« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


jeudi 6 octobre 2011

Système d'alerte et délation

Une décision de la Cour d'appel de Caen rendue le 23 septembre 2011 vient enfin de définir les limites aux "systèmes d'alerte" qui tendant à se développer dans le monde du travail, aussi dans la fonction publique que dans l'entreprise. 

La société B. G., dont le siège est situé à Hérouville Saint Clair est une filiale du groupe américain Stryker. Or le droit américain impose aux société cotées en bourse le respect des règles de transparence comptable et financière fixées par la loi Sarbanes-Oxley de 2002. Parmi celles-ci figurent la création d'un système de contrôle interne destiné à lutter contre la fraude, à assurer la sincérité des comptes, et à developper une organisation plus efficace et plus performante. 

L'entreprise B.G., spécialisée dans la fabrication de matériel médical, a donc mis en place un "dispositif d'alerte professionnelle", formule pudique pour désigner un système de communication  permettant aux salariés de dénoncer les fraudes ou malversations dont ils auraient connaissance. Imposé chez Skyper, dans la pure tradition américaine du "Wistleblower", ce "dispositif d'alerte professionnelle", a donc également été mis en oeuvre dans ses filiales françaises. 

Ce greffon américain pose cependant quelques problèmes au regard du droit français, en raison des très grandes divergences entre les deux systèmes juridiques. Aux Etats-Unis,  le droit de l'informatique et de l'internet est dominé par le principe de libre circulation de l'information. Les contraintes juridiques qui pèsent sur l'entreprise sont donc extrêmement légères dans ce domaine, et rien ne lui interdit de mettre en place un véritable système de délation. En France, les notions de vie privée et de protection des données sont plus exigeantes, ce qui va donc permettre à la CNIL et au juge de poser des limites à ces "systèmes d'alerte"

De l'alerte à la délation

La Cour d'appel de Caen confirme une décision de référé rendue par le TGI le 5 novembre 2009, ordonnant la suspension du "système d'alerte" mis en place dans l'entreprise en juillet 2008, en dépit de trois avis défavorables du comité d'entreprise. En l'espèce, la Cour aurait pu ordonner cette suspension, dès lors que le champ d'application de ce dispositif d'alerte avait été élargi subrepticement, sans que le comité d'entreprise ni le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) aient été consultés. Le juge précise que "cette absence de consultation sur un sujet particulièrement sensible et suscitant l'inquiétude des salariés caractérise le trouble manifestement illicite justifiant, au premier chef, la suspension du dispositif d'alerte". 

Chapiteau dit "de la calomnie". Eglise de Mareuil sur Lay. Vendée
Le juge refuse cependant de se fonder sur ce seul manquement à la procédure. Il fait observer que la délibération de la CNIL du 8 décembre 2005 portant autorisation des traitements automatisés d'alerte professionnelle limite avec précision les domaines dans lesquels ces dénonciations peuvent intervenir : comptabilité, finances, banque, lutte contre la corruption. Or, s'il est vrai que le dispositif prévoyait la destruction de dénonciations portant sur un autre sujet, la page d'accueil du site informait le salarié de la possibilité de "rapporter (...) à la société tout mauvais comportement soupçonné ou d'autres problèmes". En outre, toute dénonciation était nécessairement transmise aux services de l'entreprise américaine Skyper... avant d'être officiellement détruite. En clair, la destruction des données était limitée au territoire français, et les dénonciations étaient finalement conservées aux Etats Unis, pays doté d'un système juridique beaucoup plus compréhensif. Le juge en déduit, à juste titre, que le système "favorise les dénonciations de toutes sortes". 

De la délation à la dénonciation anonyme

La délibération de la CNIL de 2005 n'autorise ces traitements d'alerte professionnelle qu'à la condition, énoncée dans son article 2, que les salariés qui envoient ces courriels d'alerte s'identifient clairement. Certes, il n'est pas interdit à l'entreprise d'assurer ensuite la confidentialité de ces alertes, mais cette confidentialité du texte a posteriori ne saurait emporter l'anonymat de son auteur. 

En l'espèce, la page d'accueil du site précisait pourtant que chaque salarié pouvait rapporter "de manière anonyme" tout "mauvais comportement soupçonné", formulation qui incite au contraire à l'anonymat, mais aussi à la communication de simples soupçons. Il est dès lors impossible les détournements de finalité de ce système d'alerte, qui devient un système de délation, de communication de rumeurs malveillantes, voire de pur et simple règlement de compte. 

