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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
mardi 19 mars 2013
Baby Loup : la Cour de cassation malmène le principe de laïcité
samedi 16 mars 2013
"Casse toi pôv' con" devant la Cour européenne
Les déboires de M. Eon devant la justice française
Le requérant a donc finalement saisi la Cour européenne et celle-ci s'est déclarée compétente, estimant que, dans ces conditions, il était possible de considérer que M. Eon avait effectivement épuisé les voies de recours internes.
Manifestante du salon de l'agriculture, poursuivie pour offense au Chef de l'Etat |
Le délit d'offense au Chef de l'Etat se distingue de la diffamation par l'absence d'exception de vérité. L'auteur des propos incriminés ne peut s'exonérer de sa responsabilité en prouvant la vérité des faits qu'ils mentionnent, dès lors que ces faits concernent le Président de la République. Dans l'affaire Eon, la mise en oeuvre du droit de la diffamation aurait ainsi conduit à une discussion, certainement fort intéressante, sur le point de savoir si Nicolas Sarkozy était, ou non, un "pôv' con". On comprend, dès lors, que l'existence même du délit d'offense au Chef de l'Etat s'explique par la volonté de ne pas susciter, lors d'un procès, des débats qui auraient pour conséquence de porter atteinte, non pas à l'individu, mais à la fonction présidentielle.
La Cour aurait cependant pu faire observer que la notion d'"offense" n'est pas clairement définie par le législateur. Cette incertitude dans la définition de l'incrimination semble ainsi aller à l'encontre du principe de légalité des délits et des peines, qui exige, au contraire, une grande précision dans ce domaine. De même, dès lors que la personne poursuivie ne peut s'exonérer par l'exception de vérité, la Cour aurait pu considérer que le principe d'égalité des armes, garanti par l'article 6 § 1 de la Convention n'était pas respecté. C'était d'ailleurs exactement le raisonnement suivi dans l'arrêt Colombani et autres c. France, rendu le 25 septembre 2002, à propos de l'offense à un chef d'Etat étranger. A la suite de cette décision, le délit d'offense à un chef d'Etat étranger avait été purement et simplement abrogé par la loi Perben du 9 mars 2004.
Une décision identique concernant l'offense au président de la République française n'aurait probablement choque personne, d'autant que ce délit n'était plus utilisé depuis la fin de la guerre d'Algérie. Depuis lors, aucune Président n'avait engagé de poursuites sur ce fondement... jusqu'à ce que Nicolas Sarkozy, bien connu pour son attachement à la liberté d'expression, ressuscite l'offense au Chef de l'Etat.
La Cour européenne a pourtant préféré ne pas contester l'existence même de ce délit, considérant implicitement qu'il n'est pas anormal qu'un système juridique octroie au Chef de l'Etat une protection particulière.
Contrôle de proportionnalité sur la sanction
Elle a préféré exercer son contrôle de proportionnalité à l'égard de la peine infligée à M. Eon. Elle observe ainsi que sa condamnation s'analyse comme une "ingérence des autorités publiques" dans son droit à la liberté d'expression. Conformément à l'article 10 § 2 de la Convention, cette ingérence peut donc être licite si elle est "prévue par la loi" et "nécessaire dans une société démocratique".
La première condition ne pose aucune difficulté puisque l'offense au chef de l'Etat figure dans l'article 26 de la loi du 29 juillet 1881. En revanche, la seconde condition est plus problématique. Conformément à sa jurisprudence Chauvy et autres c. France du 29 juin 2004, la Cour recherche si les motifs invoqués par les autorités françaises pour justifier l'ingérence dans la liberté d'expression de M. Eon sont "pertinents et suffisants" et si la sanction est "proportionnée aux buts légitimes poursuivis".
