« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


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vendredi 16 août 2019

Les Invités de LLC : Point de vue du Nouvel Elan sur la corrida

Le 21 septembre 2012, Le Nouvel Elan, commentait l'article de Liberté Libertés Chéries consacré à la décision QPC du Conseil constitutionnel refusant de déclarer inconstitutionnelle la mise à mort des taureaux dans les corridas, au nom de la "tradition locale ininterrompue". Le Conseil renvoyait alors le problème au législateur, qui n'a jamais légiféré sur cette question.

A cet occasion, le Nouvel Elan offrait à Liberté Libertés Chéries un de ses Gnoufs les plus talentueux. Nous choisissons de le reproduire aujourd'hui, car, sept ans plus tard, il n'y a pas un mot à changer.


Gnouf, Meuf ! Je Me porte bien. Didonque, ton blog, là, il ne pousserait pas un peu, Raquette à part ??? Ai-je bien compris ? Tu sembles condamner les corridas ? Ne pas en saisir la mâle beauté, le tragique sanglant ? Mézalor, plus moyen de rigoler ? Ne mesures tu pas la jouissance profonde lorsque l'animal, à demi anesthésié et fou de peur, pénètre dans l'arène sous les cris de la multitude saisie par le démon du carnage ? Les banderilles, enfoncées avec élégance de façon à l'empêcher de tourner la tête, laissent sur son cuir des coulées rouges du plus bel effet. Parfois, pas toujours hélas, il a le temps d'encorner un cheval qui porte les héros, et les tripes équines s'écoulent sur le sable, tandis qu'il agite spasmodiquement les jambes. Orgasme !

Ah , Meuf, si tu étais un homme, ou de ces femmes que la virilité fascine, tu aimerais le ballet de mort offert à la bête, tu vibrerais avec la foule au spectacle de cette agonie savamment mise en scène, de cette cruauté si humaine, par le Bouton Vert ! Tu souhaiterais retarder le moment où elle sera arrêtée, prolonger ce coeur battant à coups redoublés, cette douleur exquise qui console tant de minables de leur impuissance, leur assure par procuration je ne sais quelle grandeur d'artifice - ils ont une boule dans la gorge -, les persuade, pour un instant, pour un instant seulement, qu'ils sont dignes d'être les grands prêtres du sacrifice.

Oublierais-tu, Meuf, que l'on ne peut plus brûler les cathares, exterminer les protestants, que même ratonnades et pogroms sont mal vus ? Voudrais-tu priver l'humanité souffrante, qui en Europe n'a même plus la ressource des génocides, de cet exutoire réconfortant ? Oui, la mort du taureau, son cadavre traîné dans la poussière, nous rend plus forts, réveille en nous quelque rêve de gloire sans péril. Barbare du Nord, tu ne saisis pas la splendeur antique des rituels de torture et de mise à mort, tu ne comprends rien à la civilisation méditerranéenne, qui a tant donné au monde - les gladiateurs, les crucifix, les décimations, le passage au fil de l'épée des femmes et des enfants ! Enfant, va ! Je te pardonne, parce que je sens que tu n'aimes pas davantage la chasse, quand l'oiseau qui vole et s'enivre d'air pur s'abat, foudroyé par le tir de quelque embusqué bien imbibé de bibine.

Je vais te dire, Meuf, paskensomme Je t'aime bien, entre nous il y a une rupture épistémologique, une incompatibilité paradigmatique. Alors, un conseil : Laisse picadors, toreadors, matadors et autres aficionados à leurs massacres avec la bénédiction des Grands Juges, ou Grands Prêtres, hautes consciences de la Constitution de la République, et que l'on continue à martyriser les animaux en son Nom.

Le Nouvel Elan

 Corrida, Francis Cabrel, 1994

mercredi 3 août 2016

Toréador en garde : l'oeil noir du Conseil d'Etat te regarde

Dans un arrêt du 27 juillet 2016, le Conseil d'Etat porte un coup au lobby des amateurs de corrida. Cette pratique ne sera pas inscrite au patrimoine immatériel de la France, au même titre que l'est la polyphonie corse, la tapisserie d'Aubusson, le Fest-Noz breton, ou la gastronomie française. 