Cet anonymat a pour effet de rendre inopérante en pratique la procédure contradictoire. La CNIL prévoit en effet qu'une personne mise en cause par ce type d'"alerte" doit être informée de l'accusation portée contre elle (art. 9 de la délibération). Mais il est bien difficile de se défendre lorsque l'on ignore qui vous accuse. Et il est tout aussi difficile de mettre en oeuvre la procédure contradictoire puisque celle ci ne se déroule qu'entre le salarié "accusé" et l'entreprise. Toute confrontation directe est donc impossible, et l'accusateur demeure dans le confort de l'anonymat. 

En décidant la suspension de ce système d'alerte, la Cour d'appel de Caen a rendu une décision qui rétablit une certaine forme d'état de droit dans l'entreprise. Surtout, elle a mis un frein à ces greffes de plus en plus nombreuses de procédures directement inspirées d'un droit américain bien peu respectueuses des droits individuels des salariés. 

Et les fonctionnaires ?

Cette décision aura-t-elle un impact sur le droit de la fonction publique ? Théoriquement non, puisque les fonctionnaires sont soumis à un statut légal qui n'a rien à voir avec la situation de l'employé d'une entreprise privée. On observe cependant que les administrations tendent à se doter de systèmes d'alerte à peu près identiques, censés améliorer le fonctionnement du service. 

Dès son rapport 2007-2088 sur l'état de la fonction publique, le ministère du Budget se réjouissait du développement de "bonnes pratiques concernant les modalités de gestion de l'encadrement supérieur". Et il citait en exemple l'organisation par le Quai d'Orsay d'entretiens d'évaluation à 360° pour les ambassadeurs. Ces "entretiens d'évaluation" sont précédés d'une enquête qui permet aux employés des ambassades, c'est à dire à leurs subordonnés, de pratiquer la délation en restant assurés d'un anonymat confortable. La personne "évaluée" se voit ainsi confrontée à des rumeurs, à des ragots certainement davantage fondés sur la rancoeur, l'animosité personnelle de tel ou tel employé, voire l'esprit de vengeance, que sur la volonté d'améliorer le service. Le ministère des affaires étrangères refuse systématiquement des communiquer  à l'intéressé les rapports élaborés à la suite de ces entretiens. Des procédures disciplinaires sont donc engagées, des sanctions sont prononcées, à l'issue d'une procédure qui repose parfois sur le témoignage d'une seule personne. 

Mis en oeuvre dans la fonction publique, ces systèmes conduisent à une remise en cause des garanties du statut des fonctionnaires. On peut espérer que le juge administratif, un jour ou l'autre saisi de la régularité de ces procédures, suivra l'exemple de la Cour d'appel de Caen et mettra fin à cette nouvelle forme de management par la délation. 


mardi 4 octobre 2011

Eloge du juge d'instruction : les Pieds Nickelés face à l'Etat de droit


Chaque jour apporte son scandale,  relayé par la presse sous forme de feuilleton. Des épouses divorcées "balancent" leur ancien mari, pour reprendre l'heureuse formule d'un ancien ministre de l'Intérieur, des proches du Président de la République sont auditionnés ou mis en examen, des magistrats enquêtent sur d'autres magistrats, des policiers arrêtent d'autres policiers.  On serait tenté de sourire à cette évocation de scénarios qui semblent directement inspirés des aventures des Pieds Nickelés.  


La réaction la plus fréquente, la plus présente dans les médias, la plus exploitée aussi dans la campagne électorale déjà engagée, est une certaine consternation, un sentiment de déliquescence, l'idée que la corruption atteint désormais le niveau le plus élevé de l'Etat. Bien sur, notre histoire récente, ou plus ancienne, a déjà connu des contrats d'armement accompagnés de rétrocommissions, des enveloppes ou des valises d'argent circulant pour financer quelque campagne électorale, des arrestations de policiers ripoux ou de politiciens corrompus. Le problème est que ces évènements, jadis exceptionnels, semblent aujourd'hui banalisés. Au moment précis où la crise financière peut devenir catastrophique, la classe politique apparaît davantage animée par l'instinct de prédation que par la recherche de l'intérêt général et le sens de l'Etat.





Cette analyse pessimiste, de nature politique, fait cependant écran à l'étude juridique du phénomène. On peut le regretter car, sur ce plan, on peut davantage se montrer optimiste, comme si l'Etat de droit, lorsqu'il se sent agressé, trouvait toujours les moyens de réagir. 

