« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


dimanche 29 juillet 2012

QPC : Le recours contre la décision d'octroi de la qualité de pupille de l'Etat

Dans sa décision rendue sur QPC le 27 juillet 2012, le Conseil constitutionnel affirme une conception rigoureuse du principe du droit à un recours effectif, appliqué cette fois à la procédure d'admission en qualité de pupille de l'Etat. La disposition contestée par la requérante, madame Annie M, est plus précisément l'article L 224-8 du code de l'action sociale et des familles (CASF), aux termes duquel les proches de l'enfant disposent d'un délai de trente jours pour contester l'arrêté du Président du Conseil général décidant son admission au statut de pupille de l'Etat. 

Entre deux arrêtés 

La procédure mise en oeuvre est ainsi fixée de manière très précise par la loi du 6 juin 1984. Dès que l'enfant est confié aux services sociaux, (la DDASS), il fait l'objet d'un arrêté d'admission provisoire en qualité de pupille de l'Etat, pour une durée qu'il précise. A l'issue de cette première période, un arrêté définitif est pris par le Président du Conseil général, celui-là même qui ouvre aux ayants-droit une possibilité de recours durant une période de trente jours devant le juge judiciaire. Cette compétence du juge judiciaire est d'ailleurs une innovation de la loi de 1984, le législateur mettant fin à un dualisme de compétences qui était préjudiciable aux intérêts de l'enfant. En effet, l'arrêté d'admission à la qualité de pupille était jusqu'alors contestable devant le juge administratif dès lors qu'il exprimait une prérogative de la puissance publique. En revanche, le juge judiciaire était seul compétent pour prendre une décision relative à la garde de l'enfant. 

Entre deux délais

Cette procédure se caractérise par la brièveté des délais de recours offerts aux proches de l'enfant. Pour ses parents biologiques, son père ou sa mère, le délai pour demander la restitution de l'enfant est de deux mois lorsque l'intéressé a lui même décidé de le confier aux services sociaux, ou de six mois lorsque cette procédure lui a été imposée (art. L 224-6 CASF). 

Le délai de l'article contesté devant le Conseil constitutionnel, celui de l'article 224-8, est réduit à trente jours. Il n'est pas fermé aux parents biologiques (sauf déclaration judiciaire d'abandon, ou déchéance de l'autorité parentale), mais concerne surtout les alliés de l'enfant, par exemple ses grands parents, voire "toute personne justifiant d'un lien avec lui, notamment pour avoir assuré sa garde".  Une telle disposition permet ainsi de revenir sur une pratique antérieure particulièrement choquante, durant laquelle des familles d'accueil qui avaient élevé l'enfant, se voyaient interdire toute possibilité de l'adopter. 

Les deux orphelines. Maurice Tourneur. 1932



Entre deux intérêts contradictoires

Ce délai peut sembler court, mais le législateur se trouve confronté à un double impératif. D'une part, il doit effectivement permettre aux proches de l'enfant de témoigner de leur intérêt à son égard, voire de leur volonté de demander sa garde. D'autre part, il doit aussi, dans son intérêt supérieur, lui permettre, s'il est effectivement en situation d'abandon, de bénéficier aussi rapidement que possible de ce statut de pupille de l'Etat. Ce dernier conditionne en effet la possibilité pour lui de bénéficier d'une adoption plénière, et de mener une vie familiale normale. 

Le Conseil constitutionnel s'efforce, dans sa décision du 27 juillet 2012, de tenir la balance égale entre les intérêts de chacun. Il déclare ainsi la disposition inconstitutionnelle, non pas dans le principe qu'elle énonce, mais en raison de son imprécision sur le point de départ de la procédure. Un délai aussi bref qu'un délai de trente jours n'est pas, en soi, inconstitutionnel. La Cour européenne des droits de l'homme estime, de son côté, qu'il ne constitue pas une violation du droit au procès équitable. Dans sa décision Odièvre du 13 février 2003, elle considère ainsi que le délai de rétractation laissée à la mère biologique qui décide d'abandonner son enfant après un accouchement sous X est "suffisant" pour qu'elle "ait le temps de remettre en cause le choix d'abandonner l'enfant". 

