces armées, des employés britanniques des organisations internationales, qui résident à l'étranger pour des nécessités de service. Y sont en revanche soumis ces nombreux britanniques qui s'installent à Malte, à Chypre, dans le sud-ouest de la France ou encore en Italie, comme M. Shindler, dans le but d'y passer une retraite heureuse, loin d'un climat pluvieux dont nul n'ignore qu'il favorise les rhumatismes.

Le droit de suffrage, un droit de l'Etat

Cette restriction heurte-t-elle l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme qui garantit le droit à des élections libres ? C'est ce qu'affirme le requérant, qui s'appuie sur le droit de l'Union européenne : dès lors qu'il bénéficie du principe de libre circulation qui lui permet de s'installer où il le désire sur le territoire européen, il doit aussi conserver l'exercice intégral de son droit de vote dans son pays d'origine. A dire vrai, le raisonnement manque un peu de rigueur, car l'exercice du droit de suffrage ne relève pas du droit de l'Union, mais de celui des Etats membres.

La Cour européenne aurait pu considérer le droit de vote comme un droit attaché, dans son essence même, à la nationalité, et auquel la loi ne saurait porter atteinte. Semblant aller dans ce sens, une décision Hirst du 6 octobre 2005 avait ainsi déclaré non conforme à l'article 3 de la Convention ce même droit britannique, au motif qu'il interdisait, de manière générale et absolue, l'exercice du droit de vote par les personnes détenues. Dans l'affaire Schindler, la Cour semble pourtant avoir choisi de traiter plus durement les Anglais résidant à l'étranger que ceux emprisonnés. Appliquant strictement sa jurisprudence du 15 mars 2012 Sitaropoulos et Giakoumopoulos c. Grèce, elle observe que les Etats disposent d'une large "marge d'appréciation" pour l'organisation des élections législatives, et que la loi électorale qui interdit l'exercice du droit de vote lorsque la personne réside depuis plus de quinze années à l'étranger ne constitue pas une violation de l'article 3 de la Convention. 

Deux motifs juridiques fondent une telle différence de traitement entre les électeurs potentiels. D'une part, la Cour fait justement observer que le requérant demeure titulaire du droit de vote. C'est seulement son exercice à l'étranger qui est limité. Autrement dit, tout citoyen britannique, même résidant à l'étranger depuis plus de quinze ans peut voter librement, à la seule condition de retourner résider dans son pays natal.

Français de l'étranger, doté d'un passeport russe


Le lien avec le pays d'origine

D'autre part, cette restriction au droit de vote n'est pas disproportionnée par rapport aux finalités poursuivies. Le parlement britannique s'est en effet prononcé à plusieurs reprises sur cette question depuis 1985, date à laquelle les Anglais de l'étranger ont obtenu le droit de voter. La durée d'exercice de ce droit est passé de cinq ans en 1985 à 20 ans en 1989, pour revenir à quinze en 2000. La Cour note que les partis politiques sont d'accord sur cette durée, et qu'elle répond à une volonté d'équilibrer des intérêts contradictoires. En l'espèce, il s'agit de garantir le droit de vote des citoyens britanniques, en s'assurant qu'ils conservent un lien suffisamment fort avec leur pays d'origine pour participer de manière éclairée à sa vie politique.

Des droits vernaculaires

De cette analyse de la Cour, on doit déduire que le droit de vote n'est pas un droit comme les autres. On songe alors à la distinction établie par Serge Sur, dans son article "Vers une Cour pénale internationale". Il oppose en effet les droits de l'homme, droits véhiculaires à vocation universelle, aux droits de la citoyenneté, droits vernaculaires définis par les Etats eux-mêmes. Ceux de la citoyenneté entrent dans la seconde catégorie, et c'est bien ce qu'affirme la Cour européenne dans la présente affaire. Les Etats sont parfaitement libres d'en restreindre l'exercice, lorsque leurs ressortissants ont coupé le lien qui les attachait à leur pays d'origine.

Sur ce point, on ne peut s'empêcher de comparer la loi britannique à la loi française. Cette dernière va en effet dans le sens d'un accroissement constante des droits de la citoyenneté accordés aux Français de l'étranger. Depuis 2012, les Français de l'étranger sont même représentés non plus seulement par une douzaine de sénateurs, mais aussi par onze députés. Et aucune restriction au droit de vote ne vise les  Français de l'étranger,  quand bien même ils sont durablement installés à l'étranger, disposent de deux ou plusieurs nationalités, et ont largement perdu le contact avec la France. La différence entre les deux régimes juridiques doit susciter la réflexion. Au Royaume Uni, les droits de la citoyenneté se définissent par la participation, l'intérêt pour la chose publique. En France, ils reposent entièrement sur la nationalité, ce qui n'implique aucune réflexion sur la réalité du lien de citoyenneté.



mardi 7 mai 2013

L'action de groupe va-t-elle pénétrer dans le droit français ?