Précisons que l'inscription au patrimoine immatériel de la France trouve son fondement dans la convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, adoptée le 17 octobre 2003 par la 32e conférence générale de l'UNESCO. Selon ses articles 11 et 12, il appartient à chaque Etat partie de "prendre les mesures nécessaires pour assurer la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel présent sur son territoire". Dans ce but, il doit dresser un inventaire de ce patrimoine et procéder aux inscriptions. Elles peuvent être effectuées à l'initiative des pouvoirs publics ou à celles des "porteurs de traditions". 

La formule est jolie,  mais elle ne doit pas faire illusion. Ces "porteurs de traditions" sont le plus souvent des lobbies qui ont pour mission de valoriser financièrement une tradition locale ou un produit du terroir. Dans le cas présent, l'Observatoire national des cultures taurines (ONCT) et l'Union des villes taurines de France (UVTF) jouent ce rôle de "porteurs de traditions". Ces deux groupements ont donc obtenu, en 2011, l'inscription de la corrida à l'inventaire. A partir de cette date, va se développer un contentieux en trois actes qu'il est indispensable de rappeler pour comprendre l'intervention du Conseil d'Etat.

1er acte : la corrida entre au patrimoine immatériel


Immédiatement, la Fondation Franz Weber (FFW) et l'association Robin des bois, à laquelle se sont joints le Comité radicalement anti corrida (CRAC) et l'association "Droit des animaux", demandent au ministre le retrait de cette décision. N'ayant reçu aucune réponse, ils saisisent le tribunal administratif de Paris de la décision implicite de rejet qui leur estt opposée. Statuant dans un jugement du 3 avril 2013, le tribunal commence par déclarer irrecevables les recours de FFW et de Robin des bois, estimant que leur but très général de protection de la nature ne leur donne pas vocation à intervenir dans un domaine aussi particulier que la lutte contre la corrida. En revanche, les interventions du CRAC et de Droit des animaux sont déclarées recevables. 

Sur le fond cependant, le tribunal ne leur donne pas satisfaction. A ses yeux, la corrida entre parfaitement dans le champ de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine immatériel, et le fait que les opposants à la corrida n'aient pas été consultés est sans incidence sur la légalité de la décision. Bref, la décision est tout-à-fait favorable au lobby pro-corrida, d'autant que certains s'interrogent sur le fait qu'elle ait été rendue sur conclusions contraires du rapporteur public.

Edouard Manet. L'homme mort. 1864


2ème acte : première banderille


La décision rendue par la Cour administrative d'appel (CAA) de paris le 1er juin 2015 met fin au débat de fond. Les juges trouvent une solution originale pour exclure purement et simplement la corrida de la liste du patrimoine immatériel. En effet, cet inventaire prend concrètement la forme d'une fiche figurant sur le site du ministère de la culture. Or le juge observe que la fiche relative à la corrida est parfaitement introuvable. De sa vaine exploration, il déduit que l'inscription de la corrida à l'inventaire doit être considérée comme ayant été abrogée, antérieurement au prononcé de l'arrêt. Il observe d'ailleurs que cette abrogation est possible, puisque la décision de classement n'avait produit aucun effet juridique. Par voie de conséquence, il en déduit que les requêtes du CRAC et de Droit des animaux sont devenues sans objet, comme d'ailleurs les interventions en défense de l'Observatoire national des cultures taurines (ONCT) et de l'Union des villes taurines de France (UVTF). 

La décision peut sembler surprenante, mais on observe que le rapporteur public devant le tribunal administratif s'était déjà appuyé sur ce moyen sans avoir été suivi. Dès 2011 en effet, le ministre de la culture avait décidé de supprimer toute mention de la corrida sur le site, en raison de "l'émoi suscité par cette inscription". La CAA reprend l'idée, estimant que cette suppression s'analyse comme une abrogation.

3ème acte : Un oeil noir te regarde


C'est donc à la lumière de la décision de la Cour administrative d'appel que doit être comprise la décision du Conseil d'Etat du 27 juillet 2016. Saisi par l'Observatoire national des cultures taurines (ONCT) et de l'Union des villes taurines de France (UVTF), il confirme le non-lieu à statuer prononcé par la Cour administrative d'appel. 

