La Cour européenne a rendu, le
15 mars 2012, une décision Gas et Dubois c. France, qui refuse à une femme le droit d'adopter l'enfant de sa compagne. Aux yeux de la Cour, ce refus de l'adoption simple opposé par le droit français ne s'analyse pas comme une discrimination.
En septembre 2000, Madame Dubois a donné naissance à une fille, grâce à une insémination artificielle avec donneur (IAD) réalisée en Belgique. Sa compagne, Madame Gas, avec laquelle elle est pacsée depuis avril 2002, a présenté en mars 2006 une requête en adoption simple de l'enfant, avec évidemment le consentement de la mère. Rappelons en effet que l'adoption plénière est impossible dans ce cas, car elle se définit par la rupture totale qu'elle entraîne avec la famille biologique, ce qui n'est évidemment pas le cas en l'espèce.
En juillet 2006, le TGI de Nanterre a rejeté cette demande d'adoption simple, au nom de l'intérêt de l'enfant, solution confirmée par la Cour d'appel le 21 décembre 2007. Les requérantes ont alors saisi la Cour de cassation le 21 février 2007, mais, pour des raisons de procédure, le Premier Président a finalement prononcé la déchéance du pourvoi le 20 septembre 2007.
Les associations militant en faveur des droits des homosexuels ont vu dans le recours à la Cour européenne la possibilité de faire désavouer un droit français perçu comme discriminatoire. Un grand nombre d'associations ont déposé des observations écrites et médiatisé l'affaire, considérée comme le fer de lance du combat en faveur de l'adoption par des couples homosexuels. En dépit, ou peut être à cause, de cette médiatisation, les requérantes n'ont pas obtenu satisfaction. La requête a été rejetée par six voix contre une, ce qui n'est d'ailleurs pas surprenant si, au-delà de l'approche militante, on considère l'approche juridique.
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Philippe Geluck. Le Chat. |
L'intérêt supérieur de l'enfant
La Cour s'appuie essentiellement sur l'intérêt de l'enfant, mis à mal par la spécificité juridique de l'adoption simple. En effet, l'article 365 du code civil prévoit que, dans ce cas, l'autorité parentale est transférée à l'adoptant. Ce principe ne souffre qu'une exception, en cas d'adoption par le conjoint marié, où l'autorité parentale est partagée entre les époux. En l'espèce, la mère biologique de l'enfant perdait donc l'autorité parentale, au profit de sa compagne dépourvue de tout lien biologique avec lui. La seule solution était donc de réaliser une délégation d'autorité parentale, autorisée par l'article 377 du code civil. L'adoptante demeurait alors titulaire de l'autorité parentale, mais acceptait de se dessaisir de son exercice concret au profit de la mère biologique.
Le droit français a toujours refusé cette pratique, pour deux motifs. D'une part, l'adoption simple est une procédure prévue pour permettre à l'adoptant de se substituer au parent biologique défaillant. La Cour de cassation, dans une
décision du 19 décembre 2007 refuse donc l'adoption simple, dès lors que la mère biologique n'est précisément pas défaillante. D'autre part, la délégation de l'autorité parentale ne peut être réalisée que "
si les circonstances l'exigent" et si elle est "
conforme à l'intérêt supérieur de l'enfant". C'est évidemment ce dernier point qui pose problème, dès lors qu'il est difficile de considérer que l'intérêt supérieur de l'enfant exige que sa mère biologique soit privée de son autorité parentale, pour ensuite se voir déléguer son exercice par une fiction juridique. La possibilité d'une rupture entre les deux partenaires du couple conduirait en effet à rattacher l'enfant à celle qui détient l'autorité parentale, la mère biologique se voyant contrainte de solliciter un droit de visite.
Dans les deux cas, le droit français sanctionne un détournement des procédures d'adoption et de délégation de l'autorité parentale, et considère que le droit ne peut évoluer dans ce domaine qu'à l'instigation du législateur. Dans sa décision rendue sur
QPC le 6 octobre 2010, le Conseil constitutionnel reprend cette analyse pour affirmer que l'article 365 du code civil est conforme à la Constitution.
L'absence de discrimination
Les requérantes invoquaient également une discrimination à l'égard des couples homosexuels, et c'est même sur ce point que résidait l'essentiel du recours. La Cour l'écarte cependant facilement, en faisant observant que cette interdiction de l'adoption simple par le conjoint s'applique à toutes les personnes qui ont choisi de conclure un Pacs, qu'elles soient hétérosexuelles ou homosexuelles. Il est donc impossible d'en déduire une discrimination fondée sur les orientations sexuelles.
Sur ce point, la décision diffère fondamentale de l'arrêt
E.B. c. France du 22 janvier 2008, sur lequel s'appuyait les requérantes. En effet, cette décision porte sur un refus d'agrément préalable à l'adoption opposé par les autorités compétentes à la requérante, entretenant une relation stable avec une femme. Or ce refus reposait presque exclusivement sur l'homosexualité de l'intéressée, alors que l'autorisation d'adopter est accordée au vu de nombreux critères. La Cour ajoute que le droit français autorise l'adoption d'un enfant par une personne célibataire, ce qui n'exclut évidemment pas qu'elle soit homosexuelle. Dans ce cas, l'adoption concerne des enfants adoptables, dont le lien avec les parents biologiques est rompu, quel que soit le motif de cette rupture. La décision du 15 mars 2012 envisage ainsi une situation très différente, et il n'est pas anormal que la solution apportée soit également différente.
La Cour fait preuve d'un solide bon sens, en considérant que l'adoption d'un enfant doit avoir pour objet de lui offrir une famille lorsqu'il n'en a pas, mais certainement pas pour conséquence de retirer l'autorité parentale à sa mère biologique.
La décision témoigne cependant de l'incapacité de notre système juridique à prendre en considération ces problèmes nouveaux. Le juge Costa, dans son opinion divergente, fait ainsi observer que le problème n'existerait plus si les deux partenaires étaient mariées. C'est vrai, mais la Cour considère, depuis sa décision
Schalk et Kopf c. Autriche du 24 juin 2010, qu'un Etat n'est pas obligé d'autoriser le mariage homosexuel. Autant dire que la décision repose désormais sur le Parlement français, solution qui intervient au moment précis où le candidat-Président Nicolas Sarkozy se déclare hostile à une telle réforme.
Sur la même décision, voir aussi la
note de Nicolas Hervieu dans la Lettre de CREDOF.