« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


samedi 6 avril 2013

Mandat d’arrêt européen : QPC et question préjudicielle

La décision rendue par le Conseil constitutionnel sur QPC le 4 avril 2013 suscite déjà bon nombre de commentaires. Le Conseil n'a-t-il pas, pour la toute première fois, décidé de surseoir à statuer, en attendant la réponse à une question préjudicielle qu'il pose à la Cour de justice de l'Union européenne ?

Certains ont vu dans cette procédure un bouleversement total de la hiérarchie des normes, estimant que cette question préjudicielle suppose une reconnaissance par le Conseil constitutionnel de la supériorité du droit de l'Union européenne sur la Constitution. On croit aisément ce que l'on veut croire, et la décision offre ainsi une jolie part de rêve à ceux qui proclament que le droit de l'Union est "supra-constitutionnel", une analyse qui repose davantage sur l'idéologie que sur le droit positif. 

Le rêve passe. La décision du 4 avril ne modifie nullement les principes gouvernant la hiérarchie des normes. Elle impose cependant une étude un peu approfondie, comme toujours lorsque, comme le Conseil constitutionnel, on répond à une question par une autre question.

Le requérant, M. Jeremy F.,  âgé de trente ans et professeur de mathématiques au Royaume-Uni, s'est enfui avec l'une de ses jeunes élèves, âgée de quinze ans et demi. Arrêté à Bordeaux, il a fait l'objet d'un mandat d'arrêt européen pour prévention de détournement de mineur, et a été renvoyé dans son pays. Les autorités judiciaires britanniques ont ensuite décidé, après enquête, d'étendre ce mandat d'arrêt à une infraction d'atteintes sexuelles, passible, dans ce pays, de quatorze années d'emprisonnement. Sur le plan procédural, il s'agit donc d'étendre le mandat d'arrêt à d'autres poursuites, pour d'autres infractions. Autorisé par l'article 27 de la décision-cadre du 13 juin 2002, cette extension suppose le consentement de l'Etat requis, en l'espèce les autorités françaises. Mettant en oeuvre cette décision-cadre, l'article L 695-46 al. 4 du code de procédure pénale (cpp) énonce que la Chambre de l'instruction se prononce sur ce consentement et "statue sans recours (...), dans le délai de trente jours à compter de la réception de la demande". 

La double incrimination

La procédure n'est pas très compliquée, mais, en l'espèce, un problème de fond est soulevé. Le mandat d'arrêt européen repose en effet sur la règle de la double incrimination, qui signifie que le comportement reproché à l'intéressé doit être illicite dans les deux pays, le demandeur et le requis. Or, en France la majorité sexuelle, c'est à dire l'âge à laquelle un mineur peut entretenir des relations sexuelles avec un adulte, est fixée à quinze ans, alors qu'en Grande-Bretagne elle est fixée à seize ans. Cette différence d'une année a des conséquences considérables, puisque la jeune fille séduite par son professeur de maths a précisément quinze ans et demi. L'article L 695-23 cpp énonce cependant que le contrôle de la double incrimination peut être écarté lorsque les agissements incriminés concernent "l'exploitation sexuelle des enfants et la pornographie infantile". 

L'absence de recours

M. Jeremy F. conteste donc la décision de la Chambre de l'instruction qui accepte l'extension du mandat d'arrêt européen. Il considère que le contrôle de la double incrimination doit s'appliquer à son cas qui ne concerne pas, selon lui, "l'exploitation sexuelle des enfants et la pornographie infantile". Le problème est que, rappelons-le, la Chambre statue "sans recours", et que la Cour de cassation, dans une jurisprudence constante, estime que cette disposition interdit précisément le pourvoi en cassation. L'article L 695-46 al. 4 cpp fait donc l'objet de la QPC transmise au Conseil constitutionnel par la Cour de cassation le 27 février 2013. A ses yeux, un problème sérieux de constitutionnalité est posé, puisque cette absence de recours est de nature à porter atteinte au droit au procès équitable ainsi qu'à l'égalité devant la loi, dès lors que l'unité d'interprétation des textes n'est plus réellement garantie.

Suivant l'analyse développée par le représentant du gouvernement lors de l'audience, le Conseil constitutionnel, pour la première fois dans son histoire, décide de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne. Elle ne parvient néanmoins à cette décision qu'après s'être livrée à une première interprétation, celle de l'article 88-2 de la Constitution.

Jean Michel Folon (1934-2005). Question Mark


Interprétation de l'article 88-2

Dans son article 88-2, le texte constitutionnel énonce que "la loi fixe les règles relatives au mandat d'arrêt européen en application des actes pris par les institutions de l'Union européenne". Le Conseil doit ainsi interpréter l'article 88-2, et déterminer l'étendue de l'habilitation qu'il confère au législateur pour la mise en oeuvre du mandat d'arrêt européen.