Souvenons nous qu'en janvier 2009 le Président de la République, s'appuyant sur le désastre de l'affaire d'Outreau, proposait une révision du Code pénal destinée à introduire dans notre pays un système judiciaire directement inspirée du droit américain. A la procédure inquisitoire mise en oeuvre par un juge d'instruction qui instruit à charge et à décharge aurait succédé une procédure accusatoire opposant un procureur aux avocats de la défense. C'était d'ailleurs le sens des préconisations du rapport Léger remis au Président de la République le 1er septembre 2009. Cette procédure, bien connue grâce aux séries américaines, avait évidemment la faveur des avocats auxquels elle offrait un rôle accru dans le procès pénal, avocats par ailleurs bien représentés au plus haut sommet de l'Etat. 

La réforme n'a cependant pas pu voir le jour, du fait de la résistance opiniâtre des magistrats, notamment d'un certain Renaud van Ruymbeke, qui publia alors dans le Journal du Dimanche un entretien dans lequel il dénonçait ce projet comme une "reprise en main par le pouvoir". 

Si l'on examine les "affaires" actuelles, on peut se demander si elles ne constituent pas l'illustration du caractère indispensable du juge d'instruction, magistrat indépendant, dont l'impartialité ne peut être suspectée. Ces deux éléments, indépendance et impartialité, sont des principes fondamentaux de notre procédure pénale, mais ils apparaissent encore plus nécessaires pour traiter de cette délinquance particulière des milieux politiques, économiques ou financiers. 

Supposons un instant, mais seulement un instant, que la réforme voulue par le Président de la République ait été votée, et que les juges d'instruction aient aujourd'hui disparu. Pense-t-on sérieusement qu'un procureur soumis à l'autorité du Garde des Sceaux aurait pu traiter d'affaires mettant en cause des proches du pouvoir en place ? Le simple exemple de l'affaire Woerth Bettencourt suffit à l'illustrer, puisque le procureur de Nanterre  s'est opposé durant plusieurs mois à la désignation d'un juge d'instruction, faisant même la sourde oreille  aux recommandations du procureur général près la Cour de cassation. C'est finalement le dépaysement de l'enquête à Bordeaux par la Cour de cassation elle-même qui a permis de relancer l'instruction.

Ce rôle du juge d'instruction n'est pas seulement positif pour l'accusation, il l'est aussi pour la défense. L'instruction qui se déroule à charge, mais aussi à décharge, permet aux avocats d'exercer les droits de la défense dans toute leur plénitude. Ils ont accès au dossier et peuvent contester les décisions prises, à toutes les étapes de l'instruction. 

On dira bien sûr que ces juges d'instruction, dont l'existence même a été menacée, ne sont pas fâchés aujourd'hui de mettre en examen ceux qui précisément souhaitaient leur disparition. Sans doute, mais le meilleur moyen de ne pas être mis en examen n'est-il pas, somme toute, de mener une politique tout entière tournée vers l'intérêt général...  une "République irréprochable" ?

lundi 3 octobre 2011

HADOPI, le 1er rapport d'activité

La Haute autorité pour la protection des oeuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI) a présenté son premier rapport le 29 septembre 2011, après dix-huit mois d'activité. La presse a surtout retenu les chiffres rendus publics à cette occasion, révélant que l'HADOPI a demandé aux fournisseurs d'accès d'identifier 1 023 079 adresses IP, que 470 935 courriels d'avertissement et 20598 courriers recommandés ont été envoyés. S'appuyant sur ces chiffres, le rapport observe que "la réponse graduée fonctionne" et s'en félicite. Le rapport développe par ailleurs un discours volontariste, faisant notamment des propositions pour développer les pouvoirs d'investigation de l'HADOPI.

"La réponse graduée fonctionne"

La loi met en place une procédure de sanction tout à fait particulière qui a d'ailleurs rencontré quelques difficultés lors de la saisine du Conseil constitutionnel. Dans sa décision du 13 juin 2009, celui-ci a  déclaré inconstitutionnelles les dispositions autorisant l'HADOPI à priver de son accès à internet le titulaire d'un abonnement. Cette sanction portait en effet une atteinte excessive à la liberté d'expression, d'autant qu'elle n'était pas prononcée par un juge, mais par une autorité administrative indépendante

La procédure a finalement été précisée par le décret n° 2010-872 du 26 juillet 2010. Ce dispositif de la réponse graduée repose sur l'envoi, par l'HADOPI, ou plus exactement par sa Commission de protection des droits, de messages d'avertissement aux abonnés ayant procédé à des téléchargements illégaux. Lorsqu'un manquement est constaté, cette Commission envoie d'abord un message électronique appelé "recommandation". En cas de récidive dans un délai de six mois, le contrevenant reçoit un second avertissement, cette fois par lettre recommandée. Enfin, un nouveau manquement dans un délai d'un an suivant l'envoi de cette seconde "recommandation" suscitera une nouvelle lettre, préalable à une éventuelle saisie du parquet.