Un projet de loi relatif à la consommation, présenté en conseil des ministres le 2 mai par Benoît Hamon sera bientôt débattu à l'Assemblée nationale. Il présente la particularité de prévoir l'introduction dans le droit français l'action de groupe, directement inspirée de la "Class Action" américaine. Celle-ci fait l'objet d'une définition procédurale : il s'agit de permettre à un grand nombre de consommateurs subissant un dommage identique du fait d'une même entreprise de porter une action commune en réparation devant les tribunaux civils. Elle permet donc à la fois une plus grande visibilité des recours et une véritable mutualisation des moyens à la disposition des victimes

La puissance des lobbies hostiles

Observons d'emblée que le gouvernement, dont il est de bon ton de dénoncer l'immobilisme, veut ainsi imposer une réforme réclamée depuis bien longtemps par les consommateurs, et promise par plusieurs gouvernements successifs. A deux reprises, des tentatives en ce sens ont avorté, à la suite d'offensives menées par différents lobbies industriels et patronaux. A l'automne 2006, un projet de loi "en faveur des consommateurs" déposé devant l'Assemblée nationale à l'initiative de Thierry Breton, avait ainsi été retiré de l'ordre du jour, sans explication particulière. Deux ans plus tard, l'article de la loi de juillet 2008 sur la modernisation de l'économie, qui prévoyait ce type d'action, disparaît mystérieusement durant les débats parlementaires, là encore dans la plus grande opacité. Depuis cette date, l'action de groupe faisait partie de ces sujets dont l'on débat volontiers dans les colloques universitaires, et dont on convient qu'il sera peut être nécessaire, un jour, d'y réfléchir sérieusement.

Le gouvernement reprend donc le projet, sans céder, du moins pour le moment, aux lobbies qui demeurent très hostiles à la réforme. C'est ainsi que le MEDEF affirme que le projet est une "mauvaise réponse à une bonne question, celle de la réparation des préjudices causés aux consommateurs". L'organisation préférerait "généraliser le recours à des modes de règlement alternatifs des litiges comme la médiation». On pouvait s'attendre à une telle proposition, dès lors que les procédures dilatoires et le "Soft Law" sont toujours privilégiés par ceux qui veulent précisément échapper à la contrainte juridique.

Si le MEDEF considère que le projet de loi va trop loin, d'autre estiment à l'inverse qu'il ne va pas assez loin. De manière un peu schématique, on peut les classer en deux groupes.

Class Action. Michael Apted. 1991

Le mouvement associatif écologiste

Le premier groupe est constitué du mouvement associatif, généralement écologiste, qui conteste le champ d'application de l'action de groupe. L'article 1er du projet énonce que "l'action de groupe a pour objet d'"obtenir la réparation des préjudices individuels subis par des consommateurs placés dans une situation identique ou similaire, et ayant pour origine commune un manquement d'un même professionnel à ses obligations légales ou contractuelles". Le projet précise ensuite que cette procédure s'appliquerait à la vente de biens ou à la fourniture de services, ou encore lorsque le préjudice résulte d'une pratique anti-concurentielle. Entreraient ainsi dans le champ de l'action de groupe les clauses abusives des contrats, les tromperies sur les biens ou les services, les surcoûts de facturation liés aux ententes entre entreprises. Tout cela est loin d'être négligeable, car l'action de groupe donnerait une possibilité de recours contre les préjudices que l'on pourrait qualifier "de faible intensité". Tel est le cas par exemple de la facturation non justifiée de certains services bancaires, qui ne cause qu'un préjudice modeste à chaque client lésé, mais qui représente globalement un gain considérable pour la banque. En suscitant l'indemnisation d'une multitude de préjudices, l'action de groupe offrirait un instrument efficace de lutte contre ces petites arnaques.

Le projet limite cependant l'action de groupe aux personnes qui ont subi le même préjudice, et qui recevraient la même indemnité. Pour le moment, le texte, qui devrait figurer dans le code de la consommation, s'applique aux litiges de consommation et de concurrence, à l'exclusion de ceux relatifs à la santé ou à l'environnement. Dans ces derniers cas en effet, qu'il s'agisse de l'amiante, du Médiator ou des prothèses mammaires PIP, le préjudice ne peut être évalué de manière unique. Il dépend en effet de facteurs multiples, comme l'âge ou la santé des personnes concernées. Cette restriction du champ d'application de l'action de groupe suscite quelques critiques du mouvement associatif écologiste. On peut cependant compter sur lui pour réclamer ensuite l'élargissement de cette action.