On se souvient que l'article 88-2 est le fruit d'une révision intervenue en 2003 pour lever les obstacles constitutionnels à la mise en oeuvre du mandat d'arrêt européen. Dans un avis consultatif, le Conseil d'Etat avait en effet émis des doutes sur la constitutionnalité d'une procédure ne prévoyant pas la possibilité de refuser l'extradition pour des infractions à caractère politique, et allant ainsi à l'encontre d'un "principe fondamental reconnu par les lois de la République". L'article 88-2 précise donc que le législateur intervient pour appliquer la décision-cadre, selon les principes fixés par l'UE, couvrant en quelque sorte, les cas d'inconstitutionnalité ouverts par le droit de l'Union.

Une fois adopté, cet article 88-2 interdit-il tout contrôle de constitutionnalité sur les dispositions législatives mettant en oeuvre le mandat d'arrêt européen ? C'est toute la question, mais pour y répondre, il faut aussi interpréter la décision-cadre.

Interprétation de la décision-cadre

L'article 27 de la décision-cadre ne prévoit pas expressément l'interdiction du recours en cassation en matière d'extension du mandat d'arrêt européen. Il se borne à imposer aux autorités de l'Etat requis de statuer dans un délai de trente jours après réception de la demande d'extension. Ces dispositions interdisent-elles tout recours qui empêcherait que la décision soit acquise dans un délai de trente jours ou imposent-elle seulement qu'une décision soit prise dans ce délai, sans interdire un éventuel pourvoi en cassation ultérieur ?

La CJUE va devoir se prononcer sur cette question. Elle conditionne en effet l'interprétation que le Conseil constitutionnel donnera ensuite de l'étendue de l'habilitation conférée au législateur par l'article 88-2. Deux réponses sont en effet possibles.
  • Soit la décision-cadre n'interdit pas le pourvoi en cassation et, dans ce cas, le choix de statuer "sans recours" relève uniquement du législateur français, indépendamment du droit de l'UE. L'article 88-2 ne fait alors pas obstacle à l'examen de la conformité de cette disposition à des principes constitutionnels comme le droit au juste procès ou l'égalité devant la loi.
  • Soit la décision-cadre exclut tout recours en cassation et, dans ce cas, l'article 88-2 fait écran à tout contrôle, dès lors qu'il a précisément pour objet de lever les obstacles constitutionnels nés de la décision-cadre.
L'interprétation de l'article 27 de la décision-cadre constitue donc un préalable indispensable au contrôle de constitutionnalité. Elle ne modifie en rien la hiérarchie des normes, dès lors que le Conseil sera ensuite conduit à donner une interprétation de la loi, soit par rapport au principes constitutionnels de droit au juste procès et d'égalité devant la loi, soit par rapport au seul article 88-2.

Cette observation ne doit cependant pas occulter le grand intérêt de la décision du 4 avril 2013. 
 
Elle témoigne d'abord d'une grande souplesse du Conseil constitutionnel, qui refuse de se laisser embarrasser par des considérations de délai. Puisque l'article 23-10 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 lui impose de statuer sur une QPC dans un délai de trois mois après sa saisine, il demande à la Cour de Justice de l'Union européenne de statuer "selon la procédure d'urgence". Pour faire bonne mesure, il invoque également, à l'appui de cette demande, le fait que le requérant soit privé de sa liberté. Rien ne dit que la Cour répondra à sa demande, mais elle sera considérée comme responsable de l'éventuel retard. 

Surtout, la décision s'inscrit dans un mouvement général engagé avec la mise en oeuvre de la QPC. Désormais, le Conseil constitutionnel affirme clairement sa nature juridictionnelle, et engage même un dialogue des juridictions. Il apparaît alors de plus en plus indispensable de corriger le handicap d'origine lié à sa composition. Peut-il en effet se revendiquer comme une juridiction alors que la sa composition, et notamment la présence des membres de droit, donne une coloration politique aux décisions qu'il rend ?


jeudi 4 avril 2013

La notion de harcèlement, selon Littré

L'arrêt rendu le 13 février 2013 par la Chambre sociale de la Cour de cassation précise la notion de harcèlement, en insistant sur le caractère répété des agissements constitutifs de l'infraction. En l'espèce, il s'agissait de harcèlement moral. Le requérant, employé à la Caisse d'Epargne se plaignait d'une mise au placard particulièrement pénible. Alors que l'ensemble des salariés de l'agence avaient déménagé dans des locaux modernes, il avait en effet été abandonné pendant plus de deux mois dans des locaux vétustes, difficiles d'accès et fermés au public. Son ordinateur ne disposait d'aucune connexion extérieure, pas davantage que son téléphone.

La Cour rappelle les termes de l'article L 1152-1 du code du travail qui dispose qu'"aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel". Rappelons que ces dispositions, issues de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, figurent, exactement dans les mêmes termes, dans l'article 222-33-2 du code pénal qui punit de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € les actes de harcèlement commis dans les relations de travail.

