« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mercredi 12 septembre 2012

De la démocratie dans les partis politiques

L'actualité récente des partis politiques, de droite comme de gauche, met en lumière la question de la démocratie à l'intérieur de ces organisations. A droite, on voit les candidats à la présidence de l'UMP contraints d'obtenir 8000 parrainages de militants pour participer au vote. Le seul problème est que Jean François Copé, candidat "sortant", dispose de l'ensemble des moyens logistiques du parti. Il a le contrôle du site internet de l'UMP, et surtout du fichier des militants, celui qui est indispensable pour obtenir les précieuses signatures. A gauche, on voit le Premier secrétaire, Martine Aubry, désigner tranquillement son successeur. Les statuts du PS prévoient en effet que les militants se prononcent en même temps sur un texte et sur un candidat, lors du Congrès du parti. Pour des motifs reposant sur l'"unité" du parti, il n'y aura donc qu'un seul texte, dont le premier signataire sera logiquement le Premier secrétaire. Dans les deux cas, à droite et à gauche, les militants sont finalement exclus du débat, leur rôle se bornant en entériner une décision qui leur échappe. 

L'Article 4 de la Constitution

La question posée est d'abord celle de la définition constitutionnelle du parti politique. Aux termes de l'article 4 de la Constitution, "les partis politiques concourent à l'expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie". Cette unique mention des partis politique dans la Constitution les rattache à l'exercice du pouvoir démocratique par le droit de suffrage. On observe d'ailleurs un approfondissement régulier du rôle des partis dans l'exercice du droit de suffrage. Les primaires socialistes en témoignent, qui ont permis la désignation démocratique du candidat du Parti Socialiste aux élections présidentielles.  

Rien n'est dit cependant de l'organisation interne des partis, si ce n'est pour affirmer  un principe général de liberté. Au plan constitutionnel, il s'agit seulement de garantir que chacun peut créer un parti politique pour défendre ses idées, et qu'une telle organisation peut librement développer son programme. 

Approche juridique par le financement

Les partis politiques sont donc organisés de la manière la plus banale qui soit, sous la forme d'associations. La Cour européenne considère d'ailleurs que la liberté de créer un politique politique constitue l'une des modalités de la liberté d'association, garantie par  l'article 11 de la Convention (CEDH 30 janvier 1988, Parti Communiste Unifié de Turquie).

La loi du 1er juillet 1901 a  permis le développement immédiat des mouvements politiques, puisque le parti radical a été créé en 1901, et la SFIO en 1905. Il est vrai que le législateur est intervenu, beaucoup plus récemment, pour établir un contrôle sur le financement des partis politiques et des campagnes électorales. Ces dispositions sont fort utiles, car elles ont pour objet de garantir la soumission des partis à l'Etat de droit. En revanche, elles n'ont en aucun cas pour effet de leur imposer un fonctionnement démocratique.  Ces derniers continuent, sur ce point, à s'organiser comme ils l'entendent.

Militants d'un parti politique, le jour de la désignation des dirigeants
Gustave Caillebotte. Pêcheurs au bord de l'Hyerres. 1878


Absence de contrôle interne

En soi, ce fonctionnement non démocratique n'est donc pas constitutif d'une violation du droit positif, dès lors que les associations s'organisent librement. Le système repose sur l'idée qu'il appartient aux militants de tirer les conséquences d'un fonctionnement peu satisfaisant, soit en faisant évoluer l'organisation, soit en la quittant. Hélas, l'organisation des partis n'est guère contestée par ceux leurs membres. Qu'ils agissent par fidélité à "leur" parti, ou par volonté de saisir, à leur tour, les leviers de commande, tous ont en commun de contester que fort peu le fonctionnement de l'organisation. 

Une intervention du législateur ? 

