« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


dimanche 6 octobre 2013

Le droit à l'intégrité physique des enfants : excision et circoncision

La résolution 1952 (2013) adoptée le 2 octobre 2013 par l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe traite du droit des enfants à l'intégrité physique, sujet en principe largement consensuel. La résolution a d'ailleurs été adoptée à une large majorité de 78 voix contre 13, et 15 abstentions. 

La résolution s'efforce d'envisager aussi largement que possible les atteintes à l'intégrité physique dont les enfants peuvent être victimes, "notamment les mutilations génitales féminines, la circoncision de jeunes garçons pour des motifs religieux, les interventions médicales à un âge précoce sur les enfants intersexués, et les piercings, les tatouages ou les opérations de chirurgie plastique". 

On s'en doute, c'est surtout le fait de placer la circoncision parmi ces atteintes à l'intégrité physique qui a suscité les réactions les plus vives. La pression religieuse est si forte que le simple fait de débattre de ces pratiques sous l'angle juridique est considéré comme une atteinte à la liberté religieuse. Le porte parole du ministère des affaires étrangères israélien a ainsi appelé le Conseil de l'Europe "à revenir immédiatement sur cette résolution". De son côté, Abdellah Zekri, membre du Conseil français du culte musulman (CFCM), déclare : "Je m'indigne contre cette résolution et m'étonne du silence des dirigeants musulmans qui n'ont pas réagi". On le constate, la résolution a au moins le mérite de dégager un consensus inattendu.

Le droit à l'intégrité physique

Le droit à l'intégrité physique repose sur l'idée que l'être humain est dès sa naissance, en quelque sorte, entouré d'une bulle protectrice, destinée à la préserver d'éventuelles atteintes. En matière physique, il s'agit de préserver l'individu de toute violence, sous quelque force que ce soit. Ce droit est garanti par l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme qui interdit la torture ainsi que les traitements inhumains et dégradants. Dans une décision du 25 avril 1978 Tyrer c. Royaume Uni, la Cour européenne des droits de l'homme a précisé que les châtiments judiciaires corporels à l'égard des enfants en usage sur l'île de Man portaient atteinte à "l'un des buts principaux de l'article 3 : la dignité et l'intégrité de la personne". Ce principe a ensuite été confirmé par un arrêt A. c. Royaume Unie de 1998, à propos des violences physiques infligées aux enfants, quand bien le droit de l'Etat n'interdit pas formellement les châtiments corporels. 

De son côté, la Convention internationale relative aux droits de l'enfant de 1989 exige que toutes les décisions concernant les enfants soient prises au regard de leur "intérêt supérieur" (art. 3). Les Etats parties doivent donc prendre toutes mesures de nature à "protéger l'enfant contre toute forme de violence, d'atteinte ou de brutalités physiques ou mentales (...), y compris pendant qu'il est sous la garde de ses parents (...) " (art. 19).

Les juges français appliquent ces dispositions, et la juridiction administrative considère ainsi que l'excision d'une fillette constitue un traitement inhumain et dégradant au sens de l'article 3 de la Convention européenne. Une telle décision n'est pas sans conséquence, car le renvoi d'une famille dans son pays d'origine peut être annulé, si elle parvient à démontrer que les enfants risquent d'être victimes d'excision après leur retour (CAA Nancy, M. Amara  A.).

Giovanni Bellini. La circoncision de Jésus. Circa 1500


Absence d'échelle des violences

Dans sa résolution, l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe fait preuve d'une grande prudence dans sa formulation, et prend soin de distinguer différentes "catégories de violations de l'intégrité physique des enfants", les "pratiques les plus préjudiciables" étant constituées par les mutilations génitales féminines. On doit donc en déduire que d'autres pratiques sont "moins préjudiciables", et c'est sans doute le cas de la circoncision. De fait, la résolution invite les Etats à interdire l'excision et seulement à contrôler les pratiques de circoncision.

