« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mardi 27 mars 2012

Les "musulmans d'apparence", approche juridique d'une gaffe


Le candidat Nicolas Sarkozy, s'exprimant sur France Info le 26 mars 2012, est revenu sur l'affaire Merah pour mettre en garde contre les amalgames réalisés entre les actes du terroristes et l'islam. Jusque là rien de très classique, et il s'agit d'abord de critiquer Marine Le Pen, accusée d'avoir tenu des propos contre l'islam. Le problème est que le candidat, comme souvent, veut en faire trop. Il ajoute  : "Les amalgames n'ont aucun sens, je rappelle que deux de nos soldats étaient... comment dire... musulmans, en tout cas d'apparence, puisque l'un était catholique, mais d'apparence". Sur le coup, la situation apparaît plutôt comique, car l'orateur prend conscience de la gaffe au fur et à mesure qu'il développe son propos. Son malaise est palpable, et il ne sait manifestement pas comment se sortir de ce mauvais pas. 

Le candidat bénéficie de l'immunité du Président

Il faut tout de même se poser la question : le candidat a t il commis une infraction ? Certes, il s'agit d'une question purement académique. Car l'égalité entre les candidats trouve sa limite en matière pénale. Le candidat Sarkozy bénéficie de l'immunité du Président, immunité d'ailleurs étendue à ses collaborateurs de l'Elysée. Sur le plan pénal, nous sommes dont bien en présence d'une certaine forme de "candidature officielle", puisque le Président-candidat bénéficie d'une protection dont ses concurrents ne disposent pas.


France Info 26 mars 2012
Pas d'incitation à la haine raciale

Nicolas Sarkozy n'est certainement pas coupable d'une incitation à la haine raciale au sens de la loi du 1er juillet 1972. Celle-ci introduit dans la loi de 1881 sur la presse des dispositions qui sanctionnent la diffamation "envers une personne ou un groupe de personnes, à raison de leur origine ou de leur appartenance, ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée" (art. 24) ou la provocation à cette discrimination (art. 24).  Il est clair que le Président français n'avait certainement pas pour objet de jeter le discrédit sur une personne ou un groupe de personnes, dès lors que ces propos s'inscrivent dans un contexte où il désirait au contraire dénoncer certains amalgames entre le terrorisme et la religion musulmane. On ne peut donc pas évoquer la diffamation.

Mais une violation du principe de non-discrimination

En revanche, les propos du Président entrent davantage dans le champ de l'article L 225-1 du code pénal qui qualifie de discrimination "toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine (...), de leur apparence physique (...), de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée". Les paroles prononcées par Nicolas Sarkozy opèrent, à l'évidence, 'une distinction entre personnes physiques, dès lors que les militaires décédés sont définis comme "musulmans d'apparence". 

En droit français, la simple mention des origines ethniques ou religieuses est considérée comme discriminatoire. Dans une décision du 29 janvier 2008, la chambre criminelle de la Cour de cassation estime ainsi que l'infraction de l'article 225-1 du code pénal est caractérisée, dans le cas de la responsable d'un office du tourisme qui établit des listes d'agences proposant des hébergements aux touristes, en distinguant celles qui acceptent les personnes à patronyme maghrébin de celles qui les refusent. La simple mention du "patronyme maghrébin" est une infraction, car même si cette personne ne souhaitait pas nécessairement une politique de discrimination, elle la rendait néanmoins possible. 

Souvenons également que fin 2010, la gendarmerie nationale a été accusée de mentionner l'origine ethnique des personnes, en conservant un fichier sur les minorités ethniques non sédentarisées. A l'époque, les journaux avait fait part de leur indignation, différentes associations de Roms et de gens du voyage avaient porté plainte pour violation de l'article L 225-1 du code pénal. Les contrôles de la CNIL avaient cependant rapidement montré que le fichier incriminé n'existait tout simplement pas. 