Les chiffres cités indiquent qu'en effet la "réponse graduée" fonctionne. S'il est vrai que le rapport insiste sur le nombre de courriels et de lettres effectivement envoyés, il se montre en revanche remarquablement discret sur le nombre de dossiers effectivement transmis au parquet. C'est seulement en juillet 2011 qu'une dizaine d'abonnés ont été convoqués, pour venir s'expliquer devant la Commission de protection des droits. Si leur défense n'apparaît pas convaincante, leur dossier sera effectivement transmis au parquet qui décidera de l'opportunité des poursuites. Les contrevenants seront peut être condamnés à une amende de 1500 € ou à une suspension de leur abonnement. Plus de 470 000 courriels envoyés... et une dizaine de personnes qui seront, peut-être, poursuivies. De toute évidence, de tels résultats ne risquent guère de dissuader ceux qui téléchargent illégalement des oeuvres protégées par des droits d'auteur.

La thèse officielle, celle développée par l'HADOPI dans son rapport, est que l'absence de poursuites, du moins jusqu'à aujourd'hui, se justifie par la volonté de développer une pédagogie, une sensibilisation, avant de mettre en oeuvre les instruments coercitifs. Cet argument peut certainement être défendu, mais encore faut-il que cette action de sensibilisation soit efficace. Or, le rapport mentionne que 76 % des abonnés qui prennent contact avec l'HADOPI demandent le détail des oeuvres qu'ils sont censés avoir téléchargé. La loi interdit pourtant cette communication, ce qui signifie que les abonnés ignorent pour quel fichier ils reçoivent un avertissement. Ce n'est sans doute pas le meilleur moyen de faire oeuvre pédagogique.

L'élargissement des pouvoirs d'investigation

Dans son rapport, l'HADOPI manifester sa volonté d'examiner de près les différentes plate-formes de streaming et de téléchargement, dans le but d'évaluer la proportion de contenus illicites téléchargés. De fait, la Haute Autorité a mis en oeuvre un projet de recherche et développement visant à déterminer, parmi les "vecteurs de consommation de biens culturels les plus utilisés, ceux qui sont manifestement employés à des fins illicites".

On peut s'interroger sur une démarche qui vise à faire de l'HADOPI l'instrument d'une surveillance globale du réseau internet, démarche qui semble aller au-delà des missions qui lui sont attribuées par la loi du 12 juin 2009. Il est vrai que la Haute Autorité a pour mission d'"encourager et de développer l'offre légale", y compris en mettant en oeuvre une labellisation des sites licites et en contrôlant les systèmes de filtrage, mais cela ne signifie pas nécessairement une surveillance aussi totale des contenus diffusés sur un internet.



Mais l'inquiétude vient surtout de cette référence aux vecteur de consommation utilisée de manière "manifestement illicite". La formule semble directement inspirée de l'"amendement Vivendi", devenu l'article L 335-2- al. 1 du code de la propriété intellectuelle : "Est puni de 3 ans d'emprisonnement et de 300 000 € d'amende le fait d'éditer, de mettre à la disposition du public ou de communiquer au public, sciemment et sous quelque forme que ce soit, un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisé d'oeuvres ou d'objets protégés". Sont à l'évidence visés les sites P2P, de streaming ou de téléchargement.

La question essentielle est de savoir à partir de quelle quantité de données illicites le vecteur deviendra lui-même illicite.. La formule manque pour le moins de rigueur. Malgré cela, elle laisse apparaître une menace à peine voilée d'exiger des fournisseurs d'accès le blocage pur et simple de ce type de sites.

Un rapport incantatoire ?

Cette approche volontariste peut sembler incantatoire, tant il est vrai que la loi HADOPI paraît aujourd'hui menacée. D'un côté, une véritable offensive internationale contre la réponse graduée s'est développée, avec notamment le rapport de l'OSCE diffusé au mois de juillet. De l'autre, une offensive politique évidemment plus menaçante à quelques mois des élections présidentielles, car madame Martine Aubry vient précisément d'annoncer sa décision, si elle est élue, d'abroger la loi HADOPI, pour lui préférer un système de téléchargement libre, assorti du paiement d'une "contribution créative".  Madame Aurélie Filippetti de son côté, proche de monsieur François Hollande souhaite une révision de la loi, pour ne garder que sa dimension pédagogique et supprimer tout ce qui concerne la "criminalisation de la jeunesse". En clair, en cas de victoire d'un candidat de gauche, la loi HADOPI ne sortira pas intacte.