Ce n'est donc pas sur le terrain de la brièveté du délai de recours que se place le juge constitutionnel, mais sur son point de départ. Pour qu'il puisse courir, il faut en effet s'assurer que les personnes susceptibles de faire un recours contre l'arrêté définitif d'admission au statut de pupille en aient été effectivement informées. Pour respecter la vie privée de l'enfant et de ses parents biologiques, le législateur a choisi de ne pas imposer la publication de cet arrêté. Il reste donc à imposer sa notification aux proches de l'enfant, du moins à ceux que connaissent les services sociaux, afin que leur droit à un recours effectif soit effectivement garanti.  

Entre deux vies

Le Conseil constitutionnel s'efforce ainsi de garantir les droits de chacun pendant cette période délicate, durant laquelle l'enfant se trouve au carrefour entre deux vies. Il s'agit à la fois de s'assurer que rien ne peut être sauvé de son ancienne vie et que son abandon est définitif, et de lui permettre d'accéder aussi rapidement que possible d'accéder à une vie nouvelle, au sein d'une famille d'adoption. Le législateur va donc devoir préciser quelque peu cette procédure. Le Conseil lui a laissé jusqu'au 1er janvier 2014 pour modifier les textes, permettant ainsi de garantir la sécurité juridique des affaires en cours.



vendredi 27 juillet 2012

La protection des données dans la Constitution ?

La Présidente de la CNIL, madame Falque-Perrotin, a affirmé, lors de la conférence de presse accompagnant la remise du rapport annuel le 10 juillet 2012, que cette autorité indépendante "promeut l'objectif d'inscrire, dans la Constitution, le droit à la protection des données personnelles". Un tel propos n'a rien de nouveau, et le Président Alex Türk avait fait une déclaration à peu près semblable lors de la remise du rapport de 2008. Dans les deux cas, la demande est formulée oralement lors d'une conférence de presse, mais ne figure pas réellement dans le rapport écrit. On reste dans le domaine du discours, voire de l'incantation.

L'Habeas Data

Le droit à la protection des données se définit généralement à travers une double prérogative dont dispose son titulaire. Lorsque des données personnelles sur son compte sont collectées et/ou stockées sur son compte par un tiers, il a le droit de consentir à l'opération, de demander leur modification si elles sont erronées, voire leur effacement si elles ne sont plus pertinentes. Lorsque des données personnelles sont mises à son initiative sur un fichier informatique ou sur le net, il a aussi le droit de conserver leur confidentialité, de les modifier et de les retirer. En d'autres termes, il doit pouvoir en conserver la maîtrise. Ces principes ne sont heureusement pas inconnus du droit positif. Ils ont actuellement une valeur législative, puisqu'ils figurent dans la célèbre loi du 6 janvier 1978 sur l'informatique, les fichiers et les libertés.

Un droit de synthèse

La constitutionnalisation du principe de protection des données personnelles est une idée séduisante. D'abord, parce que la notion de protection des données, parfois aussi qualifiée d'Habeas Data, est une notion qui englobe différents éléments appartenant à des champs très différents des libertés publiques. Elle intègre tout à la fois des éléments du droit au respect de la vie privée, du droit à l'oubli, de la liberté d'expression, mais aussi du droit de propriété sur les informations nominatives nous concernant. Sur ce plan, l'intégration dans la Constitution permettrait d'agglomérer des prérogatives qui peuvent aujourd'hui sembler quelque peu disparates, et d'envisager une approche globale des droits du citoyens dans un monde numérisé.