Les critères du harcèlement moral

Pour le juge, le harcèlement s'apprécie à partir de trois critères cumulatifs. D'une part, les conséquences du traitement dont le salarié fait l'objet doivent être évidentes, tant au regard de sa carrière que de sa santé physique ou psychologique. D'autre part, ses conditions de travail doivent porter atteinte à sa dignité, ce qui signifie que le harcèlement s'inscrit toujours dans une relation d'autorité, une volonté d'humilier l'intéressé, le plus souvent dans le but de briser sa volonté pour le conduire à l'arrêt maladie ou à la démission. Sur ce point, il n'est pas rare que le harcèlement soit systématiquement organisé, dans un but de réduction des effectifs. Enfin, dernier critère et le plus important au regard de la décision du 13 février 2013, le caractère répété des agissements de l'employeur.

Dessin de Siné


Le caractère répété ou persistant du harcèlement

Le harcèlement n'est jamais déduit d'une seule mesure touchant le salarié, par exemple un changement de poste de travail ou un refus de lui attribuer des compétences. Ce caractère répété peut être interprété de manière large comme étant constitué par la persistance des agissements en cause pendant une durée suffisamment longue pour avoir des conséquences physiques ou psychologiques pour la victime. Peu importe que ces agissements soient purement verbaux, dès lors qu'ils sont répétés, et la Cour de cassation, dans une décision du 12 décembre 2006, estime que le salarié d'une agence immobilière qui trouve spirituel de parler "petit nègre" à l'un de ses subordonnés d'origine centrafricaine est l'auteur d'un harcèlement moral. Peu importe aussi que ce harcèlement se déroule sur une durée relativement courte, comme en l'espèce. En effet, le salarié de la Caisse d'Epargne n'aura finalement passé que deux mois dans cette situation, avant d'obtenir une nouvelle affectation. Mais, durant ces deux mois, il a subi une série de brimades persistantes que le juge du fond aurait dû qualifier de harcèlement. La Chambre sociale a d'ailleurs affirmé, dans une décision du 26 mai 2010, qu'il résulte du code du travail "que les faits constitutifs de harcèlement moral peuvent se dérouler sur une brève période", dès lors évidemment qu'il présentent un caractère répété. 

Cette définition a été validée par la Cour de cassation, dans une décision du 11 juillet 2012 qui refuse de transmettre au Conseil constitutionnel une QPC portant précisément sur l'article L 1152-1 du code du travail. Certes, la Cour fait observer que la constitutionnalité de cette disposition a déjà été examinée, lorsque le Conseil a examiné la loi de modernisation de 2002 dans laquelle elle figurait. Mais la Cour éprouve le besoin de rappeler que l'infraction est définie de manière suffisamment précise par la loi, dès lors que "les faits commis doivent présenter un caractère répété et avoir pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail (...)"

Et le harcèlement sexuel ?

Cette insistance sur le caractère répété du harcèlement doit être rapprochée de la nouvelle loi du 6 août 2012 portant cette fois sur le harcèlement sexuel. On sait que ce texte  a été voté après la déclaration d'inconstitutionnalité des dispositions anciennes par la décision du Conseil constitutionnel datée du 4 mai 2012. A l'époque, le Conseil s'était fondé sur l'absence de précision et de lisibilité de la loi qui définissait le harcèlement sexuel comme "le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle". Cette définition tautologique écartait donc non seulement le critère d'autorité, mais aussi celui fondé sur le caractère répété des agissements du harceleur.

La loi du 6 août 2012 modifie l'article 222-33 du code pénal et sanctionne "le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créant pour elle un environnement intimidant, hostile ou offensant". En ce qui concerne le caractère répété de l'agissement fautif, la circulaire d'application exige seulement qu'il se soit produit "à deux reprises", ce qui constitue, on en conviendra, le minimum en matière de "répétition". 

Dans le second alinéa de ce même article, le législateur énonce en outre qu'"est assimilé à un harcèlement sexuel" le fait, "même non répété, d'user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle (...)". Dans ce cas, la mention du caractère répété de l'acte disparaît purement et simplement. On est alors confronté à une pratique dont la qualification est obscure, un acte "assimilé" à un harcèlement, sanctionné comme un harcèlement, mais qui n'est pas réellement un harcèlement. De quoi plonger les juges du fond dans un abîme de perplexité lorsqu'ils devront se prononcer. Ce principe d'assimilation d'une infraction à une autre est-il d'ailleurs, en soi, conforme au principe de lisibilité de la loi ? La question mérite au moins d'être posée.

