L'examen de droit. Gravure XIXè s. |
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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
lundi 15 avril 2013
Le droit à l'instruction, et la sélection à l'Université
vendredi 12 avril 2013
La liberté de critique cinématographique
Un échange un peu vif...
Recours contre l'hébergeur
Absence de trouble manifestement illicite
La Cour d'appel rappelle que pour que la mise en ligne d'un article constitue un trouble manifestement illicite, il faut évidemment que le contenu de cette publication présente un caractère manifestement illicite. Sur cette question, la Cour répond par la négative, en s'appuyant sur deux arguments.
Le premier repose sur l'analyse, en quelque sorte textuelle, des échanges. La Cour fait observer la "radicalité" des propos de la réalisatrice, qui a créé un "rapprochement douloureux" "en ce qu'elle prétend que ceux qui considèrent les émotions humaines comme une abomination ou une faiblesse rejoignent Hitler". Dans ces conditions, les réponses du critique ne sont pas dirigées contre la personne de madame B., mais s'analysent comme un "désaccord sur la position de l'appelante, en termes certes vulgaires, mais demeurant dans le champ de la liberté de critique". Le trouble manifeste n'est donc pas constitué, puisque l'appelante s'était elle-même livrée à des excès de langage.
Bien que le recours ne se situe pas dans le droit de la presse, on trouve là un raisonnement assez analogue de celui qui existe en matière d'injure, avec l'excuse de provocation. Le juge la reconnaît, par exemple dans une décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 10 mai 2006, lorsque l'injure a été proférée comme une "réaction immédiate et irréfléchie aux propos de la victime". Dans ce cas cependant, l'excuse de provocation n'a pas pour effet de supprimer la culpabilité de l'auteur des propos injurieux, mais peut fonder une décision le dispensant de peine. De la même manière, dans la décision du 4 avril 2013, la cour d'appel ne nie pas que l'auteur du blog a commis un excès de langage en demandant à la réalisatrice de "fermer sa g...", mais cet excès était une réaction un peu vivre contre des propos jugés eux-même particulièrement radicaux par le juge.
Le second argument, implicite cette fois, repose sur la prééminence de la liberté d'expression, et plus particulièrement de la liberté de critique cinématographique. Le juge reconnaît qu'un échange peut être vif lorsqu'il s'agit de donner son opinion sur une oeuvre de l'esprit et que le débat d'idées peut parfois se déployer dans un style pamphlétaire. On sait que la Cour européenne considère déjà que les journalistes et les hommes politiques doivent bénéficier, sur ce point, d'une indulgence particulière. Le débat auquel ils participent peut quelquefois être si vif qu'il serait considéré comme injurieux dans un autre contexte. Dans son arrêt Pragger et Oberschlick c. Autriche du 26 avril 1995, rendu à propos d'un article traitant d'"imbécile" le responsable d'un parti politique, la Cour européenne reconnaît que ce type de débat peut parfois comporter "une certaine dose d'exagération, voire de provocation". Aux journalistes et aux hommes politiques, il faut peut-être ajouter les critiques de cinéma qui ont aussi besoin de liberté de ton pour susciter le débat.
La décision de la Cour d'appel a quelque chose de rafraichissant, car elle constitue une sorte d'incitation à refuser la pression du "politiquement correct". Pour les lecteurs, c'est même une excellente nouvelle, car les débats sur les oeuvres de l'esprit ont toujours été percutants, voire insolents. On imagine ce que deviendrait la critique cinématographique s'il n'était plus possible d'écrire qu'un film est mauvais, quand bien même, ou parce que, il fait étalage de bons sentiments. On se trouverait alors tout simplement dans un régime de censure.
lundi 8 avril 2013
Les lectures de LLC : Eloge du conjugalisme
Devant cette nouvelle forme de trahison des élites, il faut parfois se tourner vers les anglo-saxons pour trouver une étude un peu plus sereine. Anand Giridharadas signe dans l'International Herald Tribune un article très éclairant, "The Shifting Meaning of Mariage", qui montre que l'évolution de la fonction sociale du mariage ne date pas du XXIè siècle, mais bien davantage du XIXè siècle. Autrement dit, l'accès des couples homosexuels au mariage n'est pas le point de départ d'un mouvement de dissolution de l'institution du mariage, mais le point d'aboutissement d'une nouvelle définition sociale de ce même mariage.
