Egalité devant la loi
Le premier, et le plus sérieux, est le non respect du principe d'égalité devant la loi, consacré par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Il est vrai que l'approche identitaire, pour ne pas dire communautaire, de la disposition contestée témoigne d'une volonté de traiter les régions qui pratiquent la corrida d'une manière différente par rapport au reste du territoire. On apprend ainsi qu'un comportement puni pour cruauté dans une région ne l'est pas dans une autre.
Le problème, pour le Conseil constitutionnel, est que le principe d'égalité ne s'oppose pas "le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général", principe acquis depuis la décision du 16 janvier 1982. Autrement dit, le législateur est compétent pour moduler la mise en oeuvre concrète du principe d'égalité, y compris en matière pénale. Il ne s'en prive pas, et on sait que l'égalité devant la loi pénale s'accommode de sanctions différentes, selon l'âge du coupable ou sa qualité de récidiviste, la vulnérabilité de la victime etc.
Cette modulation de l'égalité devant la loi doit cependant répondre à deux conditions, pour être considérée par le Conseil comme conforme à l'article 6 de la Déclaration de 1789. Elle doit être à la fois conforme à l'intérêt général et à la loi qui l'établit.
Pablo Picasso. Taureau agonisant. 1934 |
Sur l'intérêt général d'une telle tolérance envers les zones géographiques qui pratiquent la mise à mort des taureaux, le Conseil affirme seulement que cette restriction ne concerne que quelques régions et ne porte pas atteinte à un droit constitutionnellement garanti. Les animaux ne sont pas titulaires de droit, et le devoir de ne pas se montrer cruel à leur égard n'a qu'une valeur législative. Le Conseil estime en conséquence que l'intérêt général d'une telle dérogation au principe d'égalité devant la loi repose sur l'appréciation du législateur, quand bien même elle serait le résultat d'une action de lobbying des villes et régions pratiquant la tauromachie.
Sur la conformité de cette dérogation à la loi qui l'établit, le Conseil fait observer que les dispositions contestées ne s'appliquent que dans les parties du territoire national où une tradition interrompue de corrida est établie, et pour les seuls actes qui relèvent de cette tradition. Il en déduit donc que cette dérogation est conforme à la loi qui l'établit, puisque celle-ci organise précisément le régime juridique des actes de cruauté envers les animaux. Le Conseil aurait cependant pu en juger différemment, car admettre la mise à mort d'animaux dans une loi dont la finalité est précisément la protection de ces derniers aurait pu lui sembler incompatible avec cette finalité. Là encore, il a refusé d'intervenir dans ce qui lui apparaît comme relevant du législateur.
La "tradition locale ininterrompue"
Le second moyen soulevé par les requérants réside dans la clarté et la lisibilité de la loi. Il est juste de constater que la notion de "tradition locale ininterrompue" a été interprétée de manière particulièrement laxiste par la jurisprudence. Dans une décision du 7 février 2006, la Cour de cassation saisie d'un contentieux portant sur une demande de dissolution d'une association taurine en Haute Garonne, estime ainsi qu'il appartient aux juges du fond d'apprécier souverainement l'existence de cette "tradition locale ininterrompue". En l'espèce, celle ci est déduite de l'intérêt porté à la corrida par "un nombre suffisant de personnes", quand bien même aucune corrida n'a eu lieu à Toulouse depuis 1976. Le 16 septembre 1997, cette même Cour de cassation avait validé un jugement du tribunal correctionnel de Floirac refusant de poursuivre pour cruauté les organisateurs d'une corrida, qui s'était déroulée dans cette ville en 1993, après la reconstruction d'arènes détruites en 1961. Aux yeux du juge, la tradition locale n'est pas interrompue après trente-deux ans d'interruption. La jurisprudence évolue ainsi vers une analyse purement psychologique de cette "tradition locale". Il suffit qu'une poignée d'amateurs veuille maintenir, voire créer, des spectacles avec mise à mort, pour qu'elle soit considérée comme acquise.
Le Conseil constitutionnel n'est cependant pas compétent pour sanctionner le manque de clarté de la jurisprudence, mais seulement celui de la loi. La décision renvoie ainsi le législateur à sa compétence. C'est à lui qu'il appartient de déclarer que la mise à mort des taureaux est un spectacle barbare. Souvenons nous qu'en juillet 2010, le parlement régional de Catalogne a eu le courage de voter une loi interdisant ce type de spectacle. En France, une proposition de loi déposée par Geneviève Gaillard (PS) devant l'Assemblée Nationale en juillet 2011, n'a toujours pas été débattue.
Derrière la question de la corrida, et du traitement cruel infligé à des animaux, se pose un problème grave. Car la loi est utilisée pour donner satisfaction à une revendication identitaire, pour ne pas dire communautaire. La loi n'est plus l'expression de la volonté générale, mais celle des différentes communautés et des lobbies qui les représentent.