« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


dimanche 12 décembre 2021

Le Fact Checking de LLC : La recherche sur la PMA "à trois parents"



Dans son édition du 10 décembre 2021, Le Figaro annonce, sur quatre colonnes ; "La justice annule une recherche sur la PMA " à trois parents". Il se réfère ainsi à une décision de la Cour administrative d'appel de Versailles qui, le 7 décembre 2021, a annulé l'autorisation donnée par l'agence de biomédecine à une recherche menée par l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris. Il s'agissait d'étudier les possibilités de permettre à une femme atteinte d'une maladie génétique mitochondriale de mener à terme une grossesse sans transmettre cette maladie à son enfant. Concrètement, et en simplifiant beaucoup, le but est de procéder à une fécondation in vitro, après après avoir ôté la partie d'ADN mitochondrial malade, remplacée par un élément sain prélevé sur un autre embryon non atteint de cette affection. Après cette thérapie génique, l'embryon est réimplanté dans l'utérus de la mère, et la grossesse se poursuit normalement.

Cette référence à l'embryon "à trois parents" est précisément celle utilisée sur le site de la Fondation requérante, la Fondation Lejeune, dont elle sait qu'elle conteste systématiquement toutes les procédures liées aux techniques d'assistance médicale à la procréation (AMP). Le Figaro ne fait donc que reprendre une formule à l'emporte-pièce destinée à faire peur en brandissant le double spectre du clonage et des manipulations génétiques.

En réalité, des naissances ont déjà été obtenues, d'enfants non atteints de l'affection génétique transmise par leur mère, au Royaume Uni en 2014, puis au Mexique en 2016, et dans bien d'autres pays ensuite. La recherche française quant à elle a été freinée par une législation très restrictive en ce domaine, jusqu'à la loi bioéthique du 2 août 2021.

 

Apprenti-sorcier v. Thérapie génique

 

Sur le plan juridique, on sait que l'expérimentation sur les embryons a été autorisée dès la loi du 7 juillet 2011. Elle est strictement encadrée et ne peut être développée que sur des embryons qui n'ont pas plus de 14 jours après la fécondation. Elle est précisément rendue possible par le développement de la pratique de la fécondation in vitro avec réimplantation (Fivete). Les embryons sont créés, puis congelés, afin de permettre au couple demandeur, ou à la femme seule demandeuse depuis la loi du 2 août 2021, de développer un ou plusieurs projets parentaux sur une durée plus ou moins longue. Il n'est donc pas rare que des embryons "surnuméraires" ne soient pas utilisés car ils ne répondent plus à un projet parental. Dans ce cas, les géniteurs ont la possibilité d'autoriser l'expérimentation médicale sur ces embryons de moins de deux semaines.

Contrairement à ce qu'affirme Le Figaro, le but de la recherche autorisée par l'Agence de biomédecine n'était donc pas de créer un embryon "à trois parents" mais plutôt de permettre à deux parents d'avoir un enfant non touché par une maladie héréditaire. Autrement dit, il ne s'agit pas de jouer aux apprentis-sorciers mais plus modestement de progresser les thérapies géniques.

Peut-on d'ailleurs qualifier de "parents" ceux qui précisément n'ont plus de projet parental, et acceptent de faire un don désintéressé pour que l'ADN d'un embryon qui, de toute manière ne serait jamais réimplanté, puisse être utilisé par d'autres pour devenirs parents ? Les "parents", dans ce cas, sont plutôt les receveurs que les donneurs. 


Enfant "à trois parents"

 

Nativité Johann Koerbecke circa 1415

Une victoire à la Pyrrhus


Le Figaro est remarquablement discret sur la portée de ce qui est présenté comme une "victoire" contentieuse. Si victoire il y a, elle est à la Pyrrhus. En effet, la décision de la CAA de Versailles est rendue sous l'empire du droit antérieur à la loi du 2 août 2021. A l'époque la loi française, celle de 2011, interdisait la création d'embryons transgéniques, c'est-à-dire dont le génome est modifié durant l'expérimentation. La CAA s'appuie donc sur l'ancien article L 2151-2 du code de la santé publique qui prohibait toute modification du patrimoine génétique d'un embryon. 

Aujourd'hui, ce même article, modifié par la loi du 2 août 2021, se borne à interdire la création de chimères, c'est-à-dire la modification d'un embryon humain par adjonction de cellules provenant d'autres espèces. La thérapie génique n'est plus interdite, et ne sont donc plus interdites les recherches susceptibles de la rendre possible. 

Il est donc probable que les chercheurs de l'Assistance publique - Hôpitaux publics ne feront pas de recours en cassation contre la décision de la CAA de Versailles. Il leur suffira de faire une nouvelle demande d'autorisation à l'Agence de biomédecine pour pouvoir continuer leur expérimentation. Le Figaro mentionnera-t-il cette information ?


Sur l'expérimentation sur les embryons : Chapitre 7 section 2 § 2 C  du Manuel

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