Le "rendez vous en juin 2012" annoncé par l'éditorial signé de la Présidente de la Haute Autorité, madame Marie-François Marais, pour fixer la date du prochain rapport, prend alors un tout autre sens...

samedi 1 octobre 2011

QPC : Le droit de propriété, définition absolutiste et régime contingent

Le Conseil constitutionnel a rendu deux décisions sur QPC à une semaine d'intervalle, les 23 et 30 septembre 2011, toutes deux relatives au droit de propriété. Sans être contradictoires, elles mettent en lumière toute l'ambiguité d'un droit défini comme étant absolu, mais dont le régime juridique autorise de multiples restrictions, notamment au nom de l'intérêt général. 

L'article 544, un droit de souveraineté sur les choses

La Cour de cassation a eu l'étrange idée de soumettre au Conseil une QPC portant sur la définition même du droit de propriété, telle qu'elle figure dans l'article 544 du Code civil : "le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements". A dire vrai, les requérants contestaient, au nom du droit au logement, du droit à la dignité contre toute forme d'asservissement et du droit de mener une vie familiale normale, les dispositions qui autorisent le propriétaire d'un bien à demander au juge des référés l'expulsion d'un occupant sans titre. Cette procédure est organisée par l'article 809 du code de procédure civile, qui a valeur réglementaire. 

L'avocat général avait logiquement conclu au non-renvoi, estimant qu'il s'agissait de contester une disposition réglementaire, ce qui rendait la QPC "incontestablement irrecevable".  Il s'appuyait  sur une décision rendue par la Cour de cassation elle même le 20 janvier 2010, qui avait cassé une décision de la Cour d'appel de Versailles refusant de considérer que l'occupation sans titre d'un bien immobilier constituait un "trouble manifestement illicite" justifiant que l'on donne satisfaction au propriété qui demande l'expulsion.

De manière un peu surprenante, la Cour de cassation n'a pas suivi l'avocat général. Elle a déclaré la QPC recevable, dès lors qu'elle visait aussi l'article 544 du Code civil considéré comme le fondement juridique de l'article 809 cpc.

Sur le fond,  dans sa décision du 30 septembre 2011, le Conseil constitutionnel a évidemment rejeté cette QPC et confirmé la définition du droit de propriété figurant dans l'article 544 du Code civil. On se souvient des paroles prononcées par l'Empereur Napoléon, lors des travaux préparatoires du Code civil :" La propriété, c'est l'inviolabilité dans la personne de celui qui la possède ; moi-même, avec les nombreuses armées qui sont à ma disposition, je ne pourrais m'emparer d'un champ, car violer le droit de propriété d'un seul, c'est le violer dans tous". Selon cette analyse, le droit de propriété est un droit quasi-souverain, exclusif et perpétuel, le fondement même de l'organisation sociale . A partir de cette approche, s'est ensuite développée la trilogie traditionnelle, selon laquelle l'exercice du droit de propriété implique l'usus, ou le droit de jouir du bien, le fructus ou le droit d'en percevoir les fruits, et l'abusus ou le droit d'en disposer. 

Pour mettre en cause cette définition traditionnelle, les requérants s'appuyaient sur la décision 2011-625 DC du 10 mars 2011 sur la Loppsi 2, dans laquelle le Conseil avait déclaré inconstitutionnelle la disposition législative permettant l'expulsion de campements illicites. Il ne s'était cependant pas appuyé sur un quelconque caractère relatif du droit de propriété, mais s'était livré à un contrôle de proportionnalité, montrant le caractère excessif d'une expulsion effectuée "dans l'urgence et à toute époque de l'année", et visant "des personnes défavorisées ne disposant pas d'un logement décent". Le droit de propriété doit être protégé par des procédures proportionnées à la menace pour l'ordre public, ce qui ne signifie pas une évolution de sa définition même.


Bartholomeus Bruyn Le Vieux. Portrait diptyque d'un couple de bourgeois. Vers 1493


Titulaire d'un droit de souveraineté sur les choses, le propriétaire fait non seulement ce qu'il veut de son bien, mais peut également exclure les tiers de la jouissance de celui-ci. C'est précisément ce que confirme le Conseil constitutionnel.

Des limitations au nom de l'intérêt général

Le droit de propriété est certainement absolu dans sa définition, mais pas dans son régime juridique. La décision du 23 septembre 2011 en offre un nouveau témoignage. Etaient contestées plusieurs dispositions de la loi du 29 décembre 1892 relative aux dommages de travaux publics qui autorisent les agents de l'administration à "pénétrer sur une propriété privée pour y exécuter les opérations nécessaires à l'étude des projets de travaux publics". 