Si l'amélioration ne peut venir de l'intérieur, est-il possible de l'envisager de l'extérieur, par l'intervention du législateur ? Il est évidemment impossible d'imposer aux partis une sorte de statut-type qui ferait peser une contrainte très lourde, disproportionnée pour les organisations les plus modestes, et trop attentatoire à la liberté de tous. Mais l'Etat demeure fondé à demander à des organisations dont il assure une large partie du financement le respect d'un certain nombre de principes. Parmi ceux-ci, on peut citer l'élection par les militants, le pluralisme des candidatures, l'égalité entre les candidats, le libre accès aux fichiers et aux instruments de communication, écrite ou numérique. Le débat démocratique pourra alors se développer entre des groupements eux-mêmes démocratiques. 



lundi 10 septembre 2012

Pas d'Habeas Data au pays de l'Habeas Corpus

Le 9 mai 2012, dans son discours du Trône, la reine Elisabeth annonçait aux Britanniques l'intention du gouvernement "de proposer des mesures pour maintenir la capacité des agences de renseignement et des autorités à accéder à des données essentielles de communication, sous de strictes conditions (...)". On en sait davantage aujourd'hui, car le Interception of Communications (Admissibility of Evidence) Bill est actuellement débattu au Parlement britannique.

Certains évoquent à son propos un "Mega Big Brother", formule peut être un peu excessive, mais qui a le mérite de mettre en évidence un véritable abandon du principe même de protection des données. Le texte prévoit de contraindre les fournisseurs d'accès à internet (FAI) à conserver les données de leurs clients pendant douze mois. Seraient ainsi archivés les courriels, les appels passés par Skype, et, bien entendu, l'ensemble des pages visitées, y compris sur des sites domiciliés à l'étranger. Certes, le texte affirme que seules seront communicables les "méta-données", c'est à dire la liste des correspondants, le nombre des communications et leur fréquence etc.. Mais les experts du renseignements affirment que ces informations sont largement suffisantes pour établir le profil d'une personne, connaître ses relations et ses opinions.

Habeas Corpus

Ce texte porte une atteinte particulièrement grave au principe d'Habeas Data, qui s'analyse comme une adaptation de l'Habeas Corpus à la société numérique. L'Habeas Corpus, dont la notion même est née au Royaume Uni avec une loi de 1679, se définit comme la mise en oeuvre procédurale du principe de sûreté. Chacun est libre de circuler librement et de vivre paisiblement dans son domicile privé. Les intrusions dans sa liberté de circulation (par une arrestation) ou dans sa vie privée (par une perquisition) doivent être prévues par une loi et décidées par un juge.

L'Habeas Data peut, par analogie, se traduire comme la mise en oeuvre du principe de libre circulation sur internet et de maîtrise de la personne sur ses données personnelles. Toute intrusion des autorités étatiques doit donc être prévue par une loi et autorisée par un juge. Le Interception of Communications Bill, une fois voté, permettra de remplir la première condition, puisqu'une loi autorisera désormais les interceptions. En revanche, la seconde condition, celle liée à l'intervention d'un juge, fait cruellement défaut. En l'espèce, les données sont conservées pour être consultées par les autorités de police et les services de renseignement, dans un but, bien peu précis, de lutte contre le terrorisme et la grande criminalité. Tout cela est fort inquiétant, si ce n'est que le texte paraît extrêmement difficile à mettre en oeuvre.

Un texte impossible à mettre en oeuvre ? 

D'une part, les autorités britanniques peuvent certes contraindre les FAI domiciliés sur leur sol à fournir ces informations, mais il n'en ont guère les moyens à l'égard de ceux qui sont à l'étranger. Les citoyens britanniques auront donc intérêt à changer d'hébergeur. Le fondateur de Wikipedia, Jimmy Wales, a même fait savoir qu'il n'hésiterait pas, si la loi est votée, à crypter les communications entre Wikipedia et  ses utilisateurs britanniques. Même si les services britanniques sont vraisemblablement dotés de services de décryptage, la loi risque de se révéler bien difficile à appliquer, et surtout bien onéreuse car le décryptage coûte cher.

Message crypté, pour échapper à la loi britannique
Hergé. L'île noire. 1965.

D'autre part, et d'une manière plus générale, le texte révèle une volonté de tout surveiller, de tout contrôler. Cette pratique rappelle étrangement l'erreur des agences de renseignement américaines, informées des attaques du 11 septembre par des interceptions électroniques, mais qui n'ont pas su trouver et analyser l'information pertinente parmi des millions d'autres. La vieille histoire de l'aiguille dans la botte de foin. Sur ce point, l'efficacité du fichage systématique reste encore à démontrer.