Le conjugalisme
L'auteur situe la naissance du conjugalisme vers le milieu du XIXè siècle, lorsque le mariage cesse d'être un acte social unissant deux familles, dans le but d'assurer leur descendance et la transmission de leurs biens. A partir de cette époque le mariage repose davantage sur les désirs, les besoins, et la volonté d'épanouissement de deux personnes adultes. L'union n'est plus fondée sur le devoir, la nécessité de répondre aux besoins de la société, mais sur un repli sur le couple, ce que certains ont appelé un "égoïsme à deux". C'est précisément cet égoïsme à deux qui définit le conjugalisme.
Querelle des Anciens et des Modernes
Au XIXè siècle, les opposants au conjugalisme dénoncent une idéologie nouvelle qui éloigne les individus de Dieu, mais aussi des devoirs attachés à la vie en société. En se repliant sur soi-même, le couple perd de vue ses devoirs, à commencer par le devoir de procréation, et investit moins dans la vie sociale.
Aujourd'hui, les opposants au mariage homosexuel reprennent l'idée que le mariage est une institution sociale, ce qui n'exclut pas sa perception comme sacrement religieux, dès lors que la religion doit précisément constituer le ciment de la vie en société. Anand Giridharadas cite ainsi un mémoire d'amicus curiae présenté le 31 août 2012 par l'association nationale évangélique devant la Cour Suprême américaine. Le groupe redoute clairement que l'accès des couples homosexuels au mariage réoriente ce dernier vers "le choix d'une relation entre deux adultes", plutôt que vers "une aspiration d'un père et d'une mère à aimer et à élever des enfants". C'est donc la même opposition au conjugalisme, puisque le mariage n'est là que pour remplir une fonction sociale, en un mot la procréation.
Mariage traditionnel |
Une bataille perdue
Ce débat, tout à la fois ancien et moderne, explique finalement la vigueur de l'opposition actuelle au mariage pour tous. Les opposants comprennent sans doute, de manière plus ou moins intuitive, qu'il s'agit là d'une dernière bataille contre le conjugalisme.
Mais il explique aussi pourquoi cette bataille est perdue. Après une première apparition en 1792 et une première suppression en 1816, le divorce a pénétré durablement dans notre droit positif avec la loi Naquet de 1884. Depuis cette date, les enfants ne sont plus l'objet unique du mariage. Celui-ci peut être dissous précisément par la seule volonté de deux adultes, et les enfants sont alors élevés par l'un ou l'autre des anciens conjoints. De même, grâce aux techniques de contraception et à l'interruption volontaire de grossesse, un couple peut choisir d'avoir des enfants s'il le souhaite, ou quand il le souhaite. L'épanouissement des individus l'emporte donc sur la fonction sociale du mariage.
Le raisonnement des actuels opposants au mariage pour tous repose ainsi sur une sorte de contresens. D'un côté, ils déclarent accepter le conjugalisme et comprendre pourquoi les homosexuels veulent pouvoir constituer un couple stable, à partir de la seule volonté d'épanouissement de deux adultes. lls s'efforcent même de proposer une "union civile", qui ressemble étrangement au PACS, qu'ils avaient pourtant vivement combattu, en 1999. De l'autre côté, ils rejettent le conjugalisme, et s'épuisent à affirmer qu'un enfant, c'est "un papa et une maman". Autrement dit, le mariage a d'abord pour fonction la procréation entre hétérosexuels. Dans ce cas cependant, le combat ne peut pas être gagné, car il faudrait aussi refuser le divorce, la contraception et l'avortement, tous autant responsables de la victoire du conjugalisme.