La décision rendue par la Cour de cassation le 13 février 2013, a le mérite de revenir à la définition classique de la notion de harcèlement. Pour le Littré, harceler, c'est "tourmenter, inquiéter par de petites mais de fréquentes attaques". Pour le Petit Robert, c'est "soumettre sans répit à de petites attaques réitérées, à de rapides assauts incessants", définition sensiblement identique à celle du Larousse : "soumettre quelqu'un à d'incessantes petites attaques". La réitération est ainsi un élément de la définition du harcèlement. Si le droit positif veut répondre aux principes de lisibilité et de clarté de la loi, il serait sans doute souhaitable d'utiliser une notion unique du harcèlement, applicable à la fois en matière sexuelle et morale, et conforme à celle qui est en usage dans le langage courant, c'est à dire compréhensible par tous. C'est bien peu demander.

lundi 1 avril 2013

Le principe d'impartialité des juges au coeur de la tourmente

Nicolas Sarkozy est mis en examen. Il n'est pas le premier homme politique dans cette situation, et il ne sera sans doute pas le dernier. Comme toujours dans ce cas, on rappelle que l'intéressé bénéficie de la présomption d'innocence, et que rien ne dit, pour le moment, qu'il comparaîtra effectivement devant le tribunal correctionnel. 

Ses partisans s'appliquent à disqualifier le juge d'instruction, et affirment sur tous les médias que cette mise en examen est profondément injuste, seulement motivée par l'animosité politique. Rien de nouveau dans cette démarche, si ce n'est le ton employé, souvent bien éloigné du respect que chacun doit à la Justice. Henri Guaino affirme que le juge d'instruction "a bien déshonoré la justice ! Il a sali la France en direct et devant le monde entier". Nadine Morano, égale à elle-même, compare cette mise en examen à l'affaire d'Outreau. Quant à l'épouse éplorée, elle considère comme "impensable" le fait que Nicolas Sarkozy ait pu  "abuser de la faiblesse d'une dame qui a l'âge de sa mère". On comprend, en tout cas, que l'intéressé, lorsqu'il était Président de la République, ait souhaité la disparition pure et simple de la fonction de juge d'instruction.

l'impartialité, fonction rhétorique

Derrière ces discours partagés entre la haine et le mauvais mélodrame, transparaît l'idée que le juge d'instruction n'est pas impartial. Alors forcément, on cherche les preuves de sa partialité, et on croit en avoir trouvé une. Le juge Gentil n'a t il pas signé dans Le Monde daté du 27 juin 2012, une tribune intitulée "Agir contre la corruption : l'appel des juges contre la délinquance financière". Peu importe que cet article soit également signé par quatre-vingt-un autres magistrats. Peu importe qu'il ait été publié après la victoire de François Hollande et ne mentionne pas une seule fois le nom de Nicolas Sarkozy, se bornant à demander, de manière abstraite, un renforcement du dispositif de lutte juridique contre la corruption.

Pour les amis de Nicolas Sarkozy, la notion d'impartialité n'a pas besoin de contenu juridique mais a une fonction purement rhétorique. Le seul fait de mettre en examen l'ancien Président de la République révèle, en soi, la partialité de celui qui commet un crime proche du lèse-majesté.

Et pourtant, le principe d'impartialité est juridiquement défini, et donne lieu à une jurisprudence relativement précise.
Morris et Gosciny. Lucky Luke. Le Juge. 1959

Autonomie du principe d'impartialité

Observons tout d'abord que l'exigence d'impartialité est difficilement détachable du principe de l'indépendance des juges, dont elle apparaît comme la conséquence la plus immédiate. Dans sa décision du 29 août 2002, le Conseil constitutionnel fonde le principe d'impartialité sur l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. A l'époque, il rappelle, sans trop les distinguer, que "les principes d'indépendance et d'impartialité sont indissociables de l'exercice de fonctions juridictionnelles". Depuis cette date, sa jurisprudence s'est affinée, et accorde désormais une véritable spécificité au principe d'impartialité. Dans sa décision rendue sur QPC du 8 juillet 2011, le Conseil constitutionnel déclare non conforme à l'article 16 de la Déclaration de 1789 le principe traditionnel gouvernant la justice des mineurs depuis l'ordonnance du 2 février 1945, selon lequel le juge chargé de l'instruction est également l'instance de jugement. Pour le Conseil, la direction de l'enquête ne peut qu'influer sur le jugement ultérieur, et emporte donc une atteinte au principe d'impartialité.

De son côté, la Cour européenne des droits de l'homme trouve le fondement juridique du principe d'impartialité dans le droit au procès équitable garanti par l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme. Dans sa décision Adamkiewicz c. Pologne du 2 mars 2010, elle précise quelque peu les critères utilisés pour déterminer si une juridiction est impartiale, ou non. Ces critères sont ceux utilisés par les juges français.