Rôle du législateur

De la même manière, l'acquisition d'une valeur constitutionnelle par le principe de protection des données aurait des conséquences importantes sur ses éventuelles restrictions. Il s'agirait d'un droit s'exerçant "dans le cadre des lois qui le réglementent", et le législateur devrait alors poser clairement ses limites, préciser notamment les atteintes licites à la protection des données, par exemple pour les fichiers mis en oeuvre par les autorités publiques en matière de sécurité.

Certes, mais le législateur n'est il pas déjà intervenu dans ce domaine ? Les procédures préalables à la création des fichiers de données personnelles ont été définies par cette même loi de 1978, et elle distingue clairement entre les fichiers contenant des informations personnelles et les autres. Des textes communautaires sont venus conforter et développer ce droit nouveau, reprenant sensiblement les dispositions du droit français.

Souplesse et adaptation du droit

En termes de garantie des droits de la personnes, la constitutionnalisation n'est pas une panacée, loin de là. Que l'on se souvienne de la Charte de l'environnement, intégrée en grande pompe dans la Constitution en 2004, et dont l'article premier affirme que "chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé". Ces dispositions n'ont eu aucune influence notable sur le droit positif. En revanche, la loi informatique et libertés, texte modestement d'origine parlementaire, a suscité la construction d'un cadre juridique relativement contraignant, qui a su évoluer avec le temps, et passer de l'ordinateur de bureau des années soixante-dix à la société numérique d'aujourd'hui.

Car n'oublions pas que la constitutionnalisation d'une norme conduit parfois à la figer à un certain stade de son développement. Or le domaine des nouvelles technologies est précisément celui qui a besoin d'évoluer rapidement, de s'adapter en permanence à des nouvelles utilisations. C'est précisément le cas dans notre droit, et la CNIL a ainsi vu un élargissement constant de ses compétences au fur et à mesure que surgissaient le GPS ou la biométrie. Bien entendu, le juge pourra faire évoluer le droit nouveau, à la condition toutefois que le constituant ne l'ait pas défini de manière trop contraignante.




Reste évidemment à envisager le dernier argument en faveur de la constitutionnalisation de la protection des données, à savoir son caractère pédagogique. L'idée générale est que l'intégration d'une norme dans la Constitution permet au citoyen de prendre conscience de ses droits. Il s'agit là d'une sorte de présupposé bien difficile à démontrer. N'est il pas frappant de constater que tous les citoyens connaissent l'existence de la loi de 1901, tout simplement parce qu'ils sont membres d'une ou plusieurs associations ? Ils n'ont pas attendu la décision du Conseil constitutionnel de 1971 pour exercer leur droit dans ce domaine.

On doit en déduire que, constitutionnel ou non, le droit à la protection des données est l'inverse de la Pile Wonder, et ne s'use que si l'on ne s'en sert pas. La pédagogie ne passe pas uniquement par l'intégration de la protection des données dans la Constitution. Elle s'appuie surtout sur les précédents, les décisions de justice condamnant ceux qui violent ce principe avec allégresse, décisions qui doivent être largement médiatisées. La protection des données, c'est un combat quotidien, pas une disposition gravée dans le marbre devant laquelle il convient de faire quelques génuflexions.




mardi 24 juillet 2012

Les nominations de deux ambassadeurs annulées par le Conseil d'Etat

Le 7 avril 2012, LLC avait, pour une fois, fait oeuvre utile, et offert aux membres des cabinets ministériels et aux conseillers à la Présidence de la République, un "petit manuel" destiné à leur permettre de se recaser en cas d'échec électoral. Ceci étant, nous n'avions pas caché les difficultés de l'exercice, et notamment le "risque juridique", c'est à dire concrètement l'interdiction, qui s'applique même au Prince, de faire n'importe quoi avec les procédures de nomination des fonctionnaires. Ce risque s'est précisément manifesté, avec un double recours de la CFDT contre la nomination de deux ambassadeurs, qui est à l'origine des  deux décisions du 23 juillet 2012.