L'examen de la constitutionnalité d'un texte voté sous le septennat de Sadi Carnot n'est sans doute pas inutile. Peut être conviendrait il aussi d'opérer un toilettage législatif, notamment de l'article 6, toujours en vigueur, qui énonce que certaines notifications doivent être effectuées par "voie d'affichage et de publication à son de caisse et de trompe dans la commune"? Quoi qu'il en soit, les dispositions contestées n'avaient jamais été déférées au Conseil et la QPC était donc parfaitement recevable. 

En l'espèce, les requérants invoquaient deux griefs d'inconstitutionnalité. 

Le premier repose sur l'idée qu'il y a effectivement privation de propriété, fût t elle temporaire, dès que des agents de l'administration occupent un bien appartenant à une personne privée. De fait, cette occupation doit susciter une "juste et préalable indemnité", conformément aux dispositions de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. 

Cette vision absolutiste du droit de propriété ne rencontre cependant aucun écho dans la jurisprudence du Conseil. Celui ci estime au contraire, depuis sa décision n° 98-403 DC du 29 juillet 1998, que la réquisition de logements vacants "n'emporte pas par elle-même privation du droit de propriété". A fortiori, le fait de pénétrer sur un terrain pour faire quelques prélèvements ou quelques sondages suscite peut être une gêne dans les conditions d'exercice du droit de propriété mais ne conduit certainement pas à une dépossession. 

Sans doute conscients des limites de l'argumentation fondée l'article 17 de la Déclaration de 1789, les requérants invoquaient également la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui impose que les restrictions apportées au droit de propriété reposent sur des motifs d'intérêt général et soient proportionnées au but poursuivi. Il est évident que des travaux publics reposent, par hypothèse, sur des motifs d'intérêt général. En outre, le Conseil fait observer que l'ensemble de la procédure de mise en oeuvre de travaux publics est contrôlée par le juge administratif, et que les éventuels dommages causés par les agents sont indemnisés. Il en déduit donc que les dispositions de la loi de 1892 sont conformes à la Constitution, et que l'exercice du droit de propriété doit, comme tous les droits et libertés, peut être soumis à certaines restrictions pour des motifs d'intérêt général.

L'ensemble de ces deux décisions incite à penser que le juge constitutionnel appréhende le droit de propriété de manière un peu différente selon les atteintes dont il peut faire l'objet. Lorsqu'il s'agit d'arbitrer entre deux intérêts privés, celui du propriétaire et celui de l'occupant sans titre, il se montre rigoureux et fait prévaloir le droit de propriété, qui demeure aujourd'hui l'un des socles les plus solides de notre conception des libertés publiques. En revanche, lorsque le Conseil constitutionnel doit arbitrer entre l'intérêt privé du propriétaire et l'intérêt général, il a tendance à faire prévaloir ce dernier, dès lors que l'atteinte à la propriété trouve dans ce cas une légitimité incontestable.

jeudi 29 septembre 2011

La Cour européenne et le droit au logement

Un arrêt de chambre du 27 septembre 2011, Bah c. Royaume Uni, rendu par la Cour européenne des droits de l'homme suscite la réflexion sur la distinction entre l'aide au logement et le droit au logement.

En l'espèce, la législation contestée est la loi britannique, et plus précisément le House Act de 1977 révisé en 1996, qui impose aux collectivités locales de procurer un logement permanent aux personnes en situation de précarité. La requérante, Mme Husenatu Bah, est une ressortissante de Sierra-Leone arrivée en 2000 sur le territoire britannique, et qui dispose depuis 2005 d'un titre de séjour permanent. Son fils, né en 1994, a été autorisé à la rejoindre en 2007, à la condition qu'il ne solliciterait aucune aide financière auprès de l'administration britannique.

Ce regroupement familial a suscité quelques désagréments à Madame Bah, puisque le propriétaire qui lui louait une chambre dans le secteur privé n'a pas renouvelé son bail, en raison sans doute de l'exiguïté des lieux. Elle a donc demandé aux autorités de Southwark l'attribution d'un logement social, attribution prioritaire selon le House Act pour les personnes involontairement privées de domicile et ayant à leur charge des enfants mineurs. Un refus lui a pourtant été opposé, au motif que son fils étant entré sur le territoire à la condition de ne solliciter aucune aide, elle ne pouvait invoquer sa présence pour obtenir un logement prioritaire. C'est évidemment cette décision négative qu'elle conteste devant la Cour. 

