« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


vendredi 13 janvier 2012

Le SOPA, instrument du contrôle américain sur internet




Le Stop Online Piracy Act est un projet de loi actuellement débattu devant le Congrès américain. Il suscite actuellement un grand débat aux Etats Unis, où les plus grandes entreprises du net comme Google, Facebook, ou Wikipedia annoncent une action mondiale de blackout pour protester contre ce projet. Elles estiment en effet que la liberté d'expression sur internet se trouve directement menacée. 

Pour simplifier le propos, on  présente généralement en France le SOPA comme une sorte de "super Hadopi", puisqu'il s'agit de lutter contre le piratage sur internet pour protéger les droits des artistes et des créateurs sur internet. En réalité, le SOPA se montre beaucoup plus ambitieux, comme en témoigne l'exposé de ses motifs. Il se propose de "promote prosperity, creativity, entrepreneurship and innovation by combating the theft of US property, and for other purposes". La formule est claire : il s'agit, avant toute chose, de protéger les intérêts des Etats Unis. 

Un arsenal juridique sans précédent

Le SOPA prévoit la mise en oeuvre d'un véritable arsenal juridique au service du respect des droits d'auteur. Un site pourra être bloqué par une décision prise par le juge saisi par la personne lésée dans ses droits, et ce blocage sera directement exigé du fournisseur d'accès. Mais la menace ne s'arrête pas là. Le site fautif risque également de se voir interdire tout référencement dans les moteurs de recherche, privé de ressources publicitaires, et de l'usage de certains services, comme le paiement par internet. En clair, le SOPA organise l'asphyxie des sites mis à l'index. 

Cette technique ne vous rappelle rien ? C'est exactement celle qui fut utilisée, avec un certain succès contre Wikileaks, dans le but unique de faire cesser les révélations concernant la diplomatie et la défense des Etats Unis. Ces techniques qui ont alors montré leur efficacité sont donc recyclées au profit de l'intérêt des entreprises américaines, et de l'ensemble du pays. On ne change pas un système qui gagne, même s'il pose des problèmes constitutionnels et internationaux.




Le Premier Amendement

Le fait que le Congrès envisage un tel projet peut sembler quelque peu surprenant, dans un pays où la liberté d'expression a quelque chose de sacré. Le 1er Amendement prévoit en effet que "le Congrès ne fera aucune loi (..) qui restreigne la liberté d'expression, ni la liberté de presse (...)", et la Cour Suprême en donne une interprétation très rigoureuse. C'est ainsi que les citoyens américains ont le droit de brûler la bannière étoilée au nom du droit au "Symbolic Speech" et que les opposants ont pu librement manifester durant les funérailles officielles des militaires tués en Afghanistan, puisque la liberté de manifester est un élément de la liberté d'expression. 

Or, le SOPA est porteur d'une atteinte directe à la liberté d'expression,  Dans une lettre ouverte publiée en juillet 2011, 108 professeurs des droits des universités américaines ont mis ainsi en lumière de nombreux éléments d'inconstitutionnalité dans le texte. C'est ainsi que l'ensemble d'un site peut être bloqué s'il propose un seul contenu illégal. De fait, toutes les autres pages, parfaitement licites, font l'objet d'une censure illégale au sens du 1er Amendement, dès lors qu'elles font l'objet de la même interdiction.  D'autres cas d'inconstitutionnalité résident dans la procédure employée, puisque le blocage d'un site peut intervenir sans que ses responsables se voient offrir la possibilité de se défendre. Le respect des droits de la défense est donc pour le moins malmené. 

Universalisation de la loi américaine

Mais le plus grave est sans doute le fait que le SOPA est applicable en dehors des Etats Unis. En s'adressant aux intermédiaires, et notamment aux fournisseurs de noms de domaine, le SOPA peut sanctionner des sites qui ne sont pas hébergés aux Etats Unis. Devront-ils alors se soumettre au droit américain pour éviter une telle mesure ? L'enjeu est de taille, car le SOPA apparaît alors comme l'instrument d'une nouvelle forme d'impérialisme juridique. Pas un instant, les Etats Unis n'ont envisagé par exemple, une négociation internationale susceptible, par la voie conventionnelle, d'élaborer des standards internationaux dans ce domaine.

Or force est de constater que, pour le moment, les niveaux d'exigence sont très différents selon les Etats. Certains ne mettent en place aucune réelle protection du droit d'auteur et apparaissent désormais comme des "Paradis de données" où vont se réfugier les "sites voyous". D'autres, et c'est le cas en France, posent un principe d'irresponsabilité du fournisseur d'accès mais permettent le blocage des contenus illicites, mais seulement de ceux-là, et seulement des sites relevant du droit national.

