« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


vendredi 23 décembre 2022

Le Fact Checking de LLC : Le retour des ravis de la crèche


Comme chaque année en cette saison, une offensive est lancée contre la loi du 9 décembre 1905. Des élus, généralement très attachés aux "racines chrétiennes de la France" font ériger une crèche de Noël dans les locaux de l'Hôtel de ville ou de l'Hôtel de région. Le tribunal administratif déclare ensuite l'opération non-conforme à la loi de 1905 et en ordonne la suppression de l'installation, généralement sous astreinte. 

C'est ainsi que le tribunal administratif de Montpellier a successivement suspendu les décisions d'installer une crèche dans les locaux de la mairie, d'abord à Beaucaire, puis à Béziers, et enfin à Perpignan. Il a également ordonné leur retrait sous astreinte de cent euros par jour. Les trois élus, Julien Sanchez (RN), Robert Ménard (sans étiquette), et Louis Aliot (RN) sont coutumiers de ce genre de contentieux. A Perpignan, ce sont finalement leurs électeurs qui vont se cotiser pour payer l'astreinte, heureux sans doute de témoigner leur opposition à ces juges mécréants. Robert Ménard, quant à lui, se montre plus économe des économies des militants, et la crèche qui était installée dans la cour de la mairie, a été déplacée sur le parvis, devant la porte.

Les éléments de langage des élus sont toutefois identiques. Ils dénoncent en choeur l'interdiction d'ériger une crèche dans leur commune. Louis Aliot dénonce ainsi "la justice administrative" qui fait "obstacle à l’expression de nos traditions, de nos héritages et plus généralement pour nous empêcher d’être ce que nous sommes". Certes, mais il oublie de dire que l'installation d'une crèche sur le territoire d'une commune n'est pas, en soi, illicite. La crèche est seulement présumée illégale si elle est placée dans un bâtiment public comme l'hôtel de ville.

Il convient donc de rappeler le droit positif, beaucoup plus tolérant que l'affirment ces élus

 


 Crèche. Eglise dell Ammiraglio de Santa Maria

Photo de Jean-Noël Luc

 

Santons en choeur

 

A l'origine était le verbe, c'est-à-dire l'article 28 de la  loi de séparation des églises et de l'Etat du 9 décembre 1905.  Il interdit "d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions". Une crèche est-elle un "emblème religieux" au sens de ce texte ? 

Le Conseil d'État a donné une réponse positive dans deux arrêts du 9 novembre 2016. Ils distinguent deux situations. Si la crèche est installée dans un « emplacement public », c’est-à-dire sur le domaine public, elle est présumée légale, sauf si elle témoigne d’une volonté de prosélytisme. En revanche, si elle est installée dans un bâtiment public, la crèche est présumée illégale et il appartient alors à l’élu de montrer que l’installation est justifiée par des circonstances particulières de nature culturelle artistique ou festive. 

 

Robert Ménard a bien compris cette jurisprudence. En déplaçant la crèche de l'intérieur de l'hôtel de ville à son parvis, il est passé d'un "bâtiment public" à un "emplacement public" et il peut ainsi désormais bénéficier d'une présomption de légalité.

 

De même, les élus invoquent de plus en plus souvent une « circonstance particulière » permettant le maintien de l'installation dans l'hôtel de ville, et ils ajoutent des manifestations diverses à la crèche de Noël. Le tribunal administratif de Lyon, le 22 novembre 2018, a ainsi admis l’installation de l’hôtel de la région d’Auvergne qui ajoutait à la crèche une exposition de santons, « vitrine du savoir-faire régional des métiers d’art et de traditions populaires ». En revanche, une autre exposition de santons, installée à côté de la crèche dans l’hôtel de ville de Beaucaire, n’a pas été bénéficié de la même indulgence par la cour administrative d’appel de Marseille le 3 décembre 2018. Il est vrai que le maire avait habilement présenté l’installation comme un « acte de résistance ».

 

Précisément, les élus qui se voient ainsi contraints de retirer la crèche sous astreinte n'ignorent rien du droit positif. Ils veulent au contraire affirmer ouvertement leur opposition et leur attachement à la religion catholique, sans avoir à exposer des santons ou à organiser une manifestation quelconque, exposition ou concert. En refusant l'approche culturelle, ils pénètrent ainsi dans la sphère du prosélytisme, ce qui est évidemment sanctionné par les juges.

 

 

Les Croisés de la crèche

 

 

Aujourd'hui, les Croisés de la crèche ont engagé un nouveau combat, celui de la révision de la loi du 9 décembre 1905. Le 19 décembre 2022, le sénateur Le Rudulier (LR) a déposé devant le Sénat une proposition de loi visant "à préserver les traditions immémoriales de la Nation française". L'article unique est des plus réjouissants, car il s'agit de permettre "la présence temporaire de crèches et arbres de Noël, de santons, de galettes des rois et d’œufs de Pâques". On attend avec impatience les débats parlementaires sur la nécessité, ou non, d'intégrer la Cloche de Pâques, très active pour apporter les oeufs. De même s'interrogera-t-on sur des sujets plus graves. Conviendrait-il de placer un rameau derrière le portrait du Président de la République dans la semaine précédant Pâques ? Vaste sujet.

Le combat n'est donc jamais fini, et il permet de mesurer la fragilité du principe de laïcité, toujours menacé et tiraillé par les uns et les autres. 
 
Ceux-là mêmes qui en exigent le respect quand il s'agit de l'islam, et ils ont évidemment raison, n'hésitent pas à le bafouer lorsqu'il s'agit d'affirmer leur foi catholique. Alors imaginons un instant qu'un élu de confession musulmane décide de placer sur le mur du hall d'entrée de la mairie un verset du Coran, en invoquant le fait qu'une large partie de la population partage ses convictions... Nos élus de Béziers, Perpignan ou Beaucaire soutiendront-ils cette installation ? A moins qu'ils se souviennent, juste à temps, que la laïcité n'est pas un principe qu'il faut combattre au nom de la religion, mais au contraire l'instrument essentiel de la paix religieuse.
 
 


1 commentaire:

  1. Pour compléter cet article on pourrait souligner une apathie certaine de l'Etat qui, au titre des dispositions de l'article L. 2122-16, peut suspendre/révoquer les élus locaux par arrêtés/décrets...
    Peut être que la multiplication de sanctions de cet ordre aiderait à faire respecter uniformément la laïcité par nos élus, à défaut de leur éviter de sérieuses dissonances cognitives...

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