Pire, et humiliation suprême pour les deux lobbies, le Conseil d'Etat estime que leur recours en cassation n'est pas recevable. En effet, ils sont intervenus en défense devant la CAA, mais ils n'étaient pas parties au recours. Autrement dit, la seule autorité susceptible de saisir le Conseil d'Etat était le ministre de la culture, seul compétent pour contester la décision de non-lieu à statuer. Or, précisément, la Haute Juridiction ne peut pas ne pas entendre le grand silence de l'administration qui refuse de dire que sa décision de classement est toujours en vigueur. Implicitement, l'autorité publique admet que la suppression de la corrida sur son site équivaut à une abrogation.

A t on assisté à un jeu de rôles ? Le ministre a-t-il accepté l'inscription voulu par les lobbies favorables à la corrida, tout en offrant aux opposants un cas d'annulation ? Comme le dit justement le célèbre Francis Uquhart dans le House of Cards britannique : "You may think that, I could not possibly comment". 

Quoi qu'il en soit, si les jurisprudences combinées de la Cour administrative et du Conseil d'Etat ne sont pas des exemples de courage, ce sont tout de même des petits chefs d'oeuvre d'habileté. Les partisans de la corrida ont été pris dans une nasse procédurale et n'ont sans doute pas compris ce qui leur arrivait lorsque cette nasse s'est refermée. Suprême plaisir pour les opposants à la corrida, mais aussi déception, car il aurait été tellement plus simple de déclarer que la corrida est un spectacle cruel qui n'a rien à voir avec un quelconque patrimoine culturel. 

Il n'en demeure pas moins qu'il faudra bien, un jour ou l'autre, poser des principes clairs. Rappelons que, dans une décision rendue sur QPC le 21 septembre 2012, déjà saisi par le CRAC, le conseil constitutionnel a refusé de déclarer inconstitutionnel l'article 521-1 du code pénal. Celui-ci punit les actes de cruauté envers les animaux, cruauté passible d'une peine de deux ans d'emprisonnement et 30 000 € d'amende. Ces dispositions ne sont cependant pas applicables aux courses de taureaux, lorsqu'une "tradition locale ininterrompue peut être invoquée". Autrement dit, la loi ne nie pas que la corrida entraine effectivement des actes de cruauté envers les animaux, mais leurs auteurs ne sont pas poursuivis lorsque cette cruauté s'exerce à l'égard des taureaux, entre Nîmes et Arles. 

Il est vrai que c'est le législateur qui a admis une dérogation à la loi pénale dans le seul but de satisfaire un lobby régional, suscitant une jurisprudence à peu près incohérente sur la notion de "tradition locale ininterrompue". Il n'appartient donc pas au Conseil constitutionnel de sanctionner une jurisprudence obscure, dès lors que son rôle est d'apprécier la conformité de la loi à la Constitutionnel. A cet égard, la décision du 21 septembre 2012 renvoie le législateur à sa propre compétence, comme le fait désormais l'arrêt du 27 juillet 2016.  Rappelons que le parlement régional de Catalogne a osé voté une loi interdisant la corrida, en juillet 2010. Le parlement  français pourrait donc s'en inspirer et  supprimer ce spectacle barbare. Ce serait tout de même plus courageux que ces petits arrangements avec la jurisprudence administrative.

vendredi 31 juillet 2015

Le chant du coq devant le Conseil constitutionnel

Les coqs ne sont pas des taureaux, et réciproquement. C'est ce qu'affirme le Conseil constitutionnel dans sa décision rendue sur QPC le 31 juillet 2015

Le requérant, M. Jismy R. est poursuivi devant le tribunal correctionnel de Saint-Denis de La Réunion pour avoir ouvert un gallodrome, c'est-à-dire un lieu où se déroulent des combats de coqs.  Or la loi du 8 juillet 1964 prévoit qu'il est interdit de créer de nouveaux gallodromes. Le requérant est donc poursuivi sur cette base, énoncée dans l'article 521-1 du code pénal. Ce régime juridique est ainsi différent de celui de la course de taureaux, autre cas d'acte de cruauté envers les animaux, alors même que son alinéa 8 précise que les peines prévues - deux ans d'emprisonnement et 30 000 € d'amende - ne sont pas applicables "aux courses de taureaux lorsqu'une tradition locale ininterrompue peut être invoquée" ni "aux combats de coqs dans les localités où une tradition ininterrompue peut être établie".