Ces divergences ne sont pas surprenantes, à une époque où l'usage de l'internet commence seulement à susciter une certaine forme de réglementation. Sur ce point, le SOPA apparaît comme bien autre chose qu'un "super-hadopi". Sorte de cheval de Troie de la loi américaine, il apparaît comme l'instrument de son universalisation. Les Européens doivent en être conscients et développer rapidement leurs propres standards, avant que la censure américaine de l'internet ne devienne universelle.


mercredi 11 janvier 2012

L'évaluation par la délation au Quai d'Orsay


Les lecteurs du Journal officiel du 5 janvier 2012 ont découvert un arrêté du 26 décembre 2011 relatif à l'évaluation d'agents d'encadrement supérieur relevant du ministère des affaires étrangères. Son article 1er consacre la création, au Quai d'Orsay, d'un "dispositif d'évaluation, dit évaluation à 360°". En réalité, cette procédure est appliquée sans fondement juridique depuis plusieurs années, et l'objet réel de cet arrêté est de la pérenniser. Quant à l'évaluation "à 360°", la formule est mystérieuse, peut être même volontairement obscure, et on ne peut manquer d'observer que ce texte cultive l'ambiguité, ou plutôt les ambiguités. 


Un objet juridique non identifié

On constate d'emblée qu'il s'agit d'un texte sui generis, sorte d'objet juridique non identifié, qui semble relever de la seule initiative du ministre des affaires étrangères. Le statut des fonctionnaires ignore ce type de procédure. Il en est de même du décret du 28 juillet 2010, qui vient précisément d'entrer en vigueur le 1er janvier 2012, et qui porte sur "l'appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires de l'Etat". L'évaluation à 360° n'y figure pas, pas plus que dans le décret du 6 mars 1969 relatif au statut particulier des agents diplomatiques et consulaires. C'est un peu fâcheux si l'on considère qu'un arrêté a pour objet de définir les modalités d'exécution d'un autre texte, généralement un règlement. Cet arrêté cultiverait-il son mystère au point de ne pas nous révéler son fondement juridique ? Il est pourtant difficile de croire qu'il en soit dépourvu. 

Evaluation ou alerte ? 

L'article 2 de l'arrêté énonce que "l'évaluation à 360° constitue l'un des éléments permettant au ministre des affaires étrangères d'apprécier les capacités de l'agent évalué à exercer des emplois de haute responsabilité (...)". C'est donc un instrument d'aide à la décision, un outil permettant au ministre d'apprécier les qualités des hauts responsables placés sous son autorité. Certes, mais dans ce cas, l'évaluation ne peut être autre chose qu'un outil d'évaluation, au sens du décret du 28 juillet 2010 et du statut de la fonction publique. Il se trouve cependant que, dans toute la fonction publique, l'évaluation est organisée par les textes statutaires et effectuée par le "supérieur hiérarchique" et non par le ministre directement. A cet égard, l'arrêté écarte purement et simplement les instruments statutaires d'évaluation pour conférer au ministre un pouvoir tout à fait dérogatoire au droit commun. 

Il est vrai que le Quai d'Orsay semble hésiter sur la nature de cette procédure. Dans un article publié par Libération le 16 décembre 2010, la directrice des ressources humaines  évoquait déjà cette "évaluation à 360°" qui permet de "classer les ambassadeurs en trois catégories" : "Il y a les exceptionnels, parfaits en tout (...). L'immense majorité est constituée de ceux qui se débrouillent bien : leurs postes tournent. Et puis il y a un très petit nombre de gens au sujet desquels nous sommes alertés". Observons au passage qu'en décembre 2010, la procédure est déjà en vigueur, et que la directrice des ressources humaines semble la considérer comme un système d'alerte. 

Le système d'alerte trouve son origine dans l'entreprise, et plus précisément dans l'entreprise américaine. Dans la pure tradition du "Whistleblowing", le dispositif d'alerte professionnelle est une formule pudique pour désigner un système de communication interne permettant aux salariés de dénoncer les fraudes ou les malversations dont ils pourraient avoir connaissance. Le droit français se montre d'ailleurs très réservé vis à vis de ce greffon américain, et la Cour d'appel de Caen a annulé en référé, le 23 septembre 2011, un  système d'alerte qui avait été mis en place dans la filiale française d'une firme américaine, sans que le comité d'entreprise en ait été avisé. 

Quoi qu'il en soit, en dépit de ce qui était annoncé en décembre 2010, l'évaluation à 360° mise en place au ministère des affaires étrangères n'est pas un système d'alerte. La procédure décrite n'a pas pour objet de faire remonter des informations utiles aux autorités hiérarchiques,  du bas vers le haut, mais bien davantage d'effectuer un contrôle hiérachique du haut vers le bas. La responsabilité de l'évalution incombe ainsi au ministre lui-même, assisté par trois "évaluateurs centraux"qui définissent les critères de l'évaluation, la liste des agents appelés à y participer, et qui finalement "établissent pour chaque agent une synthèse de son évaluation". Autant dire qu'un petit groupe de fonctionnaires a pour mission d'organiser le management par le stress. 



Ruggero Raimondi. Air de la calomnie. Le Barbier de Séville


Evaluation ou sanction ?

