« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


jeudi 7 février 2013

La communication des avis du Conseil d'Etat, exercice d'hostile ?

Voilà bientôt trois jours que les parlementaires UMP réclament à cor et à cri la communication à l'Assemblée nationale de l'avis du Conseil d'Etat sur la loi relative au mariage pour tous. Alors que le travail en commission est achevé, et que la moitié des cinq mille amendements ont déjà été examinés, ils s'aperçoivent brutalement que le Conseil d'Etat a donné un avis au gouvernement sur ce texte, comme d'ailleurs sur toutes les lois. Ils considèrent donc qu'il leur est impossible de délibérer sérieusement sans ce document capital. 

Comme on le sait, le Conseil d'Etat est, outre la plus haute juridiction administrative, le conseiller juridique du gouvernement. C'est à ce titre qu'il est obligatoirement consulté par le gouvernement sur tous les projets de loi. Il peut aussi être consulté, de manière facultative cette fois, par le Président d'une assemblée parlementaire sur une proposition de loi déposée par un membre de cette assemblée. Cette procédure est prévue par l'article 39 de la Constitution, ainsi que par l'article L 112- 1 du code de justice administrative, selon lequel le Conseil d'Etat "participe à la confection des lois et ordonnances". 

Un travail de légistique

Concrètement, l'avant-projet de loi est transmis au Conseil par le secrétaire général du gouvernement et attribué à l'une de ses cinq sections administratives : intérieur, finances, travaux publics, sociale, administration. Après cet examen en section, le texte, éventuellement modifié, est transmis à l'Assemblée générale du Conseil d'Etat. Après un débat contradictoire, en présence de représentants du gouvernement, un texte définitif est généralement adopté, qui constitue l'"avis" donné au gouvernement. Plus rarement, le Conseil d'Etat décide de rejeter le projet de loi pour des motifs juridiques. On le voit, le Conseil d'Etat ne rend pas un rapport abstrait sur la loi envisagée. Il participe à un travail de légistique, c'est à dire de fabrication d'un texte juridique.

Sur le fond, le Conseil d'Etat examine le respect des règles de procédure, la conformité du texte au droit positif, son éventuel impact sur l'ensemble du système juridique. Son intervention permet notamment de limiter le risque que le Conseil constitutionnel déclare le texte, ou certaines de ses dispositions, non conformes à la Constitution. En effet, le Conseil d'Etat peut attirer l'attention du gouvernement sur d'éventuels éléments d'inconstitutionnalité.

Bagarre à la Chambre des députés.
 Le Petit Journal illustré. 6 février 1898 (affaire Dreyfus)


Un avis qui appartient au gouvernement

L'avis du Conseil d'Etat a pour unique finalité d'éclairer le gouvernement avant même le dépôt du projet de loi. De fait, son avis est donné au gouvernement, et à lui seul. Il en est, en quelque sorte, le propriétaire, un peu comme le client qui commande une consultation à un avocat et qui est en droit d'espérer que cette consultation est rédigée à son seul profit, et ne sera pas communiquée à autrui. Bien entendu, le Premier ministre, destinataire de l'avis, peut le transmettre aux autorités de son choix, y compris au parlement. Mais cette décision demeure une prérogative de l'Exécutif, et il faut bien constater que les gouvernements successifs, y compris ceux dirigés par l'UMP, ne diffusent pratiquement jamais ce type de document.

Cette confidentialité vise également les administrés. La loi sur l'accès aux documents administratifs du 17 juillet 1978 précise, dans son article 6 : "Ne sont pas communicables : 1° - Les avis du Conseil d'Etat (....)". Ces documents sont donc inaccessibles aux administrés, ne serait-ce que parce qu'ils sont considérés comme les pièces préparant un acte qui, lui, sera porté à leur connaissance.

Du côté du Conseil d'Etat, il est par ailleurs évident que la confidentialité lui donne l'assurance que son analyse juridique ne sera pas détournée à des fins politiques. Lorsque l'on considère l'exploitation que les parlementaires UMP font d'un avis dont ils ne disposent en principe pas, on imagine l'utilisation qui pourrait en être faite s'il était rendu public pour chaque projet de loi. Imaginons d'ailleurs, a contrario, que la majorité s'appuie officiellement, durant le débat parlementaire, sur l'avis du Conseil d'Etat pour s'opposer à un amendement de l'opposition. Celle-ci ne se lancerait-elle pas immédiatement dans un discours scandalisé ? Un avis purement administratif peut-il être invoqué pour s'opposer au peuple souverain ? On voit déjà l'orateur manifestant sa légitime indignation, avec des trémolos dans la voix et  quelques centaines de rappels au règlement...

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