Les intéressés, Messieurs Bertrand Lortholary et Damien Loras, conseillers à la Présidence de la République, ont été nommés ambassadeur, l'un en Indonésie, l'autre en Thaïlande. La nomination du premier est intervenue le 10 février 2012, celle du second par un décret du 4 mai 2012, deux jours avant le second tour des élections. Ce sont ces deux textes dont la CFDT demande l'annulation. 

Comment devient on ambassadeur ? 

Les fonctions d'ambassadeur peuvent être dues à la seule faveur du Prince. Celui-ci peut nommer un ami ou une personnalité à de telles fonctions, à la condition toutefois que l'heureux bénéficiaire de cette mesure ne soit pas un fonctionnaire des Affaires étrangères. Une fois sa mission accomplie, il reprendra tout simplement ses anciennes occupations. Tel est le cas, par exemple, de M. Jean-Christophe Rufin, qui fut ambassadeur au Sénégal jusqu'en 2010, avant de redevenir écrivain, ou de M. Roger Karoutchi, qui représenta la France auprès de l'OCDE, avant de redevenir sénateur UMP.

Ambassadeurs, et rien d'autre

Dans le cas de Messieurs Lortholary et Loras, la situation est tout autre, puisqu'ils font tous deux une carrière diplomatique. Le problème juridique réside cependant dans le fait que les intéressés ont voulu faire de leur passage au cabinet du Président de la République un accélérateur de carrière. Ils voulaient être ambassadeurs, et rien d'autre. Aucune autre fonction ne pouvait satisfaire leur ambition.


Hans Holbein Le Jeune. Les Ambassadeurs (et leur anamorphose). 1533


Le décret du 25 mai 2009

Depuis le décret du 6 mars 1969 relatif au statut particulier des agents diplomatiques et consulaires qui réservait ces emplois aux seuls ambassadeurs de France et ministres plénipotentiaires, autrement dit aux agents déjà titulaires d'une très solide expérience dans des postes de responsabilité, les choses ont considérablement évolué. Ce texte a été modifié par un décret du 29 décembre 1999 pour élargir l'accès à ces emplois, "à titre exceptionnel", aux conseillers des affaires étrangères hors classe. Aujourd'hui, la nomination de nos deux ambassadeurs s'appuie sur le décret du 25 mai 2009, qui permet désormais de faire appel "à des conseillers des affaires étrangères qui justifient d'au moins dix années dans un corps de catégorie A, dont au moins trois à l'étranger, et ayant démontré, notamment par l'exercice de responsabilités d'encadrement, leur aptitude à occuper ces emplois". 

Erreur de droit et non pas erreur  manifeste

C'est précisément sur ces "responsabilités d'encadrement", ou plutôt sur leur absence que s'appuie le Conseil d'Etat pour considérer que ces deux nominations sont entachées d'erreur de droit. Le choix de ce cas d'annulation est fort intéressant, car le Conseil d'Etat ne se fonde pas sur l'erreur manifeste d'appréciation, C'est sur ce motif qu'il s'appuie généralement pour annuler des nominations au tour extérieur, lorsque les compétences de l'intéressé n'ont rien à voir avec celles demandées pour l'emploi qu'il doit exercer. Monsieur Dominique Tibéri en a récemment fait l'amère expérience, lorsque le Conseil d'Etat, le 23 décembre 2011, a annulé sa désignation comme Contrôleur général économique et financier.

Mais l'erreur manifeste implique une appréciation individuelle par le juge de l'aptitude du candidat à exercer les fonctions. Elle n'emporte annulation de l'acte que lorsqu'elle saute aux yeux, ce qui évidemment ne peut être le cas lorsqu'il s'agit de nommer des fonctionnaires des affaires étrangères à des postes diplomatiques, et que ces fonctionnaires sont issus de l'ENA.

