En 1954, celui-ci, alors âgé de vingt-trois ans, avait besoin d'argent pour acheter un voilier, afin de faire le tour du monde. Il a fait un hold up chez un changeur auquel il a volé 300 000 francs après l'avoir menacé avec un pistolet dérobé à son père. Il s'est ensuite enfui, poursuivi par le changeur et par un gardien de la paix qu'il a tué, avant de tirer de nouveau sur des passants. L'un d'entre eux a été blessé, avant que Jacques Fesch soit maîtrisé et désarmé, précisément par d'autres passants. Déclaré coupable de ces meurtres, il a été condamné à mort par la Cour d'assises de la Seine en avril 1957, son pourvoi a été rejeté par la Cour de cassation en juillet, et le président Coty a écarté le recours en grâce en septembre. Fesch est exécuté le 1er octobre.
Entre le moment où il est incarcéré et son exécution, Jacques Fesch va se présenter comme un exemple de rédemption par la foi catholique. Les lettres écrites pendant son incarcération sont publiées, et une procédure de béatification est même engagée. C'est sur ce fondement que ses héritiers ont déposé des requêtes visant à obtenir, d'abord sa réhabilitation ensuite le rétablissement de son honneur.
Procédure de réhabilitation
Dans le cas de Jacques Fesch, la procédure de réhabilitation judiciaire s'est heurtée à une irrecevabilité manifeste. L'article 786 du code de procédure pénale conditionne en effet sa recevabilité, en matière criminelle, au respect d'un délai d'épreuve de cinq ans à compter de l'expiration de la sanction subie. Cette condition conduit à priver les proches d'un condamné à mort dont la peine à été exécutée d'une requête en réhabilitation, alors que ceux d'un condamné qui a bénéficié d'une grâce peuvent déposer une telle requête.
Le fils de Jacques Fesch a déposé une QPC portant sur la constitutionnalité de ces dispositions mais elle a été écartée par le Conseil constitutionnel dans une décision du 28 février 2020. Aux yeux du Conseil, ce texte n'est pas inconstitutionnel, notamment dans la mesure où la réhabilitation repose sur les "gages d'amendement" donnés par l'intéressé dans les cinq ans qui ont suivi la condamnation. Il est évident qu'un condamné à mort ne dispose pas d'un tel délai. C'est regrettable, surtout si l'on considère que la peine de mort n'est plus conforme à l'ordre public français, mais il est clair que le législateur a voulu définir la réhabilitation aux condamnés qui ont vécu et qui, par leur comportement, ont pu témoigner de leur volonté de réhabilitation.
A cette décision sévère, le Conseil ajoute tout de même un obiter dictum, selon lequel "le législateur serait fondé à instituer une procédure, ouverte aux ayants-droits d'un condamné à mort, "tendant au rétablissement de l'honneur de cette personne à raison des gages d'amendement qu'elle a pu fournir".
L'assassin assassiné. Julien Clerc. 1981
Procédure de rétablissement de l'honneur
Le législateur a tenir compte de cet obiter dictum. La loi du 24 décembre 2020 modifie ainsi la loi d'abolition de la peine de mort du 9 octobre 1981, en lui ajoutant un nouvel article 2. Il institue une procédure ad hoc permettant aux ayants-droits des personnes condamnées à mort et exécutées de saisir la chambre criminelle d'une requête "tendant au rétablissement de l'honneur de cette personne à raison des gages d'amendement qu'elle a pu fournir". La formule n'est pas d'une grande clarté, et l'on peut se demander quelle est la définition juridique de l'honneur, notion plus ou moins gazeuse, pas très éloignée de la réputation ou de l'oubli, mais néanmoins distincte.
La décision rendue par la chambre criminelle le 15 octobre 2024 constitue ainsi la première mise en oeuvre de ce texte et elle présente l'intérêt d'offrir un cadre juridique à cette notion. La Cour nous éclaire donc sur ces "gages d'amendement" qui, cette fois, peuvent intervenir dans le cas d'un condamné à mort dont la peine a été exécutée.
On sait que, dans ce cas, la Cour de cassation n'exerce précisément pas un contrôle de cassation. Elle est juge en premier et dernier ressort de l'honneur du condamné. La Cour précise ainsi que ces "gages d'amendement" sont "appréciés au regard de la gravité des faits, ainsi qu'en tenant compte de l'évolution de la personnalité et du comportement de la personne condamnée, depuis le jour auquel elle a commis les faits".