Les avocats

Le second groupe de mécontents est constitué des avocats. Le Président du Conseil national des barreaux, Maître Charrière-Bournazel, qualifie le projet de loi de "leurre". Les raisons de cette irritation figurent dans le futur article L 423-1 du code de la consommation qui énonce qu"une association de défense de consommateurs, représentative au niveau national et agréée (...) peut agir devant une juridiction civile". L'intermédiaire entre le consommateur et le juge serait donc l'une des associations de consommateurs agréées... et pas les avocats. Les uns évoquent une rédaction "outrageante", d'autres brandissent "l'honneur de la profession". Tant d'agitation pourrait laisser penser qu'ils ont un intérêt personnel à promouvoir.

En tout état de cause, les avocats seraient certainement moins lésés qu'ils ne l'affirment, puisque l'association de consommateurs, pour engager l'action de groupe, fera évidemment appel à un avocat. Leur compétence est donc loin d'être ignorée. Ce n'est pas l'affaire qui leur est retirée, mais seulement le démarchage des clients, qui peut effectivement constituer l'un des attraits de l'action de groupe. Chaque avocat s'imaginait-il déjà comme une sorte d'Erin Brokovich à la française, allant tirer les sonnettes des éventuels participant à l'action de groupe, une excellente synthèse entre les intérêts des victimes et ceux du cabinet ? C'est précisément cette "américanisation" de l'action de groupe que le gouvernement a voulu éviter, à juste titre.

Mais qu'en sera-t-il du projet ? Surmontera-t-il la résistance de ces lobbies, qui ne manquent pas de relais parlementaires, dans une conjoncture économique difficile pour les entreprises ? Wait and See.

samedi 4 mai 2013

Rapport de la Miviludes : les dérives sectaires après la fin du monde

Le rapport de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a été remis le 25 avril 2013 au Premier ministre, dans une relative indifférence médiatique. A un moment où certains réclament un retour du religieux dans l'espace public, les instruments juridiques de la lutte contre les dérives sectaires apparaissent pourtant comme autant d'illustrations de la conception française de la laïcité.

Liberté religieuse et lutte contre les dérives sectaires

La Miviludes a été créée par un décret du 29 novembre 2002, dans le cadre de la mise en oeuvre de la loi Picard-About du 13 juin 2001 "tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales". Comme le principe de laïcité, la lutte contre les dérives sectaires ne vise donc pas la croyance en tant que telle. Chacun demeure libre du choix de sa religion. 

En revanche, la loi réprime ce qu'il est désormais convenu d'appeler les "dérives sectaires", c'est à dire les pratiques qui constituent des infractions. Les plus nombreuses sont évidemment celles du droit commun, comme l'escroquerie, la tromperie ou l'abus de confiance pour les atteintes aux biens, l'exercice illégal de la médecine, la privation de soins, l'abus d'état de faiblesse, voire les agressions sexuelles pour les atteintes aux personnes. A ces infractions déjà connues, la loi About-Picard ajoute la « sujétion psychologique" sur une personne (…) résultant de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement (…) ». C'est évidemment la manipulation mentale que le législateur vise directement dans cette formulation.

La Miviludes n'est pas directement chargée de lutter contre ces dérives sectaires. Elle exerce plutôt une fonction d'observation de ces dernières, afin d'informer les pouvoirs publics et de venir en aide aux victimes et à leurs familles. Son rapport offre donc un véritable état des lieux en matière de dérives sectaires. 

Les personnes âgées, proies des mouvements sectaires

Le rapport de 2011-2012 insiste sur le fait que l'attention des mouvements sectaires se porte actuellement vers  les 2 500 000 habitants de notre pays âgés de plus de quatre-vingt ans. Ils sont des proies convoitées, car ils ont généralement des revenus, et souvent un patrimoine plus ou moins important. Ils sont aussi des proies faciles, fragilisées par l'âge, la maladie, le deuil, l'altération des capacités physiques et intellectuelles. Les mouvements sectaires vont d'abord pénétrer dans l'intimité de la personne, puis s'efforcer de couper les liens familiaux autour de la victime, avant de susciter dons et legs à leur profit. Il s'agit donc le plus souvent d'abus de faiblesse, infraction de droit commun.

Si l'infraction existe, sa poursuite demeure difficile, car il est difficile de pénétrer dans la sphère privée des personnes âgées pour vérifier qu'elles ne font pas l'objet de sollicitations sectaires. En l'absence d'une famille proche et vigilante, les pouvoirs publics ne sont guère fondés à intervenir, et les pratiques d'abus de faiblesse demeure largement ignorées.

Indiana Jones et le temple maudit. Steven Spielberg. 1984

Observations empiriques

Les observations de la Miviludes demeurent empiriques, et elle reconnaît ne pas disposer de statistiques fiables sur la réalité de ces dérives sectaires. Son propos s'appuie essentiellement sur les plaintes des victimes et sur les observations des responsables de maisons de retraite, qui ont quelquefois bien des difficultés à déceler le mouvement sectaire derrière la sympathique association de bénévoles désireux d'aider les personnes âgées.

