« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mardi 6 août 2013

La paternité du donneur de sperme

Les Papas et les Mamans de la Manif pour tous surveillent leur progéniture qui fait des pâtés sur les plages. Les veilleurs se reposent sur une chaise longue dans le jardin du cloître où ils font retraite. Le Tour de France s'est achevé sans être véritablement dérangé par les petits drapeaux roses et bleus. Quant aux représentants de l'Eglise, qui avaient initié le mouvement avec les prières du 15 août de l'été dernier, ils se font désormais remarquablement discrets.

Heureusement pour les irréductibles, un juge vient d'admettre la reconnaissance de paternité d'un donneur de sperme. Le lien de filiation entre lui et l'enfant qu'il a contribué à concevoir aux profit d'un couple de femmes est désormais chose acquise. Le juge des affaires familiales lui a donc accordé les droits du père, qui vont se développer progressivement. Il verra d'abord l'enfant en présence de sa mère, puis en dehors de celle-ci, avant de bénéficier d'un droit d'hébergement et de garde durant la moitié des vacances scolaires. Les commentaires des lecteurs du Figaro sous l'article qui reprend cette information sont particulièrement réjouissants. La décision du juge des affaires familiales n'est-elle pas la preuve éclatante de la primauté de la filiation biologique, la seule légitime, face à toutes ces innovations fâcheuses introduites par le Parlement ?

Hélas, il faut modérer l'enthousiasme des Papas et des Mamans. La décision ne proclame pas une quelconque supériorité de la filiation biologique mais se borne à trouver une solution à un problème particulier, et même très particulier. Pire, elle montre que, tôt ou tard, il faudra bien légiférer sur l'accès des couples homosexuels à la procréation médicalement assistée.

Charles Camoin (1875-1965). Enfant


Une IAD "entre soi"

En schématisant un peu, on peut dire que le trio s'est organisé "entre soi". Sébastien, le donneur de sperme, est un ami, qui accepte de donner ses gamètes à ses copines homosexuelles Magali et Flavie. Il se découvre ensuite une fibre paternelle inattendue et décide de reconnaître le bébé. 

La situation est particulière, car les trois acteurs principaux violent la loi. Le droit français réserve en effet la procréation médicalement assistée aux couples hétérosexuels, principe réaffirmé par la loi du 7 juillet 2011 et toujours en vigueur. L'insémination avec donneur (IAD) s'exerce alors de manière anonyme et gratuite, au sein des Centres d'études et de conservation des oeufs et du sperme humains (CECOS). La receveuse ignore qui est le père biologique de son enfant, et le donneur ignore qui va bénéficier de son don. Il s'engage en même temps à renoncer à toute action judiciaire dans le but de faire reconnaître sa paternité. La loi organise ainsi une rupture totale entre la filiation biologique et la filiation légale, ce qui n'a jamais choqué les Papas et les mamans pourtant si attachés à la première. Il est vrai que le système joue exclusivement au profit de couples hétérosexuels qui, seuls, peuvent dissocier complètement filiation biologique et filiation juridique. Dans les conditions posées par la loi, Magali et Flavie ne pouvaient, par hypothèse, bénéficier d'une IAD. Elles ont donc choisi de faire appel à un ami, probablement sans être conscientes qu'elles prenaient un grand risque, celui précisément que le copain refuse de renoncer à sa paternité. Le contrat implicite ainsi conclu avec le donneur était d'ailleurs entaché de nullité, du fait de l'illicéité de son objet.

Ce risque constitue une véritable épée de Damoclès pesant sur celles qui ont choisi une telle solution. Alors que dans l'accouchement sous X, la mère biologique ne dispose que d'un délai légal de rétractation de deux mois pour décider finalement de garder son enfant, Sébastien, le donneur de sperme, pouvait reconnaître son enfant à tout moment. Par hypothèse, il n'avait pas de problème pour prouver sa paternité, puisqu'il est bel et bien le père biologique. Par hypothèse encore, il n'avait pas renoncé à ses droits, puisque l'opération s'était faite en dehors d'un CECOS. Magali et Flavie ont donc été bien mal inspirées. Pour une somme relativement modique, elles auraient pu se rendre en Belgique ou dans un autre pays, et bénéficier d'un don de sperme dans des conditions juridiques plus satisfaisantes.