Le Conseil d'Etat a donc tout simplement choisi l'erreur de droit, estimant que l'autorité de nomination n'avait pas correctement appliqué le décret du 25 mai 2009. Il considère en effet que le fait d'avoir "démontré, notamment par l'exercice de responsabilités d'encadrement", l'aptitude à exercer un emploi d'ambassadeur n'est pas un élément d'appréciation parmi d'autres. C'est une condition effective de la légalité de la nomination. L'autorité de nomination doit vérifier que l'intéressé a effectivement exercé des fonctions d'encadrement impliquant une autorité hiérarchique sur un service ou un ensemble de services. Nos deux diplomates étaient conseillers des affaires étrangères et non pas ministres plénipotentiaires, statut qui ne leur conférait aucune autorité de ce type. Damien Loras avait ainsi été premier secrétaire à la Représentation française auprès des Nations Unies à New York et Bertrand Lortholary était deuxième conseiller à l'ambassade de France à Pékin avant de rejoindre l'Elysée. Ces fonctions ne leurs conféraient donc aucune autorité hiérarchique sur l'ensemble d'un service, susceptible de justifier la mise en oeuvre du décret du 25 mai 2009.

La décision du Conseil d'Etat sonne comme un rappel à l'ordre. Dans un Etat de droit, l'avancement repose sur le mérite et l'expérience professionnelle, pas sur la faveur du Prince. Il ne reste plus qu'à espérer que le Conseil d'Etat se penchera bientôt sur l'autre innovation introduite récemment au Quai d'Orsay, cette procédure d'évaluation à 360°, qui repose essentiellement sur la délation. Les abus de droit du précédent quinquennat n'ont pas fini d'occuper la juridiction administrative.

dimanche 22 juillet 2012

Les Raëliens devant la CEDH : tout ce que vous voulez savoir sur les sectes sans oser le demander

Dans sa décision du 13 juillet 2012, Mouvement Raëlien c. Suisse, la Cour européenne saisit l'opportunité de préciser sa position à l'égard des dérives sectaires. Une telle décision s'imposait, alors qu'un précédent arrêt, du 30 juin 2012, avait été présenté comme condamnant la France pour avoir refusé aux Témoins de Jéhovah le statut fiscal accordé aux religions. Certains avaient alors estimé que tout mouvement sectaire pouvait bénéficier de cette jurisprudence, se voir reconnaître le la qualité de religion, et bénéficier des avantages qui y sont attachés, qu'il s'agisse du statut fiscal ou de la protection particulièrement importante de la liberté d'expression.

Les Raëliens

En l'espèce, le requérant est  le mouvement Raëlien, association implantée en Suisse, et dont l'activité principale consiste à établir des contacts avec les extra-terrestres. Il conteste le refus des autorités de police de Neuchâtel d'autoriser une campagne d'affichage représentant, comme il se doit, des petits êtres verts et des soucoupes volantes, illustrations accompagnées du numéro de téléphone du mouvement et de l'adresse de son site internet. Ce refus n'est évidemment pas motivé par le désir de la secte de communiquer avec les martiens, activité finalement assez bénigne.Il repose aussi sur des objectifs non conformes à l'ordre public suisse, notamment la promotion d'une société fondée sur la domination de ceux ayant un fort quotient intellectuel, appelés à se reproduire par le clonage humain. Surtout, les autorités suisse reprochent à ces amoureux des extra terrestres des activités nettement plus terre à terre, plusieurs plaintes pour pédophilie ayant été enregistrées à l'encontre des responsables Raëliens.

Absence de violation de l'article 10

Tenant compte de ces éléments, la Cour européenne estime que cette interdiction d'affichage ne constitue qu'une ingérence limitée dans la liberté d'expression de l'association Raëlienne. Rien ne lui interdit en effet de s'exprimer par d'autres moyens, comme son site internet, ou la distribution de tracts. Cette ingérence n'est donc pas disproportionnée et les autorités suisses n'ont pas violé l'article 10 de la Convention. La Cour ajoute que cette restriction à la liberté d'expression répondait à un "besoin social impérieux", dès lors que l'association développe un programme favorable au clonage humain, et que plusieurs décisions de la justice suisse l'avait considérée comme une "secte à caractère dangereux", en raison de dérives sexuelles possibles à l'égard des mineurs.