Cet empirisme ne doit pas être compris comme une limite à l'efficacité de la Miviludes. Au contraire, le rapport montre que son audience est de plus en plus large et que son activité est de mieux en mieux connue de la population. Durant l'année 2011, elle a reçu 2 283 saisines, soit une augmentation de plus de 25 % par rapport à 2010. Et sur les huit premiers mois de 2012, la tendance s'est confirmée avec 1 860 saisines, soit un accroissement de 22 % par rapport à 2011. Un sondage Ipsos publié en juin 2011 montre d'ailleurs que 44 % des Français connaissent la Miviludes, contre seulement 26 % l'année précédente. 

Quels sont les motifs de cette embellie ? La Miviludes fait état d'une politique de communication plus développée, notamment dans la presse. Mais il faut bien reconnaître que la publicité donnée aux rumeurs relatives à la fin du monde, soi-disant prévue pour le 21 décembre 2012 par le calendrier Maya, a certainement contribué à faire mieux connaître les dérives sectaires. Sur ce plan là au moins, la fin du monde, même si elle n'a pas eu lieu, aura servi à quelque chose.

Le rapport de l'USCIRF

Ce succès tranquille de la Miviludes doit certainement être mis en relation avec le rapport publié moins d'une semaine après, par l'US Commission on International Religious Freedom (USCIRF) créée par l'International Religious Freedom Act de 1998 (IRFA). A dire vrai, ce second rapport a trouvé davantage d'écho dans les médias français, qui ont insisté sur le fait que nos amis américains critiquaient une politique française trop peu respectueuse de la liberté religieuse. N'avons nous pas l'outrecuidance de refuser le port du voile intégral dans l'espace public et de lutter contre les dérives sectaires ? Sur ce dernier point, le rapport américain est formel. A ses yeux, le droit français stigmatise des groupements religieux qui se trouvent qualifiés de sectes dans un sens très péjoratif. Le système français crée ainsi "un climat d'intolérance qui conduit à une discrimination aussi bien officielle que privée contre ces groupements".

On se serait tenté de demander à cette question de quoi elle se mêle.. Ou peut-être de créer une autre commission chargée d'étudier les traitements inhumains et dégradants aux Etats Unis, notamment la peine de mort. Mais il suffit d'aller voir la composition de cette US Commission on International Religious Freedom pour comprendre les motifs de ses positions. Cette "commission fédérale indépendante" est  certes composée de personnalités désignées par le Président des Etats Unis et le Congrès. L'étude de leur CV, qui figurent sur le site, montre cependant qu'elles sont, pour la plupart, des représentants des principaux mouvements religieux actifs aux Etats Unis. Rien de surprenant, dans un pays qui ignore la notion de laïcité, dont 92 % de la population se dit croyante, et qui a quelques difficultés à imposer l'enseignement du darwinisme à l'école. Mais au nom de quoi cette commission américaine donne t elle à notre pays des leçons de liberté religieuse ? Une question qui pourrait être posée à nos amis américains.

mercredi 1 mai 2013

Le "mur des cons", ou comment réprimer la bêtise ?

On a beaucoup parlé du "mur des cons" affiché dans les locaux du Syndicat de la magistrature, une succession de photos clouant au pilori un certain nombre de personnalités. A l'origine de sa révélation au grand public, une vidéo enregistrée avec un téléphone mobile par un journaliste de FR3, Clément Weill-Raynal, enregistrement réalisé à l'insu des membres du Syndicat occupant les locaux. Sans que l'on ait une connaissance bien précise de son cheminement, le film a finalement été diffusé par le site "Atlantico", et repris par tous les médias.

Le mauvais goût de la démarche ne mérite guère commentaire. Les représentants du syndicat invoquent un "défouloir" ou une "blague de potache". Mais l'examen un peu approfondi du fameux mur révèle un humour extrêmement douteux de la part de magistrats censés respecter une obligation de réserve. Les magistrats bénéficient d'un statut et d'une protection particuliers. Ils ont également des devoirs spécifiques à l'égard des justiciables, dont l'activité syndicale ne saurait les exonérer. Comment justifier des propos aussi grossiers à l'égard de personnes dénommées ? Comment peut-on admettre de voir figurer au milieu de ce mur les photos de parents de jeunes femmes victimes de tueurs en série ? Comment peut-on à la fois se déclarer impartial et afficher d'une manière aussi caricaturale ses opinions politiques ? On serait tenté d'affirmer que les "cons" sont ceux qui ont construit le mur, et non pas ceux dont la photo a été affichée. 