Le Royaume de l'Habeas Corpus deviendrait il paranoïaque, dominé par la peur, la peur de l'insécurité, la peur du terrorisme ? Souvenons nous que le Royaume Uni fut, en 1679, le premier Etat au monde à envisager la protection des citoyens contre les abus du pouvoir en place. Or cette idée ne semble plus aller de soi. Le "Anti-terrorism, Crime and Security Bill" du 14 décembre 2001 autorisait déjà l'internement par une simple décision administrative de toute personne suspectée d'un lien quelconque avec un groupe terroriste. Aujourd'hui, c'est la protection de la vie privée qui est mise à mal, sans même que les personnes concernées aient la possibilité de saisir un juge. La vidéosurveillance a envahi le pays, le contrôle systématique des communications devient une réalité. Il est vrai que George Orwell était anglais.




samedi 8 septembre 2012

Avocat et garde à vue, une double irrecevabilité

La Cour européenne n'en finit pas de traiter de la présence de l'avocat durant toute la durée de la garde à vue. La question fait le tour des pays du Conseil de l'Europe, et la Cour a successivement condamné la Turquie avec l'arrêt Salduz du 27 novembre 2008, puis la France avec la décision Brusco du 14 octobre 2010

La décision Simons c. Belgique rendu par la Cour le 6 septembre 2012 revient sur cette question par une décision d'irrecevabilité. Le droit belge de l'époque prévoyait que la garde à vue, comme d'ailleurs le premier interrogatoire du juge d'instruction, se déroulaient hors la présence de l'avocat de la défense.  Il était donc passible, a priori, de la même sanction que les systèmes juridiques français et turcs. Mme Simons avait reconnu à la fois devant la police et le juge d'instruction qu'elle avait agressé et blessé à coups de couteau son compagnon. Elle a ensuite contesté sa mise en détention provisoire. A ses yeux, cette dernière repose sur une procédure préalable non conforme à la Convention européenne, puisqu'elle n'a pas pu bénéficier de l'assistance d'un avocat, et n'a pas été informée de son droit de garder le silence. Elle invoque donc une violation du droit au procès équitable consacré par les articles 6 § 1 et § 3 de la Convention et du droit à la sûreté garanti par l'article 5 § 1. 

La Cour rend une décision reposant sur une double irrecevabilité, d'ailleurs sans beaucoup de conséquences sur le droit belge, puisque la loi "Salduz" du 13 août 2011 a consacré le droit à la présence de l'avocat dès le début de la garde à vue en Belgique. Elle n'a même pas de conséquences pour la requérante, qui a finalement été remise en liberté en attendant son procès.


Georges Mathieu (1921-2012) . Jours de captivité.


Pas de procès équitable sans procès

Ecartons d'emblée la première irrecevabilité, celle portant sur le droit au procès équitable figurant dans l'article 6 § 1 et § 3. En effet, le recours porte sur la procédure d'instruction, en l'espèce la détention provisoire. Selon une jurisprudence constante, et notamment l'arrêt Bouglame c. Belgique du 2 mars 2010, le droit au procès équitable s'apprécie sur l'ensemble d'un procès. Cette appréciation ne peut donc intervenir qu'après la condamnation. En l'espèce, le procès de la requérante n'a toujours pas eu lieu au moment de la décision de la Cour européenne. De cette jurisprudence, on doit donc déduire qu'il incombe au droit belge de préciser les droits des personnes mises en examen avant l'intervention de la loi de 2011.