Les Envahisseurs. Série télévision. 1967
Secte, ou dérive sectaire ?

Comme le droit français, la Cour européenne refuse, dans cette décision, d'utiliser la notion de secte,  extrêmement dangereuse dans la mesure où elle est généralement définie par la doctrine à l'aune de la notion de religion. Autrement dit, une religion serait une secte qui a réussi, et une secte serait une religion en devenir. Cette définition, adoptée aux Etats Unis, constitue en réalité un moyen pour les sectes d'affirmer leur légitimité, en se présentant comme un groupe de fidèles réunis autour d'une foi partagée. Tel est le cas des Témoins de Jéhovah qui parviennent, peu à peu, à obtenir le statut de religion, avec l'aide de la Cour européenne.

Accepter que les Témoins de Jéhovah soient considérés comme une religion ne conduit cependant pas à étendre ce statut à tous les groupements dirigés par des gourous plus ou moins allumés, plus ou moins dangereux pour les adeptes, parfois fort peu nombreux.

C'est la raison pour laquelle le droit français se réfère à la notion de dérive sectaire, qui s'applique lorsqu'un groupement "poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités". Cette formulation, issue de la loi About-Picard du 12 juin 2001, donne ainsi une définition pénale de la dérive sectaaire. Il n'y a pas de lutte contre les sectes, mais une lutte très affirmée contre la manipulation mentale, l'abus de faiblesse, l'escroquerie, la pédophilie, et autres pratiques illicites. 

Sur ce point, la Cour européenne semble infléchir quelque peu  une jurisprudence qui reposait traditionnellement sur la notion de "secte à caractère religieux". Le groupement ainsi qualifié pouvait bénéficier du statut de religion. Celui qui ne recevait pas cette qualification pouvait voir son activité soumise à restrictions en raison du danger qu'il représente. En l'espèce, la Cour ne reprend pas cette distinction, et se borne à rappeler la légitimité de la lutte des autorités suisses contre un mouvement sectaire considéré comme dangereux. Sur ce point, elle se rapproche de l'approche réaliste du droit français, et contribue à légitimer la lutte contre les dérives sectaires.



jeudi 19 juillet 2012

Euthanasie, droit de mourir dans la dignité : l'état du droit

Dans ses engagements électoraux, le candidat François Hollande avait souhaité que "toute personne majeure en phase avancée ou terminale d'une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d'une assistance médicalisée pur terminer sa vie dans la dignité". Aujourd'hui, le Président François Hollande confie au professeur Didier Sicard la présidence d'une commission chargée de rédiger un rapport sur cette délicate question, avant la fin de l'année 2012. Elle devra dresser le bilan de la pratique existante, c'est à dire concrètement de la mise en oeuvre de la loi Léonetti du 22 avril 2005.

Au regard de son étymologie, l'euthanasie est définie comme une "mort douce". Cette définition renvoie cependant à deux pratiques bien différentes, dont la distinction constitue le socle du droit positif et sera au coeur des réflexions à venir. Alors que l'euthanasie passive est licite, sous certaines conditions, l'euthanasie active demeure interdite.

Licéité de l'euthanasie passive

L’ euthanasie passive être mise en oeuvre sans le consentement du patient. Elle se définit comme une renonciation du corps médical, lorsque les soins sont sans espoir de guérison et incapables d’apaiser les souffrances d’un malade en fin de vie. Il s’agit alors pour le médecin d’administrer des doses massives de sédatifs qui calmeront la douleur, même s’ils doivent écourter la vie, ou d’arrêter l’alimentation par sonde d’un patient plongé dans un coma irréversible. 

