« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


vendredi 11 novembre 2011

Aide au séjour irrégulier et droit au respect de la vie privée

Dans sa décision Mallah c. France du 10 novembre 2011, la Cour européenne oppose une fin de non-recevoir à tous ceux qui souhaitaient la voir sanctionner le "délit de solidarité". L'affaire offrait pourtant une occasion . presque trop belle. Le requérant n'était pas l'un de ces passeurs ou un marchands de sommeil qui exploitent la misère des étrangers, mais un ressortissant marocain résidant en France depuis plus de trente ans, avec son épouse et leurs cinq enfants. Il était accusé d'avoir hébergé son gendre en situation irrégulière car demeuré sur le territoire après l'expiration d'un visa de tourisme.

Un dossier idéal donc pour contester ce "délit de solidarité", construction doctrinale qui repose sur la distinction entre ceux qui apportent une aide au séjour irrégulier pour des motifs purement lucratifs et ceux qui sont mus par leur seule générosité.  Des mouvements associatifs comme le GISTI au film "Welcome", une revendication s'est donc développée, demandant que le caractère altruiste de la démarche soit considérée comme une cause exonératoire de la responsabilité pénale.

La Cour refuse pourtant d'entrer dans ce débat, qu'elle laisse à la compétence des Etats et des juges internes.

Charlot. The Immigrant. 1917

Le "délit de solidarité" n'existe pas

Le "délit de solidarité" est mentionné par les militants associatifs, par les journalistes, par les dialoguistes des films, voire par certains juristes. Et pourtant, il n'existe pas. Le droit positif ne connaît que l'article L 622-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA); aux termes duquel  "toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d'un étranger en France sera puni d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 30 000 euros". Cette disposition trouve son origine dans l'article 21 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, réécrite à de nombreuses reprises. Au fil des ans, le législateur a néanmoins formulé quelques atténuations à la sévérité de ce texte, d'abord au profit de la famille de l'étranger en situation irrégulière, puis des personnes ou associations "menant des actions nécessaires à la sauvegarde de la vie ou de l'intégrité physique de l'étranger", autrement dit ayant une activité spécifiquement humanitaire (art. L 622-4 CESEDA)

En l'espèce, l'argument "familial" ne pouvait être reçu. L'article L 622-4-1 exclut les poursuites pénales à l'égard du conjoint de l'étranger en situation irrégulière, à la condition que le couple réside dans le même  lieu, ainsi que "les ascendants ou descendants de l'étranger, de leur conjoint, des frères et soeurs de l'étranger ou de leur conjoint". Cette liste limitative exclut donc le lien familial qui unit le beau-père à son gendre, et les poursuites qui ont été diligentées contre M. Mellah ne sont pas illégales au regard du texte de la loi.

L'article 8 de la Convention

Pour mettre en cause cette législation, le requérant invoque l'article 8 de la Convention, estimant que cette condamnation pour aide au séjour irrégulier porte atteinte à son "droit de mener une vie familiale normale". La Cour ne conteste pas ce fait et affirme même que les relations entre un beau-père et son gendre relèvent bien de la vie familiale, au sens de l'article 8, d'autant qu'en l'espèce les deux générations cohabitaient sous le même toit.

Si  la Cour reconnaît que les dispositions législatives françaises s'analysent effectivement comme une ingérence dans la vie privée de la personne, elle refuse de considérer cette ingérence comme illicite. D'une part, la loi française est parfaitement claire et prévisible. Monsieur Mellah ne pouvait ignorer qu'il commettait une infraction en hébergeant son gendre en situation irrégulière, puisque la loi énumère avec précision les liens de parenté susceptibles d'offrir une immunité pénale. D'autre part, cette législation a pour objets la protection de l'ordre public (la lutte contre l'immigration illégale) et la prévention des infractions (la répression des réseaux organisés qui aident les étrangers à entrer illégalement sur le territoire). En cela, la loi poursuit un but légitime justifiant l'ingérence de l'Etat dans la vie privée. 

La Cour ne s'interroge donc pas sur les motifs de l'aide apportée à l'étranger qui est au coeur du débat français. Pour les associations de défense des étrangers, cette loi présente un danger particulier, dans la mesure où elle condamne pour une infraction identique ceux qui sont motivés par l'appât du gain (passeurs ou marchands de sommeil) et ceux qui  sont poussés par la générosité et l'altruisme. 

Pour écarter cette question, la Cour se penche sur la manière dont, en l'espèce, a été apprécié l'équilibre entre l'atteinte à la vie privée du requérant et l'intérêt public poursuivi.  M. Mellah a effectivement condamné pour aide au séjour irrégulier, mais il a finalement été dispensé de peine, à la fois parce que son gendre était parvenu à régulariser sa situation et parce que son comportement reposait sur sa seule générosité.

On peut certes regretter une approche centrée sur les circonstances de l'espèce, au détriment d'une appréciation globale de la législation française (dans ce sens, voir la chronique de M. Hervieu sous la même décision,  CPDH). Il est vrai que les circonstances de l'espèce font quelquefois écran au développement d'une jurisprudence ambitieuse. Mais la Cour européenne n'est pas un "supra-parlement" et n'est certes pas fondée à prendre des arrêts de règlement. Elle doit aborder la question qui lui est soumise de manière plus pragmatique que dogmatique, car elle rend, elle aussi, une décision individuelle. Agissant ainsi, elle montre que l'important n'est pas seulement la loi, mais la manière dont elle est appliquée.

8 commentaires:

  1. Chère Professeure,

    Avant toute chose, c’est toujours un grand plaisir de vous lire et un honneur que de “dialoguer” par « commentaires » interposés.

    Je souhaite seulement revenir sur trois points (toujours dans le seul cadre de la "disputatio") :

    1°/- Sur l’existence du délit de solidarité :

    Dire que « Le "délit de solidarité" […] mentionné par les militants associatifs, par les journalistes, par les dialoguistes des films, voire par certains juristes […] n'existe pas [car] le droit positif ne connaît que l'article L 622-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) » est, si vous me le permettez, un faux-procès. Qu’un juriste – ou tout autre personne, d’ailleurs – décide de désigner – par commodité de langage – un délit ou tout autre objet juridique par un mot ou une expression de son choix n’a absolument aucune espèce de conséquence dès lors que, ce faisant, il vise toujours le même dispositif législatif. La seule contrainte – classique en terme de langage – est qu’il se fasse comprendre de son auditoire et que dernier saisisse donc que tel objet est désigné par tel mot ou groupe de mots : en l’occurrence, il est aisé de comprendre que l’expression « délit de solidarité » désigne le dispositif pénal prévu à l’article L 622-1 (avec cet intérêt sémantique supplémentaire et non négligeable qui consiste à souligner que ce délit peut s’appliquer à l’aide désintéressée). Cette expression est d'ailleurs comprise comme telle précisément parce qu'elle a été largement diffusée dans le discours juridique mais aussi commun.

    Au demeurant, user de périphrases est plus que fréquent dans le discours des juristes. Sauf à devoir recopier mot à mot et à chaque fois le texte visé, ce qui à mon sens n’apporterait pas grand chose.

    Le véritable débat sur la prétendue inexistence du « délit de solidarité » est évidemment ailleurs. Lorsque l’ancien ministre de l’immigration a affirmé que ce délit n’existait pas, il souhaitait faire valoir l’idée que le dispositif législatif concerné (l’article L 622-1) ne produisait aucun effet néfaste (ni condamnation, ni même de procédures pénales) sur les membres de la famille d’un étranger en situation irrégulière ou sur toutes les autres personnes qui l’aideraient de façon désintéressée. Et sur ce point, confirmant l'analyse de nombreux observateurs, l’affaire Mallah c. France portée devant la Cour européenne des droits de l'homme est bien une preuve patente de ce que ces effets existent effectivement. Et donc, que le « délit de solidarité » - i.e. délit prévu à l’article L 622-1 du code pénal – existe bien en ce sens.

    2°/- Sur l’idée selon laquelle la Cour européenne des droits de l’homme n’est pas « un supra-parlement » :

    Nul ne le conteste, et moi non plus d’ailleurs. Dire que la Cour n’a pas été au fond des choses dans son arrêt Mallah c. France renvoyait à deux éléments. D’une part, les juges européens ont opté pour une rédaction tellement sibylline qu’il est même difficile de comprendre leur décision (est-ce seulement la dispense de peine qui justifie l’absence de condamnation ?). Exiger d’eux plus de précisions signifie seulement leur demander de jouer pleinement leur rôle… de juridiction. D’autre part, c’est précisément cette tâche de juridiction européenne que d’expliciter les contraintes de conventionalité qui pèsent sur un domaine tel que la pénalisation de l’aide au séjour d’étrangers en situation irrégulière. Cela ne ferait absolument pas d’elle un « supra-Parlement ». Mais ce serait seulement – et à nouveau – l’accomplissement de son rôle juridictionnel d’interprète ultime d’une Convention appliquée dans l’ensemble de l’Europe et relayée au niveau national par toutes les juridictions (ainsi que toutes les autres autorités publiques).

    (v. suite infra)

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  2. (suite de supra)
    A ce propos, outre qu’en agissant ainsi elle ne dépasserait aucunement son rôle mais ne ferait - bien au contraire - que l’accomplir au mieux, elle désamorcerait nombre de requêtes qui ne manqueront pas d’affluer à Strasbourg sur ces questions. Et ce, justement en raison du fait qu’elle est restée floue sur sa position exacte en la matière.

    3°/- Sur l’idée selon laquelle « l'important n'est pas seulement la loi, mais la manière dont elle est appliquée » :

    Pour reprendre à rebours votre conclusion, c’est précisément sur « la manière dont [la loi] est appliquée » que la Cour aurait dû véritablement se plonger et se prononcer. Et c’est précisément ce qu’elle n’a pas assez fait en se bornant à un formalisme inadéquat – et contradictoire avec d’autres jurisprudences strasbourgeoises. L’une de mes principales critiques de cet arrêt porte en effet sur cette absence de prise en compte des conditions d’application effective de cette loi (cf. les différents actes – dont la garde à vue – que le seul déclenchement d’une procédure pénale sur le fondement juridique de l'article L 622-1 peut provoquer). Or la Cour occulte totalement l’impact de l’existence même de ce délit alors qu’à nouveau, nombreuses sont les institutions et associations qui ont mises en lumière les conséquences notables de ce texte pénal – indépendamment même de toute condamnation in fine –, notamment et fréquemment… sur la vie familiale.

    Bien à vous,

    Nicolas Hervieu

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  3. Merci pour votre lecture attentive et pour votre commentaire qui en témoigne. Vos objections sont toujours stimulantes et elles contribuent à préciser le cadre juridique du débat.

    Je vais vous répondre brièvement, en reprenant les points que vous soulevez.

    1° - Sur le « délit de solidarité », vous précisez vous même qu’il s’agit d’une « commodité de langage », voire d’une « périphrase ». Je suis d’accord avec cette qualification, mais il se trouve que, pour ma part, j’évite ce genre de facilité. En effet, il me semble que le juriste doit faire preuve de rigueur quand il présente le droit positif. En outre, vous affirmez que ce « délit de solidarité » désigne « le dispositif pénal prévu à l’article L 622-1 ». Certes, mais il ne désigne qu’une partie des destinataires de ce dispositif. Vous savez comme moi que l’essentiel des poursuites sur ce fondement ne vise pas l’aide désintéressée aux étrangers en situation irrégulière. Les personnes condamnées sont plus souvent des membres de réseaux de passeurs ou de marchands de sommeil qui exercent une nouvelle forme d’esclavage. Et ceux qui apportent une aide désintéressée et généreuse ne sont pas souvent condamnés. Affirmer que l’article L 622-1 se réduit à un « délit de solidarité » relève ainsi d’une vision quelque peu irénique de la situation, comme si les infractions commises par ces nouveaux négriers n’existaient pas...

    Pour ma part, je préfère déplorer que l’article L 622-1 englobe l’aide « intéressée » et l’aide « désintéressée » dans une même infraction, ce qui me semble plus conforme à la terminologie du droit positif.

    2° - Permettez moi ensuite de réunir dans une même réponse vos deux points suivants, sur le fait que la Cour européenne n’est pas un « supra parlement » et qu’elle doit s’intéresser à la manière dont la loi est appliquée.

    Il est vrai que la décision Mellah est quelque peu sybilline. J’adhère tout à fait à votre propos, lorsque vous affirmez que la Cour doit avant tout « expliquer les contraintes de conventionnalité » qui pèsent sur les législations des Etats membres. Et c’est encore vrai que la Cour a parfois eu une influence directe sur la législation française. Les trois exemples toujours repris sont les écoutes téléphoniques, la garde à vue, et le statut des enfants naturels.. Certes.

    Mais en l’espèce quelles sont les contraintes de conventionnalité qui auraient permis d’affirmer la non conformité à la Convention de l’article L 622-1 ?

    En matière d’écoutes téléphoniques, la Cour a sanctionné dans Kruslin et Huvig l’absence totale de loi dans ce domaine. Ce n’est évidemment pas le cas en l’espèce, puisque M. Mellah a été poursuivi sur le fondement d’une disposition législative.

    En matière de garde à vue, ce n’est pas la garde à vue qui a été sanctionnée, mais le fait que les droits de la défense n’étaient pas garantis dès le début de la procédure. Autrement dit, la Cour a exercé un contrôle de la conformité de la législation aux principes fondamentaux de la procédure pénale garantis par la Convention. En l’espèce, M. Mellah a été poursuivi sur la base d’une procédure régulière, car aucune contestation n’est mentionnée dans ce domaine.

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  4. (suite)

    En matière de statut des enfants naturels, l’arrêt Mazurek ne sanctionne le droit existant que dans la mesure où il entraine une discrimination dans l’exercice des libertés fondamentales. En l’espèce, M. Mellah n’est victime d’aucune discrimination, si ce n’est positive. En effet, pour le dispenser de peine, le juge prend en considération le fait qu’il y a un lien de parenté avec l’étranger qu’il héberge, même si ce lien ne figure pas dans la liste de ceux qui entrainent l’immunité pénale. De même, il tient compte du fait que l’étranger ainsi hébergé a finalement pu régulariser sa situation. En d’autres termes, loin de pratiquer la discrimination, le juge français a parfaitement mis en œuvre le principe d’individualisation de la peine.

    Quel fondement reste t il donc pour justifier une éventuelle sanction de la loi française, si ce n’est le recours à une nouvelle forme d’arrêt de règlement ? Quelle disposition de la Convention pourrait être invoquée pour sanctionner une loi qui pénalise l’aide au séjour d’étrangers en situation irrégulière, d’autant que la plupart des pays signataires de la Convention disposent du même type de texte dans leur arsenal juridique ?

    Dans ce cas, la modification de la loi, si elle n’est pas satisfaisante, reste de la compétence du parlement. Et qui s’en plaindrait puisque c’est précisément une institution démocratique ?

    Vous le voyez, je suis une irréductible positiviste, et nos divergences ne portent finalement que sur les moyens de modifier une norme juridique qui, j’en conviens tout à fait, n’est pas satisfaisante.

    Bien cordialement, et à bientôt, pour notre prochaine « disputatio »..

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  5. Chère collègue,

    Dans le prolongement du commentaire de Nicolas Hervieu je voudrais réagir sur certains points:

    1. sur l'existence du "délit de solidarité": je trouve votre argumentation paradoxale. Vous dites que le "délit de solidarité" n'existe pas mais en même temps vous reconnaissez que le délit d'aide au séjour irrégulier s'applique A LA FOIS à l'aide désintéressée (association humanitaire, membre de famille ou simple particulier aidant un sans-papier) et l'aide intéressée (passeurs, terrorisme, traite de l'être humain, etc..). Le simple fait d'établir cette distinction au sein de l'article L.621-1 confirme qu'il y a lieu de distinguer les deux types d'aides et que l'une d'elle pose une question de légitimité. Il est donc nécessaire de la désigner. On peut l'appeler comme vous le souhaitez. Mais il n'empêche que l'expression qui s'est imposée dans le langage médiatique, politique mais aussi juridique est celle de "délit de solidarité" (comme par par le passé la "double peine", les "ni régularisables ni expulsables", les "sans papiers" ou encore, dans un autre domaine, le "suicide assisté", etc.).
    En 1995, le Gisti voulant dénoncer ce phénomène, à un moment où les lois "Pasqua" ont multiplié les cas de "ni-ni" et la répression des mariages mixtes, a inventé l'expression "délit de solidarité". L'expression a fait florès et a ensuite été reprise par des cinéastes en 1997 dans le cadre de l'affaire Deltombe.
    Mais elle a aussi été utilisée par des universitaires (M. Reydellet, « Tu aideras ton prochain... mais cela peut te conduire en prison ! (réflexions sur le délit d'aide à l'étranger en situation irrégulière) », D. 2009, 1029 ; S. Lavric, « Le délit de solidarité, mythe ou réalité », Blog Dalloz, 25 mai 2009 (http://blog.dalloz.fr); K. Parrot, "L'actualité du droit des étrangers en France, le délit de solidarité" in M. Benlolo-Carabot et K. Parrot, L'actualité du droit des étrangers, Bruylant, 2011, p.129.) en concurrence avec le "délit d'humanité" (B. Mercuzot « L'article 21 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 : un délit aux fondements du droit », D. 1995, chron. p. 149)
    Elle a aussi été utilisée par des politiques (dans des débats au Parlement et même dans des propositions de loi comme celle de D. Goldberg en 2009). D'ailleurs c'est pour répondre aux critiques sur la légitimité que dès 1994 des immunités ont été développées pour les familles et, dans une moindre mesure, pour l'assistance humanitaire.
    On a d'ailleurs oublié qu'en 1998 la loi Chevènement avait prévu d'immuniser les associations humanitaires. Toutefois la disposition a été censurée pour incompétence négative dans le champ du principe de la légalité des délits et des peines posé par l'article 8 de la DDHC car le législateur avait soumis à l'appréciation de l’exécutif la reconnaissance de la « vocation humanitaire » des associations bénéficiant de l’immunité en prévoyant la liste serait établie par le ministre de l’Intérieur (Cons. constit., n°98-399 DC du 5 mai 1998, cons. 7). Cette décision, qui se voulait protectrice des associations humanitaires a paradoxalement eu pour effet de les priver d’une protection légale.

    D'ailleurs l'appellation d'aide "désintéressée" est récente (c'est moi qui la développe dans mes écrits car elle englobe les cas visés par la dénonciation du "délit de solidarité" et permet de surmonter la critique sur les réseaux terroristes dans lesquels l'aide au séjour n'est pas lucrative). En règle les débats entre 1994 et 2003 ont utilisé l'aide "non lucrative". En 2009 la proposition Golberg parlait d'aide "non onéreuse"
    (...)

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  6. - Sur la nécessité de l'article L.621-1 pour réprimer les passeurs, marchands de sommeil, employeurs de clandestins, fournisseurs de faux documents, conjoints de complaisance, etc.: Certes, dans les statistiques publiques tous ces agissements sont regroupés sous la catégorie "d'aidants" (devenue suite à la polémique de 2009 sur les 5000 "aidants" du PAP des "facilitateurs" et trafiquants en 2010).
    Mais tous ces comportements sont en réalité couverts par d’autres incriminations dans le Code pénal (par ex. la lutte contre les marchands de sommeil par l’article 225-14 du Code pénal et le mariage de complaisance par l’article L.623-1 du CESEDA).

    - sur le fait que l'incrimination existerait dans d'autres pays. Ce n'est pas démontré. La directive n° 2002/90/CE du 28 novembre 2002 prévoit que les Etats peuvent ne pas incriminer l'aide au séjour non lucrative. La France peut donc, comme nombre de pays européens, ne pas incriminer l'aide désintéressée.

    2. Dans de nombreuses décisions la Cour européenne des droits de l'homme a, au travers du cas individuel d'une victime, bien directement remis en cause la loi française. Dans Mazurek ce sont des dispositions du Code civil qui sont discriminatoires; dans Brusco ce sont les dispositions du Code de procédure pénale qui ne prévoient pas le droit au silence et l'assistance effective d'un avocat pendant la GAV; dans Gebremedhin c'est le CESEDA et le CJA qui ne prévoient pas le caractère de plein droit suspensif du recours contre le refus d'asile à la frontière; dans Amuur c'est l'ordonnance de 1945 qui n'encadrait pas assez le régime de la zone d'attente, dans Koua Poirrez ce sont des dispositions légales qui excluaient les étrangers (jusqu'en 1998)de l'AAH; dans Siliadin c'est le code pénal qui n'est pas assez protecteur en incriminant pas suffisamment la traite domestique; dans Ravon ce sont les dispositions légales régissant les perquisitions fiscales qui sont insuffisantes
    (voir pour la mention de toutes ces décisions http://www.echr.coe.int/NR/rdonlyres/5A5D701F-E5AF-47EC-8D58-EB12E2F4C6F1/0/PCP_France_FR.pdf)

    D'ailleurs le comité des ministres du Conseil de l'Europe est chargé dans le cadre de l'exécution des arrêts de veiller aux modifications des lois en cause pour éviter des atteintes systémiques et répétées des DH.

    Et il ne faut pas oublier toutes les dispositions législatives remises en cause par le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation dans le cadre du contrôle de constitutionnalité depuis Jacques Vabre et Nicolo et, depuis la QPC, toutes celles directement abrogées par le CC.

    Ainsi si on regarde les lois sur la gardes à vue, la loi pénitentiaire, sur l'hospitalisation d'office, etc. etc. elles ont été en grande partie rédigées sous la contrainte conventionnelle et constitutionnelle.

    S'accrocher à la bonne vieille "compétence exclusive" du Parlement paraît donc bien illusoire.

    Mais moi je ne suis pas une irréductible "positiviste"...

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  7. J'avais corrigé... Merci beaucoup pour votre commentaire. Sur le fond, vous comprendrez que je n'ai pas grande chose à ajouter à ce que j'ai précédemment répondu à M. Hervieu.

    Quelques mots cependant.
    - A dire vrai, je respecte tout à fait les associations et les universitaires qui emploient le terme "délit de solidarité".. mais cela n'en fait pas un terme de droit positif pour autant.

    - Je n'ai jamais nié que d'autres infractions puissent être utilisées pour poursuivre les passeurs et marchands de sommeil. Vous conviendrez seulement que l'article L 622-1 fait partie de cet arsenal juridique.

    - Je me réjouis que la directive européenne autorise les Etats à ne pas poursuivre l'aide au séjour non lucrative. Cela signifie, en clair, qu'ils ont tout à fait le droit de poursuivre... et ils le font.

    - Enfin je n'ai pas dit que la Cour ne censurait jamais la loi française. J'ai simplement mentionné qu'elle le faisait pour des motifs bien délimités qui n'étaient pas réunis en l'espèce.

    Bien cordialement, peut être pour d'autres débats ?

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