Critères de l'impartialité

Le premier critère peut être qualifié de "subjectif" parce qu'il consiste à pénétrer dans la psychologie du juge, à rechercher s'il désirait favoriser un plaideur ou nuire à un justiciable. Dans ce cas, l'impartialité est présumée, jusqu'à preuve du contraire (CEDH, 1er octobre 1982, Piersack c. Belgique). La Cour européenne se montre très rigoureuse à cet égard et ne constate la violation du principe d'impartialité que lorsque la preuve est flagrante. Tel est le cas, dans l'arrêt Remli c. France du 23 avril 1996,  pour un jury de Cour d'assises jugeant un Français d'origine algérienne, dont l'un des jurés a tenu, hors de la salle d'audience mais devant la presse, des propos racistes.

L'animosité à l'égard de l'accusé doit donc être patente, et sa preuve sauter aux yeux. On ne voit pas sur quelle preuve pourrait s'appuyer Nicolas Sarkozy pour prouver la partialité du juge qui l'a mis en examen, ou plutôt des juges puisqu'ils sont trois à instruire l'affaire. Aucun d'entre eux n'a pris une position publique mentionnant une quelconque hostilité à son égard. Quant à la chronique signée par le juge Gentil, elle ne témoigne d'aucune animosité personnelle, puisque le nom de Nicolas Sarkozy n'est même pas mentionné.

Le second critère est présenté comme "objectif", parce qu'il s'agit de contrôler l'organisation même de l'institution judiciaire. Le tribunal doit apparaître impartial, et inspirer la confiance. Sur ce point, la Cour européenne a développé une jurisprudence qui interdit l'exercice de différentes fonctions juridictionnelles par un même juge, dans une même affaire (par exemple : CEDH, 22 avril 2010 Chesne c. France). La Cour de cassation reprend exactement le même principe dans une décision de la Chambre criminelle du 8 avril 2009. Elle y rappelle l'importance de l'impartialité fonctionnelle, qui interdit notamment à un magistrat de connaître d'une affaire pénale, alors qu'il avait déjà eu à juger de son volet civil. Dans ce cas, ce n'est pas le juge qui est en cause, mais l'organisation  judiciaire qui ne satisfait pas au principe d'impartialité. Sur ce point, on ne voit pas quel argument pourrait être utilisé pour contester l'institution même du juge d'instruction, qui, on le sait, instruit à la fois à charge et à décharge.

Ces principes constituent le socle sur lequel sont appréciés les recours mis à la disposition des justiciables qui s'estiment victimes d'un manquement à l'impartialité. La récusation a en effet pour objet de contester l'impartialité d'un magistrat identifié (approche subjective). Le renvoi pour cause de suspicion légitime, quant à lui, met en cause l'impartialité de la juridiction de jugement dans son ensemble (approche objective).

Dans tous les cas, l'analyse juridique suffit à montrer le caractère excessif des propos tenus par les amis de Nicolas Sarkozy, repris avec complaisance par les médias. Le problème est que nul journaliste ne s'est donné la peine de se livrer à une analyse juridique, si modeste soit-elle. C'est dommage, car mettre en cause, sans aucun fondement juridique, l'impartialité d'un juge, ce n'est pas seulement disqualifier une personne, c'est aussi disqualifier la justice.


jeudi 28 mars 2013

Les Keyloggers et la CNIL

La CNIL a énoncé, le 20 mars 2013, un certain nombre de principes portant sur l'utilisation des "Keyloggers" ou "enregistreurs de frappe". Ce terme générique désigne une série de dispositifs de surveillance susceptibles d'être installés sur un ordinateur à l'insu de son utilisateur. Leur objet est d'enregistrer toutes les frappes effectuées sur le clavier, ce qui permet de connaître toutes les activités du poste informatique. 

Instrument d'espionnage

Sur le plan technique, les méthodes sont nombreuses, et vont d'une intervention sur la connectique à l'installation discrète d'un logiciel. Elles présentent le point commun d'offrir un redoutable instrument d'espionnage, d'autant qu'il est possible de recevoir des alertes lorsque le propriétaire de l'ordinateur frappe tel ou tel mot clé, ou des rapports résumant son activité quotidienne. Tout cela pour un coût dérisoire, certains enregistreurs de frappe étant même téléchargeables gratuitement sur internet.

Les enregistreurs de frappe ont essentiellement été utilisés par deux types d'usagers. D'une part, certaines officines spécialisées dans "l'intelligence économique" mandatées par un industriel n'hésitent pas à employer ce type de matériel pour obtenir les informations sensibles d'un concurrent. Il s'agit alors purement et simplement d'espionnage industriel. D'autre part, la cyber-délinquance use de ces technologies pour intercepter des informations relatives à des numéros de compte bancaire,  des codes ou des mots de passe.

