« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mardi 18 juin 2019

Parcoursup devant le Conseil d'Etat

Le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 12 juin 2019, juge qu'un syndicat étudiant n'est pas fondé à demander communication des algorithmes définis par les établissements d'enseignement supérieur dans le cadre de la procédure d'inscription Parcoursup. Heureusement, cette décision restera sans conséquence. Anticipant la décision du Conseil d'Etat, et sans doute désireux de mettre fin aux accusations d'opacité qui avaient marqué la première utilisation de Parcourssup en 2018,  le décret du 26 mars 2019 impose désormais aux établissement une publication "des critères généraux encadrant l'examen des candidatures (...)" (art. D. 612-1-5 du code de l'éducation). 

Doit-on en déduire que l'arrêt du Conseil d'Etat arrive après la bataille et que sa décision est dépourvue d'intérêt ? Pas tout à fait. Elle témoigne en effet de la conception que se fait la Haute Juridiction du principe de transparence administrative pourtant consacré par la loi.


La loi du 8 mars 2018



La décision semble reposer sur une application stricte de la loi du 8 mars 2018, celle qui précisément est à l'origine de Parcoursup. Son article 1er énonce  : "Afin de garantir la nécessaire protection du secret des délibérations des équipes pédagogiques chargées de l'examen des candidatures", les obligations de transparence "sont réputées satisfaites dès lors que les candidats sont informés de la possibilité d'obtenir, s'ils en font la demande, la communication des informations relatives aux critères et modalités d'examen de leurs candidatures ainsi que des motifs pédagogiques qui justifient la décision prise".

Une distinction est ainsi établie entre les deux étapes du traitement de Parcoursup par les Universités. Une première phase est d'abord menée à terme, à partir d'algorithmes, conduisant à un premier classement des candidats. Une seconde phase se conclut ensuite par une décision définitive prise par une équipe pédagogique. Les algorithmes ne sont alors qu'un outil de première phase, d'aide à une décision qui intervient en seconde phase. Dans son avis préalable à la décision du tribunal de Basse Terre, la CADA avait considéré que l'obligation d'information des candidats ne concernait que cette seconde phase, celle de la "délibération des équipes pédagogiques". Les algorithmes demeuraient donc secrets, précisément parce qu'ils relevaient de la première phase.

Le Conseil d'Etat simplifie considérablement le propos en s'appuyant directement sur le texte de l'article 1er de la loi : seuls les candidats peuvent obtenir la communication des informations, et donc des algorithmes. L'UNEF n'est pas candidate sur la plateforme Parcoursup. Elle ne représente pas davantage les candidats qui, étant encore lycéens, ne sauraient être représentés par un syndicat étudiant.

Tout cela serait juridiquement convaincant, si l'UNEF s'était placée sur le fondement de la loi de 2018 mais, au contraire, elle s'est présentée comme un citoyen lambda invoquant le droit commun de la transparence administrative.


Soirée étudiante après Parcoursup
Scène de la taverne. Les Contes d'Hoffmann. Offenbach  
Paris 2002

Le droit commun de la transparence administrative



Le syndicat fonde sa requête sur la loi générale qui reste applicable dans le cas d'une demande formulée par un tiers à la procédure. On doit reconnaître que cette demande s'inscrivait dans un contexte législatif et jurisprudentiel parfaitement cohérent. Il constituait d'ailleurs le fondement de l'injonction de communication prononcée par le tribunal administratif de Basse Terre le 4 février 2019.

L'UNEF s'appuie tout simplement sur la loi du 17 juillet 1978 désormais codifiée dans les articles L 311-1 et L 300-2 du code des relations entre le public et l'administration, loi qui consacre l'existence d'un droit d'accès aux documents administratifs. Depuis un avis du 8 janvier 2015 DGFIP, la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) estime ainsi sur ce fondement que le code source utilisé pour le calcul de l'impôt sur le revenu est un document communicable, principe confirmé par le tribunal administratif de Paris, dans un jugement du 10 mars 2016. Dans un avis du 23 juin 2016, Association Droits des Lycéens, la CADA s'était elle-même déclarée favorable à une transparence de même nature pour le code source du logiciel d'admission post-bac (APB), système qui a précédé Parcoursup.