Un principe de procédure pénale

La seconde irrecevabilité est plus intéressante. La requérante s'appuie en effet sur le principe de sûreté garanti par l'article 5 § 1, qui énonce que nul ne peut être privé de sa liberté que dans les cas qu'il énumère et "selon les voies légales". Elle estime qu'elle a été privée de sa liberté sur la base d'une procédure qui peut être considérée comme non conforme à la Convention européenne, et donc non conforme aux "voies légales" auxquelles se réfère cet article. La Cour reconnaît volontiers que la privation de liberté subie par la requérante relève du principe de sûreté. En revanche, les "voies légales"sont celles définies par la législation nationale, et non pas par le droit de la Convention européenne. Cette solution est d'ailleurs acquise depuis l'arrêt Winterwerp c. Pays Bas du 24 octobre 1979

Cette décision d'irrecevabilité marque très nettement le refus de la Cour de faire du principe des droits de la défense dès le début de la privation de liberté un" principe général". Pour la Cour, le "principe général" est toujours transverse et s'applique à tous les domaines du droit. Figurent notamment dans cette catégorie les principes de sécurité juridique ou de protection contre l'arbitraire. Le droit de la défense durant la garde à vue s'analyse ainsi comme un principe de procédure pénale, auquel il est d'ailleurs possible de déroger dans certains cas particuliers, et qui relève exclusivement du procès équitable. La présence de l'avocat durant la garde à vue est donc un élément de ce procès équitable, un parmi d'autres.



mercredi 5 septembre 2012

La fin du "mariage homosexuel" ?

Un projet de loi devrait être déposé, courant octobre 2012, autorisant ce qu'il est convenu d'appeler "le mariage homosexuel". Un groupe de sénateurs socialistes menés par Esther Benbassa (Europe-Ecologie-Les Verts) ont, de leur côté, suscité une proposition parlementaire en ce sens. Le travail législatif est donc en cours et spéculer sur le contenu de la loi future est un exercice parfaitement vain. On voit cependant déjà apparaître les obstacles qui devront être surmontés, pour que la cohérence du nouveau droit du mariage soit assuré.

Egalité devant le mariage

Le premier obstacle réside dans l'élaboration d'un droit "communautaire", se bornant à reprendre la revendication de la communauté homosexuelle. Il apparaît, en filigrane, dans la proposition Benbassa, qui propose une nouvelle rédaction de l'article 144 du code civil : "Le mariage est l'union célébrée par un officier d'état civil entre deux personnes de même sexe ou de sexe différent, ayant toutes deux dix-huit ans révolus". Pourquoi cette référence au "même sexe" et au "sexe différent" ? Il suffirait de définir le mariage comme "l'union entre deux personnes", sans référence à leur sexe. Rien n'interdit ensuite, de poser certaines restrictions, et de rappeler notamment l'interdiction du mariage entre membres de la même famille. Le mariage des homosexuels était la revendication d'une communauté. Le droit positif, lui, doit se borner à assurer l'égalité devant le mariage, quel que soit le sexe des époux. 

Une telle analyse est conforme au droit de la convention européenne. S'il est vrai que l'article 12 de la Convention consacre un "droit de se marier" dont sont titulaires "l'homme et la femme", il ne précise pas que les deux conjoints doivent être de sexe différent. La  Cour européenne, depuis un arrêt Schalk et Kopf c. Autriche du 24 juin 2012, considère ainsi que le choix de considérer les homosexuels comme titulaires du droit au mariage relève de la compétence des Etats. 

Mariage et famille

Le second obstacle réside dans une lecture trop étroite de la réforme législative en cours. L'égalité devant la loi exige, en effet, que les couples homosexuels mariés se trouvent dans la même situation juridique que les couples hétérosexuels au regard du droit de la famille. Une réflexion doit donc être engagée sur l'élargissement de la notion même de famille.

La question se pose d'abord pour l'adoption, car refuser aux couples homosexuels le droit d'adopter un enfant reviendrait à consacrer un droit au mariage "à deux vitesses". Rien n'est impossible, et le législateur est parfaitement compétent pour donner la définition actuelle de la famille. Il n'empêche que refuser aux couples homosexuels le droit d'adopter un enfant susciterait de nouvelles revendications, appuyées cette fois sur le principe d'égalité devant la loi et sur celui de l'intérêt supérieur de l'enfant. 

Au-delà de l'adoption, c'est évidemment l'assistance médicale à la procréation qui devient le coeur du débat.  Pour les mêmes raisons d'égalité devant la loi, on ne voit pas pourquoi les couples de femmes homosexuelles se verraient refuser le recours à l'insémination avec donneur. 