Aide au logement et non pas droit au logement

La requérante s'appuie sur les dispositions combinées de l'article 8 et de l'article 14 de la Convention. Le premier consacre le droit à la vie privée et familiale. Le second énonce que les droits et libertés reconnus par la Convention s'exercent sans discrimination. 

Il n'aurait pas été impossible de considérer que le logement est l'abri de la vie privée et n'en est pas dissociable. Il existerait alors un "droit au logement" dont chaque individu en situation précaire et à la recherche d'une habitation pourrait se prévaloir. Ce n'est pourtant pas le raisonnement suivi par la Cour qui prend bien soin de préciser que l'article 8 ne garantit pas un droit à l'attribution d'un logement social. Aux yeux de la Cour, et c'est le terme qu'elle emploie, le logement constitue une "prestation", l'aide au logement étant finalement un service public. 

Pour ce qui est de l'article 14 et du principe de non discrimination qu'il impose, la Cour examine de manière très concrète les dispositions du House Act britannique. Elle note que la législation étatique peut, sans violer les dispositions de la Conventions, poser des conditions et réserver le traitement prioritaire dans l'attribution d'un logement à certaines catégories de demandeurs, par exemple les bénéficiaires du droit d'asile ou les ressortissants communautaires. Madame Bah n'a pas fait l'objet d'un traitement discriminatoire, dans la mesure où les conditions d'accueil de son fils lui avaient été signifiées, et qu'elle les avait acceptées. 

Fenêtre sur cour. Alfred Hitchcock 1954

De cette analyse, on peut déduire que le logement n'est pas un droit mais l'objet d'un service public visant à aider les plus démunis. Compte tenu de la pénurie de logements sociaux, il n'est pas illicite, au regard de la Convention, de fixer des critères objectifs pour leur obtention, et de mettre en oeuvre une oligation de moyens. 

Et le droit au logement opposable ? 


Face à ce réalisme, la législation française peut apparaître dogmatique, comme si l'objet était d'abord d'affirmer un droit de proclamation sans trop se préoccuper de sa mise en oeuvre effective. Dès la loi Quilliot du 22 juin 1982, a été consacré un "droit à l'habitat" considéré comme "fondamental". Ensuite, la loi Mermaz du 6 juillet 1989 puis la loi Besson du 31 mai 1990 ont proclamé le "droit au logement" devenu "droit au logement décent" avec la loi SRU de 2000. Enfin, la dernière avancée conceptuelle réside dans l'affirmation d'un "droit au logement opposable" avec la loi du 5 mars 2007, qui affirme l'existence d'une obligation de résultat à la charge de l'Etat. 

Derrière ces formules déclaratoires se cache une législation qui n'est guère éloignée du House Act britannique. Comme lui, le "droit au logement opposable" (DALO) est réservé à certaines catégories de population,  les nationaux français et les étrangers qui y résident de manière permanente. Si le demandeur ne peut se loger par ses propres moyens et a déposé une demande de logement social, il pourra, à l'issue d'une procédure marquée par l'intervention d'une commission de médiation, obtenir un logement de manière prioritaire. 

Comme au Royaume Uni, l'objectif de cette législation est d'assurer le traitement prioritaire des dossiers de ceux qui sont dans une situation particulièrement précaire. L'objet est louable, mais pourquoi le présenter comme un droit dont les plus démunis pourraient se prévaloir auprès des autorités publiques ? D'une part, ce "droit" n'est assorti d'aucune sanction réelle. D'autre part, nul n'ignore que l'insuffisance du nombre de logements sociaux rend illusoire sa mise en oeuvre concrète. 

On peut alors s'interroger sur la formule qui doit être privilégiée. La Cour européenne s'efforce de faire en sorte que le service de l'aide au logement soit exercé sans discriminations, démarche utile même si elle demeure modeste. Le droit français consacre, à grand renfort de communication, un droit purement cosmétique, qui n'est pas en mesure de tenir ses promesses... Le débat est ouvert. 


mardi 27 septembre 2011

Pages Jaunes, La CNIL voit rouge

Comme la plupart des autorités indépendantes, la CNIL préfère user de la médiation, de la persuasion plutôt qu'utiliser les pouvoirs de sanction qu'elle tient de l'article 45 de la loi sur 6 janvier 1978. Elle a fait pourtant exception par une délibération du 21 septembre 2011"portant avertissement à l'encontre de la société Pages Jaunes". Cet avertissement est assorti d'une publicité destinée aux utilisateurs d'internet, ceux dont la vie privée a précisément malmenée par les agissements de la société Pages Jaunes. 