Ce repli du mariage sur le couple est-il si nuisible à la société ? Cela mériterait tout de même discussion. Roméo et Juliette déjà préféraient le couple qu'ils formaient à toutes les contraintes imposées par leurs deux familles. Et après eux, Chamfort affirmait déjà que "l'amour, tel qu'il existe dans notre société, n'est que l'échange de deux fantaisies et le contact de deux épidermes". L'individualisme à deux n'est il pas tout simplement l'expression de la liberté individuelle ?
samedi 6 avril 2013
Mandat d’arrêt européen : QPC et question préjudicielle
Jean Michel Folon (1934-2005). Question Mark |
On se souvient que l'article 88-2 est le fruit d'une révision intervenue en 2003 pour lever les obstacles constitutionnels à la mise en oeuvre du mandat d'arrêt européen. Dans un avis consultatif, le Conseil d'Etat avait en effet émis des doutes sur la constitutionnalité d'une procédure ne prévoyant pas la possibilité de refuser l'extradition pour des infractions à caractère politique, et allant ainsi à l'encontre d'un "principe fondamental reconnu par les lois de la République". L'article 88-2 précise donc que le législateur intervient pour appliquer la décision-cadre, selon les principes fixés par l'UE, couvrant en quelque sorte, les cas d'inconstitutionnalité ouverts par le droit de l'Union.
Une fois adopté, cet article 88-2 interdit-il tout contrôle de constitutionnalité sur les dispositions législatives mettant en oeuvre le mandat d'arrêt européen ? C'est toute la question, mais pour y répondre, il faut aussi interpréter la décision-cadre.
Interprétation de la décision-cadre
L'article 27 de la décision-cadre ne prévoit pas expressément l'interdiction du recours en cassation en matière d'extension du mandat d'arrêt européen. Il se borne à imposer aux autorités de l'Etat requis de statuer dans un délai de trente jours après réception de la demande d'extension. Ces dispositions interdisent-elles tout recours qui empêcherait que la décision soit acquise dans un délai de trente jours ou imposent-elle seulement qu'une décision soit prise dans ce délai, sans interdire un éventuel pourvoi en cassation ultérieur ?
La CJUE va devoir se prononcer sur cette question. Elle conditionne en effet l'interprétation que le Conseil constitutionnel donnera ensuite de l'étendue de l'habilitation conférée au législateur par l'article 88-2. Deux réponses sont en effet possibles.
- Soit la décision-cadre n'interdit pas le pourvoi en cassation et, dans ce cas, le choix de statuer "sans recours" relève uniquement du législateur français, indépendamment du droit de l'UE. L'article 88-2 ne fait alors pas obstacle à l'examen de la conformité de cette disposition à des principes constitutionnels comme le droit au juste procès ou l'égalité devant la loi.
- Soit la décision-cadre exclut tout recours en cassation et, dans ce cas, l'article 88-2 fait écran à tout contrôle, dès lors qu'il a précisément pour objet de lever les obstacles constitutionnels nés de la décision-cadre.
Cette observation ne doit cependant pas occulter le grand intérêt de la décision du 4 avril 2013.
jeudi 4 avril 2013
La notion de harcèlement, selon Littré
Dessin de Siné |
Et le harcèlement sexuel ?