La procédure proprement dite recèle bien d'autres incertitudes. Il est vrai que l'arrêté est constitué de seulement sept articles, dont deux ont trait à l'organisation matérielle de cette évaluation.

Le document essentiel, placé au coeur du processus d'évaluation, est un "questionnaire anonyme et sécurisé qui est rempli par - l'agent concerné qui procède à son auto-évaluation , - des responsables de services avec lesquels l'agent évalué est en relation directe de travail (...), - des collaborateurs directs de l'agent évalué". Une première lecture peut évidemment faire sourire, dès lors que le questionnaire anonyme rempli par la personne évaluée.. risque d'être moins anonyme. L'intervention de tiers, cette fois réellement anonyme, suscite cependant de réelles inquiétudes.

D'une part, on peut s'interroger sur l'influence qu'elle peut avoir sur le principe hiérarchique. Dès lors qu'un "agent d'encadrement supérieur" sait qu'il va être évalué par ses subordonnés, ou seulement par certains d'entre eux sans qu'il sache lesquels, ne risque-t-il pas d'hésiter à prendre certaines décisions ? Aura-t il  l'audace de refuser le renouvellement d'un contrat à un agent contractuel particulièrement peu actif ou incompétent dans l'exercice de ses fonctions, sachant que cet agent figure peut-être sur la liste de ceux qui doivent l'évaluer, et qu'il n'hésitera peut-être pas à l'accuser de toutes les turpitudes ? On le voit, cet anonymat risque de susciter l'immobilisme du supérieur hiérarchique, mais aussi, peut-être, des règlements de compte bien peu glorieux de la part de ses subordonnés.

D'autre part, on doit également se poser des questions sur l'influence de cet anonymat quant à  d'éventuelles poursuites disciplinaires qui seraient engagées à partir de cette évaluation anonyme. Un haut fonctionnaire sera-t-il sanctionné sur la base de témoignages anonymes ? Dans ce cas, le principe du contradictoire est évidemment violé de même que l'"égalité des armes" au sens où l'entend la Convention européenne des droits de l'homme. En effet, le haut fonctionnaire victime de la sanction ne bénéficie que d'un entretien avec les "évaluateurs centraux" (art. 6), mais il n'a pas le droit, par exemple, à une confrontation avec celui ou celle qui a porté contre lui des accusations qui peuvent être très graves. Il n'a même pas accès à l'intégralité du dossier mais seulement à une "synthèse" établie par ces mêmes "évaluateurs centraux".

L'égalité des armes

La commission d'accès aux documents administratifs (CADA) a bien vu le danger pour les droits de la défense que représente une telle procédure. Dans un avis du 4 novembre 2010, à l'époque où l'évaluation à 360° était mise en oeuvre sans aucun fondement juridique, elle a considéré comme communicables tous les documents ayant fondé l'évaluation d'un fonctionnaire du Quai d'Orsay. Aux yeux de la CADA, cette communication est indispensable, car le résultat de l'évaluation "est susceptible d'avoir une influence sur le déroulement de la carrière de l'intéressé".  La Commission s'efforce de rétablir l'égalité des armes, mais on doit observer que cet avis est resté lettre morte, le Quai d'Orsay ayant purement et simplement refusé de le suivre.

Cette question de l'égalité des armes conduit à s'interroger sur la finalité de cette procédure. En principe, une procédure d'évaluation n'a rien à voir avec le pouvoir de sanction. L'article 6 précise cependant que les "évaluateurs centraux", qui finissent par ressembler à des commissaires politiques, peuvent formuler des "recommandations". Et rien ne leur interdit, évidemment de "recommander" l'exercice du pouvoir de sanction, s'ils estiment que l'évaluation met en évidence des comportement fautifs.

C'est évidemment tout le danger de cette "évaluation à 360°" qui peut alors être présentée comme une alternative à la procédure de sanction prévue par le statut de la fonction publique. Et cette alternative permet au ministère des affaires étrangères de se dispenser du respect des garanties les plus élémentaires dues au fonctionnaire.

Sur ce plan au moins, la publication de l'arrêté du 26 décembre 2011 présente un aspect positif. En effet, cette "évaluation à 360°" qui existait déjà sans aucune base légale, est maintenant consacrée par un texte, et ce texte peut être contesté devant le juge. On peut en particulier se demander si une telle procédure ne relève pas d'un décret, voire d'une loi. Espérons que le Conseil d'Etat en sera bientôt saisi. 


mardi 10 janvier 2012

La privatisation de la sécurité : création du CNAPS

Le 9 janvier 2012, le ministre de l'intérieur, Claude Guéant, a procédé officiellement à l'installation du CNAPS, acronyme désignant le tout nouveau "Conseil national des activités privées de sécurité". Alain Bauer, "criminologue" officiel, candidat à toutes les présidences de toutes les structures créées dans le domaine de la politique sécuritaire, par ailleurs créateur d'une entreprise privée d'audit et de consultation dans ce domaine, a, comme il se doit, été élu Président de cette nouvelle instance. Il sera assisté d'un directeur, le préfet Jean-Yves Latournerie, désigné par le décret du 26 décembre 2011. 

