« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mardi 25 avril 2023

Dénoncer un harcèlement au travail



La Chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 19 avril 2023, rend plus facile la dénonciation d'un harcèlement au travail. Il précise qu'il n'est pas nécessaire d'avoir qualifié les faits subis ou constatés de harcèlement moral pour être ensuite protégé par les dispositions de l'article L 1152-2 du code du travail. Celles-ci interdisent que soient prononcées à l'encontre d'unevictime ou de la personne qui a dénoncé un harcèlement une sanction, un licenciement, ou toute autre mesure discriminatoire. Toute rupture du contrat de travail intervenue en violation de ces dispositions est entachée de nullité.

La Cour d'appel de Caen, dans sa décision du 15 avril 2021 énonce que Mme L., a été recrutée en novembre 2002 en qualité de psychologue par l'association Institution familiale Sainte-Thérèse, qui gère à Caen un foyer d'accueil pour adolescents en difficulté. Les relations de travail se sont peu à peu tendues, car Mme L. a dénoncé des faits de harcèlement commis sur les pensionnaires. En avril 2018, elle a finalement été licenciée pour faute grave, licenciement qu'elle a contesté successivement devant les Prud'hommes, puis devant la Cour d'appel de Caen. Les juges du fond ont considéré que Mme L. avait été licenciée précisément parce qu'elle avait dénoncé des faits de harcèlement dans l'institution, et lui ont accordé 100 000 € de dommages et intérêts, C'est donc l'Institution familiale Sainte-Thérèse qui a déposé le pourvoi en cassation.

 

Les critères du harcèlement

 

Le harcèlement s'apprécie à partir de trois critères cumulatifs. D'une part, les conséquences du traitement dont le salarié fait l'objet doivent être évidentes, tant au regard de sa carrière que de sa santé physique ou psychologique. D'autre part, ses conditions de travail doivent porter atteinte à sa dignité, ce qui signifie que le harcèlement s'inscrit toujours dans une relation d'autorité, une volonté d'humilier l'intéressé, le plus souvent dans le but de briser sa volonté pour le conduire à l'arrêt maladie ou à la démission. Sur ce point, il n'est pas rare que le harcèlement soit systématiquement organisé, dans un but de réduction des effectifs. Enfin, dernier critère et le plus important au regard de la décision du 13 février 2013, le caractère répété des agissements de l'employeur. 

Dans le cas de Mme L., il n'est pas sérieusement contesté que les critères du harcèlement sont réunis. Toutefois l'Institution familiale Sainte-Thérèse reproche à Mme L. d'avoir certes dénoncé des faits grave, mais sans les qualifier expressément de "harcèlement". Elle s'appuie sur un arrêt de la Chambre sociale rendu le 13 septembre 2017, selon lequel le salarié ne peut bénéficier de la protection de l'article L 1152-2 du code du travail que s'il a dénoncé des faits de harcèlement moral en les qualifiant formellement comme tels. 

 


L'employé penaud ou le patron tyrannique

Pierre de Belair (1892-1956)


La qualification de harcèlement


Précisément, Mme L a dénoncé des faits dont étaient victimes les jeunes en difficultés hébergés dans le foyer, avant de dénoncer d'autres faits de harcèlement dont elle était elle-même victime. Si elle n'a pas employé le terme "harcèlement", il ne fait aucun doute qu'elle était d'une parfaite bonne foi dans sa dénonciation. Or, depuis un arrêt du 7 février 2012, la Chambre sociale considère qu'un salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi. Cette dernière ne peut résulter que de la connaissance de la fausseté des faits ainsi dénoncés, par exemple lorsque le salarié veut simplement déstabiliser l'entreprise, ce qui n'est évidemment pas le cas en l'espèce. Dès lors que la dénonciation effectuée par Mme L. avait été effectuée de bonne foi, son licenciement pour faute grave était donc entaché de nullité.

L'arrêt du 19 avril 2023 n'est peut-être pas considéré comme un "grand arrêt", mais il constitue une avancée jurisprudentielle qui apporte au salarié une protection réellement efficace. Celui ou celle qui dénonce des mauvais traitements n'est pas nécessairement en mesure de leur donner une qualification juridique. A cet égard, la jurisprudence de 2017, qui imposait cette qualification par le dénonciateur, avait nécessairement un effet dissuasif. N'était-il pas préférable de ne rien dire en cas de doute sur la qualification des faits, plutôt que risquer un licenciement qui serait ensuite validé par les juges ?  Mme L. a opéré sa dénonciation dans un but purement altruiste, face à une institution qui voulait avant tout se protéger, et qui n'a pas hésité dans ce but à prononcer son licenciement. L'arrêt du 19 avril 2023 offre au salarié dans ce cas la protection dont il a besoin dans une telle situation, rapprochant ainsi le statut du dénonciateur de celui d'un lanceur d'alerte.


1 commentaire:

  1. Cette affaire soulève autant de questions que de problèmes qu'elle prétend régler.

    Où la plus haute juridiction situe-t-elle la limite objective entre dénonciation (acceptable) et délation (inacceptable en ayant à l'esprit la pratique sous la France de Vichy) ? Comment être certain que la médiatisation à outrance de la problématique du harcèlement moral n'entraîne-t-elle pas certains travailleurs à voir des pratiques de harcèlement - quoi que vous en pensiez, la définition de ce concept est assez floue - dès qu'un différend surgit dans les relations du quotidien ? La création dans les administrations de structures officielles en charge de la prétendue lutte contre toutes les formes de discrimination (pratique des référents, des déontologues ...) est en soi une invitation à voir le mal partout. Et, les subordonnés ne s'en privent pas pour des motifs qui ne sont pas toujours très nobles. Telle est la hantise de la hiérarchie qui pratique le pas de vague, y compris avec des agents incompétents et inadaptés, pour éviter le moindre problème nuisible à l'évolution normale de sa carrière ! Il existe des exemples concrets de hauts fonctionnaires tétanisés à l'idée d'être accusés de pratiques de harcèlement. Comment être garanti contre la dérive du patron coupable par nature (une présomption de culpabilité qui ne dit pas son nom) et du subordonné victime par essence (une présomption de crédibilité qui ne dit pas son nom) ? Comment ne pas craindre une forme de chasse au mâle blanc hétérosexuel ? Comment être certain que les syndicats ne jouent pas, parfois, un rôle trouble sans avoir eu accès à l'ensemble du dossier, sachant que le moindre détail factuel a son importance ?

    Nous sommes au coeur de la problématique de la remise en cause de l'autorité dans le monde du travail, en particulier et dans la société française, en général. Une fois encore, avec l'importation en Europe de concepts anglo-saxons dont on mesure au fil du temps les problèmes qu'elle soulève. Méfions-nous de ces lois "gadgets" qui contribuent à compliquer les relations du travail au lieu de les fluIdifier !

    RépondreSupprimer