Les trois intervenants

Dénoncer la "connerie" ne saurait tenir lieu d'analyse juridique. Certaines personnes stigmatisées comme "cons" disent être tentées de porter l'affaire devant la justice. L'affaire présente quelques difficultés sur ce point, car elle fait intervenir trois acteur essentiels : 
  • Les victimes, premières concernées, sont désireuses d'obtenir condamnation du Syndicat et, le cas échéant, réparation du préjudice subi. 
  • Les auteurs de l'affichage sont susceptibles d'être poursuivis pour injure ou diffamation de même que les responsables du syndicat, qui ont laissé se développer une telle pratique.
  • Le journaliste, l'homme par lequel le scandale est arrivé, est l'auteur de la divulgation de l'information, celui qui l'a rendue publique.
Un seul mur, deux injures

Le fondement juridique du recours est évidemment l'injure. En effet, la diffamation ne peut être invoquée, dès lors qu'elle suppose l'allégation ou l'imputation d'un "fait" qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne. En l'espèce, nul "fait" n'est invoqué, et la seule photo des intéressés suffit à les stigmatiser comme "cons". Reste donc l'injure, définie comme "toute expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne concerne l'imputation d'aucun fait" (art. 29 de la loi du 29 juillet 1881). Encore faut-il distinguer en l'espèce s'il s'agit d'injure privée ou d'injure publique. Or le "mur des cons" parvient à réunir, dans un même fait, les deux types d'injures.  

Affichage sur le mur : injure privée

Ceux qui ont affiché les photos sur le "Mur des cons" sont coupables d'injure privée. Ils rappellent d'ailleurs qu'un local syndical est un lieu privé, à l'abri des intrusions, y compris celles de l'entreprise ou du service public qui le met à disposition du syndicat. La chambre sociale de la Cour de cassation, dans une décision du 3 janvier 2010, a ainsi sanctionné pour atteinte à la liberté syndicale l'entreprise qui avait décidé unilatéralement le déménagement d'un local syndical, contraignant ceux qui le fréquentent à passer sous des portiques de sécurité et à présenter un badge pour pénétrer dans le bâtiment.  Peu importe que l'entreprise en question exerce son activité dans une zone aéroportuaire sécurisée, la liberté syndicale l'emporte en l'espèce, dès lors que l'employeur a refusé toute concertation.

Le dîner de cons. Francis Veber. 1998. Jacques Villeret et Thierry Lhermitte


Le Mur de Facebook, précédent vituel du "Mur des cons"

Le critère essentiel permettant la qualification d'injure privée ne réside pourtant pas dans la nature du local, mais dans la notion de communauté d'intérêt. Dans une décision très récente du 10 avril 2012, la Cour de cassation, cette fois la première chambre civile, a considéré que l'injure figurant sur le "mur" de Facebook ne pouvait être qualifiée d'injure publique si les internautes consultant ce mur formaient une communauté d'intérêt. Celle-ci se définit à travers une appartenance commune, des inspirations ou des objectifs partagés, le sentiment de former une entité suffisamment fermée pour ne pas intégrer des personnes considérées comme des tiers par rapport à l'auteur des propos. Dans le cas d'un local syndical, l'appartenance à une communauté d'intérêt ne fait évidemment aucun doute. Envisagé sous l'angle pénal, le "Mur des cons" s'apparente en effet à une succession d'injures privées visant chacune des victimes. La peine reste modérée puisqu'il s'agit d'une contravention, passible d'une amende de trente-huit euros. En revanche, rien n'interdit aux victimes d'engager une action civile pour obtenir réparation du préjudice qui leur a été causé.

Diffusion des images du "Mur" : injure publique

De manière un peu surprenante, la situation du journaliste qui a filmé le Mur à l'insu des membres du syndicat est plus délicate. Il a en effet diffusé des photos injurieuses, qui, de son fait, sont devenues publiques. Or l'injure publique, réprimée par l'article 33 de la loi du 29 juillet 1881, est un délit passible d'une amende pouvant monter jusqu'à 12 000 €. Heureusement pour lui, deux éléments sont susceptibles d'atténuer sa responsabilité, voire de l'écarter.

Le premier trouve son origine dans le droit de la presse. L'article 42 de la loi de 1881 pose le principe selon lequel l'auteur principal de l'infraction est le directeur de publication, alors que l'auteur n'a que le statut de complice. Celui qui a filmé le mur pourrait ainsi être poursuivi, non pas pour injure publique, mais pour complicité d'injure publique. Rappelons que Laurent Ruquier a été mis en examen, en septembre 2012, pour complicité d'injure publique, alors qu'il avait diffusé, dans une émission télévision, une caricature de Marine Le Pen que l'intéressée n'avait pas appréciée. La différence avec la situation de M. Weill-Raynal est cependant de taille : Laurent Ruquier présentait le dessin injurieux de manière favorable, alors que le film du "Mur des cons" visait à dénoncer la pratique du syndicat.