Les critères de cette classification ne sont pas clairement exprimés, mais on peut penser que l'assemblée parlementaire envisage les conséquences de ces actes sur l'enfant. Alors que la petite fille qui subit une excision sera définitivement privée d'une vie normale lorsqu'elle sera devenue une femme, le petit garçon circoncis ne subira plus de souffrances physiques liées à l'intervention. 

Cette distinction, sans doute destinée à limiter les réactions hostiles, est cependant dépourvue de contenu juridique. Car le régime juridique du droit à l'intégrité de la personne ne permet pas d'apprécier l'atteinte subie à travers l'intensité de ses effets. C'est l'existence même de la violence qui est prohibée et il n'existe donc pas de violences juridiquement acceptables.

Intégrité et inviolabilité

En termes juridiques, l'intégrité de la personne humaine est d'abord une inviolabilité, d'ailleurs garantie par l'article 16-1 al. 2 du code civil : "Le corps humain est inviolable" . Cela signifie que le corps humain doit être à l'abri de toute agression infligée par des tiers, y compris les parents d'un enfant. En revanche, les atteintes commises par une personne sur son propre corps ne sont pas poursuivies. C'est ainsi que la tentative de suicide ne donne lieu à aucune poursuite pénale en droit français (Crim. 23 avril 1971). et que la loi du 4 mars 2002 autorise les patients à refuser les soins médicaux. 

Dans les deux cas, c'est le libre arbitre qui fait la différence. Une atteinte à l'intégrité physique de la personne peut exister si cette dernière y a librement consenti et a clairement fait connaître son choix. Tel n'est pas le cas évidemment d'un enfant très jeune, qui ne saurait consentir à des pratiques d'excision ou de circoncision, d'autant qu'il n'est pas en âge de donner un consentement éclairé. A cet égard, qu'il s'agisse de circoncision, d'excision ou d'un piercing, la qualification juridique est la même. Dès lors que l'intéressé n'y a pas consenti, l'atteinte est constituée. Quant aux traditions religieuses millénaires, elles sont peut être solidement ancrées dans les mentalités, mais elles n'ont pas davantage pour effet de rendre licite des pratiques qui restent et demeurent des atteintes à l'intégrité de la personne.


6 commentaires:

  1. 1/5 Benefits of circumcision in islam and judaism la circoncision
    http://www.youtube.com/watch?v=yI3WlnZ9Ufc
    +++++++++++++++++
    2/5 Benefits of Circumcision in Islam and Judaism la Circoncision
    http://www.youtube.com/watch?v=sbjacP7fY_c

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  2. circoncisions rituelles & droits de l'enfant:
    http://www.enfant.org

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  3. Votre article est très intéressant. Effectivement la question de la circoncision fait débat. Il y a des avantages à être circoncis et il y a un bienfait humain derrière: tu seras un "libre penseur, mon fils et tu choisiras quand tu auras l'âge de raison si oui ou non la circoncision te rapprochera de ton Dieu".

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  4. Les mutilations génitale sont condamnables quel que soit le sexe, il me semble très grave de laisser de jeunes enfants se faire charcuter le sexe au nom de la religion, d'autant plus que cette pratique a pour but d'"affaibilir la concupiscence" (Maïmonide lui-même le dit), c'est à dire de réduire le plaisir sexuel.
    Fait évident ( quand on coupe une partie diu corps, on ne la sent plus...) et corroboré par plusieurs études dont " Fine-touch pressure thresholds in the adult penis" par Sorrells et al. publiée dans the British Journal of Urology International.

    Sa conclusion est la suivante : "The glans of the circumcised penis is less sensitive to fine touch than the glans of the uncircumcised penis. The transitional region from the external to the internal prepuce is the most sensitive region of the uncircumcised penis and more sensitive than the most sensitive region of the circumcised penis. Circumcision ablates the most sensitive parts of the penis."