Une communication réussie

Le CNAPS trouve son origine dans la loi du 14 mars 2011 sur la sécurité intérieure, dite Loppsi 2, ou plus exactement dans un amendement gouvernemental déposé devant le Sénat. Selon les éléments de langage diffusés par la presse, cet amendement trouve son origine dans le rapport remis au ministre de l'intérieur le 7 juin 2010 rédigé conjointement par l'inspection générale de l'administration et les inspections générales de la police (IGPN) et de la gendarmerie (IGGN). Ce rapport Blot, du nom de son rapporteur, aurait en effet préconisé la création d'une telle structure, afin d'organiser le contrôle de l'Etat sur ses entreprises privées de sécurité. Le conditionnel s'impose cependant, car le rapport Blot n'est pas publié et reste introuvable sur le site de ministère de l'intérieur, qui affecte pourtant une page spéciale au téléchargement des rapports des inspections générales. 

On trouve en revanche beaucoup de documents témoignant du désir des professionnels privés du secteur de bénéficier d'un tel encadrement. Le Président du syndicat national des entreprises de sécurité (SNES) déclarait ainsi, dans une interview,  : "Nous sommes pour l'instauration, enfin !, d'un interlocuteur unique pour la profession, que le SNES attend et réclame depuis des années. C'est là une avancée considérable dont nous nous félicitons". Ce point de vue, que l'on retrouve à peu près dans les mêmes termes, à l'Union des entreprises de sécurité privées (USP), n'a rien à voir avec la langue de bois d'usage dans ce type de situation. Il reflète au contraire parfaitement la position des professionnels du secteur, qui perçoivent le CNAPS comme un instrument d'organisation, indispensable dès lors que ces entreprises emploient  environ 165 000 personnes. 

La communication, parfaitement réussie, du ministère de l'Intérieur a donc pour objet de laisser croire que la création du CNAPS est seulement un instrument au service de l'Etat, alors qu'elle est aussi l'instrument de la privatisation de la sécurité.

Un instrument au service de l'Etat

Le nom de la nouvelle structure laisserait volontiers entendre qu'il s'agit d'une autorité indépendante, d'autant que l'organe délibérant est pompeusement qualifié de "collège". En réalité, le CNAPS n'est rien d'autre qu'un établissement public administratif, et le fameux "collège" ressemble fort à un conseil d'administration. 

La mission du Conseil, si l'on en croit la communication officielle, est de "faire le ménage", c'est à dire d'octroyer un agrément aux entreprises de sécurité, afin de "moraliser" un secteur qui comprend aussi bien les détectives privés que les gardiens d'immeuble en passant par les convoyeurs de fond et les agents de surveillance ou de vidéosurveillance. Pour effectuer cette mission de police administrative, le CNAPS disposera de 215 experts répartis sur l'ensemble du territoire, et qui auront pour mission de traquer les officines douteuses, celles qui ne respectent pas les règles organisant le secteur. 

Cette mission n'a rien de nouveau cependant, et depuis la loi du 12 juillet 1983, les activités privées de sécurité font l'objet d'une réglementation qui se traduit par l'octroi d'un agrément, matérialisé par une carte professionnelle (décret du 9 février 2009). La réforme actuelle se borne donc à transférer cette activité de police administrative des préfectures au CNAPS. 

De la même manière, le Conseil pourra être saisi par n'importe quel citoyen désirant se plaindre des agissements illégaux ou contraires à la déontologie d'une entreprise de sécurité privée, et, le cas échéant, prononcer des sanctions. Là encore, la défunte Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), créée 2000, exerçait cette mission avec une indépendance plus large, puisqu'il s'agissait d'une autorité administrative indépendante et non pas d'un établissement public. On peut s'interroger sur l'intérêt d'une telle fonction, car la CNDS avait été saisie de quatre plaintes portant sur des entreprises de sécurité privée entre 2000 et 2010, soit environ une tous les deux ans. 

Morris et René Gosciny. Lucky Luke contre Joss Jamon. 1958

Un instrument au service de la privatisation de la sécurité

On le voit, le CNAPS est sans doute un instrument au service de l'Etat, mais ses missions ne sont guère innovantes. On constate en revanche que les principales bénéficiaires de la création de ce nouveau établissement public sont les entreprises privées elles mêmes.  

L'affirmation peut surprendre, et pourtant... Sur le plan structurel, on observe que les professionnels du secteur ont obtenu une très large représentation au sein du conseil d'administration. On y trouve en effet 8 représentants des professionnels du secteurs, 13 de l'Etat, et quatre "personnalités qualifiées' (dont Alain Bauer). S'ils sont minoritaires sur le papier, les professionnels constituent une minorité suffisamment puissante pour pouvoir tirer parti de tous les soutiens dont elle disposera, et ils sont nombreux, parmi les "personnalités qualifiées" et les représentants des autorités publiques. 