Sur ce point, la Cour s'inspire des "gages d'amendement" tels qu'ils sont définis pour la procédure de réhabilitation. Dans sa décision du 12 février 1963, elle jugeait ainsi que peut bénéficier de cette mesure de bienveillance la personne dont le comportement, durant les cinq années d'épreuve, autorise à la "replacer dans l'intégralité de son état ancien". Dans une telle situation, le maintien de la condamnation n'est plus nécessaire et proportionné, et son effacement est alors justifié. Ce principe a été mis en oeuvre récemment, dans un arrêt du 6 septembre 2023 intervenu, il est vrai, pour effacer des condamnations en matière correctionnelle.
Les "gages d'amendement"
Il ressort de cette jurisprudence la nécessité d'un contrôle approfondi du dossier communiqué au juge, l'appréciation de ce dernier exprimant un degré d'exigence très élevé. En l'espèce, le dossier déposé par le fils de de Jacques Fesch n'a pas semblé tout-à-fait satisfaisant.
Certes, la cour met au crédit du condamné son bon comportement durant son incarcération ainsi que les regrets qu'il a exprimés, en particulier dans ses écrits. En revanche, elle fait observer que la réalité de l'indemnisation des victimes ne ressort pas du dossier. Surtout, elle écarte l'argument reposant sur la démarche religieuse du condamné, dont évidemment il est difficile d'apprécier la sincérité. Pour la Cour, il ne s'agit pas d'un gage d'amendement. Quant à la diffusion de ses écrits, largement assurée par les milieux proches de l'Église catholique, elle est postérieure à son décès et même indépendante de sa volonté. Elle ne saurait donc davantage être considérée comme un gage d'amendement.
La requête est donc rejetée, mais elle éclaire sur ce que la Cour considère comme "rétablissement de l'honneur d'un condamné". D'une part, l'appréciation repose à la fois sur les regrets exprimés et leur sincérité, mais aussi et surtout sur leur traduction dans les faits, en particulier l'indemnisation des victimes. D'autre part, cette appréciation s'appuie exclusivement sur le comportement personnel du condamné, quel que soit le soutien apporté par des institutions qui lui sont extérieures. En l'espèce, l'affichage d'un retour à la foi religieuse, la mobilisation de l'Église par la diffusion des écrits du condamné et par la procédure de béatification sont mentionnés comme étant sans effet sur la procédure judiciaire. La Cour de cassation protège ainsi son indépendance, et empêche que le rétablissement de l'honneur d'un condamné soit le résultat d'une sorte de lobbying quelque peu malsain.
La peine de mort : chapitre 7, section 2 § 1 B du manuel de libertés publiques sur Amazon
Votre analyse juridique de cette décision nous éclaire utilement sur le cheminement de la Cour de cassation. Elle nous change des approches impressionnistes de nos perroquets à carte de presse, sorte de "toutologues" qui nous éblouissent toujours mais nous éclairent rarement.
RépondreSupprimerLa créativité langagière des hauts magistrats peine à masquer leur embarras face à une affaire exemplaire. Fallait-il ou non réhabiliter l'intéressé, auteur d'un meurtre condamné à mort ayant ensuite tout fait pour se racheter ? Nous sommes aux confins du droit, de la morale et de l'équité. Ce qui rend la décision mal aisée.
Aujourd'hui, la question ne se poserait pas. La peine de mort n'existe plus. Les criminels les plus dangereux bénéficient de remise de peine et se retrouvent dans la nature pour commettre, parfois, de nouveaux forfaits. Qui plus est, un délinquant mineur est qualifié de "petit ange" par un footballeur de renom, sorte de caution morale de la bienpensance. Manque de chance, la justice pourrait rattraper ce donneur de leçons de morale dans une sordide histoire.
En dépit de tous les dispositifs - nationaux et internationaux - qui l'encadrent, la justice ne sera jamais un long fleuve tranquille. Le risque d'erreur n'est jamais absent. Le droit n'est pas une science exacte !
Soit Jacques Fesch a été condamné et exécuté avant la commission du crime, et cela parait un bon motif de réhabilitation, soit le crime a été commis en 1954 (et non en 1964).
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