En l'espèce, la Cour admet que le "Casse-toi, pôv'con" de M. Eon est effectivement offensant pour la président de la République, d'autant que ces propos sont parfaitement prémédités et ne répondent pas, à chaud, à un propos blessant du chef de l'Etat. Elle admet également que le requérant ne saurait invoquer la protection de la liberté de presse, contrairement à l'affaire Colombani, dans laquelle l'offense à un chef d'Etat étranger résultait d'un livre mettant en cause l'entourage du roi du Maroc dans le trafic de drogue qui se développe dans ce pays. M. Eon, lui, se borne à exercer sa liberté de manifester, dans une démarche purement individuelle et ne participe donc pas directement au débat public.
La Cour recherche ensuite si la sanction infligée à M. Eon ne porte pas une atteinte excessive aux exigences de la liberté d'expression, et c'est précisément sur ce point qu'elle sanctionne les autorités françaises. D'une part, elle constate que la critique formulée par le requérant est effectivement de nature politique, faisant observer que M. Eon est connu comme militant altermondialiste particulièrement investi dans la défense des sans-papiers. D'autre part, la Cour fait observer "que la satire est une forme d’expression artistique et de commentaire social qui, de par l’exagération et la déformation de la réalité qui la caractérisent, vise naturellement à provoquer et à agiter". Le pamphlet ou la satire font donc l'objet d'une protection particulière, notamment depuis l'arrêt Vereinigung Bildender Künstler c. Autriche du 25 janvier 2007. Enfin, la Cour fait suavement observer qu'un homme politique, fût-il président de la République, sait qu'il peut être soumis à des critiques parfois virulentes, et qu'il doit faire preuve à leur égard d'"une plus grande tolérance". La Cour parvient donc à la conclusion que la sanction infligée à M. Eon est excessive au regard des nécessités de la protection de la liberté d'expression.
On peut certes en déduire que Nicolas Sarkozy a raté une occasion de ne pas saisir le juge, mais il n'en demeure pas moins que la décision Eon c. France n'impose pas l'abrogation immédiate du délit d'offense au chef de l'Etat. La Cour n'exclut pas qu'il puisse être utilisé, par exemple dans l'hypothèse d'une injure adressée au président, dans sa vie privée ou familiale. Quoi qu'il en soit, dès lors que le droit positif français a su se passer de ce délit pendant une bonne quarantaine d'années avant que Nicolas Sarkozy le ressuscite, il serait peut être temps de s'interroger sur son maintien dans l'ordre juridique. Cela éviterait au moins aux présidents de la République des années futures de se ridiculiser, ou plutôt de ridiculiser leurs fonctions, dans des actions contentieuses aventurées.
jeudi 14 mars 2013
La répression pénale du mariage forcé, enfin.
La nouvelle disposition ne sanctionne pas celui qui a célébré le mariage. Elle ne sanctionne pas davantage la contrainte elle-même, qu'il est généralement impossible de prouver, sauf si précisément la victime s'est enfuie. Mais, dans ce cas, le mariage forcé, par hypothèse, n'a pas eu lieu. Elle punit la tromperie, le mensonge d'un parent à l'égard de son enfant. La sanction touche ainsi la famille de la victime, qui est également l'auteur de son oppression. Conformément au droit français du mariage, ne considère pas le le père comme le "chef de famille", même s'il est, le plus souvent, à l'origine de l'union forcée. L'infraction permet évidemment le condamner, comme la mère ou le frère aîné qui, par leur silence, sont coupables de la même tromperie.
Le rejet du discours communautariste
Sur ce plan, le texte est fondamental, car il s'oppose de manière radicale à une vision communautariste de la famille, ce discours selon lequel notre vision du mariage est trop "européo-centrée", et que nous devons accepter les différences des autres sociétés. Et peu importe que les jeunes filles soient opprimées, traitées comme des objets que l'on peut vendre ou échanger... tous ces petits problèmes ne devraient ils pas disparaître dans quelques centaines d'années ?