C'est précisément cette observation qui devrait permettre d'écarter la responsabilité pénale de l'intéressé. La Cour européenne des droits de l'homme considère, en effet, que les journalistes doivent bénéficier d'une indulgence particulière, lorsque leurs propos ont pour objet de développer un débat public. Cette jurisprudence, initiée dans le domaine du droit à l'image, pourrait tout à fait être adaptée à la diffusion d'injures, lorsqu'il s'agit non pas d'y souscrire mais de les dénoncer. N'est-ce pas précisément le cas de l'intéressé qui voulait mettre sur la place publique une pratique scandaleuse et non pas en être le complice ?

D'éventuelles sanctions disciplinaires

In fine, les possibilités d'action pénale à l'encontre des responsables du "Mur des cons" apparaissent relativement limitées. Nul n'ignore d'ailleurs qu'il est bien difficile de punir la simple bêtise. En revanche, il reste l'action disciplinaire. Une telle action est déjà envisagée par la chaine de télévision qui emploie M. Weill-Raynal, qui s'étonne que les images litigieuses aient été transmises à un autre média. Il s'agit là d'une procédure liée à l'exercice du contrat de travail, et à l'obligation de loyauté qui pèse sur le salarié à l'égard de son employeur. Le contenu injurieux ou non des images diffusées n'a donc rien à voir avec cette éventuelle action disciplinaire.

Pour ce qui est des magistrats, ceux qui ont réalisé le "Mur des cons", rien n'interdit d'envisager une action pour manquement à l'obligation de réserve. Celle-ci pèse en effet sur les agents publics à la fois pendant et hors leur temps de travail. Le caractère privé du local syndical ne suffit donc pas à écarter leur responsabilité. Sur le fond, l'affichage des photos injurieuses peut constituer un manquement à la réserve, dans la seule mesure où il risque de semer le doute sur l'impartialité des juges, et par là même, de la justice. Quoi qu'il en soit, l'important est que les afficheurs finissent par accepter la morale de François Pignon, selon laquelle "il faut toujours s'y reprendre à deux fois avant de traiter quelqu'un de con".


dimanche 28 avril 2013

Le 33è rapport de la CNIL

Le 33è rapport de la Commission nationale de l'informatique et  des libertés vient d'être publié et sa lecture permet d'abord de percevoir la vitalité de la plus ancienne de ces autorités, celle qui est à l'origine de la notion d'autorité administrative indépendante.

Depuis la loi du 6 janvier 1978 sur l'informatique, les fichiers et les libertés, les choses ont bien changé. Les ordinateurs se sont miniaturisés et banalisés, ils ont pénétré les télécommunications. Internet et les réseaux sociaux ont bouleversé les modes de communication. Toutes ces évolutions n'étaient pas prévues à la naissance de la CNIL. Elles témoignent de sa capacité d'adaptation, par une certaine forme de pragmatisme qui vise à protéger les données personnelles là où elles sont conservées, quel que soit le support du fichage. 

Croissance des recours

L'élément le plus notable du 33è rapport réside sans doute dans la progression des plaintes adressées à la Commission. Celle-ci en a reçu 6017 en 2012, soit une augmentation de 4,9 % par rapport à l'année précédente. La Commission interprète ces chiffres comme le témoignage d'un intérêt croissant de citoyens toujours plus soucieux de protéger leurs données personnelles. Elle insiste aussi sur la facilité désormais offerte aux personnes fichées de déposer une plainte en ligne, selon une procédure très simple. Cette formule connaît une croissance considérable, puisque 44 % des intéressés l'ont utilisée, contre seulement 26 % en 2011. La facilité du recours constitue, à l'évidence, un élément attractif pour les personnes fichées.

Il convient cependant de nuancer quelque peu cette perspective optimiste. Rien n'interdit de penser que l'augmentation des plaintes est aussi la conséquence logique, pour ne pas dire arithmétique, de l'accroissement du nombre de données personnelles collectées sur les individus, notamment dans le domaine du commerce électronique. Autrement dit, plus il y a de données stockées, plus il y a de recours. L'observation ne doit cependant pas cacher l'indéniable succès de la CNIL, qui a su informer les personnes fichées sur leurs droits d'accès et de rectification, et leur offrir des procédures faciles à mettre en oeuvre.