Guido Reni. Saint Joseph avec l'enfant Jésus. 1635


Un droit peut en cacher un autre

Dans ce cas, les couples d'hommes homosexuels risquent d'invoquer une discrimination s'ils ne peuvent recourir à la gestation pour autrui, c'est à dire en langage courant à une "mère porteuse". En effet, les femmes homosexuelles pourraient concrétiser leur désir d'enfant, alors que les hommes se verraient interdire de fonder une famille. 

Le problème est que le droit français interdit purement et simplement la gestation pour autrui à tous les couples, quelle que soit leur orientation sexuelle. Le législateur risque donc de se trouver devant un choix difficile. Soit il persiste dans son refus de la gestation pour autrui, et les couples d'hommes homosexuels risquent de subir une discrimination par rapport aux femmes homosexuelles. Soit il refuse cette discrimination, et il autorise la gestation pour autrui à tous les couples, y compris hétérosexuels. Le débat sur le mariage homosexuel conduirait ainsi a étendre les droits de tous les couples, mariés ou non. Un droit peut en cacher un autre.


lundi 3 septembre 2012

La radio de LLC : Le juge Trévidic sur France Culture

Dominique Souchier avait décidé, au printemps dernier, d'interrompre le talk shaw qu'il animait sur Europe 1, car les responsables de cette station lui avaient interdit de recevoir des hommes et femmes politiques durant la campagne électorale. Aujourd'hui, il revient sur France Culture avec une émission nouvelle, "Une fois pour toutes", qui recevait, le samedi 1er septembre 2012, le juge Marc Trévidic, juge d'instruction au pôle antiterroriste, et président de l'association française des magistrats instructeurs (AFMI). L'émission mérite d'être écoutée ou podcastée, car le juge Trévidic n'est pas venu régler ses comptes, ni même mettre en lumière les difficultés de son métier. Il est venu offrir aux auditeurs une réflexion de fond sur les conditions du fonctionnement de la lutte judiciaire contre le terrorisme. 

L'affaire Mérah ou l'histoire d'un échec

Questionné sur l'affaire Mérah, le juge Trévidic fait observer, fort justement, que celle-ci ne faisait l'objet d'aucun traitement judiciaire au moment de l'assaut contre l'appartement du terroriste. Mais c'est précisément là que se situe la problème. La période sarkozyste a été marquée, en matière de terrorisme, par une volonté de privilégier le renseignement, au détriment d'une approche judiciaire. Les informations recueillies par la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), voire par la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE)  justifiaient peut-être l'ouverture d'une instruction judiciaire, avant même que Mohamed Merah passe à l'acte. Il était sans doute possible d'ouvrir une information  contre X pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste (art. 421-2-1 c. pén.).

La DCRI n'a pas seulement pour mission de nourrir le renseignement et donc l'Exécutif. C'est aussi un instrument au service de l'autorité judiciaire. Quand elle se trouve en possession d'informations sur une ou plusieurs personnes suspectées de participer à des activités terroristes, elle peut alerter le parquet anti terroriste, afin d'ouvrir une information judiciaire. Le juge antiterroriste saisi de l'affaire est alors compétent pour enquêter, rechercher des preuves, y compris par des écoutes téléphoniques ou des techniques de sonorisation. Et le délit de l'article 421-2-1 du code pénal permet précisément l'arrestation des terroristes lorsqu'ils sont en train de préparer un attentat, avant qu'ils fassent des victimes.

Le système ne fonctionne convenablement que s'il existe une relation de confiance entre l'Exécutif et l'autorité judiciaire. Or les années récentes ont vu, au contraire, se développer une méfiance à l'égard des juges d'instruction, y compris dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. Est-ce la DCRI qui ne saisissait pas le parquet, ou ce dernier qui refusait l'ouverture d'une instruction ? Il est bien difficile de le savoir, mais on doit observer que ces deux autorités sont placées sous l'autorité de l'Exécutif. 

Dès lors qu'aucune information n'était ouverte, il était ensuite très facile de dire que les juges d'instruction ne servaient à rien, et qu'il faudrait songer à la supprimer. L'affaire Mérah est sans doute, au moins en partie, le résultat de cette politique. 