Considérant qu'il y avait ainsi rupture d'égalité - on peut créer des courses de taureaux dans l'hypothèse d'une tradition locale ininterrompue, mais on ne peut pas créer de nouveaux gallodromes dans les mêmes conditions et la pratique des combats de coqs est donc en voie d'extinction - le requérant pose au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur le 8è alinéa de l'article 521-1 du code pénal.  

Le principe d'égalité


La corrida et les combats de coqs présentent le trait commun qu'une "tradition ininterrompue" suffit à justifier les actes de cruauté infligés aux animaux. Leur régime juridique est néanmoins différent. La corrida, défendue par un lobby puissant et souvent soutenue par "la volaille qui fait l'opinion" est assurée de sa pérennité, dès lors qu'elle peut s'appuyer sur cette "tradition ininterrompue". Le combat de coqs, plutôt pratiqué dans des milieux extrêmement modestes, est, au contraire, en voie d'extinction. Depuis une loi de 1964, il est interdit de créer de nouveaux gallodromes, même dans les régions où cette pratique cruelle peut s'appuyer sur une "tradition ininterrompue".



La fille mal gardée. Ferdinand Hérold. 
Chorégraphie : Frédérick Ashton. Royal Ballet
Danse du poulailler


Pour ce qui est des corridas, une décision rendue sur QPC le 21 septembre 2012  a déclaré conforme à la Constitution leur régime juridique. Les requérants invoquaient déjà le principe d'égalité, mais il s'agissait alors d'une égalité entre les animaux en général d'un côté, et les malheureux taureaux de l'autre côté. Alors que la cruauté à l'égard des premiers est sanctionnée pénalement, celle à l'égard des seconds jouit d'une parfaite impunité, au nom de la "tradition ininterrompue".

Le Conseil s'appuyait alors sur sa décision du 16 janvier 1982 qui affirme que le principe d'égalité ne s'oppose pas "le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général", Autrement dit, le législateur est compétent pour moduler la mise en oeuvre concrète du principe d'égalité, y compris en matière pénale. Il ne s'en prive pas, et on sait que l'égalité devant la loi pénale s'accommode de sanctions différentes, selon l'âge du coupable ou sa qualité de récidiviste, la vulnérabilité de la victime etc. Rien n'interdit donc, d'écarter l'application d'une peine pénale de cruauté envers les animaux, lorsque cette cruauté consiste à massacrer des malheureux taureaux. 

L'inégalité consacrée par le législateur


Dans sa décision du 30 juillet 2015, le Conseil constitutionnel reprend ce principe et énonce que les corridas et les combats de coqs sont "des pratiques distinctes par leur nature". Cette distinction ne repose pas sur la différence entre un bovin et un gallinacé. Elle repose précisément sur le fait que les corridas jouissent d'une impunité définitive alors que les combats de coqs ont été placés en voie d'extinction par le législateur. Le Conseil s'appuie ainsi sur la volonté du législateur : le combat de coqs a été en placé en voie d'extinction et, cinquante ans plus tard, on attend toujours la mort naturelle de cette pratique. Tant pis pour les coqs.

Il est vrai que cette décision est juridiquement fondée. Certes,  la loi du 16 février 2015  qualifie les animaux comme des "êtres vivants doués de sensibilité" et la cruauté à l'égard est en principe prohibée. Le Conseil pouvait cependant difficilement conférer à ce principe une valeur constitutionnelle. D'une part, les animaux demeurent soumis au régime des biens. D'autre part, le Conseil constitutionnel, en 2012, a lui-même admis que la cruauté envers les taureaux pouvait être licite.