De même, l'article 19 de la loi de finances rectificative pour 2011 prévoit que l'institution nouvelle sera financée par une taxe de 0,5 % des ventes de prestation de service d'activité de sécurité privée. Le budget annuel, fixé à environ 13 millions €, sera donc largement le produit de l'activité du secteur privé de la sécurité. Autant dire que le contrôle de ces entreprises est financé par elles-mêmes, ce qui leur confère évidemment un poids non négligeable dans la nouvelle institution. 


D'un côté, le gouvernement actuel a besoin des entreprises privées pour assurer des missions de sécurité que les forces et de gendarmerie ne peuvent plus assumer, faute des moyens nécessaires. La privatisation de la sécurité lui paraît la solution idéale pour vendre du sentiment de sécurité aux citoyens, sans pour autant investir dans la sécurité. De l'autre côté, celui des entreprises, le CNAPS permet une organisation en lobbying et une légitimité toute neuve, dans le cadre d'une institution entièrement tournée vers la privatisation de la sécurité. Ces petits arrangements entre amis apporteront sans doute des bénéfices substantiels à ceux qui considèrent la sécurité, non pas comme un service public, mais comme un marché.

samedi 7 janvier 2012

Le principe démocratique face aux 500 signatures

Les candidats aux élections présidentielles ont jusqu'au 16 mars 2012 pour présenter leurs 500 signatures. Certains ont beaucoup de difficultés pour obtenir ces indispensables "présentations" qui conditionnent leur éligibilité. Christine Boutin (PCD), Philippe Poutou (NPA), Marine Le Pen (FN) affirment ne pas être certains de pouvoir finalement être candidats. D'autres ne le disent pas, mais rencontrent les mêmes difficultés. Cette règle de procédure peut elle conduire à interdire purement et simplement à certains candidats de défendre leurs chances à l'élection présidentielle ?

La question ne relève pas seulement du droit électoral mais aussi du droit constitutionnel puisque, selon l'article 4 de la Constitution, "les partis concourent à l'expression du suffrage", formule dont on peut penser qu'elle les autorise à présenter des candidats aux élections. Elle relève aussi des libertés publiques, ou plus précisément des droits du citoyen. Cette règle de procédure destinée à rationaliser l'élection présidentielle se heurte en effet aux droits d'éligibilité et de vote. Directement pour le droit d'éligibilité, puisque celui qui n'a pas obtenu ses signatures ne peut être candidat. Indirectement pour le droit de vote dont le citoyen n'est pas réellement privé. Mais il voit son choix réduit, puisqu'il est contraint de reporter son suffrage sur un autre candidat, voire de voter nul, voire de ne pas voter du tout. Il conserve donc le droit de vote, mais perd celui d'affirmer clairement ses convictions.

Avant toute analyse de fond, il convient d'observer l'hypocrisie de la terminologie employée. Le droit électoral parle de "présentations" et se place donc du coté du signataire habilité, à titre personnel et individuel, à "présenter" un candidat. Dans la pratique cependant, il s'agit d'une recherche de "parrainages" dès lors que les candidats se voient contraints de solliciter les signatures par un éprouvant "porte à porte" électoral. 

Il faut alors se demander si les objectifs poursuivis par ce système de parrainages justifient une telle atteinte aux droits de vote et d'éligibilité des citoyens. 

Limiter le nombre des candidats

Le principe du parrainage existe depuis 1962, c'est à dire depuis l'origine de l'élection du Président de la République au suffrage universel, sous la Vème République. A l'époque, il suffisait d'obtenir 100 signatures d'élus pour pouvoir se présenter. La contrainte était donc fort légère, et le nombre de candidats a effectivement augmenté, passant de 6 en 1965 à 12 en 1974. Cette croissance peut cependant sembler bien naturelle, et atteindre une douzaine de candidats aux élections présidentielles n'aurait pas dû, a priori, susciter d'inquiétudes pour l'exercice de la démocratie.

Monsieur Giscard d'Estaing, une fois élu, a cependant estimé que ce nombre était trop élevé. En 1976, la loi électorale a donc été modifiée. Désormais, il faut réunir 500 signatures provenant de 30 départements différents, avec, au maximum, 50 signatures par département. Seuls les élus peuvent parrainer une candidature, soit les maires des 36 000 communes auxquels il faut ajouter les parlementaires, les conseillers régionaux et généraux ainsi que les membres de l'assemblée corse et des assemblées d'outre-mer, soit un collège potention d'environ 45 000 signataires.

Cette réforme a empêché Jean Marie Le Pen de se présenter aux présidentielles de 1981, alors même qu'il avait pu faire acte de candidature en 1974. Pour autant, elle n'a pas réellement eu l'effet annoncé. S'il est vrai que l'on est passé de 12 candidats en 1974 à 10 en 1981 et  9 en 1988 et 1995, le nombre de candidatures remonte ensuite à 16 candidats en 2002, pour se stabiliser à 12 en 2007. Le nombre de candidats est certes élevé, mais il est absolument identique en 1974 et en 2007, ce qui montre bien l'inutilité totale de la réforme de 1976. 

