« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


dimanche 16 avril 2023

Le RIP repose en paix, et les chances de résurrection sont modestes


Dans la lancée de sa décision sur la loi relative aux retraites du 14 avril 2023, le Conseil constitutionnel a rendu une seconde décision qui déclare irrecevable la proposition de loi introduisant une procédure de référendum d'initiative partagée, déposée par des parlementaires Nupes. Cette seconde décision est apparue comme une sorte d'appendice de la première, tout aussi défavorable aux opposants à la réforme des retraites. On n'y a donc guère prêté attention, comme s'il était déjà entendu que sa motivation politique rendait inutile toute analyse juridique.

 

L'absence de réforme

 

La décision RIP se caractérise par une extrême concision. Le Conseil constitutionnel commence par rappeler le texte de la proposition de loi référendaire. Celui-ci se compose d'un article unique, selon lequel "l’âge d’ouverture du droit à une pension de retraite (...) ne peut être fixé au-delà de soixante-deux ans". Il ajoute ensuite qu'une disposition ainsi rédigée n'entre pas dans le champ de l'article 11 de la Constitution. Celui-ci prévoit que le référendum doit porter "sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent". Pour le Conseil, la proposition, telle qu'elle est rédigée ne porte pas sur une "réforme" car elle "n’emporte pas de changement de l’état du droit".

Toute l'analyse du Conseil tient dans la date de sa saisine. Au moment où la proposition de loi référendaire lui est soumise, il est évident que la loi portant réforme des retraites n'est pas promulguée et que l'âge de 64 ans n'a pas encore pénétré dans le droit positif. L'âge légal de la retraite est donc encore de 62 ans. De fait, aux yeux du Conseil, la proposition ne propose aucune réforme et se borne à reprendre le droit positif. 

Certes, les auteurs de la proposition auraient sans doute dû remarquer que le Conseil constitutionnel avait déjà adopté une interprétation très stricte du champ d'application de l'article 11 dans sa décision RIP du 25 octobre 2022. Il s'agissait alors de susciter un RIP sur une proposition de loi portant création d'une contribution additionnelle sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises. Le Conseil avait estimé qu'une telle mesure consistait finalement à augmenter l'impôt sur les sociétés, mesure qu'il ne considérait pas comme une "réforme" relative à la politique économique, au sens où l'entend l'article 11. Une proposition de RIP avait donc déjà été balayée sur ce fondement.

Ce précédent permet de mesurer l'énorme marge de subjectivité qui se cache derrière une analyse juridique à l'apparence limpide. Car le Conseil ne dit pas à partir de quel moment une proposition de loi devient une "réforme". Pourquoi l'augmentation de l'impôt sur les sociétés ne serait-il pas considéré comme une réforme ? Fallait-il nécessairement créer un impôt nouveau pour que la mesure soit une "réforme" ? 

La décision RIP du 14 avril 2023 se heurte à une objection identique. La proposition de loi référendaire ne se limite pas à fixer l'âge de la retraite à 62 ans. Elle pose un seuil de 62 ans au-delà duquel l'État ne pourrait interdire à une personne de solliciter une pension. Ce n'est donc pas un âge qui est fixé, comme dans le droit positif, mais un seuil. A ce titre, la proposition modifie le droit positif dans le mesure où elle impose des règles nouvelles dans la mise en oeuvre du droit à la retraite à 62 ans. Mais le Conseil constitutionnel refuse d'examiner ce point qui aurait pourtant mérité un petit effort d'explication.

 


 Requiem. Campra

La Chapelle Royale. Dir : Philippe Herreweghe

 

L'effet boomerang de la promulgation de la loi

 

On ne peut s'empêcher de penser que la question de la date de la promulgation de la loi revient comme une sorte de boomerang juridique pour ruiner les efforts de ceux-là même qui l'avaient utilisée pour déposer la proposition référendaire. 

En l'espèce, celle-ci se heurtait à la condition de recevabilité du RIP, selon laquelle elle ne saurait "avoir pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an". Ce principe avait été rappelé dans la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 9 mai 2019, à propos de la proposition de loi relative au maintien du groupe Aéroport de Paris dans le service public. Le Conseil précisait alors que cette règle doit être appréciée à la date de sa saisine. Dans le cas de la proposition de loi référendaire sur les retraites, les auteurs de la proposition se sont donc hâtés de la voter et de la déposer au Conseil avant la promulgation de la loi sur les retraites par le Président de la République. 

Aujourd'hui, cette même date de promulgation joue, non plus en faveur du RIP, mais en sa défaveur. En effet, dès lors que la loi que l'on veut contester n'est pas promulguée, une proposition visant à remettre en cause les dispositions qu'elle contient sera plus facilement interprétée comme une tentative de maintien du droit positif, ce qui fait sortir la proposition du champ de l'article 11.

 

La seconde proposition de RIP

 

Les auteurs de la proposition ont eu le temps de voter un second texte, censé prévenir l'objection soulevée par le Conseil. Celui-là ne fixe pas de seuil, mais vise à "interdire" un âge légal de départ à la retraite supérieur à 62 ans. Il est assez peu probable que cette modification de rédaction soit suffisante pour changer la position du Conseil. 

En revanche, plus intéressant est le second article ajouté au texte. Il modifie le code de la sécurité sociale pour augmenter la part des revenus du capital affectée au financement des retraites. Certes, mais rien ne permet de penser que cette mesure sera perçue comme une "réforme" de l'actuel régime de retraites par le Conseil constitutionnel. Il s'agit en effet de modifier son financement, et le Conseil décidera, absolument comme il l'entend, s'il estime, ou non, que cette mesure modifie le régime des retraites. Disons franchement que ses dernières décisions laissent penser qu'il s'abritera derrière sa décision du 25 octobre 2022 pour affirmer que cette nouvelle proposition n'emporte aucune réforme, seulement une évolution du financement des retraites. 

On doit évidemment noter que les auteurs des propositions de loi référendaires comme ceux des saisines parlementaires de la loi sur les retraites devraient certainement s'entourer de quelques constitutionnalistes compétents. Comme l'a affirmé le professeur Paul Cassia sur les réseaux sociaux, il aurait été possible de rédiger un texte en fixant un âge de la retraite à 62 ans et six mois, par exemple. Et il devenait alors plus difficile pour le Conseil d'invoquer l'absence de réforme. Cette rédaction aurait sans doute eu davantage de chances d'aboutir que le nouveau texte qui, en modifiant le financement des retraites, offre au juge une porte de sortie avec sa décision d'octobre 2022. 

En tout cas, le Président de la République s'est hâté de promulguer la loi sur les retraites, ce qui était son droit le plus strict. Et elle a été publiée au Journal officiel en pleine nuit, car, depuis que le cette publication est en version électronique, elle est diffusée toutes les nuits, précisément entre une heure et trois heures du matin. La rapidité de la procédure interdit qu'une troisième proposition de loi référendaire soit déposée, mais avait-elle la moindre chance d'être déclarée recevable ? On ne doute pas que le Conseil constitutionnel aurait trouvé une motivation juridique pour s'y opposer. En l'état actuel des choses, le RIP repose au paix, et les chances de résurrection sont modestes.



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