En refusant d'intervenir, le Conseil renvoie le dossier au législateur. C'est à lui de mettre fin à ces pratiques, mais nul n'ignore les difficultés de l'entreprise. Dans l'état actuel des choses, le lobbying de certains et l'indifférence des autres permettent de mettre en évidence une sorte de géographie de la cruauté licite envers les animaux. Au nord, aux Antilles, en Guyane et à la Réunion, la barbarie des combats de coqs. Au sud, celle des corridas. Le législateur s'en accommode volontiers, au nom de la "tradition ininterrompue". Mais la barbarie traditionnelle, c'est tout de même d'abord de la barbarie.

jeudi 24 avril 2014

Les animaux, êtres vivants doués de sensibilité

Le 15 avril 2014, les députés ont adopté un amendement à la loi de modernisation et de simplification du droit dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. Il donne une définition juridique de l'animal comme "être vivant et doué de sensibilité", et soumet ainsi les animaux au régime juridique des biens corporels en mettant l'accent sur les lois spéciales qui les protègent.

Une mise en cohérence du droit


Sur le fond, cet amendement ne surprendra personne. L'animal n'est donc plus considéré comme bien meuble et, à dire vrai, cette évolution ne fait que mettre en cohérence des dispositions législatives qui pouvaient sembler quelque peu contradictoires, le code rural comme le code pénal ayant déjà consacré ce principe.

Le code rural, dans son article L 214-1 énonce  que "tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce". De son côté, le code pénal punit de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende le fait d'exercer des sévices graves envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité (art. 521-1 c. pén.) Sur ce fondement, on se souvient qu'en février 2014, une peine d'une année de prison ferme avait été prononcée à l'égard d'une personne qui avait lancé un chat contre un mur, et diffusé sur Facebook le film montrant toute la cruauté d'un tel geste.


Blanche Neige. Walt Disney. A smile and a song. 1937

Les enjeux de cette évolution


Pour le moment, cette évolution ne semble guère susciter d'opposition de principe. Qui pourrait sérieusement contester un texte qui a pour objet de permettre une meilleure protection des animaux ? Toutes les potentialités de ce texte sont cependant fort loin d'être développées. 

La question de la présence d'animaux sauvages dans les cirques est aujourd'hui posée, surtout depuis que le parlement belge, en décembre 2013, a décidé de les interdire en invoquant le bien-être des animaux. La Belgique rejoint ainsi l'Autriche qui a prononcé une interdiction totale dans ce domaine, mais aussi l'Allemagne, le Danemark, la Hongrie et la Suède qui ont préféré une interdiction partielle, limitée à certaines espèces comme le lion, l'éléphant ou le tigre. 

L'affirmation selon laquelle l'animal est "doué de sensibilité" conduit également à mettre en cause l'expérimentation animale. Là encore, il existe déjà des textes dans ce domaine, notamment la directive européenne du 22 septembre 2010, relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques. Il est vrai que ce texte n'interdit rien mais se borne à demander aux Etats membres d'éviter d'utiliser l'expérimentation animale "dans toute la mesure du possible". On constate cependant que le mouvement s'amplifie en faveur d'une interdiction, comme en témoigne la Déclaration de Bâle de 2011, texte certes non contraignant mais rédigé à l'initiative de chercheurs et de laboratoires pharmaceutiques, qui s'engagent à recourir à d'autres méthodes d'expérimentation.

L'abattage rituel


Comme l'expérimentation sur les animaux, l'abattage rituel est contesté, et le droit qui l'encadre se caractérise par son caractère dérogatoire. L''article 4 du règlement communautaire du 24 septembre 2009  énonce que "les animaux sont mis à mort uniquement après étourdissement", mais le paragraphe 4 de ce même article ajoute immédiatement  qu'il est possible de déroger à cette règle "pour les animaux faisant l'objet de méthodes particulières d'abattage prescrites par des rites religieux". La seule condition est alors que l'animal soit tué dans un abattoir, dans des conditions d'hygiène satisfaisantes, principe repris par le décret du 28 décembre 2011. Dès lors que l'animal est doué de sensibilité, l'égorgement des moutons pour des motifs religieux peut être juridiquement contesté en raison de sa cruauté même.