En l'espèce, la société Pages Jaunes, et plus particulièrement son service Pages Blanches, avait mis en place un système "Webcrawl" qui va collecter des informations auprès des différents réseaux sociaux, notamment Facebook, Copains d'avant, Viadéo, Linkeln, Twitter et Trombi. Outre les informations habituelles figurant sur l'annuaire, on trouvait donc dans les Pages blanches la photo de la personne, sa profession, son cursus scolaire etc.. Ces données étaient diffusées, y compris celle concernant les mineurs ou les abonnés au téléphone ayant choisi de figurer sur la Liste Rouge. 

La sévérité de la sanction infligée par la CNIL s'explique d'abord par des manquements particulièrement visibles aux dispositions de la loi du 6 janvier 1978, et plus spécialement au principe de loyauté. Mais elle peut aussi trouver son origine dans un certain agacement de la commission à l'égard d'une entreprise qui s'efforçait de justifier des pratiques illégales en s'abritant derrière des dispositions bien peu protectrices de la vie privée que Facebook impose à ses utilisateurs. 

Le principe de loyauté

Il est affirmé par l'article 6 al. 1 de la loi, selon lequel "les données sont collectées et traitées de manière loyale et licite". Le principe est donc que les données nominatives, celles qui permettent d'identifier une personne et donnent des éléments d'information sur sa vie privée, sont collectées auprès de l'intéressé lui-même. Il doit alors être informé des motifs de cette collecte, et de l'utilisation qui sera faite de ces informations. Seuls les fichiers gérés par les services chargés du maintien de l'ordre et de la lutte contre le terrorisme ne sont pas soumis à cette observation d'information, mais leur mise en oeuvre doit alors impérativement être précédée d'une demande d'avis conforme auprès de la CNIL. 

H.G. Clouzot. Le Corbeau. 1943
Collectées à l'insu des personnes, sans information préalable, les données étaient donc stockées par les Pages Jaunes en violation du principe de loyauté. Il est vrai que la société a tenté de démontrer que l'obligation d'information était satisfaite, dès lors qu'après avoir effectué sa recherche sur les Pages blanches, le lecteur trouvait un avertissement mentionnant que "les données figurant sur cette pages ont été trouvées sur les site Facebook etc..".

Le lecteur pouvant ensuite cliquer sur un lien pour demander la suppression de ces informations, à la condition toutefois de remplir un formulaire abscons, de mentionner l'URL du profil à supprimer, d'envoyer une copie de sa pièce d'identité dans un format informatique imposé etc. Le problème est que personne ne cherche jamais son propre numéro de téléphone sur les Pages blanches et n'a donc que peu de chances de connaître les données diffusées sur se compte. Si par hasard un abonné avait néanmoins cette curiosité, les formalités imposées par la société Pages Jaunes risque fort de le dissuader de toute demande de suppression.. La CNIL estime donc, fort logiquement, que cette information de la personne fichée est à la fois tardive et inadaptée.

Nemo auditur Facebook turpitudinem...

La société Pages Jaunes n'a pas pu davantage invoquer les agissements de Facebook comme support juridique de ces pratiques. Les réseaux sociaux informent en effet leurs utilisateurs que s'ils ne restreignent pas l'accès à leur profil, les données personnelles qui y sont stockées "peuvent être indexées par des moteurs de recherche tiers (...) sans restriction de confidentialité". Autrement dit, celui qui a omis de cocher la case restreignant la communication de ses données privées serait présumé avoir donné son accord à leur diffusion urbi et orbi

La CNIL a évidemment refusé d'entrer dans un raisonnement qui aurait conduit à considérer que des dispositions conventionnelles imposées à ses utilisateurs par Facebook l'emportent sur la loi française. Comment un tiers, la société Pages Jaunes, pouvait il d'ailleurs invoquer les dispositions d'un contrat auquel il n'est pas partie ? Au demeurant, cet argument reposait sur une interprétation tout à fait erronée de la disposition invoquée, puisque le service fourni par les Pages Blanches, prestataire d'un service d'annuaire, ne saurait être qualifié de "moteur de recherche". 

Sur ce point, on touche au détournement de finalité, tout aussi illégal au regard de la loi du 6 janvier 1978. En effet, la CNIL rappelle que l'article R 10-4-2 du code des postes et des télécommunications électroniques (CPCE) interdit l'usage de listes d'abonnés "à d'autres fins que la fourniture d'annuaires universels ou de services universels de renseignements téléphoniques". L'utilisation des profils Facebook ou Viadéo est donc sans lien avec les finalités assignées aux Pages Blanches.

Cet avertissement n'est donc pas seulement adressé à la société Pages Jaunes, mais à tous ceux qui considèrent que les réseaux sociaux constituent une mine d'informations que chacun peut piller à son aise.