La loi du 22 avril 2005 va dans ce sens, en affirmant que "les actes de prévention, d'investigation ou de soins ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris". Le champ d'application de l'euthanasie est donc assez large, puisqu'elle peut concerner aussi bien les personnes en fin de vie que celles atteintes d'une pathologie sans espoir de guérison.

En 2008, le rapport de la mission parlementaire chargée de dresser un premier bilan de la loi Léonetti, avait mis l'accent sur une grave lacune de cette procédure, liée au recueil du consentement du patient. Le décret du 29 janvier 2010, a donc organisé formellement une procédure de suspension de soin, qui distingue selon que le patient est ou non conscient, et susceptible de faire connaître sa volonté. Lorsque c'est le cas, il peut demander cette suspension, et les médecins sont alors tenus de respecter sa volonté. Lorsqu'en revanche, il est inconscient, cette volonté peut avoir été préalablement recueillie par des "directives anticipées" ou par la désignation d'une "personne de confiance" chargée de prendre cette difficile décision. Si aucune de ces procédures n'a été choisie, l'équipe médicale s'adresse alors aux proches, qui peuvent prendre la décision d'interrompre le traitement.



Georges Brassens. Le Testament

Illicéité de l'euthanasie active

L'euthanasie active consiste à injecter un produit mortel avec le consentement du patient, et s’analyse comme un « suicide assisté ». Jusqu'à aujourd'hui, elle demeure illicite, et la loi Léonetti n'y fait pas référence. La Cour européenne elle même, dans une décision Diane Pretty c. Royaume Uni, du 29 avril 2002, a refusé d'admettre sa conformité à la Convention. Elle était saisie par une Britannique atteinte d'une grave maladie dégénérative, avec pour seule perspective un décès relativement rapide dans de grandes souffrances, et qui considérait que cette fin de vie constituait un traitement inhumain et dégradant au sens de l'article 3 de la Convention. La Cour a certes reconnu "éprouver de la sympathie pour la crainte de la requérante de devoir affronter une mort pénible". Elle a pourtant refusé, avec force et à l'unanimité, que les dispositions de la Convention puissent être utilisées pour conduire un Etat à "cautionner des actes visant à interrompre la vie".

Pour le moment, le droit français reste dans cette ligne. Le décret du 19 février 2010 a ainsi décidé la création de l'Observatoire national de la fin de vie. Son objet est précisément de privilégier l'accompagnement en fin de vie, de préserver la patient de la douleur, afin de le maintenir dans un certain confort physique et moral. Le premier rapport de cet Observatoire, remis au ministre de la santé en février 2012, va évidemment dans ce sens, sans exclure toutefois une évolution des mentalités dans ce domaine.

Sommes nous actuellement en train de connaître une telle évolution ? C'est ce que devra évaluer la commission présidée par le Professeur Sicard. 

Une pratique in-nommable

Il est frappant de constater cependant que, aussi bien le Chef de l'Etat que ceux qui sont chargés de réfléchir sur cette question se montrent très prudents, au moins sur le plan de la terminologie employée. Le mot "euthanasie" n'est jamais prononcé, comme s'il était possible de mettre en oeuvre une pratique, sans la nommer. Ce caractère in-nommable révèle certainement un malaise, sans que l'on puisse en préciser la nature. S'agirait il d'un sentiment d'impuissance, dès lors que la norme juridique, même législative, semble un instrument bien dérisoire pour organiser les rapports entre la vie et la mort ?


mercredi 18 juillet 2012

Le harcèlement moral échappe à la QPC

La Chambre criminelle de la Cour de cassation vient, dans une décision du 11 juillet 2012, de mettre fin aux espoirs de ceux qui souhaitaient  réunir dans une sorte de "pack" d'inconstitutionnalité les délits de harcèlements sexuel et moral. La loi punissant le harcèlement sexuel a effectivement été déclaré inconstitutionnelle par le Conseil constitutionnel, dans une décision du 4 mai 2012, et a déjà donné lieu à un projet de loi, proposant une nouvelle rédaction aussi floue que la première. La notion de harcèlement moral, en revanche, restera inchangée, la Cour de cassation ayant refusé de transmettre la QPC au Conseil. 