La corrida


Enfin, on doit s'interroger sur la pratique de la tauromachie avec mise à mort des taureaux. On sait qu'en 2010, la Catalogne a voté l'interdiction de ces corridas, à la suite, il convient de la noter, d'une "initiative législative populaire " qui a recueilli 180 000 signatures. Aujourd'hui, la question est clairement posée en France, comme en témoigne un sous-amendement en ce sens qui a été déposé à l'Assemblée nationale pour compléter l'amendement consacrant l'animal comme "être vivant doté de sensibilité". Ce sous amendement a finalement été retiré après que la rapporteure du projet de loi, Colette Capdevielle (PS, Pyrénées Atlantiques), ait déclaré : "On ne peut pas se servir du texte que nous proposons (...) pour ouvrir inutilement des débats sur ce sujet". A l'appui de son refus, elle mentionnait la décision rendue sur QPC par le Conseil constitutionnel en octobre 2012, qui considère comme légale la corrida , si elle s'inscrit dans "une tradition locale ininterrompue". Sans doute, mais la rapporteure oublie de mentionner que le Conseil constitutionnel se borne à affirmer que la loi en vigueur n'est pas inconstitutionnelle, ce qui n'interdit tout de même pas au parlement de l'abroger ou de la modifier, s'il estime que la corrida inflige aux animaux des souffrances intolérables dans un pays civilisé.

Certains esprits malicieux ont pu penser que l'adoption rapide de cet amendement, qui ne figurait pas dans le texte initial du projet de loi, vise en fait à préciser le statut des animaux sans pour autant remettre en cause la tauromachie. Ne s'agirait-il pas de court-circuite la proposition de loi déposée par Geneviève Gaillard et plusieurs de ses collègues, visant précisément à interdire la corrida ? L'avenir le dira, mais l'amendement adopté, même hâtivement et sans grand débat, n'est pas pour autant sans intérêt, loin de là.

On pourrait ainsi citer beaucoup d'autres pratiques menacées, et heureusement menacées, par la consécration de l'animal comme être vivant doué de sensibilités, de la chasse à courre à l'élevage des poulets en batterie. Pour le moment, le texte nouveau se borne à donner des instruments juridiques à des combats qui vont certainement se développer dans les mois et les années à venir. On ne doute pas que les défenseurs des animaux vont y puiser une énergie nouvelle.

vendredi 21 septembre 2012

QPC : Les taureaux victimes d'une loi identitaire

La décision rendue sur QPC le 21 septembre 2012 est certainement très décevante pour ceux qui considèrent la corrida comme un spectacle barbare, mais pas inattendue. Les auteurs de la QPC, en l'espèce le Comité radicalement anti-corrida (CRAC), contestaient l'article 521-1 du code pénal. Issu d'une loi du 19 novembre 1963, celui-ci punit les actes de cruauté envers les animaux, cruauté désormais passible d'une peine de deux ans d'emprisonnement et 30 000 € d'amende. Ces dispositions ne sont cependant pas applicables aux courses de taureaux (et aux combats de coqs), lorsqu'une "tradition locale ininterrompue peut être invoquée". Autrement dit, la loi ne nie pas que la corrida entraine effectivement des actes de cruauté envers les animaux, mais leurs auteurs ne sont pas poursuivis lorsque cette cruauté s'exerce à l'égard des taureaux, entre Nîmes et Arles. Pour satisfaire une "tradition locale", le législateur n'a donc pas hésité à établir une dérogation à la loi pénale, dans le seul but de répondre à une revendication identitaire. 

L'avocat des requérants, parmi une série d'arguments reposant sur les sondages défavorables à la corrida ou le fait qu'Afflelou avait renoncé à sponsoriser ces manifestations, a soulevé deux moyens juridiques à l'appui de l'abrogation de cette disposition.

Egalité devant la loi

Le premier, et le plus sérieux, est le non respect du principe d'égalité devant la loi, consacré par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Il est vrai que l'approche identitaire, pour ne pas dire communautaire, de la disposition contestée témoigne d'une volonté de traiter les régions qui pratiquent la corrida d'une manière différente par rapport au reste du territoire. On apprend ainsi qu'un comportement puni pour cruauté dans une région ne l'est pas dans une autre.

Le problème, pour le Conseil constitutionnel, est que le principe d'égalité ne s'oppose pas "le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général", principe acquis depuis la décision du 16 janvier 1982. Autrement dit, le législateur est compétent pour moduler la mise en oeuvre concrète du principe d'égalité, y compris en matière pénale. Il ne s'en prive pas, et on sait que l'égalité devant la loi pénale s'accommode de sanctions différentes, selon l'âge du coupable ou sa qualité de récidiviste, la vulnérabilité de la victime etc.