Empêcher les candidatures fantaisistes

On peut comprendre la volonté d'éviter les candidatures fantaisistes. La première d'entre elles, sous la Vè République, est celle de Pierre Dac, qui s'est déclaré candidat aux présidentielles de 1965, Chef du Parti d'en rire et Président du Mouvement ondulatoire unifié (MOU), Pierre Dac affiche une devise toujours d'actualité,  "Les temps sont durs, vive le MOU", Il retirera sa candidature à la demande personnelle du général de Gaulle, qu'il avait rejoint dans la France Libre. Rien ne dit qu'il ait jamais cherché à obtenir les cent signatures nécessaires à l'époque pour concrétiser sa candidature.


Plus tard, Coluche et Dieudonné se sont trouvés dans des situations à peu près identiques.  Déclarés candidats, l'un en 1981, l'autre en 2002, tous deux ont renoncé avant que la question des 500 signatures se pose réellement. Et s'ils avaient alors affirmé avoir des promesses de parrainages, des études récentes montrent qu'ils n'ont jamais sérieusement démarché les élus.

De toute évidence, la menace que constituent les candidatures fantaisistes peut être écartée par d'autres moyens qu'une procédure de parrainages qui sanctionne l'ensemble des petits candidats, fantaisistes ou non.

La règle des 500 signatures n'a pas atteint les objectifs annoncés. Dans ses observation sur les présidentielles de 2002, le Conseil constitutionnel affirmation déjà être "conduit à s'interroger sur le bien-fondé des règles de présentation (...)". De même, le Comité Balladur, réuni en 2007 à l'initiative du Président Sarkozy, a proposé la suppression du système actuel au profit de la création d'un collège de 100 000 électeurs chargé de désigner la liste des candidats.

Reste à se demander pourquoi aucune réforme n'est intervenue, ce qui conduit à envisager la troisième finalité, non écrite, de ce système de parrainages. 

Un instrument de pression

Dès lors que le collège des signataires est essentiellement composé d'élus locaux, les grands partis n'hésitent pas à faire pression sur eux pour qu'ils signent, ou ne signent pas. N'est il pas tentant de "signer" pour un candidat d'opposition qui risque de "mordre" sur l'électorat de l'adversaire principal ? N'est-il pas tentant de donner des consignes visant à éliminer le Front National de l'élection si on pense que son candidat risque de mordre sur l'électorat du Président sortant ou d'empêcher le leader de l'opposition d'être présent au second tour ? Toutes les manoeuvres sont possibles.

Cette procédure est donc l'instrument de tactiques politiques visant à éliminer l'un ou l'autre, ou au contraire à favoriser la candidature de l'un ou l'autre, pour le seul intérêt des grands partis.

Le débat électoral impose pourtant l'égalité entre les candidats, petits et grands. Christine Boutin ou Philippe Poutou représentent peut être 1% des voix, mais cette estimation est sans influence sur leur droit d'exprimer l'opinion de leur parti par une candidature aux présidentielles.Celle-ci a précisément pour objet d'accroître leur audience dans l'opinion, et cette préoccupation est parfaitement légitime.

Quant à Marine Le Pen, quoi qu'on pense du programme politique du FN, elle a évidemment le même droit de défendre les opinions de son parti. Peut on d'ailleurs envisager qu'environ 20 % du corps électoral se sente frustré dans ses convictions et ait le sentiment d'être privé de son droit de suffrage ? On le voit, c'est le principe démocratique lui-même qui se trouve menacé. Car le débat politique ne peut se développer que dans l'espace démocratique, et combattre les idées de madame Le Pen implique qu'elle puisse les exprimer, y compris par la voie électorale. Et il appartiendra au corps électoral de trancher, comme toujours dans un régime démocratique.

jeudi 5 janvier 2012

Enfin le consensus sur la garde à vue ?

Le Sénat va bientôt voter sur une proposition de résolution européenne "sur le droit d'accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et le droit de communiquer après l'arrestation". A dire vrai, ce texte est assez largement passé inaperçu, ne serait-ce que parce qu'il a été enregistré à la Présidence de la Haute Assemblée le 23 décembre, date plus propice aux achats de Noël qu'à la réflexion sur la procédure pénale. 

Il faut ajouter que le droit français de la garde à vue a suscité, depuis l'été 2010, deux QPC, une décision de la Cour européenne, quatre de la Cour de cassation, sans oublier évidemment la loi du 14 avril 2011. La liste n'est pas close puisque l'on attend encore une QPC sur la constitutionnalité de la procédure de garde à vue mise en place dans les affaires de terrorisme qui accompagne le recours devant le Conseil d'Etat contre le décret d'application de la loi de 2011. Cet afflux de textes et de décisions provoque certainement un peu de lassitude chez les commentateurs, d'autant que la  QPC du 18 novembre 2011, semble avoir définitivement écarté les dernières revendications des avocats. Elle refuse en effet de considérer comme inconstitutionnelles les dispositions relatives à l'"avocat taisant" ou lui interdisant l'accès au dossier ainsi qu'à certains actes de procédure.