Droit d'accès indirect

Le 33è rapport fait état d'une progression a priori surprenante des demandes d'accès indirect. Elles furent en effet 3682 en 2012, soit un accroissement de 75 % par rapport à 2011. Rappelons que le "droit d'accès indirect"... n'est pas un droit d'accès. Il concerne les fichiers intéressant la sûreté de l'Etat, la défense et la sécurité publique, la recherche ou la constatation des infractions, ou enfin le recouvrement des impôts. Dans ce cas, la personne qui pense être fichée peut solliciter la CNIL, afin qu'un de ses membres vérifie la réalité de ce fichage et sa pertinence. Le terme "droit d'accès", même s'il est désormais en usage, est donc excessif, dans la mesure où la personne fichée n'a finalement pas accès à ses données personnelles, même indirectement. A l'issue de la procédure, elle est seulement informée que les vérifications ont été effectuées, sans pouvoir savoir si elle faisait effectivement l'objet d'un fichage et a fortiori sans avoir connaissance du contenu des informations conservées sur son compte. 

Parmi ces demandes de droit d'accès indirect, 4 % concernent les fichiers STIC et JUDEX qui collectent des données sur les auteurs d'infraction (ces deux traitements seront remplacés, fin 2013, par le Traitement des antécédents judiciaires, commun aux forces de police et de gendarmerie). Mais l'essentiel des demandes porte sur le Fichier des comptes bancaires et assimilés (FICOBA), géré par l'administration fiscale. Cette croissance est purement conjoncturelle, car le Conseil d'Etat a rendu, le 29 juin 2011, un arrêt autorisant l'accès des héritiers aux données bancaires d'une personne décédée, dans le but de liquider la succession. Par voie de conséquence, de nombreuses requêtes ont été introduites à cette fin durant l'année 2012, afin de profiter de cette voie de droit désormais ouverte. On peut donc penser que ces demandes devraient décroître rapidement dans un avenir proche.

Le poids du droit à l'oubli

Hergé. Objectif Lune. 1953
Si certaines tendances sont conjoncturelles, d'autres sont plus profondes. Tel est le cas du droit à l'oubli, dont le rapport montre qu'il devient peu à peu un élément contextuel du droit de la protection des données. 31 % des plaintes reçues par la Commission concernent internet et les télécommunications, et 1050 demandent la suppression de données personnelles en ligne. Ce droit à l'oubli, qui ne figure pas expressément dans les textes, est cependant analysé comme la conséquence du principe de finalité. La durée de conservation d'une information doit, en effet, être conforme à la finalité du fichier. Le droit à l'oubli permet alors à la personne fichée de demander la suppression des données personnelles qui ne sont plus pertinentes par rapport à cette finalité. 

D'une façon générale, la CNIL se déclare en faveur de l'intégration du droit à l'oubli dans l'ordre juridique. Le 33è rapport est ainsi le support idéal pour l'autorité indépendante qui se prononce en faveur du projet de règlement européen actuellement en cours de négociation, et qui devrait consacrer, cette fois formellement, le droit à l'oubli. La CNIL affirme ainsi que ce droit à l'oubli comporte deux facettes bien distinctes. D'une part, le droit dont serait détentrice chaque personne fichée de fixer une date de péremption pour le stockage de ses données, dates au delà de laquelle elles seraient effacées. D'autre part, l'obligation pour les moteurs de recherche, qui sont les principales clés d'entrée pour la recherche et la diffusion de données personnelles, de déréférencer ces informations à l'issue d'une certaine période préalablement définie.

Un standard européen de protection des données

Toutes ces pistes méritent d'être étudiées, et cette réflexion montre que la CNIL entend être présente dans le débat européen sur ces questions. Rappelons d'ailleurs que la Commission joue un rôle important au sein du "G 29" qui regroupe l'ensemble des agences des pays de l'UE compétentes en matière de protection des données. C'est en effet la CNIL qui pilote le groupe de travail du G 29 chargé de s'assurer que les règles de confidentialité appliquées par Google respectent la législation européenne. Considéré sous cet angle, le rapport de la CNIL est aussi l'instrument de la construction d'un standard européen de protection des données.


vendredi 26 avril 2013

Le referendum d'initiative partagée, vote en seconde lecture


L'Assemblée nationale adopte aujourd'hui, en seconde lecture,  deux projets de loi, une loi organique et une loi ordinaire, portant application de l'article 11 de la Constitution et mise en oeuvre du referendum d'initiative populaire. L'origine de ces textes est déjà lointaine, puisque on la trouve dans la révision constitutionnelle de 2008, initiée par Nicolas Sarkozy.  Elle modifie la rédaction de l'article 11 en ajoutant : " Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d'une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an". A l'époque, le projet était présenté comme fort ambitieux. Ne s'agissait-il pas, selon les termes employés par Nicolas Sarkozy, de "redonner la parole au peuple français" ?