Cette modulation de l'égalité devant la loi doit cependant répondre à deux conditions, pour être considérée par le Conseil comme conforme à l'article 6 de la Déclaration de 1789.  Elle doit être à la fois conforme à l'intérêt général et à la loi qui l'établit.

Pablo Picasso. Taureau agonisant. 1934

Dérogations 

Sur l'intérêt général d'une telle tolérance envers les zones géographiques qui pratiquent la mise à mort des taureaux, le Conseil affirme seulement que cette restriction ne concerne que quelques régions et ne porte pas atteinte à un droit constitutionnellement garanti. Les animaux ne sont pas titulaires de droit, et le devoir de ne pas se montrer cruel à leur égard n'a qu'une valeur législative. Le Conseil estime en conséquence que l'intérêt général d'une telle dérogation au principe d'égalité devant la loi repose sur l'appréciation du législateur, quand bien même elle serait le résultat d'une action de lobbying des villes et régions pratiquant la tauromachie.

Sur la conformité de cette dérogation à la loi qui l'établit, le Conseil fait observer que les dispositions contestées ne s'appliquent que dans les parties du territoire national où une tradition interrompue de corrida est établie, et pour les seuls actes qui relèvent de cette tradition. Il en déduit donc que cette dérogation est conforme à la loi qui l'établit, puisque celle-ci organise précisément le régime juridique des actes de cruauté envers les animaux. Le Conseil aurait cependant pu en juger différemment, car admettre la mise à mort d'animaux dans une loi dont la finalité est précisément la protection de ces derniers aurait pu lui  sembler incompatible avec cette finalité. Là encore, il a refusé d'intervenir dans ce qui lui apparaît comme relevant du législateur.

La "tradition locale ininterrompue"

Le second moyen soulevé par les requérants réside dans la clarté et la lisibilité de la loi. Il est juste de constater que la notion de "tradition locale ininterrompue" a été interprétée de manière particulièrement laxiste par la jurisprudence. Dans une décision du 7 février 2006, la Cour de cassation saisie d'un contentieux portant sur une demande de dissolution d'une association taurine en Haute Garonne, estime ainsi qu'il appartient aux juges du fond d'apprécier souverainement l'existence de cette "tradition locale ininterrompue". En l'espèce, celle ci est déduite de l'intérêt porté à la corrida par "un nombre suffisant de personnes", quand bien même aucune corrida n'a eu lieu à Toulouse depuis 1976. Le 16 septembre 1997, cette même Cour de cassation avait validé un jugement du tribunal correctionnel de Floirac refusant de poursuivre pour cruauté les organisateurs d'une corrida, qui s'était déroulée dans cette ville en 1993, après la reconstruction d'arènes détruites en 1961. Aux yeux du juge, la tradition locale n'est pas interrompue après trente-deux ans d'interruption. La jurisprudence évolue ainsi vers une analyse purement psychologique de cette "tradition locale". Il suffit qu'une poignée d'amateurs veuille maintenir, voire créer, des spectacles avec mise à mort, pour qu'elle soit considérée comme acquise.

Le Conseil constitutionnel n'est cependant pas compétent pour sanctionner le manque de clarté de la jurisprudence, mais seulement celui de la loi. La décision renvoie ainsi le législateur à sa compétence. C'est à lui qu'il appartient de déclarer que la mise à mort des taureaux est un spectacle barbare. Souvenons nous qu'en juillet 2010, le parlement régional de Catalogne a eu le courage de voter une loi interdisant ce type de spectacle. En France, une proposition de loi déposée par Geneviève Gaillard (PS)  devant l'Assemblée Nationale en juillet 2011, n'a toujours pas été débattue.

Derrière la question de la corrida, et du traitement cruel infligé à des animaux, se pose un problème grave. Car la loi est utilisée pour donner satisfaction à une revendication identitaire, pour ne pas dire communautaire. La loi n'est plus l'expression de la volonté générale, mais celle des différentes communautés et des lobbies qui les représentent.