La décision rendue par la Cour de cassation le 13 février 2013, a le mérite de revenir à la définition classique de la notion de harcèlement. Pour le Littré, harceler, c'est "tourmenter, inquiéter par de petites mais de fréquentes attaques". Pour le Petit Robert, c'est "soumettre sans répit à de petites attaques réitérées, à de rapides assauts incessants", définition sensiblement identique à celle du Larousse : "soumettre quelqu'un à d'incessantes petites attaques". La réitération est ainsi un élément de la définition du harcèlement. Si le droit positif veut répondre aux principes de lisibilité et de clarté de la loi, il serait sans doute souhaitable d'utiliser une notion unique du harcèlement, applicable à la fois en matière sexuelle et morale, et conforme à celle qui est en usage dans le langage courant, c'est à dire compréhensible par tous. C'est bien peu demander.
lundi 1 avril 2013
Le principe d'impartialité des juges au coeur de la tourmente
l'impartialité, fonction rhétorique
Et pourtant, le principe d'impartialité est juridiquement défini, et donne lieu à une jurisprudence relativement précise.
Morris et Gosciny. Lucky Luke. Le Juge. 1959 |
Autonomie du principe d'impartialité
De son côté, la Cour européenne des droits de l'homme trouve le fondement juridique du principe d'impartialité dans le droit au procès équitable garanti par l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme. Dans sa décision Adamkiewicz c. Pologne du 2 mars 2010, elle précise quelque peu les critères utilisés pour déterminer si une juridiction est impartiale, ou non. Ces critères sont ceux utilisés par les juges français.
Critères de l'impartialité
Le premier critère peut être qualifié de "subjectif" parce qu'il consiste à pénétrer dans la psychologie du juge, à rechercher s'il désirait favoriser un plaideur ou nuire à un justiciable. Dans ce cas, l'impartialité est présumée, jusqu'à preuve du contraire (CEDH, 1er octobre 1982, Piersack c. Belgique). La Cour européenne se montre très rigoureuse à cet égard et ne constate la violation du principe d'impartialité que lorsque la preuve est flagrante. Tel est le cas, dans l'arrêt Remli c. France du 23 avril 1996, pour un jury de Cour d'assises jugeant un Français d'origine algérienne, dont l'un des jurés a tenu, hors de la salle d'audience mais devant la presse, des propos racistes.
L'animosité à l'égard de l'accusé doit donc être patente, et sa preuve sauter aux yeux. On ne voit pas sur quelle preuve pourrait s'appuyer Nicolas Sarkozy pour prouver la partialité du juge qui l'a mis en examen, ou plutôt des juges puisqu'ils sont trois à instruire l'affaire. Aucun d'entre eux n'a pris une position publique mentionnant une quelconque hostilité à son égard. Quant à la chronique signée par le juge Gentil, elle ne témoigne d'aucune animosité personnelle, puisque le nom de Nicolas Sarkozy n'est même pas mentionné.
Le second critère est présenté comme "objectif", parce qu'il s'agit de contrôler l'organisation même de l'institution judiciaire. Le tribunal doit apparaître impartial, et inspirer la confiance. Sur ce point, la Cour européenne a développé une jurisprudence qui interdit l'exercice de différentes fonctions juridictionnelles par un même juge, dans une même affaire (par exemple : CEDH, 22 avril 2010 Chesne c. France). La Cour de cassation reprend exactement le même principe dans une décision de la Chambre criminelle du 8 avril 2009. Elle y rappelle l'importance de l'impartialité fonctionnelle, qui interdit notamment à un magistrat de connaître d'une affaire pénale, alors qu'il avait déjà eu à juger de son volet civil. Dans ce cas, ce n'est pas le juge qui est en cause, mais l'organisation judiciaire qui ne satisfait pas au principe d'impartialité. Sur ce point, on ne voit pas quel argument pourrait être utilisé pour contester l'institution même du juge d'instruction, qui, on le sait, instruit à la fois à charge et à décharge.
Ces principes constituent le socle sur lequel sont appréciés les recours mis à la disposition des justiciables qui s'estiment victimes d'un manquement à l'impartialité. La récusation a en effet pour objet de contester l'impartialité d'un magistrat identifié (approche subjective). Le renvoi pour cause de suspicion légitime, quant à lui, met en cause l'impartialité de la juridiction de jugement dans son ensemble (approche objective).