Un débat déplacé au plan communautaire

La proposition sénatoriale, alors même qu'elle n'a pour objet que le vote d'une résolution (art 73- du règlement intérieur), montre que le débat s'est désormais déplacé au plan communautaire. Après un Livre Vert de février 2003, la Commission a présenté en 2004 une proposition de décision-cadre pour définir un socle commun de procédures applicables aux personnes soupçonnées d'avoir commis une ou plusieurs infractions. Les Etats membres ne sont pas parvenus à s'accorder sur ce texte, et la Commission a finalement choisi de procéder par étapes, choix concrétisé par une "feuille de route" adoptée par le Conseil européen en décembre 2010. 

La première étape, la plus facile à franchir, a conduit à l'adoption d'une directive du 20 octobre 2010 qui permet à la personne soupçonnée de bénéficier des services d'un traducteur. La seconde, encore en cours de négociation, traite du droit d'être informé sur les droits et les charges retenues. La troisième, celle qui précisément donne lieu à la proposition sénatoriale, a essentiellement trait au droit à l'assistance d'un avocat. 

Le projet de directive

Le projet de directive diffusé en juillet 2011 est, pour une large part, assez proche de la loi française du 14 avril 2011. C'est ainsi qu'il consacre le droit à l'assistance d'un avocat  "dès que possible" après l'arrestation. Mais il va aussi bien au-delà du texte français, et reprend la plupart des revendications des avocats, celles qui s'étaient exprimées de manière particulièrement nette lors de la QPC du 18 novembre 2011. Est ainsi autorisée la participation active de l'avocat aux auditions et interrogatoires, et à tous les actes de procédure impliquant la présence du gardé à vue. De la même manière, l'avocat se voit confier une mission générale de contrôle des lieux de détention, mission que les Barreaux n'avaient d'ailleurs jamais clairement revendiquée dans notre pays. 

Les dispositions rejetées par le Conseil constitutionnel pourraient donc finalement intégrer notre système juridique par le vecteur du droit communautaire. Et c'est précisément ce que veut éviter le Sénat. 


Otto Dix. Portrait de l'avocat Hugo Simons. 1925

La recherche de l'équilibre 

La proposition de résolution sénatoriale a certes été présentée par le sénateur UMP du Nord, Jean-René Lecerf, mais elle a été adoptée à l'unanimité par la Commission des affaires européennes. C'est tout l'intérêt de ce texte, qui dégage, pour la première fois, un consensus parlementaire sur le sujet. Force est de constater en effet que la nouvelle majorité sénatoriale, pourtant clairement à gauche, ne souhaite pas accroître les prérogatives de l'avocat durant la garde à vue. 

La proposition de résolution repose sur trois principes fondamentaux qui constituent le socle de cette proposition de résolution.

Le premier est l'indispensable équilibre entre les droits du gardé à vue et les nécessités de l'enquête. Pour reprendre la formule d'Alain Richard pendant les débats en commission, les sénateurs estiment "qu'une garde à vue constitue une véritable course contre la montre au cours de laquelle un équilibre délicat doit être maintenu entre l'objectif de recherche des infractions et la défense des droits de la personne".  Au nom de cet équilibre, ils refusent la présence de l'avocat à tous les actes de procédure, estimant qu'elle n'est pas utile sur le fond, et aurait pour seul effet de ralentir l'enquête. 

D'autre part, les sénateurs veulent empêcher toute confusion entre les phases policière et judiciaire de l'enquête, confusion qui conduirait inéluctablement à un judiciarisation de la garde à vue. A leurs yeux, la garde à vue demeure une mesure de police judiciaire qui n'a pas pour objet d'imposer un débat contradictoire sur les éléments de preuve réunis pendant l'enquête. Ce débat se déroule ensuite, durant l'instruction. 

Enfin, les auteurs de la proposition s'opposent totalement à ce que les avocats se voient confier une mission de contrôle des lieux de détention. Les sénateurs constatent que cette fonction est déjà assurée par le procureur de la République, le juge d'instruction, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, voire le parlement. Or, tous ces intervenants ont un statut d'indépendance que n'a pas l'avocat, qui se rend sur les lieux de détention essentiellement dans le but de défendre son client. 

Cette position ferme est exactement celle développée par les gouvernements français, belge, irlandais, néerlandais et britannique dans une note conjointe du 22 septembre 2011, dans laquelle ils expriment des réserves sur ces points. On le voit, la directive communautaire risque de demeurer encore longtemps à l'état de projet. Quant au débat sur la garde à vue, il aura au moins réussi à provoquer l'union nationale..

mardi 3 janvier 2012

Dominique Tiberi et l'égalité d'accès aux emplois publics


Le 23 décembre 2011, le Conseil d'Etat a rendu un arrêt annulant la nomination de Dominique Tiberi au poste de contrôleur général économique et financier. La décision n'est pas passée inaperçue, en raison de la personnalité en cause, puisqu'il s'agissait du fils de l'ancien maire de Paris. Sa nomination était même présentée par certains comme l'élément d'un accord, permettant de libérer une circonscription parisienne pour accueillir la candidature du Premier ministre. Autant dire que les conséquences politiques de cette décision ont été largement commentées, mais que ses fondements juridiques n'ont été que fort peu évoquées.  