La loi Lemaire pour une République numérique du 7 octobre 2016 ajoute ensuite les codes sources à la liste des documents administratifs communicables. Le décret du 14 mars 2017 précise que toute personne à laquelle est appliquée une décision issue d'un traitement algorithmique doit pouvoir obtenir communication des règles définissant ce traitement ainsi que des caractéristiques principales de sa mise en oeuvre. L'article L 312-1-3 du code des relations entre le public et l'administration (crpa) impose aux administrations la publication en ligne de ces algorithmes, lorsqu'ils fondent des décisions individuelles.  L'État a effectivement rempli cette obligation en mai 2018 pour le système centralisé Parcoursup. Cette publication conduit ainsi à élargir l'information aux tiers et non plus aux seuls candidats, mais elle ne concerne que l'algorithme mis en place par le ministère de l'enseignement supérieur, algorithme mis en oeuvre après la décision des établissements d'enseignement supérieur et qui permet évidemment de la remettre en cause, au nom sans doute de l'autonomie des universités.

Le tribunal administratif de Basse Terre s'était précisément fondé sur le droit commun, rappelant au passage que la communication des algorithmes des établissements d'enseignements supérieurs ne portaient pas atteinte au secret des délibérations. Ils ne sont qu'un outil d'aide à la décision et la décision finale demeure celle des équipes pédagogiques compétentes.

Le Conseil d'Etat réfute donc cette analyse. Sa motivation semble reposer sur un principe général d'interprétation du droit faisant prévaloir la loi spéciale, celle du 8 mars 2018 organisant Parcoursup, sur la loi générale que constitue le code des relations entre le public et l'administration. Ce faisant, il oublie totalement que les deux droits à la communication des informations n'ont pas les mêmes titulaires. Le droit d'accès de la loi de 2018 n'est exercé que par les candidats, le droit d'accès de droit commun est ouvert à n'importe quel administré, particulier, association ou syndicat. Ce tour de passe-passe juridique a  pour conséquence d'interdire aux tiers d'exercer un droit qui leur est pourtant reconnu par la loi.


Le secret, valeur à protéger



Même si le décret du 26 mars 2019 est venu, très opportunément, vider de son contenu cette analyse, elle témoigne d'une tendance générale qui vise à réduire autant que possible la transparence administrative.

On sait que celle-ci fut l'un des thèmes majeurs des libertés publiques dans les années soixante-dix, de l'accès aux données personnelles initié par la loi du 6 janvier 1978 à l'accès documents administratifs consacré par celle du 17 juillet 1978 en passant par l'accès aux archives de la loi du 3 janvier 1979 ou la motivation des actes administratif de celle du 11 juillet 1979. Ces textes étaient alors salués comme la "Troisième génération des droits de l'homme" (Guy Braibant) et autant d'avancées vers une véritable démocratie administrative.

Aujourd'hui, c'est le secret qui est mis en avant, secret fiscal pour justifier le maintien du verrou de Bercy, secret de la vie privée pour restreindre l'Open Data des décisions de justice, secret des affaires pour protéger les entreprises de différentes investigations. Le Conseil d'Etat, quant à lui, se retrouve ainsi sur un terrain qui lui est cher. Il a toujours plus ou moins considéré que l'accès des citoyens à l'information était un droit inutile, puisque, lui, "gardien des libertés publiques", avait communication des informations dans le cadre du recours contentieux. Puisque le Conseil d'Etat est là pour vous protéger, vous n'avez pas besoin de contrôler l'administration. Cette tendance n'a malheureusement pas disparu, alors que les juges devraient plutôt protéger un principe de transparence actuellement battu en brèche par une série de normes privilégiant le secret.




1 commentaire:

  1. Analyse tout à fait pertinente de la décision de la plus haute juridiction administrative française.

    Excellente description du fonctionnement normal du Conseil d'état dans votre conclusion, fonctionnement résultant d'un subtil cocktail d'arrogance, de pleutrerie et de duplicité.

    A quand l'insertion obligation dans tous les manuels de droit administratif d'un chapitre spécifique consacré à la pratique habituelle des guignols du Palais-Royal ? Cela éclairerait nos étudiants en droit qui chevauchent le plus souvent des chimères dès qu'ils entendent parler de cette Justice couchée.

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