Le harcèlement moral, élément de la relation de travail 

La harcèlement moral est défini par l'article 222-33-2 du code pénal qui punit d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € "le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel". Il a également été introduit dans le code du travail par la loi du 17 janvier 2002, dite de modernisation sociale, qui reprend la même formulation. Le harcèlement moral est devenu un élément-clé des relations de travail, souvent invoqué devant le juge du contrat de travail, mais aussi devant le juge pénal. 

Le harcèlement moral, politique de l'entreprise

On voit aujourd'hui se développer une nouvelle forme de harcèlement moral, mis en oeuvre non par un individu isolé, mais par une entreprise qui veut provoquer le départ de ses salariés. L'ex PDG de France-Telecom, Didier Lombard, a été mis en examen sur ce fondement, soupçonné d'avoir fait du harcèlement moral l'objet d'une politique de relations "humaines" dans l'entreprise. Cette évolution montre que cette infraction, qui a donné lieu à une jurisprudence abondante, peut être utilisée dans des cas très divers. Le juge a  ainsi  peu à peu élargi son champ d'application et assoupli les règles d'administration de la preuve.

A ce titre, le harcèlement moral s'appose au harcèlement sexuel, peu invoqué, sans doute parce qu'il est extrêmement difficile d'en apporter la preuve.


 Charles Chaplin. Les Temps Modernes. 1936

Des dispositions déjà examinées par le Conseil

La Chambre criminelle fonde son refus de transmission de la QPC sur le fait que les dispositions relatives au harcèlement moral ont déjà été déclarées conformes à la Constitution, dans la décision du 12 janvier 2002 rendue par le Conseil constitutionnel, précisément sur la loi de modernisation sociale. Aucun élément ne permet d'envisager un changement de circonstances de fait ou de droit depuis cette décision, qui justifierait un nouvel examen par le Conseil constitutionnel. La Cour refuse donc de considérer que l'intervention de la décision sur le harcèlement sexuel constituait un changement de circonstances de droit, et récuse également l'amalgame de plus en plus fréquent réalisé entre les deux formes de harcèlement. 

Invoquant ce précédent examen, la Chambre criminelle aurait pu déclarer tout simplement irrecevable la demande de transmission de la QPC, et arrêter là son analyse. 

Quelques précisions en forme d'avertissement

Elle offre cependant quelques précisions supplémentaires, en mentionnant que la définition du harcèlement moral n'est pas floue, et qu'elle ne saurait donc être sanctionnée pour manquement au principe de légalité des délits et des peines, garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. La Cour rappelle que "les faits commis doivent présenter un caractère répété et avoir pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail (...)". Le harcèlement moral est donc défini à travers les conséquences de l'acte sur la situation de la victime, sur sa dignité et sur sa santé notamment. Tel n'était pas le cas pour le harcèlement sexuel, dont la définition était réduite à son objet, qui est "d'obtenir des faveurs de nature sexuelle". Les conséquences sur la situation de la victime n'étaient pas évoquées, pas plus d'ailleurs que le caractère répétitif de ce comportement.

Sur ce dernier point, on ne peut s'empêcher de considérer que la décision de la Cour comporte une certaine forme d'avertissement pour le législateur. En insistant sur le caractère répétitif du harcèlement, elle stigmatise, en creux, la définition du harcèlement sexuel figurant dans le projet de loi actuellement débattu au parlement. Ne s'agit il pas, en effet, de considérer comme du "harcèlement" un acte isolé ?

Le harcèlement moral n'a rien à voir avec le harcèlement sexuel, affirme la Cour de cassation. Elle laisse cependant entendre qu'étant mieux rédigé et mieux interprété, il pourrait servir de référence à ceux qui cherchent une définition opératoire pour le délit de harcèlement sexuel.