L'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen

Même s'il n'est pas formellement mentionné dans les visas, l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 est au coeur de cette décision : "(La loi) doit être la même pour tous. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents". L'égalité d'accès aux emplois publics est aujourd'hui un principe républicain, sur lequel doit s'appuyer un gouvernement qui se veut "irréprochable". 

C'est précisément ce qu'a affirmé avec force le Conseil d'Etat dans un arrêt Barel de 1954, déjà intervenu à propos d'un héritier, cette fois le fils d'un député communiste, qui s'était vu radier de la liste des candidats admis à participer au concours de l'Ecole nationale d'administration. Pour le juge, l'administration avait violé l'égalité d'accès aux emplois de la fonction public, dès lors que "des circonstances et des faits précis" laissaient penser que le requérant avait été écarté du concours en raison de ses opinions politiques. 

Plus près de nous, dans un arrêt El Haddioui du 10 avril 2009, le Conseil d'Etat rappelle qu'un jury de concours ne peut départager les candidats en leur posant des questions sans lien avec leur aptitude à remplir l'emploi. L'égalité d'accès aux emplois public implique donc nécessairement, et heureusement, un lien entre les aptitudes du candidat et l'emploi auquel il postule.  

Egalité et tour extérieur

Si l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme ne figure pas dans les visas de la décision Tiberi, c'est tout simplement que la nomination de M. Tiberi à un poste de contrôleur général économique et financier n'est pas la résultat d'un concours, mais d'une nomination au tour extérieur, d'ailleurs prévue par l'article 8 de la loi du 13 septembre 1984. On sait en effet que 1/5 des emplois vacants des corps d'inspection et de contrôle peuvent être pourvus par décret en conseil des ministres "sans condition autre que l'âge".

De cette formulation, il est probable que l'Exécutif ait considéré que, si le candidat avait l'âge requis, il n'était sans pas indispensable qu'il ait, en outre, des compétences particulières pour exercer ce type d'emploi. Sur ce point, il pouvait d'ailleurs s'appuyer sur l'arrêt du 25 février 2011 qui refusait d'annuler la nomination d'un autre héritier, M. Arno Klarsfeld, au Conseil d'Etat. 

La nomination au tour extérieur n'exclut cependant pas, conformément au principe d'égalité d'accès aux emplois publics, l'appréciation du lien entre les aptitudes du candidat et l'emploi auquel il postule. L'article 8 de la loi du 13 septembre 1984 prévoit ainsi l'intervention d'une commission "chargée d'apprécier l'aptitude des intéressés à exercer leurs fonctions (...) en tenant compte de leurs fonctions antérieures et de leur expérience". En l'espèce, la Commission avait donné un avis défavorable à la nomination de l'intéressé, faisant observer "qu'il n'avait exercé ni des responsabilités d'encadrement ou de direction, ni des fonctions d'analyse et d'expertise approfondies à caractère économique et financier".

Salvador Dali. Le cheval de Caligula. 1971

L'erreur manifeste d'appréciation

Le Conseil va finalement exercer un contrôle de l'"erreur manifeste d'appréciation". Cette notion exprime  l'idée que le pouvoir discrétionnaire de l'administration est limité par l'interdiction d'apprécier de manière manifestement erronée les faits qui sont à la base de la décision. 

Il se trouve que le contrôle de l'erreur manifeste a été étendu aux nominations au tour extérieur par un arrêt d'assemblée du Conseil d'Etat du 16 décembre 1988, Association des administrateurs civils c. D. A partir de cette date, le juge administratif accepte ainsi de contrôler l'existence d'un minimum d'adéquation entre les connaissances et la formation de la personne ainsi désignée et l'emploi qu'elle se voit offrir. Lorsque cette adéquation n'existe manifestement pas, le juge annule la nomination pour illégalité. 

Bien sûr, le Conseil d'Etat aurait pu se montrer encore plus sévère et estimer que la désignation de Dominique Tiberi était l'exemple type d'une "nomination pour ordre", que l'on peut définir comme le fait d'investir une personne d'une fonction, non pour qu'elle l'exerce, mais pour qu'elle en tire les avantages qui lui sont attachés. Mais les preuves d'une telle finalité sont cependant bien difficiles à trouver car il s'agit alors, comme dans le détournement de pouvoir, d'apprécier directement les motivations de l'auteur de la nomination. La sanction pour erreur manifeste est déjà  lourde pour un Exécutif coupable d'avoir fait prévaloir l'amitié politique sur le mérite.