Aujourd'hui, les enregistreurs de frappe sortent de la clandestinité propre aux délinquants pour développer leur marché et acquérir une certaine forme de légitimité. Des employeurs ont eu l'idée étrange d'installer ce type de logiciel espion sur les ordinateurs de leur entreprise, enregistrant ainsi toute l'activité informatique de leurs employés, évidemment à leur insu. Depuis 2012, la CNIL a ainsi été saisie par un certain nombre de salariés, faisant part de leur crainte, réelle ou supposée, d'être espionnés par leur employeur. Après contrôle auprès des entreprises concernées, la Commission a  constaté qu'une des plaintes était fondée. Elle a donc rédigé une véritable mise en garde à ceux qui seraient tentés de recourir aux enregistreurs de frappes dans le monde du travail.



Leroy Anderson. Concerto pour machine à écrire et orchestre


Protection de la vie privée et des données personnelles

Le premier principe, le plus fondamental sans doute, est celui de la protection de la vie privée et des données personnelles. Dans un arrêt du 18 mars 2009, la Chambre sociale de la Cour de cassation énonce ainsi qu'il n'est pas interdit à un salarié d'utiliser l'ordinateur mis à disposition par l'entreprise à des fins personnelles, par exemple pour surfer sur internet ou envoyer des courriels, à la condition toutefois de ne pas négliger son travail. L'utilisation d'un enregistreur de frappes conduit donc nécessairement, dès lors qu'il y a captation de l'ensemble de l'activité effectuée sur le poste informatique, à une violation de données personnelles. Qu'il s'agisse de courriels, du code d'une carte bleue, ou du mot de passe pour accéder à un site, tous ces éléments sont transmis à l'employeur espion au milieu des dossiers professionnels.

Absence de consentement

Dès lors que ces informations sont transmises à un tiers, il y a aussi violation du principe du consentement de l'intéressé à la collecte et la conservation de toutes données personnelles le concernant. Cette violation est automatique puisque, par hypothèse, l'enregistreur de frappes agit à son insu.

De cette situation particulièrement grave pour le droit au respect de la vie privée, la CNIL tire une conséquence logique : l'interdiction de principe de l'utilisation des enregistreurs de frappe dans les relations de travail. La seule exception envisagée est l'existence d'un "fort impératif de sécurité", par exemple lorsque le salarié conserve sur son ordinateur des informations sensibles couvertes par le secret industriel et commercial. Dans ce cas cependant, l'utilisation de l'enregistreur ne peut être envisagée qu'après une information des personnels concernés, ainsi avertis du risque de dissémination des données personnelles qu'ils conservent et échangent à partir de leur poste de travail. En tout état de cause, le défaut d'information du salarié constitue une infraction. La loi du 14 mars 2011 punit en effet de 5 ans d'emprisonnement et de 300 000 € d'amende l'utilisation de dispositifs de captation de données informatiques à l'insu des personnes concernées.

L'avertissement de la CNIL sera-t-il suffisant pour faire cesser le développement des enregistreurs de frappes ? Peut être, mais la difficulté essentielle réside dans l'ignorance de l'existence même de ces dispositifs, et dans leur caractère furtif qui rend toute preuve de leur installation sur un ordinateur particulièrement délicate. La solution devrait sans doute être recherchée dans une action préventive, visant l'interdiction de la vente de ces technologies, sauf pour certains usages limitativement énumérés et soumis à autorisation de la CNIL. Les entreprises devraient donc rechercher d'autres moyens de contrôler l'activité des salariés, ce qui est loin d'être impossible. Les officines de sécurité privée, quant à elles, ne pourraient  plus utiliser les enregistreurs de frappes à des fins d'espionnage industriel sans encourir une sanction pénale et le retrait de leur agrément. Une mesure sans doute pas inutile pour moraliser un secteur qui en a largement besoin.


lundi 25 mars 2013

Du bon usage de la liberté de manifester

Les manifestants qui ont désormais l'habitude d'envahir les beaux quartiers pour protester contre le mariage pour tous se livrent aujourd'hui à une opération de communication destinée à les victimiser. N'a-t-on pas osé interdire l'accès des Champs Elysées à d'honnêtes bourgeois, souvent accompagnés de leur charmante progéniture ? Manifestant en faveur de l'intérêt supérieur des enfants, ces papas et ces mamans, aussi hétérosexuels que parfaitement responsables, ont tenté de pénétrer quand même sur la plus belle avenue du monde. Horreur, ils ont été repoussés par les forces de l'ordre. Certes, ces dernières n'ont pas utilisé les canons à eau (qu'aurait-on dit ?), mais elles ont tout de même brandi des aérosols de gaz lacrymogène, suscitant quelques crises de larmes, et même un très médiatique évanouissement. 

