« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mardi 19 février 2013

La Cour européenne et l'adoption homosexuelle, faux revirement

Dans un arrêt X. et autres c. Autriche du 19 février 2013, la Cour européenne condamne le refus des juges autrichiens d'autoriser l'adoption plénière d'un enfant par la compagne de sa mère. La Cour considère que cette position est constitutive d'une double violation de la Convention européenne, à la fois de l'article 14 qui pose le principe de non-discrimination et de l'article 8  garantissant le droit au respect de la vie privée et familiale. Statuant ainsi, la Cour fait prévaloir le principe d'égalité, en comparant le statut d'un couple vivant une relation homosexuelle stable avec celui d'un couple hétérosexuel non marié. Le droit autrichien interdit au premier l'adoption par le membre du couple qui n'est pas le parent biologique, alors qu'il l'autorise pour le second.

L'apparence d'un revirement

Une lecture superficielle de la décision pourrait laisser penser que la Cour opère un revirement spectaculaire, par rapport à la célèbre affaire Gas et Dubois c. France du 15 mars 2012.  La Cour européenne avait alors rendu une décision en apparence radicalement opposée. Elle avait considéré comme non discriminatoire la position d'un droit français arc-bouté sur l'interdiction d'adoption. En effet, l'article 365 du code civil prévoit, en cas d'adoption plénière, le transfert de l'autorité parentale à l'adoptant, ce qui signifie que le parent biologique perd son autorité parentale au profit de l'autre membre du couple, dépourvu de tout lien biologique avec l'enfant. Il est donc difficile de considérer que l'intérêt supérieur de l'enfant exige que le parent biologique soit privée de son autorité parentale.

La différence essentielle avec l'affaire X. et autres c. Autriche est que le droit français se montre aussi intransigeant que cohérent sur ce point. Il oppose le même refus d'adoption à la compagne du couple homosexuel qu'au compagnon du couple hétérosexuel pacsé. La Cour européenne ne peut donc pas s'appuyer sur une éventuelle discrimination liée à l'orientation sexuelle du couple pour sanctionner le système juridique français, d'autant qu'elle estime que le droit du mariage relève exclusivement de la compétence des Etats membres.


Trois hommes et un couffin. Coline Serreau. 1985
André Dussolier, Michel Boujenah, Roland Giraud

Une discrimination par rapport aux couples hétérosexuels non mariés

Le droit autrichien, sans doute plus moderne que le droit français sur ce point, autorise l'adoption co-parentale pour les couples hétérosexuels non mariés. Il prévoit une convention d'adoption qui aboutit au partage de l'autorité parentale, ce qui signifie que l'un des membres du couple adopte l'enfant de l'autre, sans qu'il y ait rupture des liens entre ce dernier et son enfant. Autrement dit, il place les couples non mariés dans la même situation juridique que les couples mariés, du moins à cet égard.

Le problème est que le code civil autrichien autorise certes l'adoption co-parentale, mais empêche les couples homosexuels d'y accéder. Les textes disposent que le jugement d'adoption a pour effet de substituer l'adoptant au parent biologique "du même sexe que lui". La compagne de la requérante ne peut donc obtenir un jugement d'adoption, sans rompre le lien juridique entre la mère biologique et son enfant. Le système repose sur une alternative : il est impossible d'accorder un lien de filiation à la compagne, sans le retirer à la mère biologique. Le droit autrichien est donc sanctionné comme discriminatoire, puisqu'il interdit de fait l'accès à l'adoption co-parentale, pour des motifs liés à l'orientation sexuelle du couple. 

A cela s'ajoutent des considérations de fait, car les juges autrichiens ne se sont pas montrés particulièrement habiles. Ils n'ont jamais recherché si l'adoption demandée était, ou non, préjudiciable à l'enfant, question qui aurait dû être posée dans un système juridique qui admet l'adoption par une seule personne et qui n'interdit pas qu'un enfant soit élevé par un couple homosexuel. Au contraire, le tribunal de district a accumulé les preuves de son intention discriminatoire, en affirmant que la notion de "parents" renvoie nécessairement à deux personnes de sexe opposé, et que cette division des sexes est dans l'intérêt de l'enfant. La Cour Suprême autrichienne a d'ailleurs confirmé l'impossibilité de cette adoption, au sein d'un couple homosexuel. 

Le caractère discriminatoire de la législation autrichienne est donc démontré par la position des juges. Ils s'appuient en effet sur des affirmations péremptoires écartant les couples homosexuels de l'adoption, pour la seule et unique raison qu'ils sont homosexuels. Un tel argumentaire a quelque chose de familier, puisqu'il rappelle étrangement les positions de ceux qui s'opposent au mariage homosexuel, au motif qu'un enfant doit avoir un "papa" et une "maman". 

Une discrimination peut en cacher une autre

Certains ne manqueront pas de faire observer que le système français est tellement meilleur, puisqu'il refuse le droit d'adopter l'enfant de son compagnon ou de sa compagne à tous les couples non mariés, qu'ils soient hétérosexuels ou homosexuels. C'est vrai qu'il n'établit pas de discrimination liée à l'orientation sexuelle, mais ne laisse-t-il pas perdurer, en revanche, une discrimination liée au mariage ? La Cour européenne refuse cependant de pénétrer dans ce débat, puisqu'elle considère que le droit du mariage relève de la compétence des Etats, qui sont d'ailleurs libres de ne pas accorder l'adoption co-parentale. 

Mais si le droit du mariage relève des Etats membres, on est bien forcé de constater qu'une réforme ne peut intervenir que par une modification de la législation des Etats. Seul le parlement peut mettre fin à une situation dans laquelle l'absence de discrimination est démontrée par l'existence d'une autre discrimination. La décision X. et autres c. Autriche peut ainsi être interprétée comme un rappel de la compétence législative dans ce domaine. Elle tombe fort à propos, puisqu'il y a précisément une réforme en cours. 


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