L'article L 225-1 du code pénal s'applique aux attitudes discriminatoires volontaires et affirmées, par exemple lors d'une discrimination à l'embauche. Mais il vise aussi les discriminations "par ricochet" lorsque l'auteur de l'infraction se borne à affirmer une différence entre les individus, quand bien même il ne le fait pas avec une volonté discriminatoire. Cette affirmation de la différence est considérée, en soi, comme une stigmatisation rendant ensuite possible la discrimination.

Au plan strictement juridique, le candidat Sarkozy s'est donc rendu coupable d'un délit puni de trois années d'emprisonnement et 45 000 € d'amende. Heureusement qu'il y a l'immunité du Président.


4 commentaires:

  1. Non, il ne risque pas 45.000€ d'amende ni la moindre seconde d'emprisonnement et son immunité n'a rien à voir là-dedans.

    En effet, ces condamnations ne sont encourues qui s'il y a eu conséquence concrète à cette discrimination, comme par exemple un refus d'embauche, un licenciement, refus de fourniture d'un bien ou d'un service, etc. (art 225-2 par exemple). Sinon il y a aussi le 432-7 qui va jusqu'à 75.000€ et 5 ans de prison !!

    Mais le L225-1 à lui seul ne fait que définir le terme de discrimination et non le champs d'application qui est quant à lui, définit dans les différents codes (pénal, travail, santé publique, etc.)

    Dans la décision du 29 janvier 2008 citée en référence, nous avons bien une conséquence dans la délivrance d'un bien ou d'un service. Mais dans la prestation radiophonique du 26 mars, pas de conséquence matérialisée.

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  2. La formulation de cette infraction me pose problème par son caractère très générique, qui va à l'encontre du principe de légalité des délits.

    Puisque la distinction fondée sur l'activité syndicale est aussi réprimée, imaginez que le Président ait dit à l'occasion du grève ayant dégénéré:

    "Les amalgames n'ont aucun sens, je rappelle que deux des ouvriers étaient... comment dire... syndicalistes, en tout cas d'apparence, puisque l'un n'avait pas sa carte, mais d'apparence"

    Est-ce un discours qui doit être réprimé ? Est-ce que cette infraction ne risque pas de condamner tout généralisation commune dans le discours, du genre "les femmes enceintes, elles ont un caractère de cochon" ?

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  3. Pour continuer, là où je ne vous suis pas, c'est que 225-1 se contente de définir une discrimination, mais qu'il faut que celle-ci ait pour conséquence l'une des situations de refus ou d'entrave prévue par 225-2 pour être réprimée pénalement.

    Le législateur m'aurait-il suivi dans le raisonnement précédent ?

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  4. Bonjour,

    Ce n'est pas L.225-1 mais 225-1, bien qu'il s'agisse d'un article de la partie législative du Code pénal. Ce sont les irréguliers délices de la forumlation juridique.

    M. le Président n'aurait pas commis d'infraction puisque la discrimination n'est pas une infraction en tant que telle. L'article 225-1 définit ce qu'est une discrimination tandis que l'article 225-2, auquel vous faites référence à la fin de votre billet, prévoit quelles discriminations sont des infractions.
    En l'espèce, toutes les discriminations qualifiées d'infractions le sont par leur conséquences pratiques. Il ne suffit pas de paroles discriminatoires mais bien de pratiques discriminatoires (au sens de l'article susmentionné du moins).

    De plus, vous notez l'expression embarrassée du candidat au moment où il prononce ces paroles. Quand bien même, en suivant votre raisonnement, M. S aurait commis une infraction, demander la clémence du tribunal au motif d'une infraction commise non-intentionnellement (faute non-intentionnel) est aisé, d'autant plus que ce même M.S n'est pas connu pour avoir un casier judiciaire bien rempli ! On serait bien loin des peines maximales mais plus proche du sursis, de l'euro symbolique en cas de plainte d'associations voire du simple rappel à la loi ou du classement sans suite).

    Hormis ces quelques remarques, je salue la qualité de vos analyses et je continue à vous lire avec la plus grande attention (et le plus grand plaisir).

    Cordialement.

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