    Des milliers d'enfants en meurent chaque année dont une centaine environ aux Etats-Unis.

    C'est un marquage religieux au fer rouge, et certainement pas une liberté car un bébé n'a pas de religion et vous attaquez son intégrité physique et sexuelle lorsque vous coupez la partie la plus sensible de son corps adulte.
    La "circoncision"(il faudrait en finir avec ce terme car les gens ne réalisent pas bien ce qu'il y a derrière, il banalise la violence) devrait être interdite sur les mineurs.
    Si quelqu'un souhaite se couper une partie du sexe, faire un piercing dessus ou le tatouer, libre à lui. Notez que de ces 3 procédures, la première est la pire (on supprime les parties les plus innervées des organes génitaux) et les 2 autres ne seraient pourtant tolérées nulle part, ceratinement pas en France sur un mineur.

    Les arguments médicaux en faveur de cette pratique ont été très largement critiqués et ne sont de toute façon pas recevables d'un point de vue éthique. QUi accepterait que toutes les jeunes femmes subissent une double masectomie pour éviter un cancer du sein? Pourtant la maladie est bien plus commune ( touche une femme sur 8) que toutes les maladies que toutes les choses que la circoncision masculine est censée guérir.

    Par ailleurs, un regard simple sur les statistiques des IST aux Etats-Unis où cette pratique est très commune montre qu'elle ne protège pas de grand chose, au contraire les statistiques ont tendance à être plus élevées qu'en Europe, pour le VIH notamment...

    Bref, les arguments médicaux ne font pas le poids, il faudrait déjà se souvenir du "primum non nocere" auquel les médecins sont censés petre soumis. Couper des parties saines d'un corps non malade parce qu'un être invisible l'ordonne ne me semble pas rentrer dans ce cadre.

    Le droit à l'intégrité physique me semble fondamental, et on ne peut parler de "liberté religieuse" quand on supprime cette liberté à l'enfant qui subit cette opération. Il s'agit de la liberté des parents d'infliger des sévices à leurs enfants dans ce cadre.

    Sachant qu'il existe plusieurs types des mutilations génitales pour chaque sexe avec un degré de sévérité variable , et qu'elles sont TOUTES, même celles qui ne détruisent aucun tissu vivant, interdites pour les filles, il me semble logique que les garçons bénéficient de la même protection.

    Une victime de cette pratique barbare.

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  5. "Une atteinte à l'intégrité physique de la personne peut exister si cette dernière y a librement consenti et a clairement fait connaître son choix. Tel n'est pas le cas évidemment d'un enfant très jeune, qui ne saurait consentir à des pratiques d'excision ou de circoncision, d'autant qu'il n'est pas en âge de donner un consentement éclairé. A cet égard, qu'il s'agisse de circoncision, d'excision ou d'un piercing, la qualification juridique est la même. Dès lors que l'intéressé n'y a pas consenti, l'atteinte est constituée."


    Je ne suis pas d'accord avec vous sur la question du consentement, puisque précisément, un parent a toute autorité pour consentir à ces actes à la place de l'enfant, exerçant sur lui l’autorité parentale.

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  6. "Une atteinte à l'intégrité physique de la personne peut exister si cette dernière y a librement consenti et a clairement fait connaître son choix. Tel n'est pas le cas évidemment d'un enfant très jeune, qui ne saurait consentir à des pratiques d'excision ou de circoncision, d'autant qu'il n'est pas en âge de donner un consentement éclairé. A cet égard, qu'il s'agisse de circoncision, d'excision ou d'un piercing, la qualification juridique est la même. Dès lors que l'intéressé n'y a pas consenti, l'atteinte est constituée."


    Je ne suis pas d'accord avec vous sur la question du consentement, puisque précisément, un parent a toute autorité pour consentir à ces actes à la palce de 'enfant, exerçant sur lui l’autorité parentale.

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