« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mercredi 17 novembre 2021

Le drapeau de la Martinique en berne


Dans un jugement du 15 novembre 2021, le tribunal administratif de la Martinique annule la décision par laquelle le président du Conseil exécutif de la collectivité territoriale a choisi un drapeau et un hymne destinés à représenter la Martinique au plan international, lors des manifestations culturelles et sportives. Ce choix a été précédé de deux consultations effectuées auprès de la population martiniquaise, une première faisant des propositions de drapeau et d'hymne, une seconde offrant un choix entre trois projets. 


Une procédure complexe


Les décisions de lancer ces deux procédures consultatives sont considérées par le juge administratif comme des actes préparatoires au choix définitif. Elles ne sont donc pas susceptibles de recours, contrairement à la décision finale du président du Conseil exécutif, qui fait l'objet du présent recours pour excès de pouvoir. Sur ce point, le tribunal administratif applique la jurisprudence issue de l'arrêt du Conseil d'État du 1er octobre 2009, Association Radio Horizon. Il avait alors considéré que la publication par le CSA d'une liste de candidats présélectionnés ne constituait qu'un acte préparatoire à la décision ultérieure d'attribution des fréquences. Observons toutefois que, dans le cadre d'une opération complexe comme celle qui a conduit au choix du drapeau martiniquais, les requérants sont recevables à invoquer toute irrégularité de la procédure, y compris au stade des consultations préalables. Ce principe est acquis depuis l'arrêt Mme Peyrard du 1er avril 1996.

En l'espèce, le tribunal administratif annule l'acte pour incompétence, mais pas n'importe quelle incompétence. 

 

Absence d'incompétence de la collectivité

 

Les requérants estimaient tout simplement que la collectivité d'outre mer n'était pas compétente pour doter la Martinique d'un drapeau et d'un hymne. Il est vrai qu'Alfred Marie-Jeanne, alors président du Conseil exécutif, était le leader du mouvement autonomiste martiniquais. Son choix consistant à imposer un drapeau spécifique, mystérieusement dénommé "Ipséité", lors de manifestations sportives ou culturelles, avait notamment irrité la partie de la population qui pensait que des athlètes français doivent concourir sous les couleurs de leur pays. Mais il avait aussi irrité une partie du mouvement indépendantiste, attaché à un autre étendard, rouge-vert-noir. 

Était-il possible d'invoquer l'article 2 de la Constitution de 1958 qui affirme que "l'emblème national est le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge" et que "l'hymne national est la "Marseillaise". Sans doute pas, car la Constitution n'interdit pas l'usage de symboles qui ne sont pas nationaux mais régionaux, voire locaux.

L'article L 7251-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT) énonce que "l'assemblée de Martinique règle par ses délibérations les affaires de la collectivité territoriale de Martinique". Au nombre de ces affaires figurent, selon les dispositions de ce même article, les mesures prises "pour assurer la préservation de son identité ". Là encore, rien n'interdit de prévoir un drapeau manifestant une identité régionale. Pour les régions qui ne sont pas des collectivités d'outre-mer, l'article L 4221-1 CGCT autorise de la même manière un conseil régional à prendre toute mesure "pour assurer la préservation de son identité ". C'est ce qu'a fait le conseil régional de Bretagne, dans une délibération du 13 octobre 2006 qui fait du drapeau "Gwen Ha Du" un symbole identitaire régional. Aucun fondement juridique ne permettait donc de refuser à la Martinique une prérogative que la Bretagne avait exercée dix années auparavant.

 


 

Le drapeau noir flotte sur la marmite. Michel Audiard. 1971

Musique de Georges Brassens

 

Incompétence du Conseil exécutif

 

Mais il existait un second cas d'incompétence. En l'espèce, la décision du président du Conseil exécutif n'est précédée d'aucune décision de l'organe délibérant de la collectivité, contrairement à la procédure suivie en Bretagne où le choix du drapeau est le fruit d'une délibération du conseil régional. En Martinique, le président du Conseil exécutif a, au contraire, choisi de court-circuiter l'assemblée délibérante. Le président de cette assemblée, pressenti pour faire partir de la commission de sélection des projets, a d'ailleurs refusé de participer aux travaux. Après une pseudo-consultation de la population organisée sur internet, c'est donc le président du Conseil exécutif qui a lui-même déclaré les vainqueurs. Toute ces procédure est, à l'évidence, entachée d'incompétence. L'article L 7224-9 CGCT précise en effet que le président du Conseil exécutif n'a pas d'autres fonctions que de "préparer et exécuter les délibérations de l'Assemblée".

L'incompétence est un moyen d'ordre public. Le tribunal administratif a donc annulé sur ce fondement la décision du président du Conseil exécutif. Il ne manque pas d'affirmer clairement que cette annulation rétroactive a pour effet d'interdire à la Collectivité d'utiliser le drapeau et l'hymne ainsi créés comme emblèmes, à l'occasion de quelque manifestation que ce soit. Aucune injonction du juge n'est donc nécessaire, puisque l'annulation entraine l'effondrement de toute l'opération.  

Cette annulation pour incompétence révèle une pratique du pouvoir très solitaire de l'ancien Président du Conseil exécutif de la collectivité, battu aux élections territoriales de 2021 et renvoyé en correctionnelle en décembre 2019 pour différentes infractions. Mais la lecture des conclusions du rapporteur montre que le choix de ce cas d'annulation n'est sans doute pas le plus sévère. Des irrégularités massives ont en effet été relevées dans l'ensemble de la procédure, qu'il s'agisse de la composition de la commission de sélection, voire du nombre de couleurs des drapeaux proposés au concours. On ose à peine imaginer ce qu'aurait pu être le marché public passé ensuite avec les auteurs du drapeau et de l'hymne, voire avec les fabricants et interprètes. 

De cette invraisemblable procédure sort finalement un seul vainqueur, le drapeau français.

 

Sur la protection du drapeau et de l'hymne national : Chapitre 9, section 2, § 1, B du Manuel de Libertés publiques sur internet.


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