Après cette belle opération de communication, le silence s'est fait et la loi organique destinée à assurer l'application de ces dispositions a été oubliée, comme s'il n'était pas si urgent de redonner la parole au peuple français. Le projet de loi a été déposé en décembre 2010, accompagné d'un projet de loi ordinaire portant sur des points de procédure. Ces deux textes sont parvenus en discussion en décembre 2011, soit trois années après la révision. Adoptés en première lecture par l'Assemblée nationale le 10 janvier 2012, ils n'ont été transmis au Sénat qu'après l'alternance pour y être votés le 26 février 2013. Le vote en seconde lecture du 25 avril marque donc une nette accélération de la procédure, d'autant que le Sénat devrait se prononcer avant l'été. 

Une initiative parlementaire

La gauche n'a pas modifié de manière substantielle le projet initial. Contrairement à Nicolas Sarkozy qui se référait au référendum d"'initiative populaire", le texte évoque plutôt une initiative "partagée", voire tout simplement parlementaire. L'Assemblée a d'ailleurs refusé l'amendement sénatorial qui créait une nouvelle catégorie de propositions de loi : les "propositions de loi référendaires". Aux yeux de l'Assemblée et du gouvernement, la proposition de loi, comme son nom l'indique, conserve une origine parlementaire. 

Elle doit en effet être présentée par au moins un cinquième des membres du parlement (soit 185 députés ou sénateurs), avant de recueillir le soutien du dixième du corps électoral. Le peuple ne peut donc susciter le referendum que si le parlement a manifesté son accord préalable. Et lorsque l'on évoque le parlement, on pense bien davantage aux partis politiques les plus puissants, ceux qui sont précisément en mesure de réunir une minorité substantielle de 185 parlementaires. Le Parlement dispose d'ailleurs d'un véritable veto. Après le recueil des signatures, si la proposition de loi n'a pas été examinée par chaque assemblée dans un délai de neuf mois, le Président de la République doit la soumettre à referendum. Cela signifie, a contrario, que chaque chambre a encore, à ce stade, la possibilité de s'opposer à la consultation.



Lefor-Openo. Affiche pour le referendum de 1958


Difficultés de la procédure

Il est extrêmement difficile d'obtenir un referendum dans ces conditions, d'autant que le nombre  de 4 500 000 électeurs signataires est considérable. A titre de comparaison, pour une population identique, l'Italie a mis en place un referendum abrogatif permettant au peuple de s'opposer à une loi votée, à la condition de réunir 500 000 électeurs (art. 75 de la Constitution italienne). A titre de comparaison encore, souvenons nous que les opposants au mariage pour tous se flattaient d'avoir fait parvenir une pétition de 500 000 signatures au Conseil économique et social.

Le champ d'application est également relativement restrictif, car les électeurs ne peuvent proposer n'importe quelle réforme. La proposition doit s'inscrire dans le champ de l'article 11 de la Constitution, "sur un objet mentionné au premier alinéa", c'est à dire "l'organisation des pouvoirs publics, des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et (les) services publics qui y concourent (...)". Le Conseil constitutionnel est d'ailleurs chargé d'un contrôle préventif, qui intervient après le vote parlementaire et avant la collecte des signatures des électeurs, et on peut penser que le juge veillera au respect de l'article 11. 

A la demande du gouvernement, l'Assemblée a légèrement remanié le texte initial dans le sens d'une plus grande souplesse. C'est ainsi que la durée de recueil des signatures a été portée de six à neuf mois. Cette procédure peut d'ailleurs être dématérialisée par internet, et le déroulement des opérations est garanti par une commission de contrôle composée de membres du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes. 

Méfiance à l'égard de la démocratie directe

Ces modifications de détail ne modifient guère l'équilibre du texte. Il repose sur une idée essentielle : le  referendum d'initiative partagée doit avoir un champ d'application étroit, être soumis à une procédure complexe et à des contrôles nombreux. En bref, l'intervention du peuple doit être aussi difficile que possible à mettre en oeuvre. Sur ce point, le texte ne constitue pas une rupture par rapport à la méfiance traditionnelle des parlementaires à l'égard des procédés de démocratie directe.

Certains attendaient avec impatience ce nouveau texte pour susciter, par ce type de consultation, l'abrogation de la loi sur le mariage pour tous. Ils seront déçus. D'une part, l'article 11, dans sa nouvelle rédaction, énonce que le referendum "ne peut avoir pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an", ce qui interdit une action immédiate. D'autre part, le contrôle du Conseil constitutionnel conduirait sans doute à écarter une proposition de loi portant sur le mariage, dès lors qu'elle n'entre pas dans le champ d'application de l'article 11. Enfin, le nombre considérable de signatures exigées pour obtenir une telle consultation risque de se révéler pour le moins dissuasif. S'il n'est pas difficile de faire défiler ses enfants dans les manifestations, il est plus délicat de leur faire signer une demande de referendum, puisque cette prérogative n'appartient qu'aux citoyens inscrits sur les listes électorales.