Une liberté loin d'être absolue

Le droit positif fait entrer les manifestations dans le domaine des libertés publiques. Mais il ne lui attribue pas de véritable autonomie. Pour le Conseil constitutionnel, la liberté de manifester se rattache au "droit d'expression collective des idées et des opinions" (décision du 18 janvier 1995). Pour la Cour européenne, elle est plutôt liée à la "liberté de réunion pacifique" garantie par l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Ces petites divergences sont sans influence sur les éléments de langage développés par les manifestants hostiles au mariage pour tous. Pour eux, le droit de manifester est une liberté, et une liberté absolue. Cette analyse est soutenue avec toute la fougue du néophyte, dès lors que ces mêmes manifestants ne déployaient pas le même attachement aux libertés lorsqu'une "manifestation géante" contestait la réforme des retraites engagée par Nicolas Sarkozy en 2009, ou lorsque les syndicats organisaient un défilé particulièrement contestataire pour le 1er mai 2012, à quelques jours de l'élection présidentielle.

Cette nouvelle revendication en faveur du caractère absolu de la liberté de manifester prend des formes parfois divertissantes. On a vu des participants protester vigoureusement car ils ne pouvaient pas se rendre à l'Elysée pour s'adresser directement à celui qui est l'origine de tous leurs malheurs, le Président de la République. Comme si la loi n'était pas votée par le Parlement : sarkozysme impénitent qui ramène tout, et à tout propos, au supposé chef ? Décidément, la République et la séparation des pouvoirs ont du mal à pénétrer certains esprits. D'autres ont considéré comme une atteinte à leur liberté l'interdiction d'organiser un "sit-in" sur les Champs Elysées. 

Ce n'est plus le principe même de la liberté de manifester qui est en cause, mais son mode d'organisation. Ces discours reposent sur une idée simple : la liberté de manifestation reposerait sur un régime dit "répressif", ce qui signifie que l'on peut exercer librement sa liberté, sauf, peut-être, à rendre des comptes au juge pénal, en cas d'infraction. 

L'exercice de l'Etat. Pierre Schoeller. 2011. Olivier Gourmet


Le droit positif : un régime de déclaration préalable

Hélas, tous ces manifestants auraient dû ouvrir un manuel de droit ou consulter les cent soixante-dix "juristes" signataires d'une lettre ouverte contre le mariage pour tous. Ces derniers leur auraient sans doute confirmé que la liberté de manifestation relève d'un régime dit "de déclaration préalable". Autrement dit, on peut exercer sa liberté après avoir déclaré son intention auprès des autorités compétentes, en l'espèce la préfecture de police. En soi, ce régime de déclaration préalable ne constitue pas une atteinte à la liberté, principe admis dès 1979 par la Cour européenne des droits de l'homme, dans une décision Rassemblement jurassien c. Suisse.

Cette déclaration ne porte pas une atteinte excessive à la liberté d'expression, affirme la Cour européenne, car elle permet aux autorités de s'assurer du caractère pacifique du rassemblement. En droit français, le régime juridique des manifestations relève du décret-loi du 23 octobre 1935. Il prévoit une déclaration auprès du préfet de police par les organisateurs entre trois et quinze jours avant la date prévue. Elle doit mentionner l'objet, le lieu et l'itinéraire de la manifestation. Rappelons que la "manif' pour tous" repose sur un collectif  de trente sept associations, plus ou moins déclarées. Mais, en tout état de cause, rien n'interdit à un groupement de fait d'organiser une manifestation, dès lors que les autorités connaissent l'identité des responsables.

En revanche, le décret-loi de 1935 autorise l’autorité de police à prononcer l’interdiction quand elle estime que « la manifestation projetée est de nature à troubler l’ordre public » (art. 3). Cette possibilité d’interdiction conduit généralement à une négociation avec les autorités de police au moment de la déclaration. C’est ainsi que l’itinéraire d’un cortège revendicatif est négocié, et les organisateurs doivent s’incliner devant les nécessités de l’ordre public. Nul n'ignore que les manifestations sur les Champs-Elysées sont toujours interdites pour des motifs liés aux difficultés de garantir l'ordre à partir des rues étroites qui encadrent l'avenue, à la présence de nombreux sites sensibles, surtout dans une période où le plan Vigipirate est déployé au niveau "rouge". Les manifestants étaient donc parfaitement informés de cette interdiction, et le préfet de police avait d'ailleurs pris un arrêté précisant l'étendue de l'autorisation de manifester.

L'interdiction d'accéder aux Champs Elysées était donc parfaitement normale au regard de la mise en oeuvre de la liberté de manifester, puisque ceux qui ont entrepris d'accéder à l'avenue violaient un arrêté préfectoral. Leurs organisateurs sont aussi fautifs, car ils ont trop longtemps refusé de prendre en considération les nécessités de l'ordre public et d'appliquer la loi républicaine. La liberté de manifester, comme tous les droits, ne comporte pas l'abus de ce droit. Les forces de l'ordre ont donc dû user de la contrainte pour réprimer cette forme particulière de délinquance. Mais les premiers intéressés, les manifestants eux-mêmes, devraient plutôt s'en réjouir. Ils ne pourront plus dire que le pouvoir socialiste ne réprime pas la délinquance...


vendredi 22 mars 2013

Mini-miss : une proposition de loi et un consensus ?