De toute évidence, le projet de loi rompt avec ce discours, et affirme un volontarisme nouveau. Najat Valaut-Belkacem annonce d'ailleurs un second projet de loi sur les droits des femmes, qui devrait être déposé en mai 2013. Il devrait comporter "une disposition permettant aux femmes étrangères mais vivant sur le sol français (...) de bénéficier du droit français et non plus de leur droit d'origine pour ce qui est de leur droit personnel". Le droit français remplirait alors pleinement son rôle, qui est de promouvoir une politique d'assimilation dans le domaine des droits et garanties apportées aux femmes. Et, au premier chef, le droit de consentir à son propre mariage.
lundi 11 mars 2013
L'Open Data ou comment consacrer un droit d'accès aux données publiques
Adam Zyglis. The Buffalo News. 2006 |
dimanche 10 mars 2013
Les hooligans et la garde à vue préventive
jeudi 7 mars 2013
La Charte des droits fondamentaux, le droit de l'Union, et le sac de Mary Poppins
La Convention européenne
Le Traité sur l'Union européenne mentionne que "l'Union respecte les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne des droits de l'homme"(art. 6). Tant que l'UE n'a pas formellement adhéré à cette Convention, les principes qu'elle consacre font partie du droit de l'Union. En revanche, le droit de l'Union ne régit pas les rapport entre la Convention européenne et le droit des Etats membres et ne détermine pas davantage les conséquences que doivent tirer les juges nationaux en cas de conflit entre les droits garantis par la Convention et une règle de droit interne (CJUE, 24 avril 2012, Kamberaj). En l'espèce, la Cour ne peut donc pas invoquer la Convention européenne pour considérer que le droit de l'Etat n'est pas conforme au droit de l'Union.
La Charte des droits fondamentaux
Elle a, en revanche, un champ d'application relativement réduit, puisque son article 51 énonce quel les Etats membres ne sont liés par les dispositions de ce texte que "lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union". En l'espèce, il faut donc préalablement admettre que la fraude à la TVA relève du droit de l'Union, avant, le cas échéant, de s'appuyer sur l'article 50 de la Charte pour sanctionner la procédure pour non respect de la règle Non bis in idem.
Le "droit de l'union", ou le sac de Mary Poppins
Avant toute appréciation au fond, la Cour doit se prononcer sur sa propre compétence. Elle doit donc apprécier si la procédure pénale engagée après une fraude à la TVA relève du droit de l'Union, condition indispensable à l'application de la Charte des droits fondamentaux. Non sans tirer quelques cheveux, la Cour estime que la TVA fait l'objet de dispositions communautaires, dès lors qu'elle est l'une des ressources propres de l'Union européenne. Alors même que la procédure pénale est laissée à la libre organisation des Etats membres et qu'elle ne constitue en rien la transposition d'une directive, la Cour considère qu'elle relève, en quelque sorte par ricochet, du droit de l'Union, puisque sa finalité est de lutter contre les déclarations inexactes, et donc de garantir les intérêts financiers de l'Union.
A partir de ce raisonnement, la Cour déduit que les dispositions de la Charte sont applicables au litige. En revanche, elle considère qu'un même fait peut entraîner à la fois une sanction administrative et une sanction pénale, principe d'ailleurs également reconnu par le droit français. La règle Non bis in idem n'est donc pas violée.
La solution d'espèce ne présente guère d'intérêt. Il n'en est pas de même du raisonnement par lequel la Cour y parvient. Tout est dans tout, et la notion de "droit de l'Union" devient le sac de Mary Poppins, dans lequel on peut faire entrer toutes sortes d'objets improbables, dès lors qu'ils ont un rapport, même indirect avec le droit de l'Union. Certes, la Cour prend garde d'ajouter que les Etats demeurent libres d'organiser comme ils l'entendent leur droit national, sous la seule réserve qu'il soit conforme aux principes posés par la Charte. Il n'empêche que des normes juridiques relevant du droit des Etats membres, et plus particulièrement de leur procédure pénale, peuvent désormais être soumises au contrôle de la Cour.
Ajoutons qu'à l'avenir, dès que l'Union aura adhéré à la Convention européenne, elle fournira une base juridique supplémentaire aux recours présentés devant la Cour de Justice. La jurisprudence actuelle a donc toutes chances d'être provisoire.