Une affaire antérieure à la loi Taubira

La situation est aussi particulière dans la mesure où l'affaire est antérieure à la loi Taubira, intervenue en mai 2013. Or, le bébé de Magali, Flavie... et Sébastien, est né en septembre 2011. Ce dernier l'a reconnu sept mois plus tard, soit en avril 2012. A l'époque, celle qui n'a pas mis l'enfant au monde ne pouvait pas épouser sa compagne et adopter l'enfant. Le couple se trouvait donc tout à fait démuni face à la reconnaissance de paternité du donneur de sperme. 

Dans ce cas, la reconnaissance de la filiation biologique repose sur un espace de non-droit. Le donneur de sperme bénéficie de l'absence de législation relative aux couples homosexuels, et, au premier chef, de l'absence de mariage. Il bénéficie aussi de l'absence d'encadrement juridique de son don par les CECOS. Sur ce point, la solution choque quelque peu, au regard du principe "Nemo auditur ejus propriam turpitudinem allegans" (nul ne peut se prévaloir de sa propre faute). Hélas, chacun sait que cette règle ne s'applique qu'en matière contractuelle et qu'en l'espèce, précisément, il n'y avait pas de contrat.

Cette primauté de la filiation biologique n'est donc que le résultat d'un concours de circonstances. N'en déplaise aux Papas et aux Mamans toujours si prompts à s'enthousiasmer, cette décision n'a rien de militant. Elle ne vise pas à affirmer la primauté de la filiation biologique, mais met en lumière la nécessité d'un encadrement juridique de ces pratiques. Il est évident que les homosexuelles ne renonceront pas à avoir des enfants par IAD et la présente affaire témoigne au moins de leur motivation. Le voyage en Belgique peut parfois leur sembler trop onéreux, ou trop lointain, et dans ce cas la tentation est grande de faire confiance à un copain, de se lancer dans une aventure dont on ne mesure pas les conséquences juridiques. Ne serait-il pas finalement plus simple de s'adresser à un CECOS et de bénéficier d'une IAD, dans les mêmes conditions qu'un couple hétérosexuel ?



2 commentaires:

  1. D'une, je ne vois pas très bien d'où est-ce que vous déduisez que ces trois personnes "violent la loi". Il existe une procédure d'assistance médicale à la procréation. Elles n'y ont pas recours. So what ?

    De deux,je ne vois là aucun contrat, je ne vois donc pas pourquoi un contrat serait nul. Quand deux personnes s'accouplent, elles passent un contrat valide ?

    Je ne vois donc pas quelle serait la faute (juridique) ou la "turpitude" dont Sébastien, que vous appelez "donneur de gamètes" et que la justice appelle "père" se prévaudrait.

    J'aurais plutôt dit : la procréation n'est pas médicalement assistée, donc ce sont les règles de droit commun qui s'appliquent ; peu importe juridiquement que la mère soit en concubinage avec une autre femme, ou les modalités de la fécondation, ou ce que les uns ou les autres se sont dits. La situation n'est juridiquement pas différente du cas où une femme qui vit un concubinage avec un homme a un enfant par accouplement avec un amant passager auquel elle aurait dit qu'elle prend la pilule.

    Votre article repose quant à lui sur l'idée qu'il existe une distinction juridique entre différentes façons de procréer hors assistance médicale. Pourriez vous indiquer les sources juridiques sur lesquelles reposent cette distinction, et ses modalités ?

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  2. So what? C'est une fraude à la loi par détournement. Peu importe le fait de ne pas avoir eu recours à l'IAD.

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