Dans la suite du rapport qu'elle avait remis en mars 2012 à Roselyne Bachelot, Chantal Jouanno, sénatrice UDI de Paris, vient de déposer une proposition de loi "visant à protéger les enfants de l'hypersexualisation".

Derrière cette formulation un peu abstraite apparaissent deux préoccupations très pragmatiques. D'une part, le texte interdit la participation des fillettes de moins de seize ans aux concours de beauté, généralement appelés "mini-miss". D'autre part, il interdit aux entreprises d'employer des mineures comme mannequins pour vendre des produits destinés aux adultes. Sont directement visées les grandes firmes de mode et de cosmétiques, parfois tentées de choisir comme "égéries" de très jeunes adolescentes.

La nécessité de légiférer

On peut regretter qu'il soit nécessaire de légiférer dans ce domaine, car on pourrait penser que le rôle des parents est précisément de protéger leur enfant de ce type d'instrumentalisation. Tous les pédopsychiatres s'accordent  pour affirmer qu'une fillette vêtue d'une mini-robe, chaussée de talons hauts, maquillée comme une voiture volée, et déambulant sur un podium en prenant des poses suggestives, est transformée en "friandise sexuelle", formule employée par Boris Cyrulnik. Cette hypersexualisation risque de susciter des troubles dans son développement psychologique, puisque, devenue objet de désir, elle ne peut plus vivre normalement sa vie d'enfant. Le problème est que les concours de mini-miss sont généralement proposés aux fillettes par des mères inconscientes.

Dès lors que les parents ne protègent pas leurs enfants, le législateur est donc fondé à intervenir. L'article 3 al. 1 de la Convention internationale sur les droits de l'enfant justifie pleinement son intervention, puisqu'il mentionne que "l'intérêt supérieur de l'enfant" doit "être une considération primordiale" dans toutes décisions le concernant. De la même manière, la proposition de la loi se fonde directement sur le droit à la dignité, que le Conseil d'Etat, depuis le célèbre arrêt Commune de Morsang-sur-Orge du 27 octobre 1995, considère comme un élément de l'ordre public, au même titre que la sécurité publique, l'hygiène publique, voire la morale publique. Comme l'affirmait déjà Françoise Dolto, l'enfant est une personne, et a droit au respect de sa dignité au même titre qu'un adulte.

Des zones de non-droit

Jusqu'à aujourd'hui, cette question de l'hypersexualisation restait dans une surprenante zone de non-droit. L'emploi des enfants de moins de seize ans dans des activités de spectacle, de cinéma ou de mannequin est certes soumis à autorisation administrative par l'article  L 7124-1 du Code de travail. Mais les critères d'octroi de cette autorisation ne sont pas clairement précisés, et on vu des magazines de mode l'obtenir sans difficulté pour présenter des photos de jeunes lolitas. La proposition de loi établit désormais des critères plus précis, n'autorisant les enfants à exercer le métier de mannequin que pour assurer la promotion de produits destinés aux enfants.


La Petite. Louis Malle. 1978. Brooke Shields


L'organisation des concours de mini-miss s'est également développée en dehors de toute réglementation. Des contentieux commencent donc à apparaître. Le premier a eu lieu devant le tribunal grande instance d'Auch le 20 février 2012, lorsque l'organisatrice d'une de ces manifestations a demandé réparation du préjudice commercial né du retrait, à la demande du Planning Familial, de l'élection des mini-miss du programme d'une soirée festive. Le juge ne s'est pas vraiment montré compréhensif, et lui a refusé toute indemnité. Il a même condamné la plaignante à rembourser les frais engagés lors du procès par le Planning Familial. D'autres contentieux risquent également d'intervenir, cette fois devant le juge administratif, car il est fort probable que des élus n'hésiteront pas à interdire ce type de manifestation.

La proposition de loi déposée par Chantal Jouanno affirme une position claire, en faisant de l'organisation de concours de mini-miss un délit dont l'auteur peut être condamné à deux années d'emprisonnement et 30 000 € d'amende. Cette peine peut aussi être prononcée à l'encontre des "personnes qui favorisent, encouragent ou tolèrent l'accès des enfants à ces concours". La précision n'est pas sans intérêt, puisque les parents des mini-miss peuvent ainsi être poursuivis. Les associations oeuvrant dans le domaine des droits de l'enfant se voient reconnaître les droits reconnus à la partie civile, ce qui les autorise à exercer une mission de vigilance dans ce domaine.

Il reste au Parlement à adopter ce texte. Il n'a échappé à personne que Chantal Jouanno est sénateur UDI, et que son rapport avait été remis avant l'alternance de juin 2012. Est-il vain d'espérer que, pour une fois, une proposition de loi suscite un consensus entre la majorité et l'opposition, dans l'intérêt supérieur des enfants ? On veut croire que la proposition de loi sera rapidement adoptée, peut-être à l'unanimité.