L'affaire de Karachi

Sur l'affaire de Karachi, le juge Trévidic est précisément en charge de l'instruction de son volet "attentat". Un autre juge est, en revanche, chargé du volet financier et des éventuelles commissions ou rétro-commissions peut-être versées pour le financement de la campagne électorale d'Edouard Balladur, en 1995. 



Le juge Trévidic est lié par le secret de l'instruction, et il n'entre évidemment pas dans les détails d'un dossier complexe, partagé entre deux instructions. Presque trois années d'enquête sur l'attentat ont en effet été nécessaires pour que soit ensuite ouverte une instruction sur les aspects financiers. 

Dans ce cas, est mise en lumière l'impérieuse nécessité de l'absolue indépendance du juge d'instruction à l'égard de l'Exécutif. Car l'efficacité de l'autorité judiciaire se mesure à l'aune de son indépendance à l'égard de l'Exécutif. 

Le juge Trévidic n'est prêt à aucune concession sur ce point, comme en témoignent les nombreuses pressions dont il a fait l'objet ces trois dernières années, de la part d'un Exécutif fort mécontent de son enquête sur l'attentat de Karachi. L'émission rediffuse à ce propos les paroles de Nicolas Sarkozy, répondant à un journaliste de l'AFP sur l'hypothèse selon laquelle l'attentat de Karachi aurait été commis en représailles au non versement de commissions  : "Qui peut croire à une fable pareille ?". Le juge Trévidic précisément croyait à une "fable pareille", ayant annoncé aux familles des victimes que cette piste était "cruellement logique".  Cette situation illustre, jusqu'à la caricature, les interventions de l'Exécutif dans l'instruction en cours, les pressions dont peuvent faire l'objet les juges d'instruction. 

Les contraintes d'une émission de radio interdisent les développements trop longs, et le juge Trévidic s'exprime sur le ton de la conversation, sans aucune animosité.  De ses propos, on peut seulement déduire la nécessité de renforcer l'indépendance de l'autorité judiciaire, en supprimant le lien incestueux entre l'Exécutif et la parquet. Quant aux juges d'instruction, il suffit de les laisser travailler. 

vendredi 31 août 2012

Le droit au diagnostic génétique devant la Cour européenne


On a souvent tendance à considérer que la Cour européenne laisse aux Etats une très grande autonomie pour définir les droits et libertés  en matière de bioéthique. L'arrêt Pavan c. Italie rendu par la Cour le 28 août 2012 vient pourtant quelque peu tempérer cette idée.

Un couple d'Italiens a eu, en 2006, un premier enfant atteint de mucoviscidose. Une seconde grossesse, en 2010, a conduit à un avortement thérapeutique, le diagnostic prénatal ayant montré que le foetus était porteur de la même maladie. Depuis cette date, le couple souhaite  pouvoir bénéficier d'une fécondation in vitro, l'embryon pouvant faire l'objet d'un diagnostic pré-implantatoire, voire d'un traitement génétique, avant d'être réimplanté dans l'utérus de la mère. C'est précisément le refus de ce type de diagnostic par le droit italien que contestent les requérants devant la Cour européenne. 

Différents types de diagnostics

Le droit français, plus précisément la loi du 7 juillet 2011 donne une définition claire des deux types de diagnostics.

Le diagnostic pré-natal (DPN), celui auquel le couple requérant a déjà eu recours, de manière tout à fait licite,  regroupe "l'ensemble des pratiques médicales (...) ayant pour but de détecter in utero chez l'embryon ou le foetus une affection d'une particulière gravité" (art. 20). Cette technique permet notamment de déceler plus de 90 % des cas de trisomie, et de proposer alors une IVG pour motif médical.

Le diagnostic pré-implantatoire (DPI), celui que le couple sollicite, consiste à réaliser "un diagnostic biologique (...)  à partir de cellules prélevées sur l'embryon  in vitro". L'examen permet de s'assurer que l'embryon, qui est biologiquement celui du couple, n'est pas atteint d'une affection génétique, éventuellement de la traiter, avant qu'il soit réimplanté dans l'utérus de sa mère.

Le droit français autorise même, désormais, le recours à ce que certains ont appelé le "bébé du double espoir". Cette technique consiste à utiliser le DPI pour faire naître un enfant dépourvu de toute anomalie génétique, dont les cellules seront ensuite utilisées pour soigner son aîné atteint d'une maladie incurable. Encore faut-il, bien entendu, qu'il n'y ait pas d'autre moyen de soigner l'enfant malade.

2001, l'Odyssée de l'espace. Stanley Kubrick, 1968

La cohérence du droit

Le droit français apparaît ainsi comme un droit cohérent. Il autorise les diagnostics génétiques et en tire les conséquences. Cela signifie que le couple qui a bénéficié d'un DPN se verra proposer une IVG thérapeutique. Celui qui a bénéficié d'un DPI renoncera tout simplement à la réimplantation de l'embryon, s'il n'a pas été possible de remédier à l'anomalie génétique.

Le couple italien requérant se trouve dans une situation beaucoup plus étrange. Le droit italien en effet interdit le DPI in vitro, et n'autorise que le DPN in utero. Autrement dit, le couple requérant n'a pas d'autre solution que de commencer une grossesse, puis, éventuellement, de pratiquer une IVG si les analyses effectuées sur l'embryon in utero révèlent qu'il est porteur de mucoviscidose. Rien n'interdit de pratiquer une IVG sur le foetus à un stade de développement déjà avancé, mais il est interdit de choisir la non réimplantation d'un embryon d'à peine quelques jours. On peut avorter en cas de maladie génétique, mais on ne peut pas tenter de la traiter.

La Cour européenne sanctionne l'incohérence du droit italien car, à ses yeux, il impose une ingérence excessive dans le droit au respect de la vie privée et familiale d'un couple qui se voit privé d'une chance d'avoir un enfant indemne de toute maladie génétique. Cette solution s'inscrit, sur ce point, dans la droite ligne de la sa jurisprudence, qui considère, notamment depuis une décision du 3 novembre 2011 S.H et a. c. Autriche, que l'accès à la procréation médicalement assistée, y compris hétérologue c'est à dire effectuée à partir d'un don de gamètes, constitue un choix qui relève du droit au respect de la vie privée et familiale.

Ce principe de cohérence du droit est nettement mis en évidence par la Cour, et on peut évidemment s'interroger à son propos. S'agit il du fondement conjoncturel d'une décision d'espèce ou d'un nouveau principe général susceptible de fonder une jurisprudence ? L'avenir le dira sans doute.

Le faux débat de la dérive eugénique

La Cour sanctionne également une seconde incohérence qui réside dans l'argument des autorités italiennes. Ces dernières justifient en effet l'interdiction du DPI par le risque de dérive eugénique. Celle ci consiste, on le sait,  à "trier" les embryons, à rejeter celui qui ne correspond pas tout à fait au désir des parents, lorsqu'il a une anomalie génétique, mais aussi, peut être, lorsqu'il n'a pas le sexe espéré ou la couleur des yeux attendue.

Cet argument est tout à faire surprenant, dès lors que le droit italien accepte le DPN qui pourrait, également être utilisé à des fins eugéniques, les parents choisissant alors d'interrompre la grossesse si l'enfant ne leur convient pas. Il n'est cependant pas très difficile cependant de limiter les deux types de diagnostic (DPN et DPI) aux seuls cas dans lesquels l'enfant risque d'être victime d'une grave maladie génétique, et d'éviter ainsi toute dérive eugénique.

Dans la domaine de la bioéthique, la Cour adopte une jurisprudence toute en nuance. Il est vrai qu'elle reconnaît à l'Etat une large autonomie pour définir s'il accepte ou non le recours à la fécondation in vitro avec donneur. Il s'agit, dans ce cas,  d'offrir aux couples le moyen de concrétiser leur désir d'enfant. Si le système juridique ne l'autorise pas, rien ne leur interdit d'utiliser la voie de l'adoption, ou d'aller tout simplement bénéficier de cette technique dans un pays plus tolérant. En revanche, l'accès au DPI a une finalité purement thérapeutique qui est de réaliser un diagnostic génétique et, le cas échéant, un traitement, qui permettra la naissance d'un enfant parfaitement sain. Toutes les possibilités de guérison doivent alors être offertes, et c'est précisément ce que juge la Cour.