« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


jeudi 2 août 2012

La "retenue" des étrangers en situation irrégulière, ou la construction d'un régime juridique dérogatoire

Le ministre de l'intérieur, M. Manuel Valls, vient d'employer le terme "retenue" pour suggérer une nouvelle forme de maintien dans les locaux de la police ou de la gendarmerie des étrangers en situation irrégulière. Cette "retenue", qui ne pourrait dépasser une douzaine d'heures, permettrait d'organiser concrètement leur éloignement, ou, le cas échéant, leur placement dans un centre de rétention administrative. En clair, l'étranger en situation irrégulière passerait de la "retenue" à la "rétention", avant d'être renvoyé chez lui.

Un problème immédiat

La proposition du ministre vise à résoudre un problème très immédiat. On se souvient que la Cour de cassation a rendu, le 5 juin 2012, une décision estimant que l'utilisation de la garde à vue à l'encontre des étrangers en situation irrégulière n'est pas conforme à la directive "retour" du 16 décembre 2008. Le délit de maintien irrégulier sur le territoire n'est en effet constitué qu'une fois que l'étranger a refusé de se plier à une décision d'éloignement. Il ne peut donc être placé en garde à vue avant que cette décision ait été prise, puisqu'il n'a pas encore commis d'infraction pénale. 

Après cette fracassante décision, les autorités de police se sont trouvées dans une situation bien difficile. La seule procédure à leur disposition pour garder un étranger en situation irrégulière dans leurs locaux était celle de la vérification d'identité. La loi prévoit cependant que l'atteinte à la liberté d'aller et venir, dans ce cas, ne peut dépasser la durée strictement nécessaire à l'établissement de l'identité, au maximum quatre heures. C'est trop peu, disent les forces de l'ordre, pour obtenir des informations sur la situation juridique de l'intéressé, surtout lorsqu'il refuse de communiquer son identité, voire son pays d'origine. 

Jean Joseph Taillasson 1745-1809.
Timoléon, à qui les Syracusiens amènent des étrangers.

La "retenue" de douze heures prend alors toutes les apparences d'une cote mal taillée. Entre la garde à vue de vingt quatre heures désormais interdite, et la vérification d'identité de quatre heures considérée comme trop courte, on crée une procédure ad hoc, réservée aux étrangers en situation irrégulière. On coupe la poire en deux, et on choisit une immobilisation d'une douzaine d'heures. 

Le terme de "retenue" est alors choisi, précisément parce que le droit commun ne l'emploie jamais. Impossible en effet d'invoquer une "rétention", puisque les étrangers en situation irrégulière peuvent déjà être placés dans des "centres de rétention", le temps d'organiser concrètement leur départ. Impossible d'employer la notion de "garde à vue", puisqu'elle a été sanctionnée par la Cour de cassation. Impossible enfin de parler d'"internement", qui renvoie à l'idée d'un emprisonnement administratif, effectué en dehors de tout contrôle juridictionnel.

Vers un droit dérogatoire

Conformément à l'article 34 de la Constitution, cette nouvelle procédure se traduira par le dépôt d'un projet de loi, dès lors qu'elle implique une atteinte à la liberté de circulation. Les débats parlementaires conduiront probablement à la mise en place d'une procédure nouvelle, sans doute placée sous le contrôle du juge. Elle permettra aux forces de police de faire leur travail, et aux étrangers de bénéficier des droits de la défense. Le fait d'abandonner la procédure de droit commun de la garde à vue n'est donc pas, en soi, une atteinte aux droits des personnes ainsi retenues.

Il n'en demeure pas moins que cette réforme s'analyse comme une nouvelle pierre apportée à la construction d'un droit des étrangers parfaitement dérogatoire au droit commun. Il a de plus en plus ses règles propres, ses spécialistes, ses débats. Il cultive une place à part, devient peu à peu une discipline complexe, maîtrisée par quelques spécialistes et quelques militants des droits des étrangers.


1 commentaire:

  1. Oui, un droit complètement dérogatoire, y compris au principes fondamentaux comme le droit à un procès équitable (cf. Les délais de recours en matière d'OQTF sans délai de départ volontaire).

    En l'espèce, il eut été tellement simple de rajouter article 62-2-1 prévoyant le recours à la garde à vue dans le cas des étrangers. Par exemple:

    "La garde à vue peut également être décidée à l'encontre des étrangers dont il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner:

    1°) qu'ils sont rentrés en France sans les documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur;

    2°) qu'ils se sont maintenus sur le territoire national en violation d'une interdiction judiciaire du territoire ou d'une mesure d'expulsion;

    3°) qu'ils se sont maintenus sur le territoire national au-delà de trois mois après leur